346 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 août 1783.] C’est l’unique moyen d’arrêter le cours de «l'oppression des sujets et de conserver les droits légitimes des seigneurs; c’est un de ceux que je présente à celte auguste assemblée pour le bonheur de la nation. Je finis par rendre hommage aux vertus patriotiques des deux respectables préopinants qui, quoique seigneurs distingués, ont eu les premiers le courage de publier des vérités jusqu’ici ensevelies dans les ténèbres de la féodalité, et qui sont si puissantes pour opérer la félicité de la France. Ce discours est vivement applaudi. L’enthousiasme saisit toutes les âmes. Des motions sans nombre, plus importantes les unes que les autres, sont successivement proposées. M. le marquis de Foucault fait une motion vigoureuse contre l’abus des pensions militaires; il demande que le premier des sacrifices soit celui que feront les grands, et cette portion de la noblesse, très-opulente par elle-même, qui vit sous les yeux du prince, et sur laquelle il verse sans mesure et accumule des dons, des largesses, des traitements excessifs, fournis et pris sur la pure substance des campagnes. M. le vicomte de Beauharnais propose l’égalité des peines sur toutes les classes des citoyens, et leur admissibilité dans tous les emplois ecclésiastiques, civils et militaires. M. Cottin représente les peuples gémissant sous la tyrannie des agents inférieurs des justices seigneuriales, dont il demande l’extinction, ainsi que celle de tous les débris du régime féodal qui écrase l’agriculture. M. de Lafarc, évêque de Nancy, s’empare de la parole, après l’avoir disputée à un de ses confrères.... Accoutumés à voir de près la misère et la douleur des peuples, les membres du clergé ne forment d’autres vœux que ceux de les voir cesser. Le rachat des droits féodaux était réservé à la nation qui veut établir la liberté; les honorables membres qui ont déjà parlé n’ont demandé le rachat que pour les propriétaires. Je viens exprimer, au nom du clergé, le vœu de la justice, de la religion et de l’humanité; je demande le rachat pour les fonds ecclésiastiques, et je demande que le rachat ne tourne pas au profit du seigneur ecclésiastique, mais qu’il en soit fait des placements utiles pour l’indigence. M. de liiibersac, évêque de Chartres , présentant le droit exclusif de la chasse comme un fléau pour les campagnes ruinées depuis plus d’un an par les éléments, demande l’abolition de ce droit, et il en fait l’abandon pour lui. Heureux, dit-il, de pouvoir donner aux autres propriétaires du royaume cette leçon d’humanité et de justice. A ce mot, une multitude de voix s’élèvent; elles partent de MM. de la noblesse, et se réunissent pour consommer cette renonciation à l’heure même, sous l’unique réserve de ne permettre l’usage de la chasse qu’aux seuls propriétaires, avec des mesures de prudence, pour ne pas compromettre la sûreté publique. Tout le clergé se lève pour adhérer à la proposition ; il se forme un tel ensemble d'applaudissements et d’expressions de bienveillance, que la délibération reste suspendue pendant quelque temps. Bientôt le zèle du bien public calmant cette excusable effervescence, M. Le Pelletier de Saint-Fargeau développe des considérations de bienveillance et de justice, d’après lesquelles, pour le soulagement des laboureurs et des propriétaires accablés de tant d’infortunes, il croyait devoir stipuler que la renonciation aux privilèges et immunités pécuniaires s’appliquât à la présente année, et que les communes des campagnes ressentissent sur-le-champ ce soulagement, par la cotisation des nobles et des autres exempts, faite à leur décharge, dans la forme qui serait jugée la plus convenable par les assemblées provinciales. M. de Rfcher, revenant sur ce que l’extinction des justices des seigneurs doit faire espérer de soulagement aux peuples, demande que l’Assemblée vote la gratuité de la justice dans tout le royaume, sauf les précautions tendant à éteindre l’esprit de chicane et la longueur indéfinie des procès. Plusieurs curés demandent qu’il leur soit permis de sacrifier leur casuel. A