b78 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juillet 1791.] loi qui vous a ralliés autour d’elle quand votre roi vous abandonna, avaient dissipé tous les dangers et que la patrie était sauvée. Des moments plus difficiles se préparaient pour vous : et c’est dans l’ardeur seule de votre patiiotisme que vous pouvez aujourd'hui en rencontrer le terme. Le péril devient de plus en plus imminent; et il est du devoir de vos représentants de vous en avertir et de vous éclairer. « L’Assemblée nationale vient de prononcer, après des discussions solennelles, sur les événements du 21 juin. Dans une aus.-i importante matière, l’Assemblée a tout pesé; elle ne s’est rien dissimulé; et elle n’a pas hésité de vous livrer à vous-mêmes les détails de cette désastreuse conjecture, parce qu’elle a pensé que la vérité seule pouvait convenir à des hommes libres. « Après avoir, dans cette circonstance, éprouvé les mêmes sentiments que vous, l’Assemblée a senti qu’elle devait, avant tout, en écarter ce qu’il y avait d’exagéré ; et c’est avec le sang-froid de la réflexion, qu’elle s’est livrée à la discussion dans laquelle il devait être d’autant plus difficile de porter le calme de la raison, que la liberté était plus chère et la Constitution plus désirée. L’Assemblée nationale a fuit taire toutes les passions même les plus dangereuses, pour ne s’occuper que de vos intérêts, quelqu’en dût être l’événement; elle a marché d'un pas Arme vers le but; et elle a décrété, non pas ce qui paraissait être le résultat des sentiments du moment, mais ce qui pouvait garantir et sauver de tout danger le grand intérêt national. « Citoyens ! vos représentants ont parlé; la loi est portée; le sort de l’Empire est encore une fois décidé. Quels conseils plus utiles peuvent vous donner vos représentants, que de suivre, dans l'exemple des motifs qui les ont déterminés, la prudence et le sang-froid qu’ils y ont mis eux-mêmes ! Réservez votre haine pour des... (Murmures.) » M. Fréteau-Sainl-Just. M. Chabroud et plusieurs autres membres ont des projets d’adresse; si l’Assemblée veut renvoyer à demain et inviter ces membres à se joindre aux commissaires rédacteurs, on eu présentera une dans les vues de l’Assemblée. Plusieurs membres : La lecture de l’adresse de M. Barré; e. M. Gaulticr-Diauzat. Avant de renvoyer le projet d’adresse de M. Salle aux commissaires, il faut examiner si le décret de ce matin sera rapporté. Celui que vous venez de rendre fera plus d’effet que votre adresse. Il faut vous le dire, ce petit moyen ne pourrait montrer que de la faiblesse. M. BouUeville-Dumetz. Je croyais que le décret rendu devait être exécuté; mais je conviens que c’est un décret d’ordre, de circonstance; que la circonstance est changée par le décret subséquent, et qu’on peut, sans inconvénient, revenir sur ses pas. M. Duport. Il n’est pas facile de rendre en substance, dans une adresse, qui doit être extrêmement courte et extrêmement simple, des raisons qui, de leur nature, sont faites pour être développées avec un peu d’espace; d’un autre côté je vous prie d’observer que le seul décret nécessaire pour fixer l’opinion publique qui, sur ce point, était encore suspendue, est celui que vous venez de rendre. Je vous prie de peser encore une autre observation. C’est que vous sembleriez dans ce moment où la discussion s’est prolongée dans les esprits au delà du terme convenable, c’e.-t-à-dire après le décret, vous sembleriez, dis-je, ouvrir une argumentation directe avec le reste des citoyens: et cependant ils vous ont envoyés pour statuer, après une discussion longue et calme, ce qui vous parait utile et leur dicter des lois. Par la mesure d’une adresse, vous paraissez sortir de votre véritable caractère et au lieu de donner de la force au décret, il me semble que vous y joignez un esprit de doute, d’incertitude et d’argumentation, lorsque la loi seule doit parler. (Applaudissements.) Je demande donc le rappoit du décret de ce matin en ce qui concerne l’adresse. (L’Assemblée décrète que le décret rendu dans la séance de ce matin pour ordonner la rédaction d’une adre.