[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1789.] rôle de la prestation représentative de la consommation d’absolue nécessité ; 2° du rôle de l’imposition qui remplacera la taille et accessoires, ainsi que les vingtièmes, et qui réglera la somme additionnelle pour la seconde prestation, en remplacement de la gabelle. Ces rôles ne seront peut-être pas achevés avant six mois. Il sera nécessaire d’attendre leur confection pour procéder au recouvrement; le Trésor public a besoin de ressources promptes et | certaines ; il en trouverait dans la vente du .sel à i un prix modéré ; mais la gabelle étant suppri-! mée, et le recrutement de l’impôt de remplacement étant nécessairement éloigné, la pénurie i duTrésor public augmentera, et les conséquences ' de cet accroissement de pénurie seront très-j fâcheuses. | Un des honorables membres de l’Assemblée nationale a prévu l’objection etnropose le moyen de l’anéantir : 1° Que la taxe de chaque province pour remplacement de la gabelle, soit décrétée par l’As-! semblée nationale pour les trois derniers mois ! de cette année, et pour l’année entière 1790 ; 2° Que l’assiette et le recouvrement de nette taxe soient confiés aux assemblées provinciales ; 3° Que ces assemblées souscrivent l’obligation de fournir cette taxe an Trésor puMic, de mois •en mois, à compter du mois de novembre prochain, jusqu’au mois d’octobre 17961, à la déduction de l’intérêt de six mois, an taux de 5 0/0, , sans retenue; I 4° Que pour mettre les assemblées provinciales ! «m état de fournir leur taxe au Trésor public, \ dans les termes qui viennent d’être énoncés, elles ! soient autorisées, par décret de l’Assemblée na-I tionale, à ouvrir des emprunts partiels jusqu’à ! concurrence du montant desdites taxes, portant, : intérêt à 5 0/0 sans retenue, et dont le rembour-■ sement sera spécialement hypothéqué et affecté sur : le recouvrement des prestations pécuniaires en : remplacement de la gabelle-Au moyen de cette proposition, le Trésor public recevra, sans difficulté, de mois en mois, jusqu’au mois d’octobre 1790, l’impôt de rempla-'bement, sans non-valeur ni retard. Ainsi la suppression de la gabelle rendra très-positives les ! ressources très-incertaines que l’on pourrait es-érer de la gabelle, réduite au plus haut prix de 0 livres le quintal. SECONDE OBSERVATION. ! L’impôt de la gabelle est .local, d’une quotité j différente dans les provinces qui y sont assujet-j ties. ! Toutes les provinces ont formellement renoncé ; à leurs privilèges ; ainsi l’impôt de remplace-I ment de la gabelle devrait être supporté par toutes les provinces, sans exception, et proportionnellement à leurs facultés. On s’écartera de la justice, en ne faisant tomber l’impôt de remplacement que sur les pays de gabelle, et proportionnellement à la somme d’impôt que chaque province supporte eu égard à la consommation en sel. Pour répondre à cette objection, ou observe : 1° que les impôts ne sont point les mêmes dans les différentes provinces dont le royaume est composé ; que plusieurs sont extrêmement grevées par l’impôt sur les propriétés ; que d’autres acquittent les impôts indirects de différentes manières, tels que les équivalents de Languedoc, ! lo les devoirs éle Bretagne, la gabelle et les aides ; qu’ainsi chaque province doit conserver momentanément la somme actuelle de ses impositions ; 2° ‘Que lorsqu'il sera question de la conversion de la taille, accessoires, vingtièmes, et dans une seule imposition sur les 'terres, il sera facile de rechercher Ja proportion qui existe entre les impôts indirects a la charge de ‘toutes les provinces, et de vendre à chacune Ta justice qu’elle est en droit d’attendre du système équitable de l’égalité des contributions ; 3° Que les pays de gabelle, par la suppression de eét impôt cruel, profiteront, dans le moment présent, d’une remise effective sur les perceptions de la ferme et de la contrebande .de plus de ............................ . 13,000,000 fr. Qu’ils bénéficieront, à compter de 1791, d’une nouvelle modération de ................... ..... 9,500,000 fr. Total.......... 