SÉANCE DU 3 VENDÉMIAIRE AN III (24 SEPTEMBRE 1794) - N° 56 31 56 Un membre [FOURCROY], au nom des comités de Salut public, d’instruction et de Travaux publics, fait un rapport sur les mesures prises par le premier de ces trois comités, pour l’établissement de l’école centrale des travaux publics décrétée le 21 ventôse dernier par la Convention nationale, et présente un projet de décret pour l’ouverture de cette école et l’admission des élèves. La Convention nationale décrète l’impression du rapport et du projet de décret, et en ajourne la discussion au lendemain de la distribution (104). Rapport sur les mesures prises par le comité de Salut public pour l’établissement de l’école centrale de travaux publics, décrétée par la Convention nationale, le 21 ventôse dernier; et projet de décret pour l’ouverture de cette école, et l’admission des élèves (105). FOURCROY : Tandis que les conspirateurs voulaient faire disparaître de la France les lumières dont ils redoutaient l’influence, la Convention nationale s’opposait de toute sa force aux efforts de ces barbares; elle conservait avec soin toutes les productions du génie, ou arrachait à la proscription les hommes éclairés que les tyrans voulaient perdre ; elle savait qu’en recueillant les choses et en défendant les hommes instruits, il viendrait un temps où l’on pourrait les employer utilement à répandre les lumières. Vos comités de Salut public et d’instruction publique ont recueilli trop de preuves et rassemblé trop de faits, pour qu’il soit permis de douter de l’existence de la conjuration contre les progrès de la raison humaine ; il leur est démontré qu’un des plans des conspirateurs était d’anéantir les sciences et les arts pour marcher à la domination à travers les débris des connaissances humaines, et précédés par l’ignorance et la superstition. Les lumières ont commencé la Révolution française, les lumières ont fait marcher le peuple français de triomphe en triomphe ; c’est à elles à vaincre tous les obstacles, à préparer tous les succès, à soutenir la République française à la hauteur où elle s’est élevée. Sans les lumières il n’y aurait ni victoire sur les frontières, ni sagesse dans la législation, ni paix dans l’intérieur ; elles contribuent puissamment à bannir tous les vices qui souillent la société, à faire aimer la simplicité dans les mœurs et les vertus privées, à faire naître les vertus publiques, à arrêter la marche insensée de la cupidité, et à faire jaillir enfin du sein de toutes les vertus sociales la source de la prospérité pu-(104) P.V., XLVI, 63. (105) C 320, pl. 1329, p. 15, imp., 20 p. Moniteur, XXII, 74-78. Résumé dans Ann. R. F., n° 3; F. de la Républ., n° 4; Mess. Soir, n° 767; Gazette Fr., n” 997; J. Fr., n° 729; J. Mont., n° 148; J. Paris, n° 4; M. U., XLIV, 44. blique. Considérez un instant ce qu’avaient déjà fait les derniers conspirateurs, et quel système ils avaient suivi pour éteindre le flambeau de l’instruction. Persuader au peuple que les lumières sont dangereuses, et qu’elles ne servent qu’à le tromper; saisir toutes les occasions de déclamer vaguement, et à leur manière constante, contre les sciences et les arts ; accuser jusqu’au don de la nature et proscrire l’esprit; tarir toutes les sources de l’instruction publique, pour perdre en quelques mois le fruit de plus d’un siècle d’efforts pénibles; proposer la destruction des livres, avilir les productions du génie, mutiler les chefs-d’œuvre des arts sous des prétextes astucieusement présentés à la bonne foi ; placer près de tous les dépôts pré-cieux pour les arts et les lettres la torche d’Omar pour les incendier au premier signal; arrêter sans cesse par de frivoles objections les projets d’instruction proposés dans cette enceinte; présenter un plan d’éducation inexécutable dans les circonstances où se trouvait la République, pour qu’il n’y eût point d’éducation; détruire à la fois tous les établissements publics, sans rien mettre à leur place; en un mot anéantir toutes les choses et les hommes utiles à l’instruction : voilà une légère esquisse de la vaste conjuration ourdie, avec la plus dangereuse et la plus perfide adresse, par les derniers conspirateurs. Quelques jours encore, et peut-être leur atroce projet, éclatant dans toute sa force, faisait reculer de plusieurs siècles la marche de l’esprit humain, et ses incroyables progrès en France n’existaient plus que dans l’histoire. Cependant votre comité de Salut public n’a rien négligé pour conserver et employer à la défense de la patrie les efforts du génie, et toutes les ressources des sciences et des arts. La guerre qui n’est qu’une atroce barbarie pour les rois, et qui n’est juste que pour un peuple qui reprend ses droits avec la liberté, la guerre est devenue pour la République française une occasion heureuse de développer toute la puissance des arts, d’exercer le génie des savants et des artistes, et de consacrer leur utilité par d’ingénieuses applications. C’est en faisant fabriquer des armes, du salpêtre et de la poudre, c’est en retirant le cuivre du métal de cloches, en élevant dans les airs les aérostats d’observation auprès de nos armées, en établissant les courriers télégraphiques, en apprêtant pour nos frères d’armes du cuir en huit jours ; c’est en multipliant et en inventant des arts de défense inconnus jusqu’ici, à l’aide de moyens nouveaux puisés dans les sciences géométriques et physiques, que le comité de Salut public a reconnu l’importance de ces sciences et la nécessité d’en recueillir soigneusement l’industrieuse activité. Les conspirateurs qui voulaient les bannir du sol de la République avaient la coupable espérance de priver la France d’ingénieurs et d’artilleurs instruits, de généraux éclairés, de marins habiles, de la faire manquer d’armes, de poudre, de vaisseaux, de laisser les places et les ports de la République sans défenseurs et sans moyens de défense, et de donner ainsi à nos ennemis des avantages certains et des