-se sera rapporté.) L’ordre du jour est un rapport sur les troubles survenus dans plusieurs districts du département de la Vendée. M. Caoupiïïeau, au nom des comités des rapports et des recherches. Messieurs, vus comités des rapports et des recherches avaient chargé M. Cochon de Lapparent de vous rendre compte des événements iâcheux survenus dans plusieurs districts du département de la Vendée et qui en ont altéré la tranquillité; en son absence, je vais vous présenter ce rapport. Depuis longtemps, le peuple de ces malheureuses contrées était en butie aux menées perfides des ennemis du bien public. Les prières, les menaces, les promesses, le moyen si puissant de la religion, entin la calomnie contre les représentants de la nation, rien n’avait été oublié pour séduire les habitants des campagnes, naturellement bons, mais ignorants et faciles à égarer. Déjà un ci-devant noble, le sieur Du Chaffaud, aidé d’un ecclésiastique, de ses affidés, était parvenu à séduire les habitants de sa paroisse, au point de fi s porter à expulser un officier municipal dont le patriotisme lui faisait ombrage. II avait eu même la témérité de se transporter, assisté de plusieurs habitants, à la séance du directoire de district des Sables-d’Olorme, et d’y protester publiquement contre la vente des domaines nationaux de sa paroisse. L’accusaleur public ayant rendu plainte de ces fails, le tribunal informa. Le sieur Du Chaffaud fut décrété de prise de corps; mais il s’est soustrait par la fuite aux poursuites dirigées contre lui. L’éloignement du sieur Du Chaffaud ne découragea point ses coopérateurs. Le temps de Pâques leur parut propre à renouveler leurs-menées. Les exhortations, les sermons, l’abus des sacrements, tous les moyens furent mis en usage pour égarer le peuple en alarmant sa piété. Ces insinuations incendiaires exaltèrent les esprits des malheureux habitants de la campagne, au point de jurer la perte de tous les citoyens connus sous le nom de bourgeois. L’explosion commença le 25 avril dans la paroisse d’Apre-mont. Le tocsin fut sonné, les bancs des c;-de-vant roturiers furent arrachés de l’église et brûlés ; et on eut grand soin de conserver ceux des ci-devant nobles ou privilégiés. Le 1er mai suivant, le sigual de la sédilion fut [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juillet 1791. j 379 donné dans la paroisse de Saint-Christophe-Li-geron; le tocsin sonna dès le matin. Une troupe de fameux entra dans l’église, brisa les bancs des ci-devant roturiers, et les fit brûler sur la place; de là ces furieux allèrent attaquer jusque dans leurs maisons la garde nationale et les corps administratifs, ainsi que les citoyens qui avaient montré le plus d’attachement à la Constitution. Les gendarmes nationaux des brigades de Challans et Palluau, envoyés pour le maintien de l’ordre, furent insultés, maltraités, obligés de se renfermer dans une maison particulière, pour empêcher l’effusion du sang et mettre en sûreté leur vie et celle des citoyens, dont quelques-uns avaient déjà été assez grièvement blessés. Le directoire du district de Challans instruit de ces faits, et que les factieux se proposaient de venir attaquer; le directoire lui-même requit les gardi s nationales des municipalités et districts voisins, ainsi qu’un détachement des dragons de Gonti, en garnison à Machecoul; il arrêta que le procureur syndic se transporterait à Saint-Christophe avec toutes les troupes qu’il pourrait réunir à l’effet de faire arrêter les chefs des factieux. Le lendemain 2 mai, ie procureur syndic du district assisté d’un grand nombre de gardes nationaux des municipalités voisines, d'u i détachement des dragons de Gonti, et des brigades de la gendarmerie nationale, se rendit à Saint-Christophe pour y remplir l’objet de sa mission. Un nombre de factieux accourut, tant de cette paroisse que des paroisses voisines, et dont la fureur u’avait pas été calmée par deux heures de ia pluie la plus abondante, il se mit en devoir de résister. Cai llés derrière des haies, des buissons, iis firent une décharge sur les troupes, qui blessa 2 dragons et plusieurs chevaux. Les troupes fondirent sur L s factieux qui furent bientôt mis en fuite et dissipés, après avoir laissé 4 morts sur la place, et avoir plusieurs blessés, dont quelques-uns sont morts depuis; d’autn s furent arrêtés et conduits dans la maison d’arrêt. Des mouvements pareils étaient prêts à éclater dans plusieurs paroisses des districts de Chal-ians, la Roche-sur-Yon et les Sables; mais ils furent contenus par un corps assez