28 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 50 Suit la série des décrets rendus dans la séance sous leurs numéros respectifs, au nombre de 29 (1). COUTHON, au nom du comité de salut public. Je viens vous dire un mot sur la loi de police générale. Des réclamations sans nombre sont venues au comité; il les a examinées, il a cru qu’il devait seulement vous proposer deux légers changements. Quand hier je vous proposai de comprendre dans la loi les faux comtes, les faux marquis et tous les hommes dévorés de l’orgueil d’être privilégiés, c’était pour débarrasser Paris de cette foule d’intrigants ennemis de la liberté et de l’égalité, d’aventuriers qui portaient dans tous les mauvais lieux leurs titres usurpés. Le comité avait été guidé par des vues de morale et de justice. Cependant il s’est glissé dans cet article un amendement qui lui donne trop d’extension, il a été proposé, et ensuite décrété, de joindre ceux qui avaient usurpé des titres de noblesse. Le comité a senti que ceux qui n’avaient gardé qu’un instant les privilèges d’une charge qui anoblissait ne devaient pas être assimilés à ceux qui depuis des siècles outragent le peuple par leur orgueil et leur insolence. Je suis en conséquence chargé de vous proposer de retrancher de l’article le mot acheté. CHARLIER. Lorsque hier j’appuyai l’amendement dont on demande le rapport, je pensai que ceux qui avaient voulu sortir de la classe du peuple en achetant des charges de secrétaire du roi méritaient d’être traités comme ceux à qui la naissance donnait le droit absurde et criminel de mépriser le peuple. Comment, en effet, pourriez-vous épargner ceux qui, s’ils n’ont pas joui des privilèges de la noblesse, c’est que la révolution ne leur en a pas donné le temps, mais étaient dans la ferme résolution de devenir nobles, puisque, pour me servir d’une expression triviale, ils s’étaient fait savonner ? La loi doit atteindre ces hommes aussi méprisables que ceux qui sont nés dans la classe des privilégiés. Je demande que le mot acheté soit maintenu. COUTHON. J’appuyai hier l’amendement dont il est ici question, parce que je n’avais pas vu tous les inconvéniets qu’il entraînait, et la Convention elle-même n’eut pas le temps de s’apercevoir s’il était contraire à la politique. Le comité l’a mûrement examiné; de très-fortes raisons l’ont déterminé à vous demander le rapport. Si la Convention le veut, je lui ferai part des motifs du comité; mais il est certain qu’en adoptant l’amendement elle a donné un décret de plus d’extension qu’il n’était dans son intention de lui en donner. Il ne serait pas (1) P.V., XXXV, 305. juste, car il frapperait également des hommes qui ne doivent pas l’être. Je fais cette espèce de comparaison : un secrétaire du roi a gardé sa charge pendant six mois : il lui fallait vingt ans pour devenir noble. S’il est compris dans la catégorie des nobles, vous le punissez plus qu’il ne le mérite; à plus forte raison vous n’êtes pas juste à l’égard des enfants qui n’ont point partagé la volonté de leur père, et qui n’avaient jamais eu la prétention de vouloir s’anoblir. Voulez-vous séparer les enfants du père, tandis que le but de la morale des Républiques est d’unir plus intimement les époux avec leurs épouses, les enfants avec leurs père et mère ? Je demande que la rédaction du décret que j’ai présentée soit adoptée. TALLIEN. Les principes de morale et de justice qui ont porté le comité à demander le rapport de l’amendement adopté hier par la Convention ne peuvent s’étendre qu’à quelques fonctionnaires publics et à quelques hommes qui, par leur talent et leur patriotisme, peuvent être utiles à la liberté; mais le comité a la faculté de les mettre en réquisition, et par là de les conserver dans les places où ils sont utiles. Mais pourquoi adopter une mesure générale, pourquoi accorder une faveur à ceux qui ont voulu sortir de la classe du peuple, qui n’ont acheté des charges que pour être dispensés de payer les impôts qui écrasaient le peuple ? Pourquoi ne pas sévir contre des hommes qui sont entrés avec des intentions perfides dans une caste que son orgueil et sa corruption rendaient si méprisable ? Citoyens, les hommes qui ont voulu s’allier avec d’autres hommes qui faisaient profession de mépriser le peuple ne méritent aucune considération. Si