[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j fi�11 621 Ode sur la liberté et V égalité, par Jean-Victor Oampagne, citoyen français (1). Hommage à la Montagne. O vous, sainte Montagne ! dont le front su-{)erbe défiant les orages, a soutenu les efforts de 'aristocratie expirante sous le nom de modé¬ rantisme : vous qui avez présenté vos flancs aux flots tumultueux des royalistes bénins, partisans de l’œuvre inepte des Barnave, des Lameth, colosses que l’ignorance des vrais principes poli¬ tiques avait élevés ; vous qui avez renversé le trône et les préjugés absurdes qui le soutenaient ; vous, enfin, qui avez anéanti cette Constitution incohérente, chaos composé de principes qui s’entrechoquaient, où l’on avait établi à côté du gouvernement populaire, le germe du plus affreux despotisme. Agréez ce faible essai, pro¬ duit de l’enthousiasme poétique que m’a inspiré votre brillante carrière et l’ouvrage immortel que vous venez d’enfanter. Semblables au Créa¬ teur vous avez fait cesser le chaos informe, ouvrage de vos prédécesseurs, et vous en avez tiré des matières précieuses, dont est résulté un tout harmonique, une Constitution vraiment républicaine. Cette Constitution a paru tout à coup, pour être la honte des peuples qui, jus¬ qu’ici se sont dits fibres, pour servir de fanal à tous les législateurs à venir, et pour faire pâlir les tyrans sur leurs trônes. C’est sous vos aus¬ pices aussi que je vais faire paraître Caton d' Uti-que, l’exemple des patriotes qui vous ont précédés. Vous le serez de ceux qui vous suivront. Si le Sénat romain imprima le respect aux barbares qui ravageaient leurs villes, vous serez, vis-à-vis des tyrans, comme la tête de Méduse qui chan¬ geait en pierres tous ceux qui la regardaient. Les armées des despotes se dissiperont, et ne laisseront dans nos campagnes que la honte de leur défaite. Ode sur la liberté et VEgalité La France contre vous dirige son tonnerre. Tombez, superbes rois, despotes de la terre. Que vos sceptres brisés, dans la poudre abattus, Laissent la liberté ramener l’allégresse, La raison, les beaux-arts, doux enfants de la Grèce, Et de ces fiers Romains les rigides vertus. Éblouissant les yeux par une pompe vaine, Trop longtemps l’ignorance a tenu dans la chaîne Les peuples opprimés de cent climats divers. Vous, que déjà l’histoire exalte à chaque page, Sénat d’un peuple libre, auguste Aréopage, Vous avez d’un seul mot affranchi l’univers. O sainte Liberté I Quelle est ton influence ! Le monde réjoui s’émeut en ta présence. Le sein profond des mers et les gouffres affreux, Le sommet des rochers, les plus hautes montagnes, Les fertiles vallons, les riantes campagnes, Ont tressailli de joie à ton aspect heureux. Mais, moi-même, je sens mes rapides pensées, Sur des ailes de feu dans le ciel élancées, Jaillir, s’entre-choquer, m’entraîner malgré moi. Ce n’est plus Apollon, ni les Vierges du Pinde : C’est ton règne étendu de la Norvège à l’Inde Qui m’nspire, m’enflamme et m’impose la loi. .JF (1) Archives nationales , carton C 280, dossier 767. En vain le despotisme, ami de l’esclavage, Hurle dans ce moment, de douleur et de rage. Les fers lourds et massifs dont il est entouré, Comme une argile frêle, au même instant se brisent : L’esclave se redresse et ses armes s’aiguisent Contre son maître encore d’un vain songe enivré. Qu’ ai-je vu !... Tous les rois, étonnés de leur chute, Pour te livrer encore une effroyable lutte, Suspendent un instant leurs iniques débats. Mais, France, ton audace éclatante, éprouvée, De nouveau sait braver et la hache levée Et l’affreux attirail des feux et des combats. L’homme que ta vertu, que ton génie anime, Devient, d’un être abject, l’être le plus sublime : Oui, tel est ton pouvoir, auguste liberté. Tu fais naître à ton gré de grands hommes en foule, Quand, sous la servitude, un long âge