466 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] a’excède pas sept à huit mille âmes, n’a de commerce que celui qui résulte de ses propres consommations, un peu augmentées par un assez grand nombre d’ecclésiastiques qui l’habitent toute l’année ; et dans Etayer, par une grande quantité de noblesse. Une ville de commerce a nécessairement besoin du mouvement des caisses publiques, pour le placement de son papier, et la régénération du numéraire que ses achats consomment sans cesse : les caisses publiques ont besoin, à leur tour, du commerce pour la facilité de leurs reluises. Ces besoins, ces secours mutuels et indispensables ne trouveraient aucun aliment à Saintes; sans commerce et sans papier, il faudrait voiturer les espèces, ou subir la loi d’un agiotage qui s’établirait bientôt, et le commerce de La Rochelle, réduit aux plus onéreux expédients, serait frappé d’une langueur, dont les tristes effets atteindraient promptement l’agriculture. On veut que les chefs-lieux de département en soient, autant qu’il est possible, le point central. Il faut encore comparer, à cet égard, la ville de Saintes et celle de La Rochelle* S’il n’était question que de mettre les deux villes en oppositions de distance, elle n’auraient aucun avantage l’une sur l’autre; mais en assujettissant La Rochelle à Saintes, il y aurait cette différence très marquée au préjudice de La Rochelle, c’est qu’ayant par la population et par son commerce, beaucoup plus d’affaires que n’en aurait la ville de Saintes, les habitants de La Rochelle seraient bien plus fréquemment appelés à Saintes, que ne le seraient les habitants de Saintes à La Rochelle. Il y a des points au delà de Saintes, qui se trouveraient plus éloignés de La Rochelle; mais cette augmentation est tout au plus de dix lieues ou d’une journée, tandis que plusieurs points de la Saintonge sont plus rapprochés de La Rochelle que de Saintes; et qu’il est également à 8 et 10 lieues de la Rochelle, des points importants dans UAunis tels que l’île de Ré dont la population excède 20,000 âmes; Marans qui en compte 12,000; Mauzé, 3,000, qui se trouveraient à l’égard de Saintes, dans la même position que seraient les points au delà de Saintes, à l’égard de La Rochelle. Ainsi point de motif en faveur de la première de ces villes, qui ne parle plus fortement en faveur de La Rochelle ; et l’on verra même bientôt que cette dernière ville est bien plus réellement le point central du département que ne peut l’être Saintes. La Rochelle, environnée de ses superbes rades, compte trois îles qui lui servent en quelque sorte de ceinture: l’île de Ré et l’île d’Aix en Au-nis, l’île d’Oléron en Saintonge. Ces îles mettent géométriquement La Rochelle au centre du département. Des bateaux de passage en rendent la communication journalière et presque sans frais; et dans un vent favorable, il ne faut pas à l’île d’Oléron une heure de plus pour gagner le port de La Rochelle que ses ports ordinaires de déchargement sur la côte de Saintonge. Tous les établissements de cette côte jouiront de l’avantage d’aborder par mer à La Rochelle (il y a des bateaux de passage qui font régulièrement cette navigation) ; on le répète, il n’y a nulle comparaison entre les frais d’un trajet par eau, et ceux d’un trajet par terre; ainsi l’on voit que la situation de La Rochelle sur le bord de l’Océan, loin* d’en faire un point d’extrémité, la rend un point central; que cette situation ouvre des moyens de communication et d’économie infiniment précieux, qui ne peuvent se rencontrer à Saintes-Au surplus, la ville centrale d’un département quelconque n’est point celle qui divise les distances dans la proportion la plus géométrique, mais celle vers laquelle tendent, par une pente d’habitude ou de circonstance, les principales relations d’ordre public et d’intérêt particulier. On a vu que les relations d’ordre public étaient formées depuis longtemps à La Rochelle ; les relations d’intérêt particulier le sont également par le commerce. Les consommations seules de la ville de La Rochelle offrent un débouché considérable aux productions de la Saintonge. Les négociants de la Rochelle font acheter une partie des vins, des eaux-de-vie et des sels de la Saintonge; ils achètent presque en totalité les eaux-de-vie de l’île d’Oléron, et les font exporter par le port de La Rochelle. Ces relations d’intérêts appellent les habitants de la Saintonge à La Rochelle; et ils ne pourraient l’être à Saintes que par une loi de devoir. Si l’on veut enfin joindre à toutes ces considérations, celles du caractère des Rochelois, dont les traits sont si bien conservés par l’histoire, pn verra qu’ils ont repoussé, autant qu’ils l’ont pu, l’oppression et l’injustice. Ce souvenir peut avoir encore des droits aux bontés de l’Assemblée nationale; La Rochelle a été le dernier boulevard qui ait résisté à l’intolérance d’un siècle peu philosophique, et au despotisme d’un ministre sultan. Il fallut tout le poids de la France et tout le génie de Richelieu, pour abattre ce que l’on nommait alors la dernière tête de la rébellion, et ce que l’on nommerait aujourd’hui la dernière tête de la liberté publique. Cet esprit, ce courage, ce feu patriotique régnent dans le peuple roche-lois. Des citoyens y sont aussi communs que des esclaves l’étaient ailleurs. Je n’en veux citer qu’un exemple célèbre, l’éloquent et intrépide Dupaty : c’est à la Rochelle qu’il a reçu le jour, l’éducation et cette mâle vertu avec laquelle il a le premier ébranlé le colosse effrayant de la tyrannie judiciaire. Signé : NAIRAC, député extraordinaire du commerce de La Rochelle. 3° ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 6 février 1790. Observations de la Société royale d’agriculture, sur l'uniformité des poids et mesures, par MM. TII-let et Abeille. M. le marquis de Bonnay, président du comité d’agriculture et de commerce de l’Assemblée nationale, a fait l’honneur à la Société royale d’agriculture de lui demander des observations sur un mémoire de M. de Villeneuve, tendant à établir l'unité et la conformité des mesures dans tout le royaume. En conséquence, nous avons été chargés, M. Tiflet et moi, d’exécuter ce travail. Nous nous en sommes occupés avec tout le zèle qu’inspire une matière si intéressante. Le mémoire de M. de Villeneuve a deux objets: l’un relatif à l’ordre public; l’autre à la situation actuelle de quantité d’ouvriers qui manquent d’occupation. Quoiqu’il n’entre dans aucun détail sur nos poids et nos mesures en eux-mêmes, nous [6 février 1790.] 467 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. sommes absolument de son avis sur l’importance et l’utilité de les rendre uniformes. Cette espèce d’identité sera la sauvegarde de tous, dans les achats ou les échanges, et le premier tribunal de justice et de paix entre les citoyens. Il propose, pour remplir son second objet, de faire très promptement cette grande opération. Son vœu serait que l’immense quantité de nouvelles mesures qu’il faudrait fabriquer, fournît du travail, pendwt cet hiver, à vingt classes d’artisans qu’il désigne, et qui restent malgré eux dans le désœuvrement. Nous ne pouvons qu’applaudir à ce sentiment d’humanité ; mais nous ne pouvons nous dissimuler l’impossibilité d’exécuter, dans le cours de deux ou trois mois, et dans toute l’étendue du royaume, une entreprise si considérable. Nous allons donc nous renfermer dans la discussion de ce qui nous paraît avoir servi de type à ceux de nos poids et de nos mesures, que nous croyons devoir être la base d’une réformation générale; et nous tâcherons de concilier le degré d’exactitude que demande une opération dont le besoin est si étendu et si urgent, avec des moyens de célérité dans l’exécution, qui tiennent le milieu entre la précipitation et la lenteur. NOTIONS PRÉLIMINAIRES sur nos poids et mesures. Depuis Childéric III, dernier roi de la lre race, jusqu’à présent, on n’a point varié en France sur le principe que l’utilité publique et particulière demandent, qu’en facilitant les achats et les ventes, on en assure la fidélité par l’usage général des mêmes poids et des mêmes mesures (1). (I) Capitulaires de Childéric III, 'de l’an 744 : Per omîtes civitates légitimas forus et mensura fiat. Capitulaires de Charlemagne, de 789 : Æquales men-suras et rectas, pondéra justa et œqualia omnes ha-beant. Ce grand prince renouvela cette loi en 803 et 860. Il l’énonça de nouveau dans ces termes, en 813 : Pondéra vel mensurœ ubique œqualia sint et justa. On retrouve la même disposition dans ses capitulaires de 814. L’article XX de l’Edit de Piste : Ut cornes et reipubli-cœ Ministri. . . . provideant quatenus justus modius œquusque sextarius . . . . in civitatibus et in vicis et in villis. . . . mensUram. ... de palatio nostro accipiant. Philippe le Long, en 1321, résolut d’établir dans toute la France les mêmes poids et les mêmes mesures. Ce projet fut repris en 1322 par Charles le Bel. Il n’a point eu d’exécution. Voy. l’Abr. chron. de l'histoire de Méze-rai, édit. in-4° de 1735. tom. II, pages 396 et 400. François 1er ordonna, par un édit du mois d’avril 1540, Îue toutes les aunes seraient égales par le royaume de 'rance. Et Henri II, par Lettres de Commission du 29 mai 1557, ordonna la réduction des poids et mesures {en ajoutant ou diminuant) à un seul poids et mesure, qui seront appelées partout le royaume le poids et mesure de Roi. Ces lettres furent suivies au mois d’octobre suivant, d’une ordonnance générale pour tous les poids et mesures de Paris, pour, à V exemple de la réduction faite en ladite ville, être observée semblable réduction en toutes les autres villes et provinces du royaume. Voy. tom. I, de Fontanon, pages 974 et suiv. Voy. enfin la déclaration du Roi du 16 mai 1766, concernant les poids et mesures, laquelle, dans la vue de pourvoir du moins en partie à la sûreté et àla facilité des opérations de commerce et diminuer les inconvénients que la diversitédesmesures occasionne, ordonne qu’il sera envoyé dans les principales villes du commerce du royaume, des étalons de matVices de la livre, poids de marc, de la toise de six pieds de roi, et de l’aune de Paris avec leurs divisions. Cependant un nombre considérable de corps municipaux et de marchands de toutes les classes tient encore aujourd’hui, et très fortement, au principe, ou plutôt à l’opinion contraire. Les raisons qu’allèguent les partisans de la diversité des poids et mesures sont connues. Les plus spécieuses ont été clairement présentées et solidement réfutées par La Condamine (1). Mais l’autorité des lois et les discussions victoriéusesde ceux qui ont examiné la question avec impartialité, n’ont détruit ni le préjugé presque général, ni le christianisme des marchands ; car c’est surtout l’intérêt personnel des marchands revendeurs qui perpétue ces fausses etdangereuses idées. On ne doit pas s’en étonner. Le désordre et la confusion serviront toujours plus efficacement l’avidité qui abuse de tout, que l’ordre et la règle ne secourront la bonne foi qui n’abùse de rien. Ici la justice et la raison ont presque toujours contre elles la crédule confiance de celui même qu’elles cherchent à garantir des pièges qu’on lui tend. Mais plus une opération juste et utile à la nation entière présente d’obstacles à la surmonter, plus il est digne de ses représentants d’en établir invariablement les bases et d’amener en même temps, par de sages préliminaires, le sacrifice volontaire et général des préjugés et des habitudes à l’intérêt public. Les difficultés à vaincre, pour remplir un si vaste projet, sontdedeux espèces: la détermination des poids et des mesures qu’il serait le plus utile d’adopter, et le choix des moyens propres à rendre familier l’usage de ces poids et de ces mesures. Il paraît que c’est sous ce double rapport que la proposition dont il s’agit doit être examinée, 11 n’y a rien ou presque rien qui ne puisse être acheté ou vendu, soit au poids, sqit à la mesure. Dans les choses même qu’on achète ordinairement à la quantité, il y en a peu dont le marché ne pût se conclure aussi aisément et plus équitablement au poids. Rien n’est plus commun que de voir les contractants se passer de ces secours et s’en rapporter à eux-mêmes dans les appréciations qui se font à la main ou au coup d'œil, parce que ce moyen est plus expéditif. Toutes ces méthodes sont licites et doivent être abandonnées à la liberté sociale. Mais lorsque la liberté préfère des mesures ou des poids, il faut que les dimensions en soient déterminées par les législateurs. C’est la seule barrière contre la mauvaise foi dans tous les genres de commerce. Nous avons des poids, des mesures de contenance, et des mesures en longueur : lq livre , le boisseau, la pinte, et enfin l'aune et la toise, qui, l’une et l’autre, ont pour élément le pied de Moi. Tous les autres poids, toutes les autres mesures en dérivent, et n’en sont que des sous-divisions ou des multiples. L’objet essentiel est de se fixer à des poids et des mesures quelconques qui soient les étalons matrices de ceux dont on se servira dans toute la France. Si chaque étalon matrice nous était fourni par la nature, qu’uniforme partout, il fût répandu partout comme les choses àipeser et à mesurer, la dissémination, son immutabilité opposeraient des barrières éternelles à nos systèmes, a nos caprices, à nos erreurs. Mais il n’existe aucun étalon qui réunisse ces caractères, ou s’il existe, il nous est inconnu.Nous sommes donc forcés de nous en tenir (1) Mémoires de l’Académie des sciences, année 474Î pag. 491. 