75 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. perdu son domicile à Strasbourg, et que ce citoyen réunissant toutes les conditions prescrites, son élection à la place de maire doit être regardée comme valable et définitive. » M. l’abbé AKaury. Je ne crois pas que vous vouliez exciter les difficultés et les réclamations par des interprétations arbitraires qui morcelleraient votre loi. Le point de la question est très simple. Acquiert-on en France* un domicile en vertu de ses propriétés? Nous connaissons deux espèces de domiciles : le domicile de droit et le domicile de fait. Les propriétés du baron de Diétrich ne peuvent lui donner un domicile ; il n’a donc pas un domicile de fait à Strasbourg. Voyons ensuite si on peut avoir en France deux domiciles de fait ; non, assurément : or je soutiens que M. le baron de Diétrich, au moment où il a été élu à Strasbourg, avait un domicile de fait à Paris. Il avait demeuré huit mois à Strasbourg ; vous demandez au moins une année, et l’année n'est pas composée de huit mois ; c'est la rigueur de la loi qui en consacre l’inviolabilité : si vous renoncez à cette rigueur, vous attaquez la loi. Si M. de Diétrich eût été étranger à Strasbourg, un domicile de huit mois l'aurait-il rendu citoyen actif? Non; on doit le juger comme s’il n’était pas né à Strasbourg. (On demande à aller aux voix.) L'Assemblée délibère, et adopte le décret proposé par le comité de constitution. La séance est levée à trois heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE à la séance de l' Assemblée nationale du 8 mars 1790. Opinion sur la pétition des villes de commerce et sur la traite des noirs , par M. 1© vicomte de Mirabeau (1). Messieurs, la fortune de nos villes maritimes est en danger. Dans leurs justes alarmes, elles nous envoient des députés pour solliciter des décrets capables de calmer leurs inquiétudes, de rendre à leur industrie une nouvelle activité, d’assurer enfin l’existence de plusieurs millions d’hommes. Bien des motifs font craindre dans ce moment la défection de nos colonies américaines ; ce malheur funeste plongerait dans le néant le commerce français et sécherait dans son germe le fruit de la révolution qui s’opère, de cette révolution qui coûte déjà tant de sacrifices, tant de privations, qui a détruit tant de fortunes et qui ne nous donne encore que des espérances lointaines. Hâtons-nous, Messieurs, hâtons-nous de faire jouir le peuple français des biens qu’il attend de nos travaux et commençons pour y parvenir par faire l’acte de justice qu’on nous demande au nom de la raison, au nom de l’équité naturelle inséparable des droits des hommes. Des craintes multipliées relatives à nos colonies nous assiègent de toutes parts et doivent nous déterminer à prendre les précautions les promptes. Il y a plus de deux mois que les députés du (1) L’opinion de M. le vicomte de Mirabeau n’a pas été insérée au Moniteur, [8 mar» 1790.] commerce sollicitent leur admission dans cette Assemblée et peut-être aurons-nous à nous reprocher les maux qu’a pu occasionner ce retard. De quelque manière que cesse l’union des colonies avec la métropole, nos malheurs deviendront à l’instant irréparables, et ne feront que précéder des malheurs plus grands encore. Les colons ont à redouter l’insurrection des esclaves. Cet événement joindrait à des scènes de sang et d’horreur, la perte des richesses immenses que renferment ces possessions fertiles, et que le luxe de tous les peuples de l’Europe a rendues un besoin indispensable; cette insurrection, Messieurs, serait la suite nécessaire d’une liberté que vous accorderiez à des individus pour qui elle ne peut être qu’un bienfait funeste, et dont ils se serviraient peut-être pour enchaîner à leur tour ceux de leurs anciens maîtres qui auraient échappé à la rage et à la fureur que quelques hommes ambitieux et pervers sauraient bientôt leur inspirer. Il est possible aussi, Messieurs, que pendant que vous vous occupez du bonheur des Français, une nation toujours rivale de la nôtre s’occupe à son tour des moyens de détourner les effets de cette félicité publique dont vous jetez les bases ; peut-être ses entreprises ont-elles déjà devancé les mesures que vous pourriez prendre. Déjà, Messieurs, cette nation rivale ne dissimule plus les moyens qu’elle se glorifie au contraire d’avoir prodigués en contemplant l’agitation à laquelle notre patrie est en proie; malheur qu’on sentira quelle avait prévu dès longtemps, si l’on veut se rappeler que le ministre qui gouverne l’Angleterre, et peut-être l’Europe entière, en faisant valoir les moyens que d’autres possèdent, et que lui-même n’a point, par les talents qu’il a et que n'ont point acquis ses coopérateurs ; que ce ministre, dis-je, n’a cessé de répéter à son roi que la perte de ses colonies animait à la vengeance, qu’il en tirerait une bien cruelle et bien éclatante de nous, sans avoir recours à la guerre. Cette nation ajoute même la dérision insultante de la puissance. Burke ne voit dans le lieu où était jadis la France, qu’un vain échiquier. Quelles réllexions, quels devoirs seraient les résultats naturels de cet outrage politique, si, nous reposant du succès de nos travaux sur la pureté de nos motifs et la sûreté de nos calculs, nous ne dédaignions le langage de l’envie 1 Mais il n’y a pas un moment à perdre, et vous devez portez sur vos colonies la vigilance la plus active pour empêcher les maux qui se préparent ou les remèdes les plus prompts et les plus efficaces, si ces maux se font déjà sentir. On vous a dit, Messieurs, que les colonies exigeaient une législation différente de celle de la métropole, et on vous a dit une vérité incontestable. Les mêmes lois ne peuvent être appliquées à tous les peuples ; la nature a varié tous ses ouvrages ; les hommes ne se ressemblent qu’en apparence ; l’effet du climat, l’effet plus puissant des longues habitudes influent sur la race humaine. Nous voyons dans toutes les parties de l’univers les nations différer les unes des autres par un caractère marqué. L’habitant de l’Inde échappe à la plupart de nos besoins, par la sobriété ou par le bienfait du climat qui le dispense de porter des vêtements. Chez ce peuple paisible, la paresse est la première des passions ; la volupté est le premier des besoins,