22,500,000 fr. 4° Que celte remise, qui forme à peu près le tiers de la perception actuelle, sera d’autant plus précieuse, que le revenu des propriétés foncières augmentera sensiblement par la consommation plus étendue du sel ; 5° Que si l’impôt de remplacement de 46,500,000 livres, à compter de 1791, reste à la charge des pays de gabelle, il serait juste et facile d’en appliquer le recouvrement an payement des rentes viagères, et de le diminuer successivement dans Ja proportion des 'extinctions; en sorte que les pays de gabelle éprouveraient annuellement de nouvelles modérations, et finiraient par être totalement affranchis de cet impôt de remplacement. Ces observations suffisent pour répondre à l’objection présentée contre le mode de conversion de l’impôt de la gabelle. M. de WtefvîHe des Hissa rts, députe de Ver-mcmdovs (T). Messieurs, de tous les impôts, il n’en est point de plus révoltant ni de plus désastreux que celui du sel. Il n’en est point de plus odieux au peuple. Il coûte chaque année la vie et la liberté à des milliers d’hommes; il donne lieu à des vexations continuelles, à des horreurs, et à des inquisitions de toute espèce. Une armée de près de soixante mille hommes la surveille, répandue dans tous les coins de la France; elle y jette l’épouvante et la désolation, et sur tous ses pas suivent les brigandages et les exactions. A chaque porte, à chaque barrière, et, pour ainsi dire à chaque pas, le citoyen est arrêté et fouillé; rien n’est respecté. Son domicile, lieu sacré dans tous les pays de liberté, est violé. Une brigade d’employés s’y introduit, force la porte, s’il n’y a personne, ou si on refuse de la lui ouvrir, parcourt tous les lieux, inspecte tout, caves, greniers, coffres et armoires; rien rfest réservé. Non-seulement on vous rend responsable de votre logement et de vos bâtiments fermés ; mais encore de votre cour et de vos bâtiments non fermés, et même des héritages qui tiennent à votre domicile. Oui, Messieurs, une poignée de sel qu’une mam ennemie peut avoir posée dans votre cour, dans (1) Lo discours do M. de Viefville n’a pas été inséré au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1789.] vos bâtiments, ou même dans vos héritages, donne lieu à la saisie, à une amende, et à la peine de prison. Des milliers d’individus ont été condamnés sur de pareilles preuves, constitués prisonniers, et ont péri innocents. Je pourrais vous en citer plusieurs dans mon bailliage seulement. On tient pour loi, dans la gabelle, qu’un particulier est responsable de ses bâtiments, cours et jardins, fermés ou non fermés, et quoique chacun ait la liberté d’y introduire de la contrebande, n’importe : la fiscalité ne veut que de l’argent et des coupables. En vain crie-t-on contre cette loi meurtrière : malgré son immoralité, elle est en vigueur et consacrée dans tous les tribunaux de la gabelle. Eh! Messieurs, que ne consacreraient point ces tribunaux! Dans la plupart, les juges sont pensionnés et gratifiés par la ferme; la volonté delà ferme règne sur eux en tyran : elle a le droit de commander au juge qu’elle paye. Instruits de ces vexations et de ces abus infâmes, et revêtus de l’autorité, vous vous rendriez coupables envers la nation, si vous les laissiez subsister plus longtemps. Il n’y a qu’un seul moyen. Ce n’est point de diminuer le prix du sel ni les peines delà contrebande, comme le comité des finances l’a proposé, car il restera toujours un bénéfîce à faire; et adoucir les peines, c’est multiplier la fraude; mais c’est de supprimer l’impôt et de vendre le sel marchand. Je ne crois môme pas qu’il y ait à délibérer à cet égard, et qu’il soit encore permis de mettre cet objet en question. L’impôt du sel a été jugé et condamné par Sa Majesté; tous les cahiers en demandent la suppression : nous l’avons hautement annoncée et promise à la nation ; la justice et l’humanité la réclament; elle existe par le fait. Que nous reste-t-il donc à faire? à la consommer, pour l’avantage et le bonheur du peuple et de l’Etat. Cet impôt, qui est peu de chose pour l’homme opulent, est beaucoup pour les propriétaires et cultivateurs, et il écrase la classe indigente. Sa répartition se fait par tête. Un malheureux, qui a douze enfants imposables, supporte douze fois autant de sel qu’un riche célibataire. On lui délivre à 10 sous 6 deniers une livre de sel, qu’il aurait pu souvent se procurer moyennant 1 sou ou 6 liards. Le fisc tire donc sur sa subsistance, et sur celle de ses enfants, douze et treize quatorzièmes de bénéfices, et se remplit ainsi du sang et de la sueur des malheureux. Si le besoin, ou l’intérêt, toujours plus fort que la