468 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] à des étalons qui paraissent de pure convention, surtout pour la mesure d’objets dont le besoin se renouvelle chaque jour, à chaque instant; objets qui n’exigent pas à beaucoup près, nous ne dirons pas une rigueur absolue, mais ce degré d’approximation qui suffît aux besoins multipliés et sans cesse renaissants des sociétés humaines. La longueur du pendule à secondes, avant qu’on sût que la pesanteur n’était pas égale sur tous les points de la surface de la terre, ou plutôt parce qu’on ne s’en doutait même pas, a été indiquée par plusieurs savants comme l’étalon invariable d’une mesure universelle. Une spéculation si grande, si belle, ne pouvait être abandonnée; l’intérêt des nations était trop visiblement lié à l’exécution d’un projet si séduisant. Devant l’objet d’un désir avoué par la raison, il devint en même temps un objet d’espérance ; et le génie, dont le caractère propre est de s’élancer au loin, et souvent même au delà des limites de nos forces, ne dut pas balancer à se promettre un succès prochain et complet. Quelque naturel qu’il soit de s’abandonner avec complaisance à des idées si attrayantes, peut-être serait-il prudent de ne pas détourner nos regards des suites qu’ont eues d’autres spéculations qui, commecelles-ci, intéressaient éminemment les nations policées. Nous pouvons citer, pour exemple, les projets publiés pour l’adoption d’une langue universelle (1), et celui d’une paix perpétuelle en Europe (2). Nous pourrions aussi citer en preuve de la difficulté de faire adopter universellement ce qui paraît le plus à l’abri de toute répugnance la répulsion du calendrier grégorien, si incontestablement préférable au calendrier julien (3). Mais arrêtons-nous à l’idée excellente en elle-même, de n’admettre pour base de toutes nos mesures qu’un type fourni par la nature, et donner un coup d’œil sur ce qu’en ont pensé ses plus zélés partisans. Ils ont été arrêtés par deux obstacles qui leur ont paru difficiles à surmonter : l’un fondé sur la difficulté de s’assurer avec une exactitude rigoureuse des différentes longueurs du pendule, sur différents points de la surface du globe ; l’autre d’accorder les nations sur celles de ces longueurs qu’elles consentiraient à prendre pour base commune, invariable, et par conséquent universelle de toutes les mesures. Ils ont pensé, sur le premier de ces obstacles, qu’apres avoir été détrompés par l’observation et (1) Voy. l’ouvrage de Jean Wilkins, évêque de Ches-ter, de la société royale de Londres, intitulé : An essay Towards a real character , and a Philosophical Lan-guage, in-folio. Londres, 1668, dédié au Lord Broncker, président de la société royale. Le but de l’auteur était de rapprocher les intérêts de tous les hommes par l’adoption d’une langue universelle. 11 mourut en 1672. Nous avons son ouvrage sous les yeux. (2) Voy. les Economies royales de Sully, in-folio, tom. III, pag. 3 de l’édition aux V . verds couronnés d’Ama-ranthe, où le projet de Henri IV, pour l’établissement d’une paix perpétuelle entre les princes de l’Europe, est indiqué. — Voy. aussi le second discours du projet pour perpétuer la paix en Europe, par l’abbé de Saint-Pierre. — Voy. enfin le même projet adopté et exposé par J. J. Rousseau, sous le titre d’ Extrait du projet de paix perpétuelle, par M. l’abbé de Saint-Pierre. (3) Le calendrier réformé par Grégoire XIII, en 1582, fut adopté en France à la fin de la même année. Il n’a été introduit dans les Etats protestants d’Allemagne qu’en 1700. 11 ne l’est pas encore dans les Etats protestants du Nord. Il n’est même pas généralement suivi en Angleterre. l’expérience sur l’opinion que la terre était sphérique, les mêmes moyens pourraient nous démontrer que l’égalité de la pesanteur sur tous les points du globe et l’exacte conformité entre les parallèles qui se correspondent dans les deux hémisphères, ne sont que des conjectures ; que des conjectures ne pouvant servir de base à des résultats rigoureux, il nous reste beaucoup à faire avant que d’avoir des points d’appui solides et débarrassés de toute hypothèse. Us ont pensé, sur le second obstacle, que sans attendre le concert peu vraisemblable des nations sur ce point, chaque pays pourrait du moins, en se fixant à la longueur du pendule sous l’équateur, ou sous un parallèle quelconque, s’assurer des mesures uniformes et invariables, et se munir par là d’un moyen qui faciliterait extrêmement la comparaison exacte et précise de ces mesures avec celles de tout autre pays (1). Sous ce dernier point de vue, La Condamine a rassemblé, dans un mémoire présenté à l’Académie en 1747, toutes les raisons capables de porter la France à réformer ses mesures sur la longueur du pendule à l’équateur. Quelque pénétré qu’il fût, et avec raison, des avantages que procurerait un type commun pour les mesures de tous les peuples, il n’a pu cacher à quel point il était contrarié par la persuasion que, quand même le pendule de l’équateur serait établi en France, il se passerait probablement bien des années, avant qu’il devînt la mesure commune de toute l’Europe. Et pour hâter cette révolution, du moins parmi nous, il a imaginé et proposé quantité de moyens préparatoires pour éviter l’inconvénient d'abroger d'abord , par une loi précise et absolue, toutes les anciennes mesures, avant f u'on se fût familiarisé avec les nouvelles. Malgré les inquiétudes de La Condamine sur l’invraisemblance d’amener les nations à l’adoption d’une mesure universelle, voyons si le chemin qu’on a déjà fait sur cette route ne nous laisse pas quelque espérance d’atteindre ce but, du moins pour notre propre utilité. Les académiciens envoyés, en 1735, par le feu roi à l’équateur pour déterminer la figure de la terre, nous ont donné la longueur du pendule à secondes sur ce cercle, l’unique qui soit commun à tous les peuples de la terre. Dans l’année même de leur départ, Mairan mesura la longueur du pendule à Paris (2). Il n’entrait pas dans le plan des Académiciens envoyés au Pérou, en 1735, d’indiquer la longueur du pendule par une partie aliquote du degré terrestre qu’ils avaient mesuré, lis ont rap-orté cette longueur à celle de la toise de France. ar là, ils nous ont donné une idée claire, en énonçant que sur le grand cercle qui est le milieu du globe, qui est le terme extrême d’où l’on commence à compter les latitudes, et le terme de la moindre pesanteur, lependulea troispiedssix lignes quatre-vingt -trois centièmes de ligne de notre pied de roi. Si nous n’avions pas entre les mains notre toise, nous n’aurions aucune idée de cette détermination. Toute longueur qu’on veut faire (1) Voy. dans l’Encyclopédie les articles figure de la terre et pendule; ils sont tous deux de d’Alembert. — Voyez aussi sur les inégalités de la surface de la terre, et sur l’incertitude de la similitude des méridiens, l’histoire naturelle de Buffon, tom. I,p. 165. — Voy. enfin les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1747, p. 489 et suiv.et surtout la page 506 de la même année. (2) Mémoires de l’Académie, année 1735, pag. 153 et smir. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] 469 connaître a besoin d’une pièce de comparaison. La longueur du pendule est prise dans la nature ; la longueur de la toise ou du pied de roi ne l’est pas : il serait fort à désirer que l’un et l’autre longueur eussent des rapports absolus et faciles à saisir. Mais malheureusement, la différence entre ces mesures est à la fois et trop grande et trop petite pour ne pas jeter dans l’inconvénient majeur des fractions ; et ces fractions en plus et en moins seraient telles, que l’ouvrier le plus adroit parviendrait difficilement (supposé même qu’il pût y parvenir) à cette précision rigoureuse à laquelle on attache l’espérance de l’adoption d’un étalon universel. Le pendule, sous l’équateur, a 3 pieds 6 lignes de ligne de notre pied de roi. Trois de nos pieds, ou notre demi-toise, excédent donc la longueur du pendule de 6 lignes fjjg, c’est-à-dire d’un peu moins de 7 lignes. Le tiers du pendule excède notre pied de roi d'un peu plus de 2 lignes et demie. Voilà donc, d’abord, des fractions dans la longueur totale du pendule, mesurée avec notre pied de roi; ensuite des un peu plus, des un peu moins. Lorsque nous mesurons avec le même pied la moitié ou le tiers de cette longueur totale, la discordance est peu frappante, mais le calcul le rend incontestable. H faudrait donc ou renoncer à prendre pour base la longueur du pendule, longueur qui n’est connue que d’un petit nombre de savants, dont personne ne s’est servi pour des besoins domestiques, que personne n’a vue tracée nulle part ; ou renoncer au pied de roi, mesure connue dans toute l’Europe, d’un usage fréquent, familier, perpétuel dans toute la France, mesure d’après laquelle la longueur même du pendule a été exprimée par nos académiciens. Sans la connaissance du pied de roi nous n’aurions pas la plus légère idée de cette longueur. Mais avant que de sacrifier notre pied de roi à l’espérance, ou plutôt au désir de partir d’une base inaltérable et rigoureuse, il nous paraît indispensable d’examiner si cette base a été déterminée en rigueur; car si elle n’était pas d’une rigueur absolue, il est évident que le but serait manqué et que nous n’aurions qu’à perdre à substituer cet étalon à notre pied de roi. Ecoutons La Condamine sur ce point de fait : « Nous nous accordons, M. Godin, M. Bouguer et moi, presque dans le centième de ligne sur la longueur du pendule à Quito. Les expériences les moins conformes ne donnent guère plus d’un dixième de ligne de différence. » 83 La longueur, 3 pieds 6 lignes, � n’est donc que le résultat moyen d’expériences qui ne s’accordaient pas rigoureusment entre elles. Ce que nous venons de dire sur le pendule équinoxial, nous le disons sur celui qu’a mesuré Mairan, et nous croyons pouvoir le dire de toute opération semblable. Mairan a trouvé qu’à Paris, la longueur du pendule était de 3 pieds 8 lignes 70 2g de notre pied de roi. Le pied de roi répon-4320 drait donc à-—- parties de ce pendule, fraction 326 qu’on peut réduire à -Q0Q-en négligeant seulement ' ■ . En sorte que notre pied de roi serait au 10,000 pendule de Paris à très peu près comme 216 est a 661, ou comme 16 est à 49. Mais n’oublions pas ce que dit Mairan lui-même sur son observation. « Tout ce que je puis recueillir de plus approchant du vrai dans la mesure du pendule à secondes à Paris, dans le vieux Louvre, au second étage, c’est qu’il doit avoir 3 pieds 8 lignes .» Nous rendons le plus sincère hommage au mérite et au travail de ces quatre académiciens. Nous sommes convaincus qu’ils ont porté l’attention et l'exactitude aussi loin que le permet l’imperfection inévitable et avouée de nos instruments et de nos organes (2). Notre unique but dans cette espèce de discussion est de nous défendre nous-mêmes de l’ascendant d’une spéculation trop belle et trop grande peut-être pour ne pas nous faire illusion sur l’extrême difficulté de la réaliser. Nous n’avons personnellement que trop de propension à désirer qu’un étalon, pris dans la nature, pût servir de base à toutes les mesures; à espérer que l’usage des mesures nouvelles pourrait promptement devenir facile et assez général pour ne pas arrêter l’importante célérité de la marche des achats journaliers ; à désirer enfin, surtout en faveur des classes inférieures, qu’elles pussent se familiariser rapidement avec ces instruments de sûreté, infiniment plus intéressants pour elles que pour les classes riches et aisées de la société. Celles-ci savent réfléchir, calculer et se défendre. Les autres n’en ont ni le temps, ni les moyens. Mais nous sommes convaincus qu’à l’égard de la sûreté des parties contractantes, la seule uniformité des mesures l’établirait complètement, qu’elle n’augmenterait pas le plus légèrement par leur conformité avec un étalon primitif d’une justesse rigoureuse et démontrée ; que d’ailleurs, l’hommejne parviendra jamais à ce degré de justesse, faute d’instruments et d’organes d’une perfection absolue. On n’a jamais regardé comme rigoureuse une observation faite par un seul observateur. Lorsqu’elle est faite par plusieurs qui observent en même temps, il y a toujours des différences entre les résultats. On prend un milieu entre les uns et les autres; mais ce milieu est-il un résultat sûr ? Il peut souvent augmenter l’erreur ou les erreurs, en y ajoutant au lieu de les compenser. De quelque manière qu’on s’y prenne, on n’obtiendra jamais de résultat absolument rigoureux, et par conséquent les résultats toujours contentieux exciteront perpétuellement à recommencer les mêmes opérations. Enfin quand il serait possible d’atteindre ce degré de justesse absolue pour le prototype des étalons, il serait évidemment impossible d’y conformer, nous ne dirons pas les milliers, mais les millions de copies qu’exigent des besoins urgents et qui se renouvellent à chaque instant. (1) Voy. les Mémoires de l’Académie, année 1735, pag. 203. — Voy. aussi les mômes Mémoires, année 1772, page 497, où La Condamine dit: que par la comparaison immédiate qui en a été faite, la toise de M. Mairan s’est trouvée plus courte que celle de l’équateur d’un dixième de ligne. (2) Voyez surtout les preuves multipliées de l’impossibilité d’éviter ces deux obstacles dans la figure de la terre de Maupertuis, 1738 ; dans la Méridienne de l’Observatoire de Paris, par Cassini de Thury, 1744 ; dans la figure delà terre , par Bouguer, 1749; dans la mesure des trois premiers degrés du méridien par La Condamine, 1751; dans les ouvrages de tous les savants qui, ayant travaillé à se procurer des mesures rigoureuses, ont eu la candeur d’avouer l’inutilité de leurs efforts. 