[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1791. J 575 Un membre à droite : Il y a des étrangers dans ie côté gauche. M. le Président. On me dit qu’il y a des étrangers dans la salle. J’invite les membres du côté droit qui le croient de vouloir bien les dénoncer avant que je renouvelle l’épreuve. Plusieurs membres à droite ; L’appel nominal! (Une nouvelle épreuve a lieu.) M. le Président. Je répète que je n’ai pas de doute : Il y a lieu à délibéter sur la motion de M. Vernier. ( Mouvement prolongé à droite.) Plusieurs membres à droite : L’appel nominal! MM. d’André, de Mirabeau, Begnaud (de Saint-Jean-d’ Àngêly) et plusieurs autres membres déclarent qu’il y a lieu à délibérer. M. le Président. Gomme une grande partie de ceux-là même qui ont opiné contre la motion voient clairement qu’il y a lieu à délibérer, je prononce le décret : «‘L’Assemblée nationale décrète qu’il y a lieu à délibérer. » M. de Folleville. Je persisle à demander l’appel nommai. Jamais il ne fut réclamé dans une circonstance plus intéressante : il s’agit d’un ajournement dent l’effet serait désastreux; iia pour but d’éloigner la déclaration d’un principe dont la violation produirait à l’instant même une émigration nombreuse. Je persiste donc, pour ces raisons, à demander l’appel nominal. ( Applaudissements à l'extrême droite.) J'ajouterai aux considérations que je viens de présenter, qu’on a craint qu’il n’y eût des étrangers dans la salle. M. de Cazalès. Il faut mettre aux voix la motion, parce qu’alors, s’il y a du doute, on demandera l’appel nominal. M. de Mirabeau. Ii n’y a pas ie plus léger doute. La majorité de l’A-sembiée a évidemment décrété qu’il y a lieu à délibérer. M. le Président. Je mets aux voix la motion de M Vernier; en voici les termes : « L’Assemblée nationale décrète que la loi sur les émigrations est ajournée; que cependant la question est renvoyée à des commissaires pris dans tous les comités, pour examiner s’il y a lieu, ou non, à un projet de loi qui puisse se concilier avec la Constitution, et en faire rapport mercredi 9 mars. » M. le Président, après avoir consulté l’Assemblée, déclare que la motion est adoptée. Plusieurs membres à l'extrême droite : Il y a du doute! L’appel nominal! M. d’André. Quand la majorité est aussi évidente et que cependant on réclame l’appel nominal, ü est une pratique constante, c’est de mettre aux voix la question de savoir s’il y a du doute. On a notamment suivi cet usage quand j’avais l’honneur de présider. La majurité est évidente; mais comme beaucoup de personnes opposées à l’avis qui a passé le reconnaissent, ainsi que moi, elle sera bien plus évidente encore quand on consultera l’Assemblée sur le doute. On évitera ainsi l’appel nominal. Plusieurs membres : U faut faire une nouvelle épreuve. M. Foucault-Lardimalie. Je demande la parole. M. le Président. Je vais renouveler l’épreuve. (L’Assemblée est consultée à nouveau.) M. le Président. L’Assemblée adopte la motion de M. Vernier. Plusieurs membres à droite : li y a doute! L’appel nominal! Plusieurs membres : Il faut mettre aux voix la motion de M. d’André. ( Applaudissements .) M. le Président. Je vais consulter l’Assemblée sur la question de savoir, s’il y a eu, ou non, du doute sur le résultat ne la délibération. (L’Assemblée, consultée, décide qu’il n’y a pas eu de doute.) M. le Président. En conséquence, la motion de M. Vernier e.M décrétée. La séance est levée à cinq heures du soir. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 28 FÉVRIER 1791. Nota. — M. Barrère ayant fait imprimer et distribuer une opinion sur le respect du à la loi, nous l’insérons ci-dessous comme faisant partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale. Discours sur le respect du à la loi par M. Barrère, député à V Assemblée nationale. Pour être libres, il faut être esclaves des lois,. disait aux Romains l'orateur philosophe qu’ils appelèrent le père de la patrie : voilà les paroles qu’il faut adresser aux Français au moment où ils ont conquis la liberté ; car la loi ne peut se soutenir que par un respect inviolable pour elle et par l’exécution servile de tout ce qu’elle commande. La philosophie n’a rien imaginé de plus sublime que d’assirp ttir