loi, lui commande de se soustraire à cette infâme exaction, sa vie et sa liberté sont en danger; il est exposé à être enlevé à sa femme et à ses enfants, et souvent la mort expie, ou toute sa fortune paye le crime bien pardonnable qu’il a osé commettre, Assemblés, Messieurs, pour pourvoir au soulagement du peuple, pour réformer les abus sous lesquels il gémit, vous ne laisserez sûrement pas subsister le plus oppressif de tous. Ce n’est point l'adoucissement de l’impôt du sel que le peuple demande ; c’est sa suppression: il faut l’anéantir jusque dans son germe.La moindre racine pourrait produire encore des rameaux désastreux. Ils ont eu des accroissances insensibles. L’expérience du passé doit nous préserver des malheurs de l’ave-vir. Puisque nous avons aujourd’hui le pouvoir, une sage et salutaire prévoyance nous dit d’en faire usage. Déterminons donc cette suppression; tout nous l’ordonne : la promesse du Roi, celle que nous avons faite au peuple, le vœu de la nation, sa résistance qui nous commande, la tranquillité et le bien de l’Etat. C’est en effet, Messieurs, du plus grand avantage de l’Etat, que le sel soit rendu marchand. Il sert à l’engrais des terres; celui de France est préféré atout: il est reconnu le meilleur de l’Europe. Ce serait donc ouvrir une branche de commerce très-lucrative. Une infinité de salines, que la voracité des fermiers a fait abandonner, seront exploitées; c’est un objet de la plus haute importance, qui vivifiera l’intérieur des provinces et accroîtra notre commerce. Cent mille bras désœuvrés y trouveront leur subsistance, et l’Etat un numéraire considérable. Hâtons-nous donc de décerner le bill si juste et si désiré d’anéantissement et de proscription. Mais, dira-l-on, l’état des finances ne permet point cette suppression sans remplacement. Cela est vrai. Aussi offre-t-on un impôt additionnel, représentatif, juste et égal, réparti proportionnellement sur tous les contribuables privilégiés; par ce moyen, le Trésor royal n’en souffrira point, et le peuple y gagnera infiniment: il sera soustrait à des vexations de tout genre. M. le président donne la parole à M. le comte de Toustain deViraypour une motion concernant le payement des députés. M. le comte de Toustain de VIray , député de la Lorraine. Messieurs, la décision de la permanence de l’Assemblée nationale me conduit à une observation que je crois nécessaire sous plusieurs rapports ; notre mission ici est incontestablement d'établir une bonne constitution et de réformer les abus. Mais, Messieurs, ne craindrions-nous pas d’en établir un en notre faveur, qui pèserait sur le peuple, si nous ne fixions pas le terme de nos payements, et s’il était soumis à notre volonté; notre délicatesse et l’amour du bien public exigent, tant pour nous que pour ceux qui nous remplaceront, de nous mettre à l’abri du reproche de cupidité. Montrons-nous intacts, et déclarons que pour cette session il ne sera payé que six mois, et trois mois pour les sessions suivantes. Je n’entends pas par là restreindre strictement à ce terme la durée des Assemblées, qui pourront se prolonger si les circonstances l’exigent; mais ne nous dissimulons pas que nos débats, souvent oiseux, et les trop longs discours produisent un bien très-incertain, et que le mal est réel ; montrons-nous patriotes; mettons-nous à l’abri de tout soupçon de la part de nos commettants, et n’augmentons pas les abus, puisque notre devoir est de les anéantir. Voici mou projet d’arrêté : « L’Assemblée nationale, délibérant sur l’abus qu’entraînerait l’arbitraire pour la durée du payement des députés, déclare que pour cette session ils ne pourront être payés que pendant l’espace de six mois, et trois mois pour les sessions suivantes ; déclare en même temps ne pas entendre par là borner strictement à trois mois la durée des assemblées annuelles, mais seulement restreindre la rétribution des députés. » M*“. Ce n’est pas toujours avec l’œil de l’enthousiasme qu’il faut considérer les objets ; l’enthousiasme est souvent contraire à la réflexion, et il s’allie rarement à la prudence. Sans doute on doit applaudir au sacrifice d’un noble qui consent à n’être payé que pour six mois; mais aussi les députés des communes, les bons pasteurs à 500 livres, car il en est encore, sont-ils en état de faire ce sacrifice? En recevoir d’eux, ce serait les précipiter dans la misère.