470 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] Les classes nombreuses de citoyens occupés sans relâche du soin de pourvoir aux besoins de toutes les autres classes : les arpenteurs, les maçons, les charpentiers, les menuisiers, les marchands d’étoffes, de toiles, de merceries ; les marchands de denrées de toute espèce, les innombrables vendeurs ou débitants à la livre, à la pinte et dans leurs subdivisions, tous ont des mesures , et presque tous ont intérêt à se les procurer à bas prix. L’incroyable multitude de ces instruments ; l’extrême rapidité si nécessaire dans les achats et les ventes ; le défaut d’attention ou de précipitation de la plupart des ouvriers qui fabriquent ces instruments; le besoin qu’ils ont eux-mêmes de suffire par la promptitude de leur travail aux frais de leur subsistance, tout manifeste, à quiconque observe les faits de pratique,l’impossibilité de concilier avec les nécessités sociales les plus indispensables, le vœu de n’avoir que des mesures usuelles d’une justesse rigoureuse. C’est beaucoup que de pouvoir compter sur une justesse d’approximation. Vivement frappés de ces considérations parce qu ’elles sont liées à l’état et à la nature de l’homme et des choses, nous ne le sommes pas moins : lü de l’importance de fixer invariablement nos étalons matrices, et de les porter au degré d’exactitude dont nous sommes capables; 2° de se munir d’un moyen de rectifier bu de rétablir ces étalons matrices's’ils venaient à s’altérer ou à se perdre. C’est pour remplir ces deux objets que les longueurs du pendule mesuré à Quito, à Tornéa et à Paris, seraient des bases d’une justesse plus que suffisante. Les toises, employées à mesurer la longueur du pendule sur trois points du globe si éloignés les uns des autres, sont au dépôt de l’Académie des sciences, et elles y sont conservées avec le plus grand soin. Elles serviraient à tracer sur un corps d’une dureté éprouvée contre l’action de l’air, comme le porphyre, les longueurs du pendule, et à déterminer le rapport entre ces longueurs et les dimensions des mesures qu’il s’agit de donner à la nation. Outre ce témoin durable de la proportion de nos mesures de convention (supposé qu’elles ne soient en effet que des mesures de convention) avec le type fourni par la nature, nous croyons que l’énonciation de leur rapport devrait être marquée sur chacun des étalons matrices, et en faire tine partie intégrante. Ce résultat demanderait des mains savantes et exercées : on est sûr de les trouver dans l’Académie des sciences. Des copies, sévèrement comparées aux étalons matrices par les mêmes académiciens, seraient envoyées dans les principales villes du royaume pour servir à ajuster et à vérifier les mesures usuelles disséminées dans lès magasins et dans ateliers. Bientôt les moyens, employés pour l’exactitude de ce travail et de ses résultats, seraient connus et consignés dans toutes les académies et dans toutes les bibliothèques de l’Europe. Ces précautions nous paraissent très suffisantes pour répondre à tous les intérêts nationaux. Nous aurions des mesures uniformes. Leur rapport avec le pendule serait solidement établi. On n’aurait à craindre ni l’altération ni la perte d’étalons matrices dont le pendule resterait le type de restauration perpétuel et indestructible, Et les progrès successifs, peut-être rapides, de la substitution des mesures réformées à celles dont on fait usage aujourd’hui porteraient partout la bonne foi et le bon ordre, sans arrêter brusquement la marche essentielle et journalière de ventes, d’achats, d’approvisionnements qui s’étendent à tout, qui vivifient tout. Qu’il nous soit permis de répéter que nous avons eu besoin de quelque effort pour avouer que nous préférions au projet brillant d’asservir toutes nos mesures au pendule, le vœu moins imposant de régler l’uniformité, dont nous sentons l’utilité, d’après nos mesures actuelles vérifiées et rectifiées. Mais nous sentons en même temps que les idées d’achat et de vente, de poids, de mesures* renferment toujours la comparaison de la chose achetée ou vendue avec la mesure ou le poids qui servent à en régler le prix. Dans quel désordre ne jetterait-on pas des hommes continuellement agités par la nécessité d’acheter ou de vendre, à qui leurs moyens habituels de comparaison seraient subitement enlevés ? Pressés de tous côtés et à chaque instant par nos besoins; appelés par la nature à la vie active qui peut seule nous garantir du danger des privations, nous ne devons jamais perdre de vue que la facilité et la rapidité des seeours quotidiens en augmente l’utilité. Distinguons scrupuleusement nos mesures usuelles de nos mesures savantes. Et par rapport à ces dernières mêmes, songeons que le degré de perfectionnement, auquel l’homme s’est élevé, l’avertit à chaque pas que la perfection absolue, en quelque genre que ce soit, échappe constamment à ses efforts. Nous avons sous la main tout ce qui suffit à nos affaires commerciales et domestiques ; ne portons pas plus loin nos désirs et nos espérances. Les poids et mesures, qui portent [le nom île poids et mesures de Paris, sont connus et peut-être désirés dans tout le royaume (1). La justesse des uns est certaine : la rectification des autres est facile. Nous pensons donc qu’après avoir pourvu au moyen de les fixer et de les conserver, c’est sur ces mesures que doivent être étalonnées toutes celles dont l’usage sera permis. On nous demandera, sans doute, quel est le vrai poids de la livre ou du marc dans la capitale ? quelle est la vraie capacité du boisseau , de la pinte, la vraie longueur du pied, de la toise, de Vanne? C’est sur quoi nous allons nous expliquer. La livre , le marc. On conserve à la cour des monnaies de Paris un poids de 50 marcs, avec les subdivisions, qu’on nomme le poids de Charlemagne. Cette manière de le désigner est ancienne : elle est liée, sans doute, à la tradition que c’est à ce grand prince que nous devons les premiers étalons des mesures authentiques dont on se sert à Paris. Le marc, proprement dit, le poids de 8 onces qui fait partie de la pile, ou du poids de 50 marcs dont il s’agit, sert depuis très longtemps d’étalon matrice dans toutes les occasions où le gouvernement se propose de disséminer des étalons publics (1) « Nous avons l’honneur de vous proposer, Messieurs, de réclamer l’admission pour toute votre généralité, des poids et mesures de Paris, qui, probablement, deviendront successivement en usage dans tout le royaume. »Yoy. le procès-verbal de Y Assemblée provinciale de Rouen, de 1787, pag. 125 et 126. La généralité de Rouen est plus intéressée peut-être qu’aucune autre à la justesse de ses mesures, et à leur conformité avec celles des autres provinces. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ février 1790.] ou particuliers du marc -de France (1). Il paraît en effet s’être conservé sans altération, puisqu'il s’accorde avec la dernière précision au poids de monnaies d’or qui ont été frappées au commencement du xive siècle, qui sont parfaitement conservées, et dont on connaît le poids exact relativement au marc légal du temps de leur fabrication. L’étalon de la cour des monnaies, ou un étalon scrupuleusement semblable, est donc celui d’après lequel on ajustait la monnaie du prince avant le Xive siècle (2). Cependant il ne faudrait pas en conclure que la fabrication du poids de 50 marcs, dont on vient de parler, remonte au temps de Charlemagne. Si c’était l’étalon originaire, nous trouverions dans une de ses subdivisions la livre romaine proprement dite, qu’il ne faut pas confondre avec la livre dont on se sert aujourd’hui. Or la livre romaine, la livre de 12 onces en un seul poids, ne fait point partie des subdivisions de la pile totale de 50 marcs. Nous observerons de plus que cette pile, pesant 400 onces, répondrait à 33 livres romaines et un tiers. Il faudrait se faire violence pour supposer que Charlemagne eût donné à la France, pour étalon matrice, un poids avec ses divisions, dont la totalité n’eùt pas formé un nombre entier de livres romaines. Enfin nous ajouterons que nous trouvons dans cet étalon une subdivision de 8 onces, connue et fort en usage dans tous les détails de leur commerce. Nous sommes donc fondés à croire seulement que Charlemagne , qui réunissait les titres de roi de France et d’empereur, a introduit parmi nous, avec ses divisions, la livre romaine de 12 onces; que c’est sur le poids de 2/3 de cette livre, qu’a été adoptée pour la pesée de l’or et de l'argent (auri et argenti ) notre livre poids de marc ; et que c’est postérieurement à son règne et à cette adoption que la livre française s’est établie sur le pied de deux marcs, pesant ensemble 10 onces. Aussi une des pièces de la pile est-elle de deux marcs, et une autre d’un marc ; aucune n’est de 12 onces. Tout le inonde connaît le profond ouvrage de Budé, qui a pour titre : De asse et partibus ejus. Il observe qu’en France, la livre est de deux espèces : la livre étalonnée ou royale qui est de 16 onces, dont on se sert pour les marchandises qui se vendent avec des balances ; et la moitié de ce poids de 16 onces, dont les monnayeurs et les orfèvres se sont fait une livre qu’ils nomment marc. Les Romains, ajoute-t-il, divisaient la livre en 12 onces, et leur poids de 8 onces (Bes) serait la moitié de notre livre royale ajustée par le dépositaire de l’étalon public à Paris. Budé dit ailleurs, notre livre étalonnée, comme je l’ai souvent répété, est d’un quart plus forte que la livre romaine ; en sorte que dix-huit de nos livres, et 24 livres romaines, sont des points égaux (3). (1) C’est aussi sur cet étalon que sont ajustés les seuls poids de marc » dont les orfèvres de Paris doivent se servir. Yoy. les statuts des orfèvres de Paris, publiés par Pierre-le-Roi, ancien garde de l’orfèvrerie, homme d’ün mérite distingué. Edition in-4®, 1759, page 142. (2) Voy dans les mémoires de l’Académie des Sciences, année 1767, page 350, l’Essai sur le rapport des poids étrangers, avec le marc de France , par M. Tillet. M. Paucton, dans sa Métrologie, p. 645, dit, sans autre explication, que ce fut le roi Jean, qui régnait en 1350, qui fit faire le poids original conservé à la Monnaie. (31... Libram nostrates duplicem habent, zygostatica m Plusieurs auteurs se servent des mêmes ex-iressions en parlant du poids de la livre romaine j’once (uncia), en fait toujours la 12e partie (l). 1 est vrai qu’ils sont postérieurs à Budé, et qu’ils ont profité de son ouvrage. Mais ils y ont ajouté des éclaircissements très précieux, qui prouvent qn’ils avaient approfondi cette matière. On n’ignore pas qu’ÂUzoüta conclu du poids -de l’eau, dont il avait rempli le conge du duc de Parme, que la livre romaine pesait treiz onces quarante-trois grains de notre poids. Mais indépendamment des fortes '*trtJjectiqns qu’on a faites contre son observation, c’est ici le cas de se rappeler la sage réflexion de La Hire : « Il y a toujours beaucoup de difficulté à mesurer la capacité d’un vase par le moyen des liqueurs, surtout lorsque le vase a son ouverture fort large, comme celui-là » (le conge ) (2). Nous pouvons donc regarder comme un fait certain que la livre romaine était de douze de nos onces. A ces différentes preuves, joignons en uhe nouvelle, qui, quoique indirecte, concourt à fortifier les autres. C’est la livre médicinale, poids de douze onces, dont la médecine de Paris n’ont cessé de faire usage que depuis assez peü de temps, et dont il est vraisemblable qU’on se sert encore dans plusieurs anciennes villes du royaume (3). Les méprises sur le poids des médicaments peuvent avoir des suites si funestes, que la prudence et l’humanité devaient naturellement porter les médecins à conserver les poids auxquels les apothicaires étaient accoutumés de longue main; et cet article de prudence était d’autant plus important, que dans laplupart des ateliers de pharmacie, les élèves» les femmes, les enfants, les servantes même, pèsent les drogues et composent les remèdes prescrits aux malades. Aussi lorsque Henri II ordonna, en 1557, l’uniformité des poids et des mesures, la livre médicinale fut-elle nommément exceptée. « Etau regard du poids médicinal, qui est de douze onces seulement pour livre, demeurera (pour la diversité d’opinions d’aucuns médecins et libra est quæ regia dicitur qua uluntur negociatores omnesque omninô qui appensas merces venditant. Hæc senundenum unciarum est. Ejus semissans Monetarii et aurilices et vascularii libram sibi fecefunt, Marcam eam vocantes. Libram igitur Romani in XII uncias distri-buebant. et unciam in oclo drachmâs. Hujüs libræ bes-sem selibram nostram regiam é»se dico, cujuà modus à Zygostate publico statuitur Parisiis. (Budæüs de asse, lit). 2, folio 44, verso. Parisiis, Mich. Vascoâan, 1542.) ..... Gum libra nostra, ut sæpè dixi, zygostatica, qua merces appensiles negociatores admetiuntuf, qua-drante major sit libra romana, sit ut duo devigenti libræ nostræ quatuor et vigônti romanas libras æquent. (Ibid. lib. 5, f°. 