ces mots, un membre de la noblesse réclame pour cette classe précieuse des ministres du culte l’accroissement des portions congrues. Les applaudissements redoublent de la part des citoyens de tous ordres. M. le duc du Châtelet propose qu’une taxe en argent soit substituée à la dîme, sauf à en permettre le rachat, comme pour les droits seigneuriaux. Il annonce, en appuyant les premières motions, avoir déjà rendu compte de l’offre qu’il a fait faire à tous ses vassaux de les admettre incontinent à ces différents rachats. Les signes de transports et l’effusion de sentiments généreux dont l’Assemblée présentait le tableau, plus vif et plus animé d’heure en heure, n’ont pu qu’à peine laisser le temps de stipuler les mesures de prudence avec lesquelles il convenait de réaliser ces projets salutaires, votés par tant de mémoires, d’opinions touchantes, et de vives réclamations dans les assemblées provinciales, dans les assemblées des bailliages, et dans les autres lieux où les citoyens avaient pu se réunir depuis dix-huit mois. Quelques-uns des membres de la noblesse offrent de sacrifier jusqu’à leur droit exclusif de colombier. On est revenu sur l’extinction absolue des mainmortes de Franche-Comté, de Bourgogne, et de3 autres lieux qui les connaissent. M. de Boisgelin, archevêque d1 A ix, dépeignant avec énergie les maux de la féodalité, prouve la nécessité de les prévenir par la prohibition de toutes les conventions de ce genre, que la misère des colons pourrait dicter par la suite, et d’annuler d’avance toute clause capable de les faire revivre: il rappelle les maux non moins effrayants que l’extension arbitraire des impôts, et surtout des droits prétendus domaniaux, de la gabelle et des aides, a produits dans tout le royaume, où l’esprit de fiscalité corrompt la loyauté et la droiture des sentiments du peuple, comme il altère la sincérité des contrats et des actes, absorbe l’aisance et arrête la circulation des fonds. Après cette observation, qui semblait épuiser le projet si étendu des réformes, l’attention et la sensibilité de l’Assemblée ont été encore réveillées et attachées par des offres d’un ordre tout nouveau. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 347 • [Assemblée nationale.] Les députés des provinces appelés pays d’Etats, se livrant à l’impulsion de leur générosité, ou se prévalant de celle de leurs commettants, exprimée par leurs cahiers, ou enfin la présumant, et se rendant en quelque sorte garants de leur ratification, offrent la renonciation aux privilèges de leurs provinces, pour s’associer au régime nouveau que la justice du Roi et celle de P Assemblée préparent à la France entière. Les députés du Dauphiné ont ouvert cet avis en rappelant ce que leur province avait fait à Yizille sur cet objet, et l’invitation qu’elle avait adressée à tous les autres pays d’Etats, de vouloir l’imiter. À l’heure même, les députés des communes de Bretagne, s’approchant du bureau, allaient témoigner leur adhésion, conçue en termes divers, suivant la nature de leurs mandats, lorsque M. le président de l’Assemblée a réclamé le droit que sa place paraissait lui donner, de présenter lui-même le vœu de sa province à la nation: il a exposé les motifs de prudence qui avaient engagé quelques sénéchaussées, et notamment celles de Rennes, de Nantes, Guérande, Vannes, Dol, Fougère, Dinan, Quimperlav, Carhaix et Ghantelin, à lier en partie les mains de leurs mandataires, jusqu’à ce que le jour du bonheur et de la sécurité, succédant pour toute la France à des jours d’attente et d’espoir, les autorisât à confondre les droits antiques et révérés de la Bretagne, dans les droits plus solides encore et plus sacrés que les lumières de l’Assemblée assuraient en ce moment à l’empire français tout entier. D’autres députés de Rennes font remarquer combien il est naturel de présumer et d’attendre cet engagement et ce sacrifice de la part de leur ville, qui, la première de toutes, a adhéré aux arrêtés de l’Assemblée nationale; qui, la première aussi, a voulu que la loi et l’impôt se déterminassent dans l’Assemblée, afin de ne compromettre