s’écoule Sans produire un seul nom pour l’immortalité. Le despote inquiet s’effarouche, s’irrite, Et frémit en secret à l’aspect du mérite : Il caresse l’intrigue aux replis tortueux. Sous son débile empire, un pontife, une femme, Des plus nobles emplois fait un commerce infâme, Dont s’écarte en pleurant le talent vertueux. Voilà, n’en doutons point, la source intarissable Des abus enhardis, sous le règne coupable Des Séjans effrontés, des impures Laïs : Monstres, qu’en son repaire enfanta le Tartare, Monstres, dont la brigade impudique et barbare, En vautours acharnés, dévorent leur pays. Mais vous, qui vous rendez les maîtres, les arbitres, Du monde assujetti, parlez : quels sont vos titres? Qui peut vous élever au-dessus des mortels? Entourés de soldats, d’esclaves, de victimes : Vos plus grandes vertus souvent sont de grands (crimes. A vos moindres talents on dresse des autels. Orgueil d’un nom fameux, ivresse passagère 1 O fausse renommée ! O gloire mensongère ! Que sa hautesse altière est petite à mes yeux ! Semblable aux citoyens dont s’honorait le Tibre, L’homme, au-dessus des rois, est né pour être libre, Pour fouler sous ses pieds leurs fronts audacieux, Que dis-je? Il est encore sans doute pour le sage Un bonheur plus parfait, un plus grand avantage, Un bien trop méconnu, digne de l’âge d’or. L’orgueil à son idée et frémit et murmure. Mais il fléchit le cœur, le rend à la nature : C’est de la liberté le plus rare trésor. Son pouvoir étendu sur les deux hémisphères, De cent peuples compose un seul peuple de frères. Il étouffe la haine et l’animosité, Qu’entre les nations nourrissait l’ignorance, Du pauvre consolé relève l’espérance, En logeant sous son toit la douce égalité. Déesse bienfaisante ! Égalité chérie ! Fais naître l’allégresse au sein de ma patrie ! Brise, écrase le front du riche sans pudeur; Et qu’au nouveau décret du Sénat de la France, La vertu sous le chaume et la faible innocence, Dans tes bras fortunés recouvrent leur splendeur. Extrait du registre aux arrêtés de la Commission Révolutionnaire du département de la Somme. En sa séance publique du dix-huitième jour du premier mois de l’an deuxième de la Répu¬ blique une et indivisible. Il a été fait lecture d’une ode sur la liberté et l’égalité, précédée d’un Hommage à la Mon- 622 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { £\"rumaire “J1 tagne, présentée à la Commission par Jean-Vic¬ tor Campagne, citoyen français. La Commission, considérant qu’elle doit s’em¬ presser de saisir tous les moyens de propager l’opinion publique, d’échauffer les âmes, d’ali¬ menter et d’entretenir le feu sacré du patiotisme, dont tous les républicains doivent être sans cesse pénétrés; a arrêté unanimement cet ou¬ vrage, très propre à remplir ces vues ; et a voté des remerciements à son auteur. Délivré conforme au registre : Signé : Cattaért, président, D émaux, secrétaire général. Les administrateurs du conseil du départe¬ ment de la Moselle invitent la Convention natio¬ nale à rester à son poste, et lui font part qu’au cri de la patrie en danger, le peuple s’est levé tout entier dans le département de la Moselle; que ses magistrats ont marché avec lui à la fron¬ tière, et qu’ils ne sont tous rentrés dans leurs foyers qu’après avoir donné à la patrie 9 batail¬ lons de première réquisition, qui occupent déjà les villes frontières. Mention honorable, insertion au « Bulle¬ tin » (1). Suit la lettre des administrateurs du conseil du département de la Moselle (2) : Les administrateurs du conseil du département de la Moselle, à la Convention nationale. « Au cri de la patrie en danger, le peuple s’est levé tout entier dans le département de la Mo¬ selle, et ses magistrats ont marché avec lui à la frontière. Il n’est rentré dans ses foyers qu’a¬ près avoir donné à la patrie neuf bataillons de première réquisition, qui