chaque membre de la société, par l’expression de la volonté générale, pour les rendre tous vraiment libres, en les affranchissant du joug arbitraire d’une ou de plusiems volontés individuelles. Il n’est pas d’autres éléments de la liberté publique que les sacriiices habituellement faits par chaque citoyen à l’empire de la loi, et l’abjuraiion constante de toute autorité qui n’est pas la sienne. Le reutiment et le dogme trop ig mrés de l’égalité politique sont, dans de bons gouvernements, le premier bienfait de la loi. Les hommes, étant tous égaux à ses yeux, ne lardent pas à s’apercevoir qu’ils sont égaux les uns aux autres ; et cette opinion, ou plutôt ce ,-enûm nt intime une fuis affermi dans L'esprit des citoyens, on voit disparaître aussitôt toute autre supériorité que 576 [Assemblée nationale.] celle des places établies dans la hiérarchie constitutionnelle, toute autre distinction civique que celle qui est attachée aux fonctions publiques, toute autie différence morale que celle des talents et des vertus. Aussi le respect et l’obéissance ne sont dus qu’a celui qui est revêtu du carac ère de la loi et qui parle en son nom; »t c’est en son nom que les chefs, les représentants ou les délégués des peuples doivent parler s’ils veulent être obéis. Il est des temps de servitude et de barbarie dans l’histoire de toutes les nations, temps déplor blés, pendant le�qu ls un seul homme, usurpant ie3 sublimes fonctions du législateur, gouverne à son gré de vastes Etats. Il n’a pour exécuteur de son code barbare que des tribunaux asservis, des lois cruellement pénal s, un ti.-c rapace, vexuteur, méprisant ies hommes et sacrifiant leur vie à son insatiable avarice, des agents de l’autorité arbitraire répandus avec profusion dans toutes les branches du gouvernement, et une armée dont on n'entretient la masse ruineuse que po ir forcer l’obéissance en tous lieux. La nation n’a plus d’autre mobile ni d’autre frein que la crainte, la force, les supplices; et la terreur des lois est substituée au respect qu’elles ne peuvent obtenir. Faut-il s’étonner que, dans de par ils gouvernement-, la liberté soit inconciliable avec l’horreur qu’inspire la loi et avec le mépris souvent mérité par le législateur? Quel contraste avec les empires où la souveraineté du peuple est reconnue, où l’on voit ses représentants faisant la loi! Comme c’est la volonté de tous, elle est partout adoptée; et chaque citoyen en surveille l’exécution. C’est là que l’on voit s’opérer le prodige de l’obéissance sans crainte, et de l’accomplissement de la loi sans violence. Tout obéit, et personne ne commande; tous servent, et tous sont libres. Le peuple, enfin, voyant qu’il a concouru à la législation par le choix d s législateurs, par l’émission de son vœu, pour l'influence de son opinion, fait qu’en se soumettant à la loi, il n’ubeit qu’à lui-même. Quel est donc celui qui résisterait à cette voix touchante de la raison publique, qui a tracé des préceptes à chaque citoyen? Serait-ce le législateur qui ne respecterait pas la loi? Ma s n’est-il pas le premier qui doit se soumettre à son empire? Gomment le législateur pourrait-il négliger ou dédaigner ce type de législation qu’il a présenté lui-méme aux âges futurs? Comment pourrait-il oubl er cette déclaration sub'ime des droits de l’homme et du citoyen , après l’avoir déposée dans les annales de l’empire, après l’avoir comme exhumée du cœur de loutes les nations? Ai) ! si jamais le législateur s’écartait de quelqu’un de ces droits qu’il a si solennellement proclamés, chaque citoyen n’aurait-il pas le droit de l’opposer à lui-même avec une fermeté aussi sainte que l’insurreciion du peuple contre ses tyrans ; car quelle tyrannie pourrait être comparable à celle d’une mauvaise loi? Que dirai-je du législateur qui, par des contradictions ou des inconséquence-*, affecterait lui-même le mépris de son propre ouvrage? Malheur à cet architecte politique qui, après avoir élevé Je superbe édifice des lois, en saperait les fondements! Il serait d’avance coupable de tous les maux que feraient infailliblement a la société des lois irréfléchies on difficiles à concilier. Il est encore une .imperfection funeste dont le législaleur doit préserver ses