le comité de salut public le croit nécessaire, qu’il mette en réquisition ceux qui lui paraîtront devoir mériter une exception; mais je demande, pour le maintien des principes, que ceux qui ont acheté des charges qui anoblissaient ne soient point exceptés par une disposition générale de la loi de rigueur portée contre les nobles (1). DELMAS. Je ne doute point que des vues morales et politiques n’aient déterminé votre comité de salut public à vous proposer l’amendement qui est soumis à votre discussion; mais il faut examiner s’il peut se concilier avec les principes de la justice distributive. L’intérêt de la république, celui de la révolution, exigent que vous soyez sévères envers des hommes qui ont voulu, qui ont cru s’élever au-dessus du peuple. Qu’a fait hier la Convention nationale en assimilant aux ci-devant nobles cette foule d’intrigants qui. sans en avoir le droit, se paraient d’après les coutumes et règlements de l’ancien régime, de ces titres enfantés par l’orgueil ? Elle a voulu, avec juste raison, punir leur intention. Atteindriez-vous également, en supprimant le mot acheté , ceux qui ont plaidé pour être nobles, si, au lieu de perdre leur procès, ils l’avaient gagné ? (1) Mon., XX, 251. 28 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 50 Suit la série des décrets rendus dans la séance sous leurs numéros respectifs, au nombre de 29 (1). COUTHON, au nom du comité de salut public. Je viens vous dire un mot sur la loi de police générale. Des réclamations sans nombre sont venues au comité; il les a examinées, il a cru qu’il devait seulement vous proposer deux légers changements. Quand hier je vous proposai de comprendre dans la loi les faux comtes, les faux marquis et tous les hommes dévorés de l’orgueil d’être privilégiés, c’était pour débarrasser Paris de cette foule d’intrigants ennemis de la liberté et de l’égalité, d’aventuriers qui portaient dans tous les mauvais lieux leurs titres usurpés. Le comité avait été guidé par des vues de morale et de justice. Cependant il s’est glissé dans cet article un amendement qui lui donne trop d’extension, il a été proposé, et ensuite décrété, de joindre ceux qui avaient usurpé des titres de noblesse. Le comité a senti que ceux qui n’avaient gardé qu’un instant les privilèges d’une charge qui anoblissait ne devaient pas être assimilés à ceux qui depuis des siècles outragent le peuple par leur orgueil et leur insolence. Je suis en conséquence chargé de vous proposer de retrancher de l’article le mot acheté. CHARLIER. Lorsque hier j’appuyai l’amendement dont on demande le rapport, je pensai que ceux qui avaient voulu sortir de la classe du peuple en achetant des charges de secrétaire du roi méritaient d’être traités comme ceux à qui la naissance donnait le droit absurde et criminel de mépriser le peuple. Comment, en effet, pourriez-vous épargner ceux qui, s’ils n’ont pas joui des privilèges de la noblesse, c’est que la révolution ne leur en a pas donné le temps, mais étaient dans la ferme résolution de devenir nobles, puisque, pour me servir d’une expression triviale, ils s’étaient fait savonner ? La loi doit atteindre ces hommes aussi méprisables que ceux qui sont nés dans la classe des privilégiés. Je demande que le mot acheté soit maintenu. COUTHON. J’appuyai hier l’amendement dont il est ici question, parce que je n’avais pas vu tous les inconvéniets qu’il entraînait, et la Convention elle-même n’eut pas le temps de s’apercevoir s’il était contraire à la politique. Le comité l’a mûrement examiné; de très-fortes raisons l’ont déterminé à vous demander le rapport. Si la Convention le veut, je lui ferai part des motifs du comité; mais il est certain qu’en adoptant l’amendement elle a donné un décret de plus d’extension qu’il n’était dans son intention de lui en donner. Il ne serait pas (1) P.V., XXXV, 305. juste, car il frapperait également des hommes qui ne doivent pas l’être. Je fais cette espèce de comparaison : un secrétaire du roi a gardé sa charge pendant six mois : il lui fallait vingt ans pour devenir noble. S’il est compris dans la catégorie des nobles, vous le punissez plus qu’il ne le mérite; à plus forte raison vous n’êtes pas juste à l’égard des enfants qui n’ont point partagé la volonté de leur père, et qui n’avaient jamais eu