151 v°.) Terna pondo nostra, quaterna romana valent, ut sæpè diximus. (Ibid. f°. 162 v°). (1) H æc libra et pondo, üt as, in 12 uncias dividitur et continet. (Math, hosto.de pondère, etc. lib. 2, Cap. 4.) Uncia itaque duodecima pars est assis.... Uncia duodecima libræ românæ pars. (Glàreani, lib. de asse.) (2) Voy. sur l’observation d’Auzout la dissertation de M. de La BarCe, dans les Mémoires de l’Académie des belles-lettres, tom. 8, p. 395, et lès Mémoires de l’Académie des sciences, année 1714, p. 396. (3) La plus ancienne édition qüé nous connaissions du Codex Medicainentorum, seu Pharmacopæa Pari-siensis (et nous croyons que c’est la première), est de 1638. La iivre médicinale y est fixée à douze onces. — L’édition de 1645, qui la suivit, est semblable à cet égard. C’est dans la réimpression faite en 1732, qu’èlle est portée pour la première fois à seize onces. 472 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] apothicaires, qui, de l’ordonnance desdits commissaires, se sont pour cet effet assemblés) en l’état qu’il est à présent, jusqn’à ce que par nous autrement en ait été ordonné. » Voilà très évidemment le poids dans l’usage duquel il ssraitleplus dangereux de se tromper en plus ou en moins, persévéramment respecté, et défendu contre toute innovation par le corps entier de la médecine. Il porte le nom de livre , et cette livre se divise en douze de nos onces (1). Comment se refuser à reconnaître dans ce poids la livre romaine perpétuée en France, quoiqoe-la livre française fût fixée depuis longtemps à seize onces ou à deux marcs ? A l’égard de notre marc, qui répond aux 2/3 de cette livre romaine et médicinale, lequel, suivant Budé, peut être regardé comme une livre particulière à la France, IJucange, sur la foi de quelques écrivains, en fait remonter l’usage à Philippe-Auguste (2). Nous avons aujourd’hui des preuves que le poids formant les 2/3 de ta livre de Charlemagne, en un mot que le marc s’établit parmi nous pour peser l’or et l’argent vers la fin du XIe siècle, sous le règne de Philippe 1er. Et quoiqu’il soit constant qu’il a existé en France quatre marcs principaux et différents entre eux (celui de Troyes, celui de Limoges, le marc de Tours et celui de La Rochelle) (3), 'il n’y a pas lieu de douter que le marc royal n’ait toujours été de huit onces, et tel que nous l’avons aujourd’hui. Nous croyons devoir dire de plus que jusqu’à ce qu’on ait recouvré des actes antérieurs à ceux du XIe siècle dont nous venons de parler, on peut conjecturer : 1° que la fabrication de la pile de cinquante marcs qui est à la monnaie, remonte à peu près à cette époque ; 2° qu’elle ne peut être antérieure que de très peu d’années, puisque cette pile renferme, dans ses subdivisions, un poids d’un marc, et qu’il paraît que ce poids, comme faisant la moitié de notre livre, n’était pas en usage avant Philippe 1er. Mais à quelque époque que nous ayons commencé à faire usage du marc, l’introduction de ce poids distinct, et le nom que nous lui avons donné et conservé, loin de prouver que la pile dont il s’agit a été fabriquée du temps de Charlemagne, prouve au contraire qu’elle n’a pu l’être que dans des temps postérieurs. Quoiqu’il en soit, l’ancienneté de cet étalon matrice est incontestable. 11 est parfaitement conservé; l’exacte justesse en a été vérifiée en 1765 (4). Nous sommes dans l’habitude de réduire à notre marc de huit onces les poids étrangers que nous cherchons à comparer entre eux ou avec les nôtres. Tout concourt donc à rendre cet étalon très précieux, et nous pensons qu’on ne peut rien (1). « Pondéra quibus hodiè medici utunlur hæc sunt, etc.... Libra itaque, quæ et poudo etiam dieitur, in duodecim uncias dividitur. Errant itaque indocti hujus statis de pharmacopolæ qui iibram sedecim unciarum, quoi sauè mercatoria et negociatoria est, in medica-mentis conficiendis accipiunt. » (Voy. Valerii cordi dispensatorium. cap. Ponderum ratio, pag. 369, Lugd. Bat. 1651. (2) Mareœ usum in penderatione auri et argenti ad tempora Philippi-Augusti referunt nonnulli scriptores, Vid.Cangium verbo Marca. (3) Yoy. la Métrologie, etc. de M. Paucton, pag. 639. Il cite des actes de 1093, 1117, 1148, qui désignent des valeurs payées en marcs d’argent. Prœcepit 300 marchas argentli. . . Q uadragenta marchas puri argenti... (4) Voy. 'Essai sur le rapport des poids étrangers avec le marc de France, par M. Tillet, Mém. de l’Académie des sciences, année 1767, p. 350. faire de plus sage que de le prendre pour le type de tous les poids au-dessus ou au-dessous du marc, dont l’uniformité sera ordonnée partout le royaume. Nous croyons ne pouvoir mieux terminer cet article qu’en mettant sous les yeux des lecteurs la notice de la somme totale, et des subdivisions de la pile que vérifia M. Tillet en 1765. Nous avertirons seulement que le poids total et celui du marc ou de huit onces, sont les seuls qu’on ait originairement ajustés avec scrupule. Les autres divisions s’écartent en plus ou en moins du poids qu’elles devraient avoir, et la différence est quelquefois assez considérable. Plus on a d’occasions de vérifier d'anciens poids ou d’anciennes mesures en longueur, plus on est étonné de l’inexactitude des ouvriers dans la proportion des subdivisions, soit entre elles, soit avec la mesure entière. POIDS ORIGINAL DE CHARLEMAGNE qui est déposé à la cour des monnaies de Paris. La boîte pèse ..... 20 marcs. 1er poids ......... 14 2e poids ......... 8 3e poids ......... 4' 4e poids ......... 2 5e poids ......... 1 6e poids ......... » 4 onces. 7e poids ......... » 2 8e poids ......... » 1 9e poids ......... « » 4 gros. 10* poids ......... » » 2 11e poids ......... » » 1 12e poids ......... » » 1 Total ....... 50 marcs * » Le boisseau. Personne ne doute qu’une mesure, destinée à la vente du blé et de la plupart des autres denrées, n’ait existé de tout temps dans les pays policés. Mais on voudrait savoir si les dimensions de cette mesure particulière ont toujours été les mêmes en France, et si le boisseau , tel qu’il est aujourd’hui, est notre ancien boisseau. C’est sur quoi nous manquons de témoignages suffisants pour satisfaire notre curiosité. Avant le règne de saint Louis, il y avait à Paris des étalons publics, sur lesquels on ajustait les mesures dont on se servait dans le commerce. C’est ce que nous apprennent les premiers statuts qui ont été rédigés pour les arts et métiers qui s’exerçaient-dans la capitale en 1258 (1). Ceux de mesureurs de blé et de toute autre manière de grains assujettissaient à ne se servir que de mesures seignées du seing du Roi (2). Celui dont la mesure (1) Ces statuts furent rédigés ou mis en ordre, pour la première fois, par Estienne Boyleaux, que saint Louis avait établi prévôt de Paris. On n’a jamais imprimé que des extraits fort courts de cette collection. Il en fut fait deux copies authentiques : l’une a péri dans l’incendie de la Chambre des comptes, en 1737 ; l’autre qui fut déposée au Châtelet, fait partie de la bibliothèque de M. Joly de Fleury, procureur général du Parlement. On en connaît deux copies très anciennes: l’une à la bibliothèque du Roi; l’autre à celle de la Sorbonne. Il y enades copies modernes dans quelques bibliothèques particulières. Eu écrivant cette note, on a une de ces copies modernes sous les yeux. (2) C’est-à-dire marquées, pourprouverqu’elles avaient été étalonnées à l’étalon royal. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] 473 était altérée par quelque cause que ce fût, était obligé de la rapporter pour être arse (brûlée) et cassée. Ces mêmes statuts parlent narrativement du muid, de la mine, du minot, du sextier. Qu’il nous soit permis de remarquer que ces noms, qui se sont conservés jusqu’à présent, sont tous des noms de mesures romaines (1). Longtemps avant le règne de saint Louis, le sel avait un étalon particulier. Cet étalon qu’on nommait mine, était de pierre (2). L’ordonnance de Henri II, du mois d’octobre 1557, que nous avons déjà citée, et que nous citerons dans plusieurs occasions, porte qu’on se servira « pour la mesure du bled , de la mesure dont on use à présent, selon l'estalon et marque étant à l'hostel de ville , soit de boisseau ou minot, dont les trois font le minot , et les quatre minots le septier , et les douze septiers le muid ; et à semblable mesure se mesureront, pour l'avenir , l’avoine, orge, seigle, farines, poids, febves, navette, chenevix, mil et tous autres légumes, aulx, oignons, pommes, noix, neffles, chastaignes, guelde, chaux, piastre, charbon, et généralement toutes autres denrées et marchandises accoutumées estre vendues à la mesure. » Ces détails ne nous indiquent rien sur les dimensions du boisseau. Le Père Mersenne dans son traité intitulé : Parisienses mensurœ, devrait nous être plus utile. Le boisseau de Paris, dit-il, est un cylindre de 9 pouces de diamètre sur 8 pouces '5 lignes de hauteur. Ce savant religieux est mort en 1648 ; ainsi il est évident que le pied dont il s’est servi, est celui de la toise de Henri II, dont nous parierons dans la suite, laquelle n’a été réformée ou changée qu’en 1668. Mais il est vraisemblable qu’il y a dans cette évaluation quelque erreur de copiste ou d’imprimeur. Car il n’est pas possible d’accorder ces dimensions, soit avec celles du boisseau actuel, soit avec celles Su’on aurait prises sur le boisseau du temps de enri IL Un édit du mois d’octobre 1669, portant règlement pour les mesures à blé et pour les étalonnages, ordonna pour Paris la fonte de nouveaux étalons à la place des anciens qui étaient composés de plusieurs pièces. Cet édit garde le silence sur les dimensions de ces étalons nouveaux, soit en hauteur, soit en diamètre. Mais le prévôt des marchands et les échevins rendirent le 29 décembre 1670, une sentence pour l’exécution de l’édit de 1669, et cette sentence énonce que le boisseau sera de huit pouces deux lignes et demie de haut, sur dix pouces de large et de diamètre (3). (1) Muid, modius: mine, mina : minot, diminutif de mine, et dont les quatre font le sextier, se traduit en latin par quadrans. Sextier ou setier, s extarius. Cette dernière mesure ne correspond, comme sixième partie, à aucune de celles dont nous nous servons pour les grains, et l’on peut observer la même disconvenance à l’égard de nos mesures pour les liquides. Si nous n’avons pa« de sextier pour la pinte, nous avons le demi-sextier, qui, à la vérité, n'est pas la moitié du 6' de la pinte, mais qui a pris évidemment son nom du sextarius des Romains, 6' partie de leur conge, congius. Budé qui l’avait remarqué, dit à l’occasion de nos mots sextier, demi-sextier : vulgus sextarios nulla ratione vocat. (2) Voy. une Charte de Philippe-Auguste, datée de 1187, dans la dissertation qui est à la tète de l’histoire de Paris de D. Félibien, page XCVI : « Si inter recepto-rem consuetudinis et mercatores orta fuerit discordia. . . , minam lapidæam quœ est in cappella sancti Leufredi referetur, et illi adœquabitur. « 1 (3) Cet édit et la sentence pour son exécution sont imprimés en entier dans la Métrologie de M. Paucton, pages 33 et suivantes. Tout le monde sentira les principales convenances qui demanderaient que le boisseau fût diminué de la fraction bizarre d’une demi-ligne qu’on a fait entrer dans sa juste hauteur totale ; ces convenances sont : 1° De le concilier en nombre rond, tant avec le pied romain que nous regardons comme son étalon primitif, qu’avec notre toise réformée en 1668; 2° De ne pas présenter à tout le royaume, comme une mesure générale déterminée avec réflexion, un boisseau qui ne s’accorde avec aucun système métrique, et dans la hauteur duquel on a cependant fait entrer des fractions dont la dernière est d’une demi-ligne. La destination du boisseau suffirait pour faire renoncer à ce degré de précision, dont personne ne connaît le motif, et qui vraisemblablement n’en a pas d’autre qu’un assujettissement servile à d’anciens étalons assez négligés, lors de leur formation, pour être composés de plusieurs pièces. Le boisseau est peut-être de toutes les mesures celle dont l’uniformité intéresse le plus immédiatement l’universalité des habitants du royaume. Cette uniformité serait non-seulement un obstacle à mille fraudes de détail que le peuple éprouve en achetant par petites parties des grains et d’autres comestibles, mais un guide sûr et prompt dans ces circonstances inquiétantes où les achats, d’une extrémité du royaume à l’autre, sont l’unique moyen de mesurer l’approvisionnement des substances sur le besoin. Cette mesure, comme nous venons de le dire, est un cylindre qui doit avoir 8 pouces 2 lignes et demie de hauteur sur 10 pouces de diamètre. Ces dimensions du demi-boisseau, du quart et du demi-quart de boisseau, du litron et du demi-litron, ont été sans doute déterminées sur le même principe. Nous n’examinerons point si les proportions de ces subdivisions sont en rapport exact avec les dimensions du boisseau, ni même si ces rapports peuvent être conservés dans la pratique. Mais nous ne pouvons nous empêcher de faire ici plusieurs remarques. L’emploi presque universel du boisseau est de mesurer les grains, les graines, les fèves, les lentilles, les fruits secs, tels que les châtaignes, les noix, et même le charbon, or, il n’v a aucun de ces objets, qui, sur une hauteur de’10 pouces 2 lignes et demie, rende sensible une demi-ligne , ou même une ligne de plus ou de moins. 