lois ; c’est cette perfide obscurité qui facilite les transgressions, ou qui nécessite des interprétations multipliées. Voilà [28 février 1731.J un de ces vices qui dégradent étrangement la loi, lui font perdre sa saint té et déshonorent son auteur. Mais s rioat qu’il ne la laisse pas tomber en désuétude. G est la rouille de la législaiion ; qu’il révoque la loi plutôt que de la laisser ainsi ronger par le temps. Serait-ce le magistrat héréditaire de la nation qui manquerait au res eut de la loi? C’est n’elle que dérive son pouvoir: voudrait-il s’anéantir lui-même? Son intérêt est ici d’accord avec son-devoir. Chargé, par état, de faire exécuter les lois, il doit leur obéir le premier. Quelle plaie faite à la monarchie, quand le prince se Iraye, par le mépris de la loi, une route vers le despotisme! Quel ébranlement pour le trône dont elle est la hase! Quel danger pour le peuple dont elle est la sauvegarde. Ab! si jamais une nation était assez imprudente pour tolérer que son chef s’affranchit du joug de la lui, c’en serait fait de la liberté publique, la tyrannie serait affûtée et l’esclavage mérité. Quelle étrange prérogative que celle d’un monaïque qui ne serait pas soumis à la loi! Quelle constitution politique que celle qui dispenserait la première tête de l’empire de se courber devant ce palladium de la liberté! Quel serait d’ailleurs cet èire extraordinaire à qui tous devraient beaucoup et qui prétendrait ne rien devoir à perso me? Ce serait celui à qui la Constitution aurait délégué un pouvoir aussi dangereux que nécessaire ; celui qui, agissant sans cesse, qui, remuant à son gré une grande force publique et jetant de tous côtés ses regards vigilants, serait plus à sa portée, par ses fonctions mêmes, d’usurper les droits de la nation pendant son sommeil. C’est assurer le respect de la loi que d’y assujettir le prince comme tous les autres citoyens ; il faut encore donner un frein à ses agents ; et ce frein est celui de la responsabilité. Ce sont eux qui ont le plus souvent bouleversé les empires et subjugué les peuples. Certains ministres ont fait plus de mal au genre humain que toutes les dynasties des rois. Contraindre ces hommes puissants au respect de la loi, c’est sauver les nations. Ah! s’ils pouvaient se persuader que son exécution franche et loyale leur gagnerait tous les cœurs; et que cette vertu civique leur assurerait une gloire supérieure à celle des talents politiques, à quel d gré de bonheur et de prospérité l’empire ne s’élèverait-il point par cet heureux accord du législateur et du monarque! Q m ce soit là désormais l’unique ambition de ces hommes précairement reœtus des fondions du pouvoir exécutif: pour eux le temps n’est plus de faire trembler les citoyens. Les lois nationales sont entre ceux-ci et les ministres. Elles leur ont ôté le trnte pouvoir de se faire abhorrer; et le peuple peut encore leur tenir compte de tous les maux qu’ils ne feront pas. Peut-on craindre que les juges, les administrateurs, les officiers municipiux ne portent pas à la loi le trinut de respect que le trône même et ceux qui l’entourent ne cesseront de lui rendre? Non, sans doute, des magistrats électifs et temporaires rie violeront pas cette loi, au nom de laquel e ils sont élevés dans la société au-dessus des autres citoyens. Serait-ce le juge? Je sais que dans des temps où il s’enorgueillis-ait d’une autorité usurpée, il a cru pouvoir substituer à la loi une jurisprudence arbitraire et versatile. Je sais que des conseils dangereux, des insinuations adroites, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 577 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1791.J des passions particulières, des intérêts personnels l'ouï faisouvent compisfr avec les principes. Je sais qu’il a eu la vanité de pa tager l’autoiité du législateur provisoire, en rejetant ou modifiant les lois avant de les publier, même de faire la loi pur forme d’in terprétai ion dans les caus' s i robléma-tiques ; mais ces te mps nesont plus. Il n’est point de cas où il soit permis au juge d’nsurper les droits du législateur, et jamais la justice, même incèriaine et chancelante, ne peut abandonner sa balance à l’autorité du juge toujours dépendant ne la