la prétention de vouloir s’anoblir. Voulez-vous séparer les enfants du père, tandis que le but de la morale des Républiques est d’unir plus intimement les époux avec leurs épouses, les enfants avec leurs père et mère ? Je demande que la rédaction du décret que j’ai présentée soit adoptée. TALLIEN. Les principes de morale et de justice qui ont porté le comité à demander le rapport de l’amendement adopté hier par la Convention ne peuvent s’étendre qu’à quelques fonctionnaires publics et à quelques hommes qui, par leur talent et leur patriotisme, peuvent être utiles à la liberté; mais le comité a la faculté de les mettre en réquisition, et par là de les conserver dans les places où ils sont utiles. Mais pourquoi adopter une mesure générale, pourquoi accorder une faveur à ceux qui ont voulu sortir de la classe du peuple, qui n’ont acheté des charges que pour être dispensés de payer les impôts qui écrasaient le peuple ? Pourquoi ne pas sévir contre des hommes qui sont entrés avec des intentions perfides dans une caste que son orgueil et sa corruption rendaient si méprisable ? Citoyens, les hommes qui ont voulu s’allier avec d’autres hommes qui faisaient profession de mépriser le peuple ne méritent aucune considération. Si le comité de salut public le croit nécessaire, qu’il mette en réquisition ceux qui lui paraîtront devoir mériter une exception; mais je demande, pour le maintien des principes, que ceux qui ont acheté des charges qui anoblissaient ne soient point exceptés par une disposition générale de la loi de rigueur portée contre les nobles (1). DELMAS. Je ne doute point que des vues morales et politiques n’aient déterminé votre comité de salut public à vous proposer l’amendement qui est soumis à votre discussion; mais il faut examiner s’il peut se concilier avec les principes de la justice distributive. L’intérêt de la république, celui de la révolution, exigent que vous soyez sévères envers des hommes qui ont voulu, qui ont cru s’élever au-dessus du peuple. Qu’a fait hier la Convention nationale en assimilant aux ci-devant nobles cette foule d’intrigants qui. sans en avoir le droit, se paraient d’après les coutumes et règlements de l’ancien régime, de ces titres enfantés par l’orgueil ? Elle a voulu, avec juste raison, punir leur intention. Atteindriez-vous également, en supprimant le mot acheté , ceux qui ont plaidé pour être nobles, si, au lieu de perdre leur procès, ils l’avaient gagné ? (1) Mon., XX, 251. SÉANCE DU 29 GERMINAL AN II (18 AVRIL 1794) - N° 50 29 Ne vous diraient-ils pas : « Nous avions acheté bien chèrement cette noblesse ! » Eh bien, les hommes qui ont acheté des charges de secrétaire du roi, de trésorier de France, et autres... n’ont-ils pas eu aussi l’intention d’acquérir la noblesse ? N’en ont-ils pas joui ? Voudriez-vous traiter plus favorablement ceux-ci parce que la révolution ne leur a pas donné le temps de s’anoblir tout à fait et de transmettre à leurs descendants des privilèges oppresseurs qu’ils ont ambitionnés ? Si vous voulez admettre quelques exceptions, les principes de l’égalité commandent qu’elles ne soient point en faveur de ceux qui ont eu la jnême intention. Faites-les tourner à l’avantage des enfants dont les pères n’ont pas conservé leurs charges le laps de temps nécessaire pour transmettre les privilèges dont ils ont joui. L’on me dira : « Vous voulez donc séparer les familles ?... » Le salut du peuple est la suprême loi ! D’ailleurs rien n’empêche, si la volonté de ceux dont je parle n’est point de rester à Paris, dans les places fortes et villes maritimes, qu’ils suivent leurs pères; je demande la question préalable sur la proposition de supprimer le mot acheté, qui se trouve dans un des deux articles décrétés hier. N. B. Tallien a parlé dans le même sens que Delmas. Nous n’avons pu donner qu’un extrait de son discours, qui ne contient qu’en substance quelques unes de ses observations (1). CHARLIER. D’après de nouvelles réflexions, je conviens moi-même qu’une exception peut être nécessaire; mais je demande qu’elle ne soit qu’en faveur de ceux qui, ayant acheté une charge qui anoblissait, l’ont vendue après n’en avoir joui qu’un court espace de temps. ROBESPIERRE. Je ne prends pas plus d’intérêt que le comité de salut public et la Convention nationale aux