244 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (17 juin 1790.] très grand mal ; mais, d’une part, il y aurait un moyen de recouvrer les pertes qui en résulteraient. Les paroisses où l’on refuserait de la dîme mériteraient d’être taxées au double de la valeur, et on pourrait le faire dans un an, dans deux ou dans trois. D’autre part, les représentants de la nation ne doivent point être intimidés par ces espèces de menaces; ils doivent supposer qu’il n’y a aucun Français qui ne se rende à la raison ; et dussent les insurgés venir entourer l’Assemblée, les représentants de la nation seraient inébranlables dans les résolutions qu’ils auraient prises, fondées sur la raison, la justice et le bien public. S’ils se laissaient aller à la moindre condescendance en pareil cas, tout serait perdu; les ennemis de la patrie les conduiraient d’un relâchement à un autre relâchement, et bientôt l’Etat se dissoudrait. Ce ne sont pas là les maximes qu’enseignait et que pratiquait ce grand homme dont cette Assemblée possède le portrait, et aux mânes duquel elle a donné des larmes; de ce grand philosophe qui, après s’être approprié les phénomènes célestes, a tant agrandi la science des gouvernements, en créant la liberté dans une vaste contrée soumise à l’esclavage; ce n'était pas là ses principes. S’il mettait une grande douceur à dicter des lois à son pays, il n’était pas moins ferme pour les faire exécuter, et son exemple peut être proposé à cette Assemblée. Telles ont été, Messieurs, les raisons que votre comité a trouvées contre les pétitions dont il a l’honneur de vous rendre compte. Elles l’ont arrêté dans sa résolution, il n’a osé prendre un parti dans une occurrence aussi délicate ; et comme, soit en adoptant les pétitions, soit en les rejetant, il est nécessaire de rendre un décret de détail; avant que de vous en présenter un projet, il a cru devoir se borner à soumettre à votre délibération cette question principale : Accordera-t-on aux redevables de la dîme la faculté de la 'payer en argent , ou resteront-ils strictement obligés de l’acquitter en nature? Voilà, Messieurs, ce que votre comité vous propose de décréter préalablement dans cette séance, et demain il vous présentera un projet de décret de détail, dans le sens de celui que vous aurez rendu. (On demande à aller aux voix.) M. de Robespierre monte à la tribune. L’Assemblée décide que personne ne sera entendu sur le fond de la question. Cette rédaction est présentée : «L’Assemblée nationale décrète qu’en conformité de l’article 3 des décrets des 14 et 20 avril dernier, les dîmes et champarts continueront, pour celte année, d’être payés en nature. » M. Laurendeau. Je propose, en amendement, de dire : « la dîme pour cette année, et les champarts jusqu’au rachat. » M. GoupIIleau. Il y a des dîmes payées en argent ; il faut ajouter : « sans rien innover pour celles qui étaient payées en argent. » M. Legrand présente une rédaction ainsi conçue : « Les dîmes, pour la présente année, seront payées en la manière accoutumée, et les champarts seront perçus jusqu’au rachat. » M. Charles de Lameth. Il faut dire que, sur la proposition faite par plusieurs municipalités de changer le mode de perception de la dîme, l’Assemblée a décidé qu’il n’y a pas lieu à délibérer. J’ajouterai que c’est le moment de prier Je roi d’ordonner d’exécuter les décrets que le pouvoir exécutif n’exécute pas assez fidèlement. Si les peuples sortent une fois des bornes, vous ne les y ferez plus rentrer. Il faut qu’ils respectent les lois. Après tout ce que l’Assemblée nationale a fait pour eux, je pense qu’on ne saurait trop appuyer sur la responsabilité des ministres et des municipalités. M. le comte de Crillon. Je ne crois pas qu’on puisse dire qu’il n’y a pas lieu à délibérer, et je pense qu’il faut ordonner positivement que le payement des dîmes se fera, pour cette année* comme par le passé. M. Duquesnoy. Il me paraît inconcevable que quand le peuple adresse des pétitions à ses représentants, on puisse dire qu’il n’y a pas lieu à délibérer. 