g24 [Assemblée nationale.! faire penser que la motion relative au serment avait pour objet de forcer la démission du président, tandis qu’il s’agissait seulement de connaî tre les sentiments qu’il professait. Ces sentiments ont eu besoin d’explication, et cette explication a donné lieu à la démission que vous ayez reçue. Je ne crois pas qu’il soit possible d’imprimer la lettre de M. de Virieu dans le procès-verbal. M. le comte de Montlosler demande que cette discussion soit fermée. L’Assemblée est consultée. Deux épreuves donnent un résultat douteux. La discussion est continuée. Après quelques instants de débats, l’Assemblée décide qu’on passera à l’ordre du jour. M. le Président instruit l’Assemblée qu’il a présenté à la sanction du roi les décrets suivants : Premier décret. Décret qui déclare la procédure instruite par le parlement de Rouen, contre le procureur du roi de Falaise, nulle et attentatoire à la liberté nationale. Deuxième décret. Décret qui déclare que les rôles faits sur les premiers mandements signés des membres du bureau intermédiaire de l’assemblée de département d’Amiens, seront incessamment rendus exécutoires par le premier officier de l’élection. Troisième décret. Décret portant qu’il sera payé, par la caisse de l’extraordinaire, des à comptes sur la dette arriérée du garde-meuble de la couronne jusqu’à la concurrence de 200,000 livres. Quatrième décret. Décret portant addition de quelques mots à l’article 14 du décret sur la chasse, et d’un 16e article contenant des dispositions prohibitives contre toutes personnes qui voudraient chasser dans les forêts appartenant au roi, et dans les parcs attenant aux maisons royales de Versailles, Marly, etc. Cinquième décret. Décret par lequel le roi est supplié de prendre des mesures pour qu’il soit remis à l’Assemblée un état détaillé des indemnités que les propriétaires de certains fiefs d’Alsace pourraient prétendre leur être dues, de leurs droits à ces réclamations, et des conditions sous lesquelles ils possèdent leurs fiefs. Sixième décret. Décret qui autorise les officiers municipaux du bourg de Finham, en Languedoc, à se faire remettre par le sieur Despagne, receveur diocésain des tailles de Castel-Sarrazin, la somme de 1,200 livres. l\I. le Président. M. l’abbé Gouttes a obtenu. dans le scrutin pour l’élection d’un président, 454 suffrages. M. l’abbé de Montesquiou, 200 voix; 19 [29 avril 1790.] voix ont été perdues. Ainsi, M. l’abbé Gouttes va prononcer le serment. M. le marquis de Digoine. Avant que ce serment soit prononcé, je demandeà faire une question à l’Assemblée. (On observe que l’Assemblée vient d’accorder qu’elle passerait à l’ordre du jour.) M. de Bonnay, occupant toujours laprésidence. Avant-hier, dans une circonstance à peu près semblable, j’ai refusé la parole; je ne dois l’accorder aujourd’hui que sur le vœu de l’Assemblée. M. de Grosbois. Il n’y a pas de président, la parole ne peut être refusée. M. de Bonnay. Je suis toujours président, puisque M. l’abbé Gouttes ne l’est pas encore. M. le vicomte de Mirabeau. Il n’y a pas de président, personne ne peut accorder la parole. M. de Bonnay. Dans un moment d’interrègne, il faut bien que quelqu’un remplisse les formalités nécessaires pour que le nouveau président entre en fonctions ; il faut bien que quelqu’un consulte l'Assemblée pour savoir si on donnera la parole aux personnes qui veulent parler avant que ces formalités soient remplies. Je vais donc poser la question. Onne peut m’interrompre, et je ne le souffrirai pas. (L’ Assemblée décide que nui membre n’obtiendra la parole autrement que pour parler sur l’ordre du jour.) M. de Foucault prend la parole; il s’adresse à Ni. de Digoine. Je vous demande, Monsieur, si vous voulez parier sur le serment. M. Gouttes est le maître de le prêter comme il voudra ; mais je parlerai après vous. M. l’abbé Gouttes prononce la formule du serment. M. le marquis de Bonnay. M. l’abbé Gouttes ayant prête le serment et rempli les formalités d’usage, est devenu président. M. l’abbé Gouttes occupe le fauteuil et prononce le discours suivant : Messieurs, si je ne consultais que mes forces et mes faibles lumières, je n’oserais accepter la place distinguée à laquelle vous avez eu la bonté de m’éleyer. Les rares talents avec lesquels l’honorable membre qui m’a précédé vient de la remplir, suffiraient seuls pour m’en éloigner pour jamais, si je n’étais retenu par les louables motifs qui vous on t dirigés dans votre choix.Oui, Messieurs, je crois, et j’ose le dire sans crainte d être démenti : je crois que ce n’est pas moi que vous avez regardé dans le choix que vous avez fait de votre président : c’est la qualité de curé, c’est la religion de vos pères que vous avez voulu honorer en honorant son ministre ; c’est ce noble motif, qui m’a toujou rs animé ainsi que vous, qui m'a attiré vos suffrages et mérité cet honneur {Interruption). Pénétré de mon insuffisance pour une place aussi difficile à remplir, je mets toute ma confiance dans vos bontés; je tâcherai de les mériter par un zèle pur et soutenu, par i’impartiaiité la plus parfaite, l’attachement le plus inviolable à tous vos décrets; en conséquence, je jure dans toute la sincérité de mon âme, que je n ai signé ni ne signerai aucuns actes, protestations ou déclarations contre les décrets de l’Assemblée nationale ac-ARCHIYES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.» ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 avril 1790.] 