personnes qui font l’objet de la discussion actuelle. Si je n’écoutais que l’espèce d’antipathie naturelle aux amis ardents de la liberté contre tout ce qui portait autrefois les apparences même de l’orgueil et de l’aristocratie, je déclamerais peut-être avec plus de force que ne l’ont fait les préopinants contre tous ceux qui ont voulu sortir de la classe respectable du peuple; mais, citoyens, c’est la justice et l’intérêt du peuple qui doivent toujours diriger les délibérations de l’homme public. L’intérêt du peuple veut qu’on n’écoute pas toujours avec complaisance les propositions qui sont en apparence populaires; il exige qu’on adopte de préférence ce qui peut assurer son bonheur et sa félicité. Les comités, croyez-le, citoyens, n’ont rien perdu de leur énergie; j’en atteste les décrets sévères, fulminants qu’ils vous ont proposés; il doit donc leur être permis d’observer que, dans les décrets les plus vigoureux et les plus sévères contre les ennemis de la patrie, il est des mesures à garder, mesures fixées par les principes et par la justice. D’abord, les articles proposés hier par le comité de salut public étaient politiques et justes sous tous les rapports; car on ne peut pas ranger dans la même classe le vil (1) Mon., XX, 273; rétablissement postérieur de l’intervention de Delmas. intrigant et celui qui a fait retentir les tribunaux de ses prétentions à la noblesse, et l’homme qui n’a eu qu’un moment la velléité d’être noble. Le membre qui vous a proposé l’amendement a senti lui-même la difficulté de son exécution; aussi vient-il de se rétracter lui-même, et demander que cet amendement ne fût applicable qu’à ceux qui avaient joui effectivement des privilèges de la noblesse. D’autres considérations doivent vous déterminer à rejeter cet amendement : c’est qu’il envelopperait dans la loi une infinité de personnes que vous n’avez pas voulu atteindre. On ne parle dans ce moment-ci que des secrétaires du roi; mais il existait une multitude de charges créées par le génie de l’ancien régime, qui donnaient le titre de noble à ceux qui les possédaient, et qui cependant avaient pour objet des fonctions utiles, des magistratures nécessaires à l’ordre social. On avait attaché des privilèges à ces charges, parce que le gouvernement, qui trafiquait de tous les emplois, vendait jusqu’au droit respectable de rendre la justice et d’être utile à ses concitoyens. Le comité a pensé que, si vous laissiez subsister cet amendement, vous détruiriez toute la vigueur et l’énergie de la loi que vous avez rendue. En effet, les individus qu’elle envelopperait se multiplieraient à l’infini, et formeraient une ligue bien plus puissante pour demander des exceptions que vous seriez peut-être forcés d’accorder. Ainsi, pour l’intérêt véritable du peuple et pour que la loi demeure intacte, il faut que vous la restreigniez dans de justes bornes. Citoyens, en parlant en faveur de l’amendement, on peut se donner l’avantage d’une sévérité apparente contre les ennemis du peuple; mais le devoir du véritable ami du peuple est de le servir sans le flatter. Je demande que l’amendement qui a été adoptée hier soit interprété ainsi que l’a proposé Couthon (1). « La Convention nationale décrète que les deux articles additionnels à la loi sur la police générale, présentés dans la séance d’hier par le comité de salut public, demeurent définitivement adoptés tels qu’ils ont été proposés par le comité, sans l’addition du mot acheté proposé par amendement, et renvoie cet amendement à l’examen du comité pour lui en faire un rapport » (2) . COUTHON. Il y a d’autres observations à faire sur un des principaux articles de la loi. L’article VIII porte : « Les étrangers marchands détaillants, établis avant la promulgation du présent décret, etc. ». Votre comité a pensé que, si vous borniez cet article à ces termes, votre intention, qui est d’expulser les ennemis de la république, ne serait pas remplie; car quel est l’étranger qui ne trouvera pas un ami assez officieux pour lui prêter un magasin afin qu’il puisse dire qu’il n’est pas compris dans la loi. Votre comité a pensé que vous deviez favoriser les marchands détaillants de bonne foi. Or il est impossible de ranger dans cette classe (1) Mon., XX, 251. (2) P.V., XXXV, 305. C. Eg., n° 610; Ann. p atr., n° 473.