loi; le législateur est toujours présent, toujours veillant aux be oins de l’Empire. Qu’ils s’éloignent donc du temple de la justice, ces espriis indépendants et pré-omptueux qui regardant l’empire de la loi comme une servitude. Une pareille opinion est une révolte contre la lo1 ; ils ne sont pas dignes d’en être les organes. Voudrait-on excuser la fausse conscience du magistrat, qui, placé entre la loi et l’équité apparente, se décide pour celle-ci ? mais ce n’est là qu’une prévarication mêlée d’orgueil et d’hypocrisie. Sans dou'e, l’équité doit dicter toutes les lois. Mais tout citoyen, et plus encore tout juge, doit présumer qu’elle les a dictées; et si cette présomption n’enchaîne pas toujours l’opinion du philosophe et du politique, elle doit toujours commander les jugements. Ne nous y méprenons pas; c’est sous le voile spécieux de l’équité que le magistrat ambitieux cherche à étendre sa domination; c’est pour éluder la loi, plutôt que pour l’exécuter, qu’il prétend pénétrer l’esprit du législateur, et qu’il prépaie insensiblement cette flexibilité funeste qui entraîne à sa suite l’arbitraire le plus dangereux et la ruine totale des principes et des lois. Oublier le texte de la loi sous prétexte d’en pénétrer l’esprit, c’est en faire un mépris déguisé. Elle veut des ministres et non des censeurs; elle a des orgam s et non des interprètes. L’administrateur pourrait, comme le juge, s’égarer dans I application de la loi, s’en permettre le redressement, ou se régler par des interprétations ai biliaires s’il ne s’imposait le rigoureux devoir d’être scrupuleusement fidèle aux décrets qui ont marqué tous ses pas, qui ont précisé, circonscrit ses fonctions; il pounait encore empiéter sur 1rs pouvuirs législatif, judiciaires ou municipal, il pourrait négliger la surveillance des pouvoirs qui lui sont subordonnés par la constitution du royaume. Que deviendrait alors une vas e administration, qui selon les lieux, aurait contracté le vice d’être arbitraire, mobile ou usurpatrice ? C’est un devoir commun à tous ceux qui exercent quelques pouvoirs de reconnaître combien il est essentiel du les diviser, d’en discerner attentivement les démarcations, et d’en respecter invariablement les limites. Périsse donc à jamais cet esprit de domination et de rivalité qui tendrait à confondre tous les pouvoirs et tous les genres d’autorité I Préservons-nous cependant d’un excès de zèle pour l’accomplissement de la loi : il pourrait ajouter à sa sévérité; une observance trop religieuse pourrait devenir minutieuse et inquiète. L’un et l’autre affaibliraient le respect de la loi aux yeux des citoyens qui ne la jugeraient que par les procédés du fonctionnaire public. Qu’est-ce qui fait la force des lois? N’est-ce pas leur sagesse ? Et de quoi servirait-elle, sans la sagesse de ses ministres ? C’est assez pour une lre Série. T. XXIII. d’avoir mille moyens de faire le bien, mille occasions de faire chérir, de faire bénir un régime sagemeut substitué à un régime désastreux. Leur faut-il encore la stérile ambition de dominer des hommes qu’ils doivent rendre heureux, de tourmenter des pouvoirs dont ils doivent s’isoler, de s’arroger des fonctions qu’ils doivent s’interdire et d’usurper des droits qui leur sont étrangers? Sera-ce enfin l’officier municipal qui méconnaîtra la loi ; lui qui est chargé de la publier; lui sur qui la commune se repose du soin de maintenir l’ordre et la paix de la cité; lui qui est chargé de pénétrer jusque dans les foyers du citoyen pour y étouffer 1 s troubles domestiques; lui qui est placé dans chaque lieu comme une sentinelle, par la Constitution du royaume, pour en surveiller l’exécution et pour dénoncer les atteintes qu’elle aurait reçues; lui qui le premier façonne le peuple au joug de lu loi ; lui qui en punissant toute voie de fait, par le droit de police, est le premier garant des propriétés, du repos et de la vie des citoyens; lui enfin qui peut disposer de la force publique? Certes, si l’homme revêtu de ce pouvoir fonda mental, première base de l’organisation d’un Etat libre et policé, manque de zèle, de talent ou d’énergie pour faire aimer et respecter la loi; s il donne le premier l’exemple de la négliger et de violer lui-même