aucun droit particulier, mais de les réunir et de les fortifier tous par l’adhésion générale, au moment même où se formerait l’acte destiné à défendre les droits de tous les citoyens. Un autre député breton déclare que dès ce moment il adhère au sacrifice des privilèges de la province, ne se trouvant point lié par son cahier; il stipule seulement, pour la Bretagne, la garantie mutuelle établie par les clauses du traité de réunion de sa province avec une monarchie dont toutes les parties allaient désormais s’appuyer, se soutenir, se fortifier et se défendre par une fédération dont le cœur du prince lui-même serait le centre, comme l’amour des peuples pour lui en serait le nœud. Les députés du clergé de Bretagne, gênés par des mandats impératifs, ont témoigné le regret de ne pouvoir renoncer aux droits et franchises de leur province, et déclaré qu’ils allaient informer leurs commettants du sacrifice patriotique fait par d’autres députés, et solliciter de nouveaux pouvoirs. A peine l’impatience des députés de Provence et de Forcalquier a-t-elle pu laisser achever aux membres qui venaient de parler leur déclaration patriotique ; tous les membres des sénéchaussées de cette province se sont avancés au milieu de la salle, et là il ont annoncé que, lorsque leurs commettants leur ont prescrit impérativement de ne pas renoncer aux privilèges dont la province jouit depuis sa réunion libre et volontaire à la couronne, ils. ne prévoyaient pas sans doute l’heureuse réunion de tous les ordres; qu’ils savent que leurs commettants n’ont pas moins de zèle et de patriotisme que les autres Français, qu’ils ne [4 août 1789.] doutent pas qu’ils ne s’empressent de réunir leurs intérêts à ceux du reste du royaume, et de confondre leurs droits dans la constitution que cette auguste assemblée va donner à toute la France, et qu'ils vont leur rendre compte de cette mémorable séance, et les engager à envoyer sur-le-champ leur adhésion. Eu ce moment, un membre des communes exprime la renonciation de ta ville de Grasse aux privilèges pécuniaires desquels elle jouit comme propriétaire de fiefs. Le député d’Arles annonce qu’il forme depuis plusieurs jours, et qu’il a déjà communiqué à ses commettants, le désir de lés voir se réunir, sur cet objet, aux dépuiés des provinces. La principauté d’Orange n’insiste que sur la conservation d’une administration particulière, réclamée par sa situation au milieu d’une terre réputée étrangère. Acet instant, les députés de la Bourgogne réclament la parole; mais ils sont interrompus par un député du clergé de Provence: celui-ci, revenant sur ce qui avait été allégué au sujet des mandats, rappelle ce principe salutaire, qu’ils ne peuvent lier aucune partie de la France sur la part con-trihutoire que chacune des provinces du royaume doit supporter en proportion de ses forces dans l’impôt général, quoique en vertu des cahiers il faille le vœu des commettants pour renoncer aux formes de l’administration, de la répartition et de l’assiette des quotes-parts. Le député noble de Dijon se rend garant du vœu de son bailliage pour la renonciation à ses privilèges, en se réservant d’en prévenir ses commettants. Ceux des communes, autorisés (en cas d’abandon pareil de la part des autres provinces) au sacrifice de leurs privilèges, les déposent entre les mains de l’Assemblée nationale. Ils sont imités par les députés du bailliage d’Autun, par ceux de Chalon-sur-Saône, du Gharolais, du Beaujolais, du bailliage de la Montagne, de l’Auxerroïs, de Bar-sur-Seine. Le député des communes de l’Auxois acquiesce aussi pleinement, y étant autorisé par ses pouvoirs. Celui de la noblesse est forcé de se référer à des mandats plus étendus que ceux dont il est porteur ; et les communes du "Maçonnais, en renonçant sous les mêmes conditions que celle de Dijon, se réservent, comme elles l’ont eu de lout temps, le droit de former une province particulière, administrée par leurs Etats, auxquels l’Assemblée donnera une meilleure organisation et une plus juste représentation. Les députés de la Bresse, du Bugey, et de la principauté de Dombes acquiescent pleinement