11 n’y a que la farine, à l’égard de laquelle une demi-ligne pût être comptée pour quelque chose. Ce serait même porter le scrupule bien loin. Cette réflexion conduit à penser que le boisseau de Paris n’est point une mesure isolée et indépendante de toute autre. L’homme le plus insouciant ne se fût jamais permis d’en fixer la hauteur à 8 pouces 2 lignes et demie. Ces fractions annoncent donc deux choses : l’existence d’un étalon antérieur sur les proportions duquel celles du boisseau devaient être réglées ; et une attention médiocre dans l’étalonnage d’une mesure consacrée à tant d’objets de peu de valeur, et à l’égard desquels un défaut de précision, même sensible, pouvait être compté pour rien. Peut-être, et nous le présumons, le boisseau originaire a-t-il été construit d’après le pied romain, dont nous parlerons avec quelque détail dans l’article où nous examinerons la juste longueur de l’aune. Le pied romain répondait certainement à 11 pouces justes de notre pied de roi actuel. En 4?4 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] comparant les dimensions de notre boisseau à cette mesure : 5 Sa hauteur serait de 8 pouces 11 lignes — 11 10 Son diamètre de 10 pouces 10 lignes 11 romains. On voit que ces dimensions se rapprochent beaucoup d’un nombre déterminé de pouces du pied romain, puisque la hauteur de notre boisseau répond à 9 pouces de ce pied antique, à une derüi-ligne près, et que le diamètre répond à la longueur du pied romain moins environ une ligne. Ces différences paraîtraient bien peu considérables, si l'on songe que ce ne sont ni les mathématiciens ni les faiseurs d’instruments de mathématique d’aujourd'hui qui ont surveillé la formation au premier étalon matrice du boisseau, et les êtalohnages successifs et innombrables qui ont été faits depuis. L’étalon primitif est vraisemblablement perdu ; mais on conserve à l’hôtel de ville des étalons matrices, eu cuivre ou en bronze, du boisseau et de toutes ses divisions fabriqués en 1671. Peut-être ne serait-il pas impossible de retrouver les procès-verbaux de leur vérification après les fabrications» et ces actes pourraient nous aider à reconnaître la mesure originaire qui servit de guide à l’ouvrier et aux vérificateurs. Mais ce qui intéresse éminemment le bien général du commerce, c’est d’assujettir aux dimensions précises d’un boisseau quelconque la multitude ët la diversité à peine croyable des boisseaux dont on se sert en France. Non-seulement la disproportion entre des mesures qui portent toutes cette dénomination est quelquefois énorme; mais de plus elle varie d’un lieu à Un autre, et souvent dans le même lieu. Partout ou presque partout, on vend et on achète, tantôt au boisseau ras, tantôt au boisseau comble. Le boisseau n’est pas la même mesure pour le froment, le seigle» le méteil, l’avoine, le sol et autres denrées, C’est une source intarissable de pièges et de méprises. Il nous paraît donc très-important de ramener le boisseau de Paris à des dimensions auxquelles les boisseliers de la capitale et des provinces puissent aisément se conformer. Sans l’extrême conséquence de s’occuper principalement du commerce des grains, dans cette opération» nous proposerions d’établir le boisseau tel que nous supposons qu’il était originairement, c'est-à-dire ayant neuf pouces de hauteur du pied romain, et la longueur de ce même pied pour diamètre. Mais nous croyons plus prudent, et par conséquent plus sage de se borner à substituer la ligne entière» à la demi-ligne qu’on a fait entrer dans la fixation de sa hauteur actuelle. Avec ce léger changement, absolument imperceptible dans les résultats pratiques» le boisseau de France sera un cylindre de 8 pouces 3 ligfies de hauteur , sur \0 pouces de diamètre. Ce n’est pas sans motifs que nous croyons qu’on doit s’en tenir aux dimensions de notre boisseau, quoiqu’elles dérangent en apparence la filiation qu’il nous paraît utile de conserver entre les mesures romaines et les nôtres. Le boisseau relativement au blé est une mesure de détail. Dans le commerce un peu en grand de cette denrée, il n’est que l’élément d’un multiple auquel nous avons donné le nom de setier. C’est le setier qui sert de guide, tant aux propriétaires et aui fermiers vendeurs, qu’aux commerçants et aux marchands dont les magasins pourvoient par la circulation à la subsistance générale. L’évaiuation du poids moyen du setier de Paris est de 240 livres de 16 onces. L’évaluation en denier de notre livre monnaie est 240 deniers. Il en résulte que la livre pesant de blé vaut ou coûte autant de deniers que le setier coûte de livres monnaies. Le setier de nié, vendu 24 livres ou 24 francs, établit le prix de la livre pesant de blé à 24 deniers. Ici les fractions n’ont rien d’embarrassant ; le prix du setier s’élevant à 27 liv. 10 s. la livre pesant de blé coûte 27 deniers 1/2. _ Qu’on joigne à cette formule si simple les résultats tout calculés de deux excellents puvrages, l’uu de M. Tillet, l’autre de M Parmentier.et tous les officiers de police du royaume n’auront aucun examen, aucun travail à faire pour savoir, dans toutes les circonstances possibles, le vrai prix que doivent être vendus la farine et le pain (1). Il nous paraît donc d’une utilité générale de ne faire dans lè boisseau aucun changement qui dérange la proportion entre les 240 livres, poids du setier, et les 240 deniers qui composent notre livre monnaie. Cette proportion éclaire sur le champ, sans calcul, sans combinaison compliquée, et les genres les plus bornés, et te calculateur le plus exercé. Ils peuvent voir tous, et du premier coup d’œil, le prix qu’on veut leur vendre la denrée», et le prix qu’ils croient devoir en offrir. Et combien n’est-il pas à souhaiter que l’uniformité d’une mesure qui peut avertir si sûrement et si promptement de la différence de valeur du blé dans toutes les parties du royaume, devienne promptement la mesure de tous les Français! La dépense des plus grands approvisionnements pourrait alors se mesurer sur la même échelle; par conséquent on pourrait toujours et sans méprise tirer les secours des lieux qui pourraient à la fois les procurer et en moins de temps et à meilleur marché. Nous croyons donc qu’il importe beaucoup que le boisseau de Paris reste tel qu’il est, et que ce serait n’y rien changer que d’augmenter sa hauteur d’une demi-ligne, puisque le poids de 24'0 livres du setier n’est qu’une moyenne proportionnelle entre ies différentes pesanteurs du blé. Quoique les autres denrées, qui se vendent au boisseau, ne se prêtent pas au rapport que nous venons d’observer entre la livre pesant et la livre monnaie, nous croyons qu’il convient d’ordonner que toutes les denrées et toutes les marchandises, qui se vendent au boisseau, n’auront point d’autre mesure que le boisseau de Paris. Ceux qui achètent au tiienü détail des denrées de toute espèce, y trouveront l’avantage d’être à l’abri des surprises qtië leur fbnt continuellement des revendeurs avides. La Pinte. Le mot pinte n’ayant aucun rapport avec les noms dont se servaient les Grecs et les Romains pouf désigner les mesures des liquides, il est (1) Voy. le rapport fait par M. Tillet à l’Académie des sciences, au sujet de la taxe du pain à Roche-fort, daté du S juillet 1784, de l’Imprimerie royale, 1785 ; et le même sur les avantages que le Languedoc peut retirer de ses grains, considérés dans leurs différents rapports avec l’agriculture, le commerce , la meunerie et la boulangerie » in-4° de 447 pages. Paris, P. -F. ûidot jeune, 1786. [6 février 17904 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 475 plus que difficile d’assigner son origine. Quelques étymologistes ont prétendu qu’il venait du celtique, du grec, de l’allemand, mais leurs conjectures annoncent des efforts, et n’apportent aucune lumière. Ce que nous croyons pouvoir dire de certain, c’est que le mot pinte ( mensura liqui-dorum) n’est par fort ancien dans notre langue, et que, dans la fiasse latinité, le mot pinta, pris dans la même acception, est d’une date plus récente encore. Dans la collection des statuts rédigés en 1258 par Etienne Boyieaux que nous avons déjà citée, on voit que les taverniers avaient des mesures légales (1). Ils étaient obligés au chantelenage, c'est-à-dire à l’étalonnage de celles dont ils se servaient. Mais on n’y trouve ni le nom, ni la capacité de ces mesures. Les statuts des huiliers sont un peu plus instructifs. Ils portent que « la somme d’huile doit tenir 28 quartes, la demi-somme 14 quartes, le quart de la somme 7 quartes. Et est la quarte de quoi on mesure l’huile plus fort et plus grand que celle dont l’on mesure le vin, largement le tiers. C’est à savoir que la quarte de l’huile tient bien une quarte et demi-quarte de celle de vin. » Ou voit par là que la mesure du vin ne portait point alors le nom de pinte, mais celui de quarte. Cent ans après, nous trouvons le nom de pinte donné à la mesure du vin ; mais sans aucune instruction sur sa capacité. « Les Taverniers ne pourront vendre tout le meilleur vermeil cru au royaume que dix deniers la pinte.... La mesure Saint-Denis est justement la tierce, partie plus grande que de Paris (2) ». A l’égard du mot pinta, nous croyons que les statuts du collège de Saint Bernard de 'Paris, rédigés en 149 3, sont le plus ancien titre où il soit employé (3L L’ordonnance de Henri 11, du mois d’octobre 1557, parle de la pinte, de la chopine , du demi-setier ; mais elle garde le silence sur la capacité de ces mesures. Elle nous apprend seulement qu’elles doivent être étalonnées à la mesure royale étant à l’hôtel de ville de Paris (4). Si ces anciens étalons existent encore, l’examen qu’on en ferait, pourrait être de quelque utilité. Mais il nous paraît plus sûr de nous arrêter à des déterminations plus modernes, et par conséquent plus exactes. L’opinion la plus générale est que la pinte rase contient environ deux livres d’eau, -moins 7 gros, et que trente-six de ces pintes répondent à un pied ctibe. La pinte comble pèse à peu près deux livres d’eau, et, pour répondre à un pied cube, il n’en faut que trente-cinq. Indépendamment des mots à peu près , il est évident que ces deux manières de désigner la capacité de la pinte manquent de précision. La pinte rase est presque nécessairement au dessous de la vraie mesure. Celle qu’on nomme comble peut l’être plus ou moins, parce que Je comble est (1) On en retrouve aussi dans cette collection pour les potiers d’étain ; mais il n’y est parlé ni de la pinte, ni d’aucune autre mesure. (2) Ordonnance de Jean Ier (et selon d’autres, Jean II), du pénultième jour de février 1350. Voy. les ordonnances du Louvre, tome II, art. 59 et 65. (3) Verbis latinis et non aliis sub pœna solutionis unius pinlæ vini qualibet vice assistentibus illico dis-tribuendæ, loquantur. (Histoire de Paris, par D. Féli-bien, tome III, page 173.) (4) Voy. le recueil des Edits et Ordonnances de Fon-tanon, tom. I, page 977. plus ou moins considérable, et que d’ailleurs il augmente ou diminue dans sa différence même, selon que l’orifice du vase est plus large ou plus étroit. Nous pouvons ajouter que l’eau froide ou tiède, l’eau commune ou filtrée de différentes rivières, l’eau de source ou de fontaine n’ont pas le même volume à poids égal, quoiqu’à la vérité les différences soient très peu considérables. La Hire, ayant rempli d’eau de rivière un étalon de bronze qui est à l’hôtel de ville, trouva qu’elle pesait une livre 14 onces 3 gros 2 grains (1). Il ne nous dit point, si c’était celui qui existait avant Henri II, ou s’il a fait son expérience sut* un étalon fabriqué depuis. Quoi qu’il en soit, il s’est certainement glissé dans cette observation quelque erreur dont nous ignorons la cause. Nous avons aujourd’hui deux garants que notre pinte usuelle rase, remplie d’eau, pèse à très-peu de chose près 31 onces et un gros, et que le volume de cette quantité d’eaù répond à 48 de nos pouces cubes. Nous croyons cependant devoir avertir que, pour pouvoir indiquer 48 pouces justes, on n’a pas tenu compte d’une fraction de beaucoup trop petite pour n’être pas absolument négligée. Ces garants sont M. d’Onzenbray, dont l’exactitude est connue (2), et M. Tillet, inventeur d’une machine qui donne avec la dernière précision le poids et le volume de liquide que contient un vase quelconque (3). On peut donc compter que la capacité de la pinte rase de Paris est de 48 pouces cubes, et qu’elle contient 31 onces et un gros d’eaU de la Seine. Nous ne voyons aucune raison pour toucher à cette mesure en elle-même, et nous pensons qu’il suffit de défendre toute mesure comblé , et de n’autoriser que la pinte rase. Peut-être cependant serait-il à désirer qu’on pût diminuer l’orifice de la pinte dans les étalons matrices et dans ceux qu’on enverra en province. 