160 [Convention nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 26 1793 à c© département et sans l’exposer au risque ■d’un approvisionnement lent et incertain; « 3° L’égalité est une des bases de la Révo¬ lution. Cette égalité doit se répandre sur tout le sol de la République et embrasser et les con¬ tributions qu’elle exige et les avantages qu’elle procure. « Yvetot, au moyen de la translation de dis¬ trict, réunira dans son enceinte le triple avan¬ tage d’un commerce annuel de 50 millions (en 1789; ce fait a été mis en avant par Yvetot et ■contribua à faire rejeter sa prétention), d’un tribunal de commerce et de l’administration de ■district. « Caudebec, au contraire, où existaient tous les tribunaux de l’ancien régime, n’aura ni commerce, ni administration, il ne lui restera ■que le tribunal de district que le nouvel ordre judiciaire anéantira, et cette commune tom¬ bera dans un état de nullité, excepté pour les contributions qu’elle a payées longtemps dans une prpportion supérieure à celles d’ Yvetot qui, pendant des siècles, a joui du privilège de l’exemption de tailles et accessoires. « D’après ces moyens, nous demandons qu’il vous plaise rapporter votre décret du 29 bru¬ maire, et, en cas de difficulté, renvoyer la pré¬ sente à votre comité de division pour entendre les commissaires des deux communes, et en¬ suite pour en être fait le rapport. « Présenté le 5 frimaire, l’an II de la Répu¬ blique française une et indivisible. « JULLIEN; LlSQUET ». Les décrets suivants ont été rendus dans cette séance : ces décrets sont au nombre de 9. « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport de son comité de législation LPons (de Verdun ), rapporteur (1)], sur la péti¬ tion de Baruch Lewy et Jacques Élie, tendant â obtenir la révision du jugement du tribunal criminel du département du Bas-Rhin, qui les a condamnés à six années de fers; « Considérant que toute personne qui, avant de conclure un marché, annonce qu’il en paiera le prix en numéraire et non en assignats, met p ar là une différence entre les assignats et l’ar¬ gent monnayé, et contrevient à la loi du 11 avril dernier : « Décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer (2). » Suit la pétition faite au nom de Baruch Levy et Jacques Elie (3). Pétition à la Convention nationale, pour Baruch Levy et Jadques Elie, citoyens de Strasbourg. « C’est à la Convention à tirer de l’oppression, sous laquelle ils gémissent, les citoyens qui (1) D’après la minute du décret qui se trouve aux Archives nationales, carton C 282, dossier 787. (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 26, p. 169. (3) Archives nationales, carton D ni 213, dossier Strasbourg. n’ont commis aucun délit et qui, cependant, sont punis comme s’ils étaient coupables. « C’est à elle à réparer les erreurs des juges lorsque, au lieu d’appliquer la loi, ils écoutent d’anciennes préventions et se livrent à l’arbi� traire. «L’application de la loi est sous la sauvegarde des représentants du peuple. « Quand la loi est violée, ils doivent en main¬ tenir l’exécution sévère, puisque, sans l’exécu¬ tion de la loi, le gouvernement est anarchique. Faits. « Le 19 juillet 1793, les exposants apprirent que Jonas Sommer, Suisse de nation, était venu à Strasbourg pour y vendre une partie de ses montres. « Ils se transportèrent chez lui et lui ache¬ tèrent 11 montres, dont 3 en or et 8 en argent. Le marché a été conclu moyennant 1,002 livres. « Sommer se transporta le même jour chez les exposants pour leur porter les montres qu’ils avaient achetées le matin/ et pour en toucher le prix. Les exposants lui comptèrent les 1,002 livres en assignats. Sommer prétendit que cette somme devait lui être payée en numé¬ raire. « Les exposants, étonnés d’une pareille de¬ mande, se rendirent chez le maire de Strasbourg et portèrent leur plainte contre Sommer pour avoir refusé de recevoir des assignats en paie¬ ment. « Le maire renvoya les parties à se