le respect qu’elle exige, on verra l’Empire s’affaisser sur les fondements mobiles et la Con titution périr par le vice de ses propres éléments. C’est surtout la force qui doit respecter la loi. Malheur à l’Empire dans lequel ces deux moyens ne seraient pas infailliblement unis 1 C’est la loi qui légitime la force ; c’est la force qui est l’appui de la loi. La loi sans la force n’est qu’une vaine théorie; la force sans la loi n’est qu’un brigandage. Non, sans doute, celte milice citoyenne à qui la France doit la conquête de la liberté, ne pourra jamais servir à l’opprimer. Qu’est cette garde immense du royaume, si ce n’tst la nation entière armée pour sa lib rté? Et qui pourrait craindre le suicide politique d’une nation qui tournerait ses armes contre elle-même! Vous respecterez donc, généreux soldats de la patrie, la loi qui ne vous a donné une constitution militaire que pour défendre sans cesse la constitution politique contre les tentatives renaissantes du despotisme et les complots de ces âmes viles, qui se rejetteraient ri facilement dans les fers de l’ancienne servitude. Trop longtemps l’homme armé avait servi la tyrannie. C’est le moment de l’employer au soutien de la Liberté 1 Vous re mplirez dignement cette destination, citoyens armés au nom de la loi. Tout serait p rdo, s’il se formait au milieu de vous un grand parti à qui l’esprit militaire fît oublier les devoirs civiques. La nation, alors en i truie aux horreurs de fa guerre civile, se déchirerait les entrailles de ses propres mains. Quel serait le résultat de tant d’horreurs? L’esclavage y serait noyé dans les fleuves de sang; et malheureusement la liberté reconquise serait longtemps flétrie par le deuil et les larmes, et partout couverte de voiles funèbres. Par quelle fatalité cette nation généreuse, devenue libre par le seul effet de sa volonté paisi ¬ blement combinée, n’aurait-elle pu maintenir sa liberté qu’à force de troubles et de malheurs? C’est parce que les défenseurs de la patrie auraient méprisé la loi, qui ne les lit citoyens que 37 ; Assemblée nationale. 1 ARCHIVES FAHJLEMEISïÀIRiES. |28 février 1794.1 578 pour être ses soldât?, et qui ne les fit soldats q,u’à condition quMs resteraient citoyens. Patriotes militaires, D’oubliez donc jamais que vous êtes tous frères d’armes, tous enfants de îa même patrie, et que l’appareil de votre costume, de vos armes, de vos évolutions, au lieu de vous persuader que vous devez être un objet de terreur pour vos semblables, vous rappelle sans cesse que vous êtes armés unique ment pour être l’effroi du des; otisme, la sauvegarde du citoyen et le bras de la loi. Alors, nulle autre différence entre le chef et le soldat; l’amour de la patrie vous élèvera tous à la hauteur des héros ; et la loi, soutenue d’une force irrésistible,, paraîtra partager la majesté des décrets immuables de lu Divinité. Elle appartiendra aux lois, cette majesté sainte, lorsque les ministres de la religion, fidèles aux règles inaltérab'es et sacrées de l’Evangile, comme aux nations qu’elles éclairent, rendio t à la puissance publique ce qui lui appartient; lorsque, donnant les premiers exemples de l’obéissance aux lois, ils éloigneront les passions superstitieuses qui nuisent au bonheur des peuples et ces mouvements fanatiques qui altèrent la paix et l’union des hommes. C’est aux ministres de l'autel à faire aimer la patrie dont ils sont les enfants. C’est à ces magistrats politiques et religieux de publier le code de la nation dans les temples et d’associer ainsi le culte des lois à celui de l’Eternel. Qui oserait maintenant négliger ou dédaigner la loi? Ce i e sera pas toi, simple citoyen, qui n’as d’autre égide contre les tyrans et contre l’usurpation de t< s droits et de tes propriétés. Tu fus toujours un ardent ami des lois, au milieu des champs que tu fertilises, ou de l’industrie que tu crées. Pour vous, habitants des cités, gardez-vous bien du moindre signe de mépris pour la loi. Je ne vous dirai pas que vous appeliez l’anarchie et que dans i’amarehie aucune propriété n’est certaine; mais ne rougiriez-vous pas de demander des fers, d’aller au-devant de l’esclavage, d’exposer à l’opprcssion les générations futures et de préparer un nouvel