11 ne doit pas être trop étroit, parce qu’il est indispensable de nettoyer l’intérieur de ces vases. Mais il nous paraît qu’on pourvoirait à tout en ordonnant que la forme de cette mesure fût absolument cylindrique; Au reste nous ne pouvons que désirer la vérification de la conjecture de plusieurs savants, et de La Hire en particulier, sur la conformité originaire de toutes nos mesures avec celles des romains: «J’ajouterai encore, dit-il à ce sujet, une remarque que j’ai faite sur le mot demi-sex-tier. Il n’a aucun rapport à notre pinte, puisque la chopine serait le sextier, qui n’est point la 6e partie de nos mesures. Mais le sextier des Romains était la 6e partie de leur conge, qui était la 8* partie de leur pied cübique; et leur demi-sextier, qu’ÜS appelaient aussi némine, se trouvé presque égal à notre demi-sextier (4). (1) Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1701, page 170. (2) Mémoires de l’Académie des Sciences, année 1739, page 51. (3) La description de cette machine est dans les Mémoires de l’Académie des sciences, année 1765, page 452. (4) Mémoires de l’Académie des sciences, année 1711, page 399. « JNostra verô pinta duodecima pars est modii, id est amphoræ sexta et tricesima. Illud testandum habeo, quod quiequid demensuris liquidorum dixi, vel dictu-rus sum, id de iis inielligi volo, quod regias hac in urbe appellamus de quibus jus dicere decurionwnt est Parisiensium. » (De asse, folio 49 verso.) Budé, après un sommaire marginal énoncé en ces 476 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] Si l’on parvenait à s’assurer de cette conformité, à quelques légères différences près qu’entraînent toujours la maladresse des ouvriers et l’usage continuel des mesures, nous aurions un grand moyen de perpétuer la connaissance suffisamment exacte des mesures françaises, puisqu’elles pourraient être comparées partout aux innombrables monuments des Romains, en édifices, en poids, en vases, en monnaies, en médailles. La Toise. Nous ignorons à quelle époque remonte l’usage de la toise. Cette mesure est ancienne parmi nous. Ducange et les savants Bénédictins, à qui nous devons la dernière édition de son Glossaire et quatre volumes de supplément, ont trouvé des titres du XIIe siècle qui en font mention (1). Aucun de ces titres ne porte que cette mesure eut six pieds en longueur. C’est donc une conjecture de la part de ces savants, et ce n’est rien de plus, que ces mots tesa , mensura sex pedum. Mais nous avons la certitude qu’avant le commencement du XVe siècle, la toise était de six pieds au pied-le-Roi , c’est ainsi que l’indique un arrêt de la Chambre des comptes rendu le 3 février 1403, à l’occasion d’une tour de la ville qui futarrentée aux Blanc-Manteaux (2). On retrouve la même expression des partitions de la toise dans l’ordonnance de Henri II du mois d'oclobre 1557, et au regard de la toise, demeurera a raison de six pieds par toise, et douze pouces par pied (3). Quelle était la longueur du pied le roi dans ces temps reculés ? Nous n’en avons aucune connaissance directe. Mais nous savons, à n’en point douter, qu’elle était différente de notre pied de roi actuel. Nous croyons de plus être en état de reconnaître sa juste longueur par des moyens indirects ; et ces moyens nous conduisent à penser que le pied romain, lequel répond à onze pouces du notre, était l’ancien pied de France. Nous sommes persuadés que ce pied antique a été l’élément sur lequel on a formé la toise. Nous savons que nous ne pouvons plus le justifier que d’après des probabilités : elles nous paraissent très imposantes ; cependant nous ne les donnerons pas pour des preuves (4). Les mesures se sont réglées pendant longtemps àParis sur un étalon légal de la toise appliquée dans la cour du Châtelet, contre un des piliers du termes : Solonis drachma et memuris utuntur Pari-sienses, rapporte un passage de l’orateur Andocides, qu’il traduit : Tisamenus tutit, populus que scivit, ut Athenienses regerentur institutis patriis , legibusque uterentur Solonis, ejusque ponderibus et mensuris. Budé ajoute : « Ex his verbis colligimus, mensuras atticas ponderaque ad auctorem Solonem relatas esse : quas cum Romani ab Athenis, cum legibus mutuati sint, et nos a Romanis acceperimus, apparet id plane confectum quod adstruendum duximus » [De asse, folio 167, recto et verso). Celte observation de Budé est digne d’attention. (1) Elle est désignée sous le nom de tesajesia, teixia, thaisia. On trouve deux siècles après, le mot teisage, dans le même sens que notre mot toisé. (2) Voy. cet Arrêt, tom 3, des pièces justificatives de l’histoire de Paris, par D. Félibien, page 246. » » 8 2 Dans les six mesures que nous venons d’indiquer, les trois premières de 11 pouces juste ont été conclues de longueurs de monuments célèbres, ou de diamètres de ces grands édifices. Elles méritent évidemment la préférence sur les trois autres, prises sur des diamètres de colonnes. La conséquence générale qu’en a tirée La Hire lui-même, et qu’elles concourent toutes à faire connaître que le pied antique romain était de 11 pouces de notre pied ............. 11 pouces » lignes » Perrault 10 — 10 — 3/5 Pauclon 11 ~ » M. l’abbé Barthélemy 10 — 10 — 6/10 M. de Romé de Lisle 10 — 10 — 60/100 détermination qui nous parait tirée des tables de M. l’abbé Barthélemy. Fréret rapporte 12 mesures du pied romain qui se rapprochent beaucoup les unes des autres, mais qui toutes sont différentes. Voy. ces diverses mesures dans les Mémoires de l’Acad. des sciences, année 1714, pag. 394 et suiv. et dans ceux de l’Académie des inscriptions, tom. 24, pag. 487. (1) Voy. ce que dit M. Bailly, de l’ignorance, en Astronomie de Vitruve, homme si savant et qui vivait du temps d’Auguste. Tome premier, de l’Astron. Mod. pag. 500. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] 481 pas romains, c’est-à-dire à 625 pieds romains. Ainsi, en partant du stade de 500 au degré du grand cercle, le degré était de 312,500 pieds romains (1). Le résultat des opérations modernes fixe la longueur du degré à 57,060 toises, et par conséquent à 342,360 pieds-de-roi En comparant l’évaluation de l’ancienne et delà nouvelle mesure d’un degré du grand cercle l’une en pieds romains, l’autre en pieds-de-roi, nous trouvons que le pied romain était de 10 pouces — de notre pied actuel. Ce rapport presque rigoureux entre ces mesures nous paraît mériter l’attention ; et s’il n’est pas une preuve, il est du moins une probabilité de la plus grande force, que Je pied romain était de 11 de nos pouces. Les diverses causes qui ont dû influer surl’ex-trêraement petite différence entre le résultat que donne le calcul etia longueur rigoureuse de 1 1 de nos pouces pour le pied romain, se présenteront en foule à tout le monde. Des mesures subsistantes parmi nous, et qui remontent à des temps très reculés, vont nous donner le même résultat. Notre arpent se subdivise en 'perches , comme notre toise se subdivise en pieds. Nous avons un étalon de la toise , et cest habituellement notre base de comparaison pour prendre une idée juste de toute autre longueur. Mais nous n’avons point d’étalon de la perche, et nous n’en avons jamais eu. Cette longueur est le multiple d’une autre; il faut donc la considérer en général et comme indépendante des mesures actuelles auxquelles on voudrait aujourd’hui la rapporter. Cependant, pour nous faire entendre. prenons pour mesure de comparaison notre pied-de-roi. L’article 14 du titre de la police et conservation des eaux et forêts, de l’ordonnance du mois d’août 1669, embrasse sans exception les bois et forêts de tout le royaume. H fixe V arpent à 100 perches, la perche à 22 pieds, le pied à 12 pouces, le pouce à 12 lignes. Cette ordonnance est postérieure au rétablissement, ou à la réformation de la toise en 1668. Elle n’annonce ni une mesure nouvelle, ni une mesure rétablie ou réformée. C’est évidemment une ancienne mesure conservée telle qu’elle a toujours été, et rendue générale pour toute la France, afin que la diversité des arpents et des perches dans les provinces ne pût altérer l’uniformité des arpentages des bois et forêts. La désignation d’un terrain d’une certaine étendue, par le mot arpent, est aussi fort ancienne parmi nous. Columelle, qui vivait au commencement du premier siècle de notre ère, en parle comme de la mesure usitée dans les Gaules (2). (1) Stadium centum yigenti quinque nostros efficit passus, hoc est pedes sexcentos viginti quinque (Voy. Plinii secundi, lib. 2, cap. 21, et Colum. lib. 5, cap. 1.) (2) Voy. V Astronomie, par M. de La Lande, tom. 4, pag. 770. Cette longueur du degré est celle de l'abbé Picart, qui supposait, comme Possidonius, que la Terre était sphérique. C’était une raison suffisante pour la {iréférer. Il eût été plus difficile de se déterminer entre es résultats des académiciens qui ont constaté que la Terre est un sphéroïde aplati. Bouguer, après avoir déterminé le degré à 56,767 toises, fit une correction qui le réduisit à 56,746. Une l'e SÉîtlE. T. XI. Du Cange, au mot arapennis, fixe l’arpent de de Paris en particulier à 100 perches, et la perche à 22 pieds (l). Cette application de notre pied à la longueur nommée perche est, comme nous l’avons dit, absolument indépendante de l’ancienne longueur de cette mesure. Elle est, nous ne pouvons trop le répéter, une longueur isolée, qui n’est le multiple d’aucune des mesures françaises. On a observé que la perche répondait à 22 pieds de France; elle eût répondu à un autre nombre de pieds, si on l’eût comparée au pied du Rhin, ou au pied anglais, sans que sa longueur prupre eût changé. La perche, qui n’était déterminée par aucune loi écrite avant l’ordonnance de 1669, n’est donc autre chose qu’un« longueur ancienne, connue, laquelle, comparée à la toise et au pied fixés en 166c, s’est trouvée correspondre à 22 pieds ue cette toise. Or, quelle était çette ancienne longueur, relativement au pied romain? C’est une longueur de 24 pieds de 11 pouces chacun, puisque 22 de nos pieds donnent 264 pouces, qui, divisés par 11, donnent juste 24 pieds de 11 pouces. La longueur ancienne et actuelle de notre perche de Paris est donc une nouvelle probabilité que nos mesures nous viennent des Romains, et que leur pied était de 11 pouces du pied-de-roi (2). Vers 1750, il s’éleva une contestation entre les propriétaires de la navigation de la Loire, depuis Saint-Rambert jusqu’à Roanne, les marchands fréquentant la Loire et les charpentiers constructeurs de bateaux. Ceux-ci soutenaient, juridiquement, que les bateaux étaient de 16 toises, quoiqu’ils n’eussent pa3 96 pieds-de-roi de longueur. Ils se fondaient sur ce que leur toise était juste de cinq pieds et demi de la toise du roi ; d’où ils concluaient que c’était avec cette toise de 5 pieds et demi que les bateaux devaient être mesurés. On vérifia ce fait, et il fut constaté que les charpentiers et autres ouvriers en bois, achetaient leurs bois à la toise de 6 pieds; qu’après les avoir travaillés, ils les vendaient à la toise de 5 pieds 6 pouces ; que sur la rive droite de la Loire, la toise de 5 pieds et demi ou de 66 pouces, était la seule en usage ; que sur la rive gauche, on ne se sert que de la toise de 6 pieds, à l’exception, seconde correction le fixa à 56,753 toises (Voy. la figure de la terre, pag. 272.) La Condamine trouva aussi, après des corrections, que le degré avait 56,749 ou 56,750 toises (Voy. Mesure. des trois premiers degrés du mérid. dans l’hémisph. austral, p. 230 et suivantes.) Les deux officiers espagnols, qui accompagnèrent nos académciens, fixèrent la valeur du degré à 56,768 toises. Voy. ibid. M. Godin l’a portée à 56,808 toises par ses observations, qui n’ont pas été imprimées. Voy. Astron. par M. de La Lande, tom. 4. pag. 680. Voilà bien des raisons pour chercher la longueur du pied romain dans la comparaison des 500 stades au degré de Possidonius, avec le degré de 57,060 de nos toises. (1) Galli ..... semijugerum arepennem vocant. (Colum. de re rustica, lib. 5, cap. 1.) Ce mot arepennis, arpennis , ou arapennis, se trouve dans un très grand nombre d’anciens titres de France, avec la signification Arpent. (2) Non una autem, cademque est arepennis, in Gallia nostra meusura. Nam arpennis Parisiensis constat 100 perticis, pertica ver 6 22 pedibus. Vid. Cangium verbo arapennis. 31 482 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.J cependant, de quelques paroisses où Von connaît celle de cinq pieds et demi (1). Get usage, conservé dans le Lyonnais, est un nouveau témoin que l’ancienne mesure du pays était composée de pieds de 11 pouces de notre pied-de-roi, puisque la toise actuelle des ouvriers en bois est de 66 pouces de la nôtre, et que 66 pouces répondent exactement à une toise de 6 pieds de 11 pouces chacun. L’antiquité de la ville de Lyon, ses relations continuelles avec les Romains, prouvées par Thistoire et par les restes d’anciens monuments connus de tout le monde, ne permettent pas de douter de l’identité de l’ancien pied de Lyon avec le pied romain. Nous espérons qu’on nous pardonnera la longueur de cette digression. Elle nous a paru nécessaire pour répandre un peu de jour sur une matière ensevelie sous tant de décombres. Nous n’avons trouvé partout que des nombres rompus, que des fractions plus que minutieuses, auxquelles ne se prêteront jamais des mesures d’un service journalier, fabriquées par des ouvriers et des artisans continuellement occupés aies renouveler et à les multiplier. L’ineptie du plus grand nombre, l’insouciance de presque tous, occasionneront plus difficilement des altérations, lorsque nous aurons des étalons réglés sur une base qu’on pourra vérifier à tout instant, et dont l’Europe entière fournit d’innombrables pièces de comparaison. Et nous ne croyons pas qu’on puisse adopter une meilleure base que les toises de l’Académie d’un côté, et de l’autre la longueur du pied romain reconnue pour être de li pouces du pied-üe-roi La longueur de l’aune de Paris, telle que rétablit Hellot, est un exemple frappant de l’impossibilité de se plier dans la pratique aux nombres rompus, aux fractions minutieuses dont nous venons de parler. 