SÉANCE DU 6 BRUMAIRE AN III (27 OCTOBRE 1794) - N° 23 131 la souveraineté du peuple qui s'exerce dans les déclarations des jurés du jugement ; les jurés de jugement ne sont, dans les déclarations, que les organes de l'opinion nationale ; et assurément il n'est pas à craindre que des citoyens probes, vertueux et sentant la dignité de la mission qu'ils ont reçue d'exprimer la conviction du peuple sur des faits particuliers, se laissent influencer par d'autres au point de subordonner à l'opinion de ceux-ci, leur opinion personnelle. Aurait-on oublié d'ailleurs que Marat, décrété d'accusation par la très grande majorité de la Convention nationale, n'en a pas moins été acquitté par le Tribunal révolutionnaire! et qu'on ne dise pas que lui seul ait eu cet avantage; plusieurs citoyens avant et après lui ont été acquittés par ce même Tribunal, quoiqu'ils y eussent été mis en jugement, les uns en vertu de décrets d'accusation, les autres en vertu de décrets d'arrestation ou de traduction. Je ne répondrai pas aux autres arguments qui vous ont été proposés en faveur du projet que je combats. Ces arguments tombent d'eux-mêmes devant les grands principes dont vous êtes tous pénétrés; je me borne donc à invoquer la question préalable contre le projet, et à demander la priorité pour celui de vos trois comités. [On demande la discussion article par article] (76) Le rapporteur lit l'article Ier, conçu en ces termes : Le premier article est adopté en ces termes : La Convention nationale, après avoir entendu ses comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, décrète : Article premier. - Toute dénonciation contre un représentant du peuple sera portée ou renvoyée devant les comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation réunis et elle lui sera communiquée avant qu'il ne puisse en être rendu compte à la Convention nationale (77). Le rapporteur lit l'article IL Si les trois comités pensent qu'il doit être donné suite à la dénonciation, ils viendront déclarer à la Convention qu'il y a lieu à examen. Le second article est mis à la discussion; un membre propose divers amende-mens qui sont rejetés par la question préalable, d'autres sont renvoyés au comité (78). CADROY : Il me semble que la latitude donnée aux trois comités est injurieuse à la sou-(76) Débats, n° 766, 563. (77) P.-V., XL VIII, 80. (78) P.-V., XL VIII, 80. veraineté du peuple. Je ne veux pas que les comités puissent laisser ensevelies dans leurs cartons les dénonciations dont ils ne voudront pas rendre compte. D'après l'article, il s'ensuivrait que, si les comités ne pensent pas qu'il y ait lieu à examen, ils ne viendront pas le déclarer à la Convention. Voyez quelle latitude et quelle durée vous donnez au soupçon. Le peuple n'aurait-il pas le droit de se plaindre, si vous laissiez vos comités les arbitres absolus des dénonciations portées contre des représentants du peuple ? Il n'y a que la Convention qui puisse tranquilliser le peuple et faire taire le soupçon. Je demande que, dans le cas de l'article II, les comités viennent faire un rapport, dans lesquels ils déclareront s'il y a ou n'y a pas lieu à examen. ALBITTE : Comme la représentation nationale est ce qu'il y a de plus respectable sur la terre, il faut examiner avec la plus scrupuleuse attention les dénonciations portées contre quelques uns de ses membres. Ce n'est pas toujours le peuple qui dénonce ; c'est plus souvent l'intrigue. On s’empare de chaque événement pour lui donner la couleur de ses passions. N'est-il pas arrivé d'ériger en vertu dans une circonstance ce que dans une autre on érigeait en crime? Il faut prendre des mesures pour faire respecter et honorer la Convention; il faut qu'on ne puisse déverser sur tous le soupçon d'un crime imputé à un seul. Le projet de décret ne me paraît pas complet; il faut que le premier article dise que la dénonciation portée contre un représentant du peuple lui sera communiquée. Quant à l'article II, vous ne pouvez accorder à vos comités une demi-confiance. Si la dénonciation est grave, ils viendront vous en faire part; ne leur faites pas l’injure d'en douter; mais si l'accusation est vaque ou absurde, pourquoi ne pas leur donner le droit d'en juger? N'est ce pas faire un grand mal à la chose publique que d'occuper toujours le peuple de dénonciations? Voulons-nous avoir l'estime du peuple, commençons par nous estimer nous mêmes. Je pense qu'il est inutile d'obliger les comités à déclarer qu'il n'y a pas lieu à examen ; le principe énoncé dans l'article II me paraît suffisant. GOUPILLEAU (de Fontenay) : Je m'oppose aussi à l'amendement de Cadroy. Il a prétendu qu'on laissait trop de latitude au trois comités, qu'ils pourraient laisser ensevelies dans leurs cartons des dénonciations qui leur seraient portées ; mais je le prie d'observer que, d'après l'article Ier, toute dénonciation sera portée ou renvoyée aux trois comités. Le dénonciateur a toujours le droit d'apporter sa dénonciation à la barre ; la Convention a le droit d'en demander compte aux comités. Si vous adoptiez l'amendement qu'on vous propose, je soutiens qu'avec un million, Pitt ferait dénoncer successivement tous les membres de la Convention, et tous les jours la tribune ne serait occupée que par les rapports sur cet objet.