pourvoir au civil par-devant le juge de paix de l’arron¬ dissement. « L’officier de police du 3e arrondissement de Strasbourg, après avoir entendu la décla¬ ration de chacune des parties, crut voir une contravention à l’article 2 de la loi du 11 avril 1793. « En conséquence, il a décerné mandat d’arrêt contre les exposants et contre Sommer et a renvoyé les pièces de la procédure au directeur du juré pour être présentées à un juré d’accusation. « Le directeur du juré a dressé l’acte d’accu¬ sation dont il est essentiel de bien saisir les termes. Les voici : « Le directeur du juré déclare qu’il résulte « de l’examen des pièces, que les citoyens « Baruch Lewy et Jacques Elie se sont pré-« sentés chez le citoyen Sommer, marchand « forain de Lorle, en Suisse, pour acheter une « partie des montres que ledit Sommer avait « apportées de son pays pour les vendre en « cette ville. Que d’abord, en �ui demandant « le prix de ses montres, ils lui ont annoncé « qu’ils payeraient non autrement qu’en numé-« raire, qu’il devait régler son prix en consé-« quence, etc.; qu’il résulte en conséquence de « tous ces détails, attestés par les pièces de la « procédure que les dits Jonas Sommer, Ba-« ruch Lewy et Jacques Elie ont méchamment « et contrairement aux dispositions de l’ar-« ticle 2 de la loi du 1 1 avril dernier qui défend « la vente du numéraire, proposé et arrêté que le « payement du prix dans la vente qui a été « conclue entre eux serait effectué en numéraire « et non en assignats. Sur quoi les jurés auront [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES j Vnïvembre 1793 161 « à prononcer s’il y a lieu à accusation contre « lesdits prévenus à raison du délit mentionné « au présent acte. » « Cet acte d’accusation ne présente aucun délit, car la loi n’a pas entendu priver les citoyens du droit de payer en argent ou en assignats; elle a seulement voulu qu’on ne pût pas établir de différence entre l’argent et l’ assignat et on voit que l’acte d’accusation ne parle pas que cette différence ait été établie dans le marché dont il s’agit. Cependant les jurés ont déclaré qu’il y avait lieu à accusation. « En conséquence, le directeur du juré a rendu ordonnance de prise de corps dont l’irrégula¬ rité doit également faire tomber le jugement du 16 août dernier. « Les jurés de jugement,* d’après leur ins¬ truction, ne devaient prononcer que sur le prétendu délit dont il était question dans l’acte d’accusation, mais la prévention les aveugla au point que, enchérissant sur l’acte d’accusation, ils ont été plus loin que n’avait été cet acte constitutif du procès. « En effet, ils ont déclaré que Baruch Lewy et Jacques Lewy (sic) étaient convaincus d’avoir proposé et arrêté le 19 juillet dernier un prix d’achat de montres en numéraire sonnant avec un négociant suisse, que les accusés, en contractant ce marché, ont mis une différence entre les assignats et le numéraire. « C’est d’après cette déclaration que le tri¬ bunal criminel du département du B as -Rhin a condamné les accusés Baruch Lewy et Jacques Elie en 6 années de fers, conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi du 11 avril dernier. « C’est ainsi que la passion, se couvrant du manteau de la justice, frappe les citoyens innocents. « D’après ce qui vient d’être dit, on doit observer d’abord qu’il n’y avait pas de délit et que l’acte d’accusation n’en constatait aucun. « Qu’on se rappelle les termes de cet acte d’accusation dressé par le directeur du juré, et qu’on les compare avec la loi dont l’applica¬ tion a été faite par le tribunal criminel. « Le directeur du juré déclare que : « Jonas « Sommer, Baruch Lewy et Jacques Elie ont « méchamment proposé et arrêté que le paye-« ment du prix dans la vente qui a été conclue « entre eux serait effectué en numéraire et « non en assignats. » « La loi porte : « Aucun achat, vente, traité, « convention ou transaction ne pourront désor-« mais contenir d’obligation autrement qu’en « assignats; ceux qui seront convaincus d’avoir « arrêté ou proposé différents prix, d’après le « payement en numéraire ou en assignats « seront pareillement condamnés en six années « de fers, sans néanmoins interdire à ceux qui « ont du numéraire la faculté d'en faire usage « dans leurs paiements, au pair des assignats ». « Ainsi, d’après la loi, pour qu’il y ait un délit, il faut qu’en offrant un payement en argent ou en assignats, on mette une différence entre les deux valeurs, et que Ton apprécie l’une plus que l’autre. C’est la différence offerte qui fait seule le délit. « Ici l’acte d’acousation ne dit pas que les contractants aient voulu mettre une diffé¬ rence entre la valeur de l’assignat et la valeur de l’argent. Il n’y a dono pas de délit, puisque c’est oette différence seule qui le constitue. lr® SÉRIE. T. LXXX. « On accusait les parties d’avoir arrêté que le payement des montres se ferait en numé¬ raire et non en assignats. Mais la loi ne défendait pas cette stipulation, puisqu’elle porte, préci¬ sément, « que les citoyens auront la faculté « de faire usage du numéraire dans leurs « payements, au pair des assignats. « D’après les termes de l’acte d’accusation, il n’y avait donc pas délit. « Et s’il n’y avait pas de délit, il n’y avait pas de punition à infliger. « On a donc faussement appliqué la peine de six années de fers, puisque cette peine n’est prononcée que pour ceux qui mettent une différence entre le numéraire et les assignats. Et que, d’après l’acte d’accusation même, les parties ne sont pas accusées d’avoir voulu établir cette différence. « Une autre irrégularité monstrueuse dans cette procédure, résulte de ce que la déclaration du juré de jugement porte sur des faits qui ne font pas partie de l’acte d’accusation. « Notre grand principe, le principe conser¬ vateur de notre liberté, c’est que nul citoyen ne peut être jugé que d’après un acte d’accu¬ sation. L’acte d’accusation établit le délit et le constitue. Une fois que l’acte d’accusation est rédigé, le délit ne peut plus changer. Le juré de jugement ne peut porter sa déclaration que sur les faits contenus dans l’acte d’accusation. S’il déclare d’autres faits, il fait lui-même un acte d’accusation, et alors il trangresse ses devoirs : c’est cependant ce qui a été fait ici. « L’acte d’accusation porte que les accusés sont convenus que le payement serait fait en numéraire et non en assignats; mais il ne dit pas que les accusés ont établi une différence entre le numéraire et les assignats. Et les jurés de jugement déclarent que les accusés, en con¬ tractant le marché, ont mis et annoncé une différence entre les assignats et le numéraire. Les jurés de jugement ont donc fait une décla¬ ration sur un fait qui n’est pas dans l’acte d’accusation. Cette déclaration est donc nulle, la laisser subsister, ce serait soumettre l’hon¬ neur, la vie et la fortune des citoyens à l’ar¬ bitraire le plus dangereux. « Ici l’arbitraire a été dirigé par la prévention qui subsiste toujours contre les juifs dans les départements du Haut et du Bas-Rhin. On persiste à ne pas vouloir les considérer comme citoyens, et toujours un juif est coupable par cela seul qu’il y a une plainte contre lui. « Les intentions des représentants de la nation sont manifestement violées, puisqu’ils ont admis au rang éminent de citoyens français tous ceux que la religion en excluait autrefois. « La Convention nationale ne peut donc pas permettre qu’un jugement semblable déshonore plus longtemps les fastes de la justice. « Les exposants demandent la révision du procès, et comme le tribunal de cassation a cru ne devoir pas le prononcer, c’est à la Conven¬ tion à le faire. « Elle le fera avec d’autant plus d’empresse¬ ment que la loi sur la vente du numéraire n’est ni assez claire, ni assez précise; elle ne permettra pas que l’obscurité de la loi devienne un motif qui légitime les persécutions oontre les citoyens. a Marx Levt, pour mon fils. » n