11 y a toujours lieu à délibérer sur les demandes du peuple, sauf à les rejeter si son bonheur l’exige. M. Chasset. Je vous ai annoncé que le�comité présenterait demain un projet de décret de détail. Ce projet contiendra la résolution que vous prendrez sur la question. Le décret suivant est rendu, sauf rédaction ; « L’Assemblée nationale, ouï son comité des dîmes, décrète : 1° que les dîmes, pour la présente année, seront payées en la manière accoutumée ; 2° que les droits de champarts seront perçus jusqu’à leur rachat. » L’Assemblée revient à la suite de la discussion sur la constitution civile du clergé. M. Martineau, rapporteur , propose un article additionnel qui prendrait place après l’article 5 du titre III, qui vient d’être adopté. Cet article nouveau porte : « Le traitement qui vient d’être assigné aux curés de campagnes sera augmenté de 400 livres pour les paroisses dont le clocher ne sera pas à plus d’une lieue des barrières de Paris, et de 200 livres pour les paroisses qui sont à la même distance des villes dont la population est de cinquante mille âmes et plus. » (Cet article est écarté par la question préalable.) On fait lecture de l’article 6. Art. 6. Le traitement des vicaires sera, savoir : à Paris, pour le premier vicaire, de 2,400 livres ; pour le second, de 1,500 livres ; et pour tous les autres de 1,000 livres. « Dans les villes où la population est de cinquante mille âmes et au-dessus, pour le premier vicaire, de 1,200 livres; pour le second, de 1,000 livres, et pour tous les autres de 800 livres. « Dans toutes les autres villes et bourgs, de 800 livres pour les deux premiers vicaires, et de 700 livres pour tous les autres. « Dans toutes les paroisses de campagne, de 700 livres pour chaque vicaire. » M. l’abbé Grégoire. Il me semble que les traitements des premiers et des derniers vicaires offrent une contradiction choquante ; ou l’un aura du superflu, ou l’autre n’aura pas le nécessaire. On peut, en adoptant une autre proportion, éviter de donner trop aux uns et trop peu aux autres. 245 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 juin 1790.] Je demande que l’on donne 2,000 livres au premier vicaire, 1,800 livres au second, et 1,400 livres aux autres. M. Martineau. Les deux premiers vicaires étaient jusqu’à présent les seuls dont le traitement fût considérable. Les autres prêtres, sous le nom d’habitués, n’avaient que 3 ou 400 livres; votre comité leur accorde 100 pistoles ; je ne crois pas qu’ils aient lieu de se plaindre. M. lioys. Je suis aussi surpris que M. l’abbé Grégoire de la disproportion de 100 pistoles à 2,400 livres ; la différence est prodigieuse ; je dis prodigieuse, parce que, dans une ville, 1,000 livres ne suffisent pas pour vivre décemment. Je conclus à ce que le moindre traitement soit fixé à 1,400 livres. M. l’abbé Gibert. Je demande la question préalable sur tous les amendements. 11 semble que plus l’on accorde, plus l’on demande. J’ai été pendant dix ans vicaire à 250 livres, et vous voyez que je n’en suis pas plus maigre. (La discussion est fermée.) Les amendements sont rejetés, et l’article 6 est adopté ainsi qu’il suit: « Art. 6. Le traitement des vicaires sera, savoir : à Paris, pour le premier vicaire, de 2,400 livres; pour le second, de 1,500 livres; et pour tous les autres, de 1,000 livres. « Dans les villes dont la population est de cinquante mille âmes et au-dessus, pour le premier vicaire, de 1,200 livres; pour le second, de 1,000 livres; et pour tous les autres, de 800 livres. « Dans toutes les autres villes et bourgs où la population sera de plus de trois mille âmes, de 800 livres pour les deux premiers vicaires, et de 700 livres pour tous les autres. « Dans toutes les autres paroisses de villes, de bourgs et de villages, de 700 livres pour chaque vicaire. » M. le marquis de Châteauneuf-Randon, député de Mende, demande à interrompre l’ordre du jour pour appeler l’attention de f Assemblée sur un point de cumul que ses décrets n'ont pas encore prévu. H dit (1): Messieurs, j’ai l’honneur de demander la parole pour faire observer à l’Assemblée qu’il me semble qu’elle n’arrête pas assez son attention particulière, ni ses scrupules ordinaires, sur les permissions d’absence que M. le président demande quelquefois pour les honorables membres qui l’en prient. Je fonde, Messieurs, mes observations et mes sollicitations