11 établit trois assertions : 1° Que l’étalon déposé au bureau des marchands merciers est reconnu contenir 4 pieds romains antques; 2° Qu’il est de 3 pieds 7 pouces 8 lignes de pied-de-roi, tel qu’il était avant 1668 ; 5 3° Qu'il répond à 3 pieds 7 pouces 10 lignes -g-ou dit pied-de-roi, réduit en 1668. Nous sommes d’accord avec Hellot, quoique par d’autres motifs, sur le fait que l’étalon dont il s’agit contient quatre pieds romains. Nous différons en ce qu’il suppose que la proportion entre le pied romain et notre pied-de-roi ne peut être indiquée que par des fractions qui échappent à nos sens, et dont nous ne pouvons avoir l’idée intellectuelle que par des fractions infiniment petites; au lieu que nous pensons que le pied antique répond juste à 11 pouces du nôtre (2). Nous sommes également d’accord sur le fait que l’aune répond à 3 pieds 7 pouces 8 lignes de notre ancienne toise. Mais nous pensons qu’il est nécessairement (1) Teisa quâ utuntur fabri lignarii et silvarum mensores quinque pedum est cum dimidio. ( Voy . le Gloss, de Du Caage, au mot teisia.) Ce renseignement, nous étant donné généralement, appuie de plus en plus l’induction que nous tirons de la longueur de la toise actuelle des ouvriers en bois Lyonnais. (2) Nous croyons en avoir donné la preuve, et cette persuasion nous conduit à adopter la réflexion entré une et peut-être plusieurs causes d’erreur dans les moyens de mesurer l’étalon, et de réduire la longueur de l’aune à 3 pieds 7 pouces 10 li-5 4 gnes -g-ou — de notre pied-de-roi. Nous le pensons : 1° Parce que cette longueur n’est pas rigoureuse, puisqu’on laisse l’alternative entre deux fractions ou -g-de lignes ; 2° Parce que les pieds-de-roi, qu’on emploie dans l’espérance de s’assurer rigoureusement d’une mesure, ne sont que rarement d’une conformité absolue entre eux, et qu’il est possible que le pied dont se servit Hellot ne fût pas exactement juste (1). Après ces éclaircissements il paraît qu’il ne nous reste plus qu’à rendre compte des causes qui ont introduit dans le commerce, et parmi les citoyens de tout état, deux aunes de Paris de différente longueur. Un ouvrier en instruments de mathématiques, chargé de faire pour la ville de Nantes un étalon d'aune, conforme à celui qui est conservé depuis Van 1554, dans le bureau des marchands merciers de Paris, ébaucha d’avance son étalon à 3 pieds 7 pouces 8 lignes, persuadé que c'était la vraie longueur de l'aune. Il se trouva trop court de quelques lignes. Hellot fut chargé par l’Académie d’examiner ce point de fait. Les gardes des marchands merciers furent peut-être plus étonnés que lui de trouver une différence si sensible entre leur étalon et la longueur de l'aune établie dans le public. L’aune plus courte avait pour garant, disaient-ils, « une tradition fondée sur une ordonnance du roi Henri II, donnée au mois d’octobre 1557, qui déclare que l’aune doit être de 3 pieds 7 pouces 8 lignes de longueur, mesure de roi ; et sur une instruction du 14 septembre 17i4, donnée aux inspecteurs de Calais et de suivante ed Hellot : « Il est à présumer que l’aune représente un certain nombre entier de mesures beaucoup plus anciennes que le pied-de-roi. Car il eût été bien singulier qu’on eût choisi par préférence une longueur sujette à des franclions embarrassantes. Il était beaucoup plus simple de la faire de quatre pieds ; et on est en droit de présumer que c’est ce qui a été fait originairement. » (Mém de l’Acad. des Sciences, 1746, pag. 615.) (1) Nous avons comparé plusieurs pieds-de-roi de Buterfield, de Langlois et de Lemaire le père, à l’étalon d’un pied-de-roi de la main de Canivet, rigoureusement semblable au pied des toises de l’Académie. Il appartient à M. Tillet, qui l’a fait faire sous ses yeux. Les différences que nous avons trouvées entre eux sont peu considérables ; cependant il y en a, quoique ces instruments viennent d’artistes qui joignaient beaucoup d’intelligence à une grande précision dans l’exécution. Le pied-de-roi de Langlois, qui nous a paru de même longueur que celui de Buterfield, posé alternativement de champ et à plat entre les deux talons qui terminent l’étalon de Canivet, entre assez aisément pour qu’un brin de cocon de soie, plié en quatre et tordu, passe librement ; mais il nous a été impossible de faire passer un cheveu. Un pied que La Condamine fit fabriquer et diviser par Lemaire le père, et que cet académicien emporta au Pérou, nous a paru à peu près, et au moins d’un dixième de ligne trop long. Et combien de différences palpables, en plus et en moins, n’aurions-nous pas trouvées, si nous avions comparé à l’étalon de Canivet, des pieds-de-roi fabriqués par des ouvriers ordinaires? [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] 483 Saint-Valéry, où il est dit que les draps et étoffes doivent être mesurés à l’aune de France, qui est de 3 pieds 7 pouces 8 lignes (1). » Ce fut dans ces termes que s’expliquèrent les gardes de la mercerie au moment de la vérification de leur étalon. Cette coud radiction entre le fait et le droit eût disparu, si l’on eût réfléchi que l’Instruction, sur laquelle on s’appuyait, n’était pas un titre à invoquer; qu’elle� ne pouvait avoir d’autorité qu’autant qu’une ordonnance antérieure eût changé l’ancienne longueur de l’aune constatée par l’étalon; qu’une telle ordonnance n’a jamais existé; qu’alors, comme aujourd’hui, on ne connaissait d’étalon sur lequel on pût légalement se régler, que celui de 1554 ; que, par conséquent, au lieu de copier l’énoncé de l’Ordonnance de Henri II, qui n’était exacte que relativement à la toise dont on se servait sous son règne, il fallait que l’auteur de l’instruction comparât l’ancienne toise à celle qu’on avait réformée en 1 668. Cette réflexion l’eût conduit à une évaluation qui lui eût donné, à très peu, mais à très peu de chose près, 3 pieds8pouces de notre toise pour longueur correspondante aux 3 pieds 7 pouces 8 lignes de la toise de 1557. Nous ignorons le nom du rédacteur de cette Instruction. Nous savons seulement qu’elle est revêtue de la signature de M. Desmaretz, alors contrôleur général des finances ; qu’elle ne contient en 40 articles que des règles de manutention de bureau pour les inspecteurs des manufactures de Calais et de Saint-Valéry; que ce n’est proprement qu’une série de documents domestiques; et que, par conséquent, rien ne porte moins le caractère d’une loi destinée à changer les mesures publiques de tout un royaume. Le résultat de l’examen de Hellot, comme nous l’avons dit, fut de proposer de fixer la longueur de l’aune légale à 3 pieds 7 pouces 10 lignes 5/6 ou 4/5 du pied-de-roi, réduit en 1668. Les égards qui sont dus à tant de titres à un aussi bon citoyen, à un académicien aussi éclairé que Hellot, ne nous permettent pas d’insister de nouveau sur l'impossibilité où sont, non seulement les vendeurs et les acheteurs, mais les ouvriers qui font et qui ferrent chez eux les aunes, de s’assurer de la juste longueur d’une mesure si répandue, d’un usage si continuel, dans laquelle il entrerait des fractions qu’on doit regarder dans la pratique comme des infiniment petits. Nous insisterons encore moins sur les conjectures, d’après lesquelles il s’est persuadé que la toise, sur laquelle Henri II a fixé la longueur de l’aune, était trop longue de quatre lignes et près de 2/3. Nous allons nous renfermer dans ce qui nous parait aussi constaté qu’un fait de cette espèce puisse l’être, et nous dirons qu’à notre avis : 1° Le pied romain avait 11 pouces de notre pied-de-roi actuel , et que ce pied antique est (1) Henri II forma le projet de réduire à un seul poids, à une seule mesure, tous les poids, toutes les mesures de son royaume. Des commissaires furent chargés d’exécuter ce grand travail. Ils commencèrent par la ville, faubourgs et banlieue de Paris; et sur leurs procès-verbaux, l’ordonnance du mois d’octobre 1557 fut rendue. Elle a été rédigée avec beaucoup de soin. Elle est d’ailleurs curieuse, en ce qu’on y trouve un dénombrement assez étendu des marchandises et des denrées qu’on devait mesurer, peser ou débiter avec les mesures légales. L’instruction pour les inspecteurs de Calais et de Saint-Valéry n’est pas du 14, mais du 24 septembre 1714. l’étalon matrice de presque toutes nos mesures, et peut-être de toutes ; 2° Que la toise de Henri II était un multiple de cet étalon matrice, et quelle était divisée en 6 pieds comme le porte l’ordonnance de 1557; 3° Que la longueur de ces 6 pieds était, non )as de six pieds romains, mais formait 6 pieds de France de ce temps -là, qui répondaient, par l’inexactitude et l’ineptie des ouvriers successivement employés, ou par toute autre cause, à 97 6 pieds.7 pouces 1 ligne du pied romain, et par 78 conséquent à 6 pieds 6 lignes � de notre pied-de-roi, ou de notre toise actuelle ; 4° Que ce fait est prouvé par la longueur de 3 pieds 8 pouces 8 lignes du temps de Henri II, qui faisaient la juste longueur de l’aune, longueur dont l’ancien étalon, actuellement existant, nous prouve l’accord avec 4 pieds romains; 5° Que quand on a dit, en 1714, aux inspecteurs de Saint-Valéry et de Calais, que l'aune était de 3 pieds 7 pouces 8 lignes de longueur, mesure de roi , on ne fit que copier les mots de l’ordonnance de 1557 ; et qu’au lieu de copier les mots, on aurait dû se fixer à la chose, c’est-à-dire à la longueur de la mesure en elle-même, et dire en conséquence aux inspecteurs que l'aune doit être de 3 pieds 8 pouces de longueur, mesure de roi actuelle. Par là on eût conservé tout à la fois à l’aune ancienne .et vraie la longueur de 4 pieds romains, ou ce qui est la même chose, 3 pieds 7 pouces 8 lignes de Henri II, et l’on eût déterminé son rapport avec la toise réformée en 1668, en nombre entier et sans fractions minutieuses, c’est-à-dire qu’on l’eût déclaré de 3 pieds 8 pouces ou 44 pouces de la toise réformée, longueur qui répond juste à 4 pieds romains. Ce n’est point par une vénération superstitieuse pour ce que les Romains nous ont transmis, et dont nous sommes servis pendant tant de siècles, que nous manifestons le désir de fixer l’aune de France à 4 pieds antiques. Si l’usage de l’aune de 3 pieds 7 pouces 8 lignes pris sur notre toise, eût universellement prévalu, si toutes nos aunes usuelles avaient actuellement cette juste longueur, nous respecterions cette mesure quoiqu’elle différât de 4 pieds romains, parce que tous les vendeurs, tous les acheteurs agiraient avec connaissance de cause en vendant et en achetant. C’est, au contraire, parce que la longueur de l’aune marchande est tantôt de 44 pouces, tantôt de 3 pieds 7 pouces 8 lignes de notre toise, que nous croyons devoir insister sur l’inconvénient de laisser subsister dans le commerce, sous le même nom, sous le nom d’aune de Paris , des instruments d’inégale longueur, qui, cependant, sont tous regardés comme des copies exactes du seul étalon légal de l’aune, En effet, toutes les aunes qui ont été ajustées sur l’étalon du bureau des merciers et sur celui des marchands de Lyon, ainsi que les aunes qui ont été ajustées sur ces copies étalonnées, ont 44 de nos pouces en longueur ; et le nombre en est certainement fort considérable. Les aunes qui, au contraire, ont été ajustées, avant ou après l’Instruction de 1714, sur la toise du Châtelet, ont 3 pieds 7 pouces 8 lignes de cette toise, et par conséquent environ 4 lignes de moins que les premières. Ce que nous disons ici avait été remarqué par La Hire dans la même année où parut l’Instruction pour les inspecteurs. « Les mesures de l’aune dont on se sert à Paris sont, dit-il, différentes chez les différents corps des marchands ; car il y 484 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [6 février imj en a a qui sont plus courtes que les autres de près de quatre lignes. J’ai trouvé, ajoute-t-il, entre les mains d’un de nos faiseurs d’instruments de mathématiques une grosse règle de laiton qui était ancienne, et qu’il disait être la mesure de l’aune. Elle avait justement 44 de nos pouces (1). » Voilà un indicateur de plus, que l’aune de Paris répond à 4 pieds romains de 11 pouces juste, et qu’elle n’est pas de 3 pieds 7 pouces 8 lignes de notre pied moderne, mais de 3 pieds 8 pouces, ce qui fait 4 lignes de différence. C’est donc la sûreté et la fidélité, si nécessaires dans tous les marchés de détail, qui nous fait désirer qu’on défende l’usage de l’une ou de l’autre des aunes usitées, par la raison majeure qu’elles ont un caractère de légalité imposant, celui d’avoir été ajustées sur des étalons publics. Or, dans la nécessité du choix, il nous paraît convenable de préférer 44 pouces qui donnent juste 4 pieds romains ou 3 pieds 8 pouces de notre toise, à des fractions bizarres et sans point d’appui, qui fixeraient l’aune à 3 pieds 7 pouces 8 lignes de la toise du Châtelet (2). La plupart des faits qu’on vient de rapporter et de comparer, sont tirés d’excellents mémoires publiés par des savants distingués, mais ils n’ont de rapport direct qu’avec les poids et les mesures de la capitale. 