au vœu de la Bourgogne, sauf la réclama}ion insérée aux cahiers, sur l’échange de cette principauté. Les privilèges de la ville de Saint-J ean-de-Losne, déjà remis à l’Assemblée nationale dans une de ses séances précédentes, sont de nouveau sacrifiés à l’intérêt général du royaume. Les députés du Languedoc demandent à leur tour la parole, par l’organe de M. de Marguerites . M. le baron de Marguerites. Les représentants de diverses sénéchaussées de Languedoc déclarent que l’ordre de leurs commettants leur prescrit, de la manière la plus impérative, une obligation dont il ne leur est pas possible de s’écarter. La province de Languedoc est régie depuis longtemps par une administration inconstitution- 348 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 août 1789.] nelle et non représentative. Elle a condamné celte administration comme contraire à ses anciens privilèges, dont le plus précieux était d’octroyer librement l’impôt, et de lé répartir elle-même; elle demande rétablissement’ de nouveaux Etats en une forme libre, élective, et représentative, et des administrations diocésaines et municipales, organisées dans la même forme. Tel est le vœu général, telle est la volonté de la province de Languedoc; elle a lié l’accord ou la répartition de l’impôt à la suppression de l’administration actuelle et à l'établissement de nouveaux Etats. Et quoique leurs mandats ne les autorisent pas à renoncer aux privilèges particuliers de la province, assurés néanmoins des vœux de leurs commettants, et de la haute estime que leur doit inspirer l’exemple des autres provinces, ils s’empressent de déclarer à l’Assemblée nationale que dans tous les temps leurs commettants s’empresseront de se conformer à ses décrets ; qu’ils souscriront aux établissements généraux que sa sagesse lui inspirera pour l’administration des provinces, et qu’ils s’estimeront heureux de se lier par de pareils sacrifices à la prospérité générale de l’empire. M. lè duc de (Jastrfés, qui ne siège que comme représentant de la vicomté de Paris, se réunit au préopinant, pour réclamer l’honneur de sacrifier de nouveau aux représentants de la nation leur prérogative de baron, à laquelle ils ont déjà renoncé dans les Assemblées particulières du Languedoc. M. de Béthisyde Mlézières, évêque d’Uzès. Il me serait doux d’être possesseur d’une terre, pour en faire le sacrifice en la remettant entre les mains de ses habitants ; mais nous les avons reçus, nos titres et nos droits, des mains de la nation, qui seule peut les détruire ; nous ne sommes pas représentants du clergé ; nous assistons aux Etats de ia province à des titres particuliers, et nous n’en avons d’autre que celui de dépositaires passagers; nous ferons ce que l’Assemblée statuera sur ce point, et nous nous livrerons à sa sagesse. M. Cortois de Balore, évêque de Nîmes, et M. de ülalide, évêque de Montpellier, parlent dans le même sens. Le premier ajoute la demande expresse de l’exemption des impôts et autres charges, en faveur des artisans et des manœuvres qui n’ont aucune propriété. La province de Foix, les communes du Béarn, la sénéchaussée de Lannes, et le député du pays de Soulle, regrettent de ne pouvoir annoncer que leur vœu personnel et l’espoir qu’ils conçoivent de voir incessamment arriver la ratification de leurs commettants, dont les députés de Roussillon, ceux du Bigorre et du duché d’Albret (clergé et communes) peuvent se passer, comme déjà autorisés au sacrifice de tout ce qui peut intéresser l’utilité générale du royaume. M. Tronche!, au nom des députés de la commune de Paris, présente aussi à l’Assemblée l’offre, autorisée par leur mandat, de la renonciation 1a plus expresse aux immunités pécuniaires dont jouissent les habitants de la capitale, et même à la compétence exclusive du prévôt de Paris, et au privilège du sceau du Châtelet, en cas de suppression des privilèges de même nature existant dans le royaume. Ceux de la prévôté et vicomté adhèrent à leur déclaration, autant qu’elle les touche. Les députés de Lyon rappellent et renouvellent les déclarations pareilles, par eux déjà faites dans la séance t