considérable de gardes nationales arrivées de Nantes au secours de leurs frères, et un détachement de troupes de ligne et de gardes nationaux envoyés par le directoire du département. Le peu de succès de ces premières tentatives n’avait pas rebuté les ennemis de la chose publique; et la nouvelle de l’évasion du roi et de la famille royale réunit leurs espérances. Le 26 du mois dernier, le directoire du district des Sables fut informé qu’un nombre de ci-devant nobles, qu’on porte à 80, ayant avec eux 200 paysans ou environ et quelques ecclésiastiques non assermentés, étaient rassemblés avec des armes et des munitions de guerre au château de la Proutière, paroisse de Poiroux, appartenant au sieur Robert de Lézardière, connu depuis longtemps par son incivisme. Ce rassemblement donna les plus vives inquiétudes aux administrateurs du district des Sable-. Des ordres furent donnés à un détachement de 30 soldats du régiment de Rohan et autant de gardes nationaux d’aller fouiller la maison de la Proutière et d’enlever les armes qui s’y trouve-veraient. Le même détachement eut ordre de fouiller également la maison de la Marzelle appartenant au sieur de Loyar, où l’on avait annoncé une réunion d’hommes et d’armes. Ils ne trouvèrent que 2 ou 3 fusils dans ce château; mais ils dirent y avoir trouvé un billet, sans date ni signature, dont voici la teneur : « Le roi et la reine de France sont partis de Paris; grande rumeur partout; tous les départements, districts, municipalités et gardes nationaux, tout est en route; ce sont des cavaliers de maréchaussée qui, de brigade en brigade, portent les nouvelles. Il faut imaginer que ia chose est certaine; partez... allons... communiquez-moi l’arrêté. Le parti que... enfin, mon ami, un ensemble...; c’est là fin.- tant de la crise : c’est là le moment de nous montrer dignes du sang qui coule dans nos veines. Le secret du vrai franc-maçon ! au champ de Mars et à la gloire. » Ce billet, une lettre adressée au sieur Lézardière et trouvée dans les souliers d’un commissionnaire, quelques petits bâtiments qu’on avait aperçus sur la côte et à qui on avait cru voir faire des signaux d’intelligence, ne pouvaient qu’augmenter les inquiétudes. Le détachement arriva le 28, au château de la Proutière et le trouva évacué. Il y entra sur les 3 heures du soir, et un instant après le château fut incendié et entièrement dévasté sans que le commandant de la troupe pût y apporter aucun obstacle. Dans la nuit du 29 au 30 juin, ie sieur de Lézardière, ses 2 fils et un domestique furent arrêtés à Saint-Fulgent, et conduils aux Sables par ordre des commissaires que lu département a envoyés sur les lieux. Ces commissaires vous exposent, après le détail de ces faits, l’état de (rouble et d’anarchie où se trouve le département de la Vendée; ilsse plaignent des manquements d’égards et même des insultes qu’ils ont éprouvés; ils vous supplient d’envoyer incessamment 2 commissaires qui, investis de toute l’autorité et la considération que leur donnera votre confiance, poissent rappeler les citoyens au respect pour les lois et à la déférence qu’ils doivent avoir. En conséquence, nous avons l’honneur de vous proposer le projet de décret suivant : L’Assemblée nationale décrète ce qui suit : Art. 1er. « Les procédures commencées dans les tribunaux des districts de la Roche-sur-Yon, les Sables et Challans, pour raison des troubles qui ont eu li u dans l’étendue de ces districts dans les mois d’avril, mai et juin derniers, y seront continuées jusqu’à jugement définitif, sauf l’appel, ainsi que de droit ; et cependant copie des procédures sera envoyée à l’Assemblée nationale, sans que cet envoi puisse retarder les jugements. Art. 2. « Il sera envoyé incessamment dans le département de la Vendée deux commissaires civils, qui prendront tous les éclaircissements qu’ils pourront se procurer sur les causes des troubles, et se concerteront avec les corps administratifs sur les moyens de rétablir l’ordre et d’assurer la tranquillité publique; lesdits commissaires seront autorisés à requérir, toutes les fois qu’ils le jugeront convenable, les secours des gardes nationales et des troupes de ligne, tant dans le département de la Vendée que dans les départements voisins. » (Ce décret est mis aux voix et adopté.) M. le Président lève la séance à dix heures.