asservissement de la patrie, au moment où elle fait des prodiges pour briser le joug qui l’avait si longtemps accablée? Non que je prétende établir au milieu de vous un cul le superstitieux pour la loi; je sais qu'il est un terme où l’opinion publique a le droit de dominer la législation et d’en provoquer la réforme. La raison publique s’éclaire tous les jours et perfectionne ses résultats; l’esprit public fait des progrès, l’expérience y ajoute ses lumières, et le modeste législateur entrevoit une époque où l’œil perçant de la prospérité découvrira, dans son code, des imperfections à corriger et tes erreurs à détruire. Mais la loi doit-elle perdre aujourd’hui quelque chose de son empire, parce que l’art du législateur fera des progrès? Ce serait un funeste présent que le progrès des lumières, s’il atténuait d’avance la force des lois, sous prétexte qu’il doit les perfectionner un jour. Le sage et le publiciste, quoiqu’ils espèrent une législation plus parfaite, n’en rendent pas moin - l’hommage de l’obéissance à celle de leur siè' le ; et c’en est un nouveau de leur part, que de consacrer leurs veilles à la perfectionner. Qu’on laisse donc à la liberté de la presse ! toute sa 1 titude; que les écrivains politiques et 1 philosophes ne cessent de réclamer et de chérir ce beau droit de la pensée; les lumières et la liberté ont pris chez quelques nations un tel ascendant que leur cours ne peut plus s’arrêter, qu’il n’ait rétabli un nouvel ordre civil et moral dans toutes les sociétés humaiues. qu’il n’ait détruit lout( s les superstitions politiques et religieuses; voilà le moment propre à rendre l’esprit humain à l’empire de la raison et les hommes au respect des lois, devenues enfin l’expression de la volonté générale. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 28 FÉVRIER 1791. 1 Nota. M. de Gouy d’Arsy ayant fait imprimer et distribuer une opinion sur la loi projetée: contre les émigrants, nous l’insérons ci-dessous, comme faisant partie des documents parleinen-: t aires de l’Assemblée nationale. Opinion de M. Louis -Marthe de Gouy d'Arsy, député de Saint-Domingue à l'Assemblée nationale , sur la loi projetée contre les émigrants . Messieurs, j’aurais désiré qu’on n’eùt point proposé à l’Assemblée nationale de faire une loi contre les émigrants. Cette question une fois élevée, j’ai été d’avis de ne point l’éluder, de la traiter avec solennité, de la discuter avec attention, et de la résoudre par un décret constitutionnel. J’ai opiné pour la lecture de tous les projets. Il était de notre devoir de tout entendre parce que nous avons reçu mission de tout juger. J’ai opiné pour un examen approfondi; nous le devions à la France et à nous-mêmes. Mais, aujourd’hui, quand tous les représentants de la nation se sont occupés de cette question, quand plusieurs préopinants éclairés se sont déclarés pour l’affirmative, et que plusieurs autres non moins instruits, se sont déclarés contre ; quand j’ai tout écouté, et que je n’ai point entendu mettre en avant un argument qui me paraît sans réplique, je dois, Messieurs, en proposer loyalement la solution à tous les membres de cette Assemblée, parce que je ne cherche comme eux que la vérité, que le bonheur de notre commune patrie. Je n’entrerai point dans l’examen des principes. Ils ont été profondément discutés. Tout homme de bonne foi doit convenir à présent qu’en philosophie la loi serait juste, qu’eu politique elle serait arbitraire, qu’en théorie elle serait désirable, qu’en pratique elle serait le tombeau de la Constitution. Mais, pour fixer vos incertitudes, pour lever vos doutes, pour conquérir vos suffrages, il importe de vous démontrer encore que, quand même on parviendrait à rendre-la loi sur les émigrants constitutionnelle et praticable, il ne faudrait pas la décréter, puisqu’il en résulterait infailliblement la ruine certaine du royaume. Cette proposition peut être rigoureusement démontrée en très peu de mots. Pourquoi vous a-t-on demandé, Messieurs, une loi contre les émigrants? Ceux qui l’ont provoquée ne pouvaient avoir que deux motifs. Le premier était, eu rappelant les mauvais citoyens émigrés, ou retenant les malintentionnés émigrants, d’empêcher les fâcheux effets que