pour que vous vous y attachiez un instant, dans les propres scrupules et dans la sagesse de vos décrets mêmes, pour tout ce qui peut regarder votre intérêt personnel; car, jusqu’à présent, vous vous êtes interdit, par ces décrets, toutes sortes d’avantages individuels ; et certes, ce n’est pas sans jalousie et sans envie que vos ennemis, détracteurs de vos principes et de votre constante fermeté à consolider et à achever le bonheur des Français, ont été forcés de vous admirer dans les plus petites précautions que vous avez prises pour seconder et manifester la pureté de votre désintéressement. Mais, cependant il vous en est échappé une trop essentielle, (1) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse delà motion de M. de Châteauneuf-Randon. dont je sens davantage l’inconvénient depuis que j’ai eu connaissance de la nomination d’un membre de cette Assemblée à la place de procureur-syndic de mon département, qui cause avec raison dans ce moment, l’embarras de Messieurs les commissaires du roi, leur réclamation et celle de plusieurs de mes concitoyens, qu’ils fondent sur les expressions de l’article 3 de votre instruction, sur la formation des assemblées représentatives et des corps administratifs, qui portent eu plusieurs endroits : que le procureur général syndic doit être choisi n’ayant aucun service ou emploi qui puissent distraire des fonctions assidues du syndicat. Leur réclamation donc, l’esprit de vos précédents décrets et le refus que, oonsidérativement, MM. du comité de Constitution ont fait de décider ma proposition, quoiqu’une grande partie l’ait approuvée et m’ait engagé de vous la faire, me forcent de vous observer que vous manquâtes la précaution d’ajouter, lorsque vous décrétâtes, le 14 du mois passé, qu’aucun de vos membres ne pourrait assister, comme électeur, dans les assemblées des districts de département, ce qui ne décidait pas si un de vos membres pourrait être éligible ou ne pas l’être; mais, ce qui cependant, pouvait laisser préjuger qu’ils l’étaient: vous manquâtes, dis-je, d’ajouter dans le cas de l’éligibilité, que vous aurez sans doute entendu laisser, comme je le croîs, aux membres de l’Assemblée, qu’au moins ceux qui seraient choisis par leurs concitoyens, pour maire, administrateur, ou procureur-syndic, ne pourraient quitter l’Assemblée, sous prétexte que ce soit, pour en aller remplir les fonctions, qu’après l’option qu’ils auraient faite. En effet, Messieurs, de ce défaut d’explication et de précautiou de votre part, ne peut-il pas résulter de grands inconvénients? N’en est-il pas même résulté qui occupent dans ce moment votre sollicitude? Et ne se trouve-t-il pas une contradiction manifeste entre l’esprit de vos décrets et la liberté, qu’en cas d’éligibilité, vous laissiez s’accumuler sur vos têtes plusieurs fonctions, incompatibles les unes avec les autres, au préjudice de vos représentés, qui manqueraient nécessairement de l’être dans quelques-unes des parties où ils ont le droit de l’être ? Non, Messieurs, ce n’est pas votre intention, et vous allez sans doute y pourvoir. Il est vrai qu’avec les sentiments qui enflamment les membres de l’Assemblée, vous pouviez vous dispenser de leur faire une loi des devoirs de l'incompatibilité de leurs fonctions, avec celle de toute autre place à laquelle la confiance de leurs concitoyens les appellerait ; car il en est plusieurs qui, honorés du choix de leurs concitoyens dans des places de nouvelles municipalités ou d’administration, se la sont faite à eux-mêmes et n’ont pas cru devoir s’y rendre de peur d’être forcés de s’immiscer dans leurs fonctions, pour ne pas compromettre le caractère de Finviolabilité du représentant de la nation avec la responsabilité de l’administrateur et de l’officier public. D’autres, en ce cas, en ont prévenu l’Assemblée qui, presque dans tous les cas, par son refus, a manifesté son intention, sans rendre de décret positif; mais d’autres ont pu ne pas le faire et après la nouvelle qu’ils ont reçue de leur nomination à la place de procureur-syndic, demander des permissions simples à l’Assemblée, sans la prévenir des motifs, comme d’ordinaire l’ont fait en pareil cas, tous les membres qui les ont de-