occupent déjà les villes frontières, qui sont organisés et s’exercent déjà dans les villes où ils sont en garnison. « Vous, mandataires du souverain, continuez à remplir l’attente du peuple; la journée du 31 mai a purgé votre sein des conspirateurs qui l’infectaient. « Déjà plusieurs ont expié leurs forfaits sous le glaive vengeur de la loi; mais les dangers ne sont point passés, les satellites des tyrans souil¬ lent encore le sol de la liberté. Chaque jour voit éclore dans l’intérieur une nouvelle trahison. Restez donc à votre poste, jusqu’à ce que la li¬ berté et l’indépendance nationales soient immua¬ blement assurées. « Metz, le 5e jour du 2e mois de la 2e année de la République française, une et indivisible. » {Suivent 10 signatures.) Les républicains de la Société populaire de Hoches [Loches], département d’Indre-et-Loire, félicitent la Convention sur la Constitution qu’elle a donnée à la France, et sur les mesures qu’elle a prises contre le fédéralisme. (IJ Procès-verbaux de la Convention, t. 25, p. 93. {2J Archives nationales, carton C 279, dossier 752. Mention honorable, insertion au « Bulle¬ tin » (1). Suit l'adresse des républicains de la Société popu¬ laire de Loches (2) : Les républicains composant la Société populaire de Loches, département d’ Indre-et-Loire, aux représentants du peuple souverain. « Loches, le 14e jour du 2e mois de l’an II. « Législateurs, « Si jamais vous vous montrâtes véritable¬ ment dignes de votre honorable mission, ce fut dans les journées salutaires des 31 mai, 1er et 2 juin, en expulsant du temple de la liberté et livrant à la vengeance des lois ces mandataires infidèles, qui, sous l’ombre de l’inviolabilité, machinaient la ruine de la République. Vous prouvâtes à l’univers que la rage et les projets liberticides des tyrans doivent s’évanouir devant la volonté d’un peuple libre. « Depuis cette époque à jamais mémorable, amis vrais de la liberté, vous vous êtes constam¬ ment occupés de son affermissement. Mille lois salutaires ont préparé le bonheur des Français; vous avez révisé la Déclaration des droits et donné à la France une Constitution digne d’elle. Elle a reçu ce chef-d’œuvre de la raison et de l’esprit humain comme un bienfait de la divinité. Vous venez tout récemment encore de payer un juste tribut aux mânes de Pelletier et de Marat, en abandonnant au glaive national la tête de cette furie que l’Autriche semblait avoir vomie à la honte et pour le malheur de l’huma¬ nité. i « Cependant, législateurs, malgré l’immensité de vos travaux, votre carrière n’est pas encore achevée. Pitt, Cobourg et leurs vils agents n’ont pas perdu l’espoir insensé de nous redonner des fers. Vous seuls tenez le fil de leurs trames infer¬ nales; vous seuls connaissez et le mal et son siège; vous seuls pouvez donc efficacement appli¬ quer le remède. « Nous vous le répétons, législateurs, la mal¬ veillance est debout, elle attiédit les municipa¬ lités ; elle corrompt les corps administratifs ; elle circule en un mot dans toutes les veines du corps politique. Achevez par des mesures révo¬ lutionnaires d’extirper jusque dans sa racine, cette plante parasite qui s’efforce d’étouffer dans son accroissement le germe fécond et salu¬ taire de notre régénération. « Que des républicains justes et sévères des¬ cendent un instant de la Montagne; qu’ils par¬ courent les différentes parties de la République et soient spécialement chargés d’épurer les administrations . « Le vaisseau de l’Etat vogue encore sur une mer orageuse et couverte d’écueils : les vents, la tempête et la foudre semblent conspirer à l’envi pour le précipiter dans l’abîme. Vous êtes les pilotes à qui nous l’avons confié, nous vous invi¬ tons à ne le pas abandonner avant de l’avoir (1) Procès-verbauxjde la Convention, t. 25, p. 94. (2) Archives nationales, carton G 280, dossier 767.