325 ceptés ou sanctionnés par le roi, ou tendant à affaiblir le respect et la confiance qui leur sont dus. » (On se dispose à passer à l’ordre du jour.) La partie droite s’y oppose pardesagitatons violentes et par des clameurs. L’Assemblée, de nouveau consultée, décide de nouveau qu’on passera à l'ordre du jour. M. Defermon, qui a le premier la parole sur les jurés, monte à la tribune. — M. le marquis de Digoine y reste. — M. de MontEosier vient aussi s’y pincer. Ils veule ut tous les trois prendre la parole. Après des débats très longs et très tumultueux de la part de la partie droite, M. de MontEosier dit aux personnes placées près de la tribune : « Il y a trois cent soixante membres qui ne peuvent prêter le serment: il s’agit de savoir s’ils sont députés ou s’ils ont cessé de l’être. Qu’on réponde... Nous voulons dissoudre l’Assemblée. M. le Président observe qu’il n’a point accordé la parole, et rappelle à l’ordre la partie droite de l’Assemblée. Plusieurs des membres placés dans cette partie disent, les uns: « Nous vous empêcherons de délibérer, si vous ne voulez pas nous écouter » ; les autres: «Nous emploierons la violence ». M. le Président rappelle à l’ordre du jour. M. l’abbé Manry, M. le vicomte de Mirabeau, M. le chevalier de Marinais. Il n’y a pas d’ordre du jour; on n’y passera pas que M. de üigoine n’ait été entendu. M. le Président rappelle encore à l’ordre du jour. La partie droite s’écrie: Nous ne passerons jamais à l’ordre du jour 1 La partie gauche se soulève d’indignation. M. Gaultier de Biauzat. Ce désordre est prémédité ;on a des projets funestes... Le piège qu’ou nous tend est grossier ; nous ne nous y laisserons pas prendre; soyons calmes... Le calme sera terrible... Que les bons citoyens fassent silence. (La partie droite jette de grands cris.) M. le Président veut parler. — Le tumulte de la droite l’empêche de se faire entendre. On propose de remettre à demain l’objet pour lequel M. de Digoine demandait la parole. — Cette proposition est décrétée. M. Defermon commence à parler sur les jurés. M. le marquis de Foucault, placé à une des tribunes de l’extrémité, interrompt M. Defermon chaque fois qu’il prend Ja parole. M. Defermon. La discussion intéressante sur l’ordre judiciaire embrasse plusieurs questions... M. le marquis deFoucault. Je demande que vous m’ecluinez. M. le Président rappelle M. de Foucault à l’ordre. M. Defermon parle. M. le marquis de Foucault crie. On demande que M. le marquis de Foucault soit rappelé à l’ordre. M. le marquis de Foucault. Il est impossible d’empêcher de parler un membre qui se croit libre. M. Defermon. Jedemande à présenter quelques réflexions sur le point ..... M. le marquis de Foucault. Le point est que je veux parler, et je parlerai. (On demande encore que M. de Foucault soit rappelé à l’ordre.) M. le marquis deFoucault, tenant à la main un papier qu'il montre successivement à V Assemblée et aux galeries . Eh bien ! voilà ma déclaration, Je me retire d’une Assemblée où je suis esclave: je me retire. (Il reste.) Un membre dit qu’un rapport du comité de constitution sur l'organisation des gardes nationales , se trouve à l’ordre du jour. Il demande que le rapporteur soit entendu. (Voy. à ce sujet la déclaration de M. Target, dans la séance du lendemain 30 avril). Un autre membre demande que, pour gagner du temps, le rapport ne soit pas lu, mais qu’il soit imprimé et distribué. Celte proposition mise aux voix est adoptée. L’Assemblée reprend la suite de la discussion sur l'ordre judiciaire relative à l'établissement des jurés. M. Defermon. La discussion des jurés en matière civile est impraticable et inutile; elle n’est d’aucune influence sur la liberté. En multipliant l’inquiétude des plaideurs, elle multipliera les frais : il n’est pas de parties de l’Europe où la procédure soit plus dispendieuse qu’en Angleterre. C’est en vain qu’on prétend induire de la possibilité d’établir les jurés au criminel, la possibilité de les établirau civil. La justice, en matière civile, ne concerne qu’un petit nombre de citovens ; en matière criminelle, elle intéresse toute la société. Au criminel, le fait est simple ; au civil, il ne peut être connu que par la comparaison des lois. . . . Il faut, au criminel, prendre plus de précautions, dût-on sauver des coupables... Les juges civils élus par le peuple, et institués à temps, ne sont autre chose que des jurés. Quand nos pères avaient des jurés en toute matière, leurs mœurs étaient simples ; la marine, le commerce et les rapports avec les étrangers n’existaient pas. Nous sommes loin de cet ancien étal, et je ne crois pas que nous puissions désirer d’y retourner. M. Garat, le jeune. Les préopinants qui ont discuté les opinions pour et contre les jurés ont sans doute jeté sur la question de grandes lumières ; mais il me semble qu’on n’a pas assez distingué l’ordre permanent auquel il faut tendre, de l’ordre provisoire par lequel il faut passer. Je vais d’abord examiner la question des jurés dans l’ordre permanent. Je comparerai les avantages et le désavantages de cette institution. Avantages de l’établissement des jurés. 1° Cet établissement affaiblira la puissance des juges comme hommes, et fortifiera celle de la justice; 2° la confusion du fait et du droit sera prévenue; 3° nul homme ne sera juge toute sa vie ; nul ne sera sûr de l’être deux fois ; cette horrible inégalité n existera plus : chacun étant juge àsun tour, une égalité parfaite sera établit?