11 nous manque des observations du même genre et d’aussi bonne main sur les mesures de toutes les parties du royaume. Si nous avions sous les yeux le tableau de leur diversité , de leurs altérations , il serait effrayant. C’est un fait notoire que nonseulement on se serl en France de quantité de poids différents qui portent tous le nom de livre , mais encore d’une multitude de boisseaux , d’aunes, de verges, de cannes, de toises , de pintes; que ees mesures différant entre elles, quoiqu’on les désigne par le même nom; que ces différences sont très consi-cd râbles non pas d’une province à une autre, ou d’une ville à une autre, mais dans la même ville, dans le même bourg, dans le même village. Ce désordre , qu’on pourrait qualifier de malheur public, tient û plusieurs causes, et il faut qu’elles soient bien puissantes ou par elles-mêmes ou par leur réunion, ou par l’empire de l’habitude, puisqu’elles ont résisté à tous les moyens employés depuis plusde 12 siècles pour les détruire. L’Assemblée nationale approuvera, sans doute, que la Société royale d’agriculture profite de cette occasion pour jeter un coup d’œil sur les mesures rurales. Elles présentent la même diversité, les mêmes irrégularités et par conséquent les mêmes inconvénients. La simple nomenclature d’une partie si intéressante serait la matière d’un travail de longue haleine, et personne n’oserait se flatter de rassembler et de fixer dans sa mémoire tous les rapports qu’ont entre elles les mesures d’une seule province. Un petit nombre de faits suffiront pour persuader qu’on ne se permet ici aucune exagération. L’assemblée provinciale du Hainaut, tenue en 1788, a compté, dans 313 communes de cette province, jusqu’à 123 mesures différentes. (1) Mémoires de l’Académie des sciences, année 1714, pag. 398. (‘2) Dans le procès-verbal de rassemblée provinciale de Rouen de 1787, page 12a, on lit que l’aune est prcs-ue partout de 44 pouces 8 lignes de long. C’est, sans oute, une faute d’impression. Il taut lire 43 pouces 8 lignes. Dans le seul bailliage de Montdidier, quoiqu’il ne ne soit composé que de 146 paroisses, il y a d’abord les mesures du bailliage, ensuite celles de la prévôté , et enfin des mesures locales. Les unes et les autres ne s’étendent qu’à des cantons peu étendus ; mais chacun de ces cantons a des mesures particulières sur lesquelles se règlent les arpentages. Il résulte de l’examen détaillé qui en a élé fait, qu’il existe dans le bailliage, savoir ; Des journaux de 758, 847, 933, 1016,1029, 1062, 1086, 1111, 1129, 1145 1/2, 1198, 1264, 1287 de nos toises carrées; Des verges , employées à la mesure des journaux, de 20, 21, 2 1 1/2, de 22, 24, 25 pieds de notre toise : Des pieds de 10 pouces 4 lignes; 10 pouces 8 lignes, 11 pouces, 11 pouces 4 lignes, 11 pouces 8 lignes, 12 pouces de notre pied-de-roi (lj. Qu’on jojgne à ce chaos local la diversité générale des arpents , des journaux, des perches, des verges et de leurs innombrables subdivisions, on verra que, d’un bout du royaume à l’autre, les Français traitent de leurs propriétés foncières en parlant une langue dont chacun d’eux entend à peine quelques mots. Si le comité d'agriculture et de commerce de l’Assemblée nationale juge qu’on ne doitautoriser dans le royaume qu’un boisseau, qu’une pinte , qu’une aune, il paraît conséquent à ce principe de n’autoriser qu’une seule mesure pour l’arpentage des terres, des vignes et des bois. Une fâcheuse et longue expérience nous avertit qu’en reprenant aujourd’hui l’utile projet de remédier à tant d’abus, on éprouvera des difficultés, peut-être des résistances inquiétantes et déplus d’une espèce. L’intérêt et le besoin qui portent cha-queindividuà ne pas s’écarter d’habitudes invétérées, contractées par tous les marchands et tous les acheteurs d’un pays, formeront seuls un obstacle puissant et durable. Cependant on est persuadé qu’avec un plan sage, une marche continue et ferme, la raison, la justice et l’utilité publique reprendront leurs droits en moins de temps qu’on n’oserait d’abord se le promettre. S’il nous est permis d’esquisser le plan que nous croyons qu’on pourrait suivre à l’égard des mesures dont on se sert dans les magasins, les boutiques et les marchés, nous dirons qu’il nous paraît que le premier pas à faire serait de rendre une loi qui ordonnât impérieusement que les poids et les mesures seront uniquement uniformes dans toute l’étendue du royaume (2) ; que tous les étalons seront ajustés sur ceux qui auront été fixés pour la ville de Paris, et que pour y parvenir, la même loi portât : 1* Que pour en assurer l’exécution, la pile de 50 marcs déposée à l’hôtel des monnaies, désignée communément par le nom de Poids de Charlemagne, sera vérifiée dans son ensemble et dans ses divisions; et que les différences dans le rapport que doivent avoir entre elles les 12 pièces ou poids qui composent cette pile, seront constatées ; 2° Que les étalons du boisseau de Paris, qu (1) On tient ce détail de M. l’abbé Tessier, docteur en médecine, de l’Académie royale des sciences, et de la Société royale d’agriculture. Il a fait imprimer dans l’Encyclopédie méthodique, un tableau considérable des différentes mesures des terres, tant en France que dans les pays étrangers, réduites en toises de Paris. (2) Cette loi embrasserait-elle la Corse et nos colonies ? 485 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] sont au Châtelet, à l’hôtel-de-ville, ou dans les dépôts des communautés d’arts et métiers, seront comparés entre eux dans leur hauteur et leur diamètre, même avec ceux de la halle au blé et des principaux marchands de grains, farinés et grenailles, pour déterminer les dimensions d’un étalon matrice du boisseau avec toutes ses divisions; 3° Que la pinte rase de Paris sera établie d’après un étalon de forme cylindrique, ajusté avec la machine inventée par M. Tillet; que sa capacité sera de 48 pouces cubes, et qu elle contiendra 31 onces et un gros d’eau de la Seine; 4° Que la toise sera ajustée sur les toises du cabinet de l’Académie des sciences; 5° Que l’aune sera fixée à 3 pieds 8 pouces ou à 44 poucesdes toises de l’Académie, et que l’usage des aunes ajustées sur la longueur de 3 pieds 7 pouces 8 lignes de la toise réformée en 1668, sera généralement interdit, 6° Qu’en faisant ces opérations, on établira le rapport des poids et mesures actuels et des poids et mesures dont il sera fait de nouveaux étalons, avec les poids et mesures des Romains, avec la juste longueur de l’ancienne et de lav nouvelle toise de France, et avec la longueur du pendule à Quito, à Tornéo et à Paris; 7° Qu’il sera dressé un procès-verbal circonstancié de tous les moyens employés pour les déterminations ci-dessus, et que, après ce procès-verbal, il sera exécuté des étalons matrices de la livre poids de marc, du boisseau, de la pinte, de la toise et de l'aune, lesquels seront déposés au Châtelet et à l’hôtel-de-ville; 8° Qu’il sera ajusté des copies de ces étalons matrices pour être déposées, savoir ; le marc , au bureau de la maison commune des orfèvres; le boisseau à la halle au blé et au bureau des communautés des boulangers et des grainetiers; la pinte, au bureau du corps des marchands de vin, et de la communauté des potiers d’étain; la toise au bureau des maîtres maçons; et faune à celui des marchands merciers; 9° Que toutes les copies ajustées sur des étalons matrices et déposées dans lesdits bureaux, seront comparées tous les ans aux étalons originaux, et qu’il en sera rapporté procès-verbal qui demeurera déposé, tant à l’hôtel-de-ville qu’au Châtelet; Enfin qu’il sera dressé un monument public, aussi solide que simple, défendu par des grilles de fer, dans lesquels sera encastrée une table de porphyre, d’une longueur suffisante, et la plus épaisse qu'on pourra se procurer, sur laquelle seront tracées, sous les yeux de commissaires de l’Académie, la longueur des mesures connues du pendule; celle delà toise et de l’aune de France, et les dimensions en hauteur et en diamètre de deux cylindres, l’un pour la contenance du boisseau, l’autre pour celle de la pinte. Une inscription annoncera que les longueurs tracées sur le porphyre sont les types sur lesquels ont été ajustés tous les poids et toutes les mesures de France. Après le dépôt des étalons de ces poids et mesures, il sera indispensable d’en faire des copies régulièrement ajustées, et de les envoyer sucessivement dans les provinces. On croit qu’il sera convenable de commencer par les mesures qui intéressent le commerce des comestibles et la vente des marchandises nécessaires à l’universalité des habitants, telles que le boisseau et l’aune. Il y aurait moins d’inconvénient à envoyer plus tard la livre, la pinte, la toise. Nous regardons comme un devoir de prévenir qn’en attaquant à la fois toutes les provinces, et sur toutes les espèces de poids et de mesures, on éprouverait des difficultés si multipliées qu’elles pourraient faire avorter le projet d’uniformité, dont le succès est si désirable. On ne se dissimule point que la lenteur de l’envoi successif de tant de copies, fidèlement ajustées sur les étalons-matrices, doit être pénible pour ceux qui aiment l’ordre et sont impatients d’en jouir. Mais on croit ne devoir pas perdre de vue que les désavantages momentanés de ces retardements seront compensés par un adoucis-sementdigne de quelque attention. La suopression de tous les poids, de toutes les mesures répandues jusque dans les plus petits lieux du royaume, entraînera une perte réelle pour ceux qui les ont achetés; l’acquisition d’un nombre égal de poids et de mesures uniformes, s’élèvera à une somme immense, et malgré la dissémination sur un si grand nombre d’individus, il est évident que cette dépense pèsera sur l’Etat, et sera fort onéreuse pour quantité de particuliers. Cette raison suffirait peut-être pour ne pas regretter de n’envoyer que successivement dans les provinces les copies de nouveaux étalons. Au reste, l’Assemblée nationale trouvera dans sa sagesse les moyens d’affaiblir ou de tempérer cette secousse générale. D’ailleurs, en chargeant les départements qu’elle a établis de surveiller l’exécution de cette grande opération, on ne doit pas douter qu’elle ne s’effectue en aussi peu de temps et avec aussi peu de détriment que le permettront les circonstances. C’est notre vœu, et nous sommes pleinement convaincus des avantages innombrables qui résulteront de l’unité et de l’uniformité des poids et mesures, lorsque l’établissement en sera consolidé. Après avoir rempli avec zèle la mission dont nous avons ôté chargés, nous croyons pouvoir nous permettre de solliciter un travail plus approfondi. Il guiderait, dans mille occasions, et à perpétuité, toutes les nations savantes : aucune. ne l’a entrepris. Cependantdes obscurités de tout genre dans les sciences, et des méprises continuelles dans le rapprochement des mesures les plus nécessaires à l’homme en société, nous en font sentir le besoin à chaque instant. Nous avons une multitude d’ouvrages nationaux et étrangers sur les poids et les mesures, anciens et modernes. Parmi ces ouvrages, il y en a d’excellents, et il n’v en a point qui n’ait son utilité. Mais il n’en existe pas’un seul qui pût justifier le titre de Métrologie fondamentale. Tous sont appuyés sur les rapprochements d’une multitude de passages d’auteurs grecs et romains, qui ont fait mention de certains poids, de certaines mesures. Quelques médailles, qu’on a regardées comme parfaitement entières et parfaitement conservées, ont été annoncées comme des garants auxquels on pouvait aveuglément se fier. On a conclu la capacité des mesures des liquides de leur cubature réglée d’après des poids antiques d’une diversité pour le moins inquiétante. On a eu recours à des pieds romains, la plupart tirés de décombres, qu’on a recueillis dans les cabinets des antiquaires. On n’a point été découragé par l’incertitude où jette le défaut de conformité entre les mesures de différentes républiques, de différents empereurs, à des époques différentes. Enfin ces divers moyens réunis ou séparés ont constamment servi d’éléments pour étayer le système que chaque savant a cru devoir imaginer oïi adopter. Il est si difficile, surtout lorsqu’on est préoc- 486 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] cupé d’un système, d’apporter une exactitude scrupuleuse à la pesée d’une petite pièce d’or ou d’argent; de s’assurer de la contenance absolue d'anciens vases employés à la mesure des liquides; de comparer à nos mesures linéaires un pied romain, qui pouvait manquer de justesse en sortant de mains de l’ouvrier, et qui a subi pendant des siècles l’action destructive du temps enfin, il est si difficile de s’assurer de la justesse des balances, des poids et des pieds modernes qu’on emploie à des vérifications si délicates, que des médailles, des monnaies, des poids, des vases, des instruments antiques de mesures linéaires, ne peuvent donner que des résultats équivoques parle canal d’observateurs isolés. Si notre défiance à cet égard avait besoin d’être justifiée, il nous suffirait, sans doute, de citer cet aveu trop modeste de M. l’abbé Barthélemy : « Je n’ai évalué, dit-il, ni les mesures cubiques des anciens, ni les monnaies des différents peuples de la Grèce, parce que j’ai eu rarement occasion d’en parler, et que je n’ai trouvé que des résultats incertains. Sur ces sortes de matières, on n’obtient souvent, à force de recherches , que le droit d’avouer son ignorance, et je crois l’avoir acquis (1). » L’ouvrage moderne le plus approfondi sur cette matière, est la Métrologie de M. Paucton. M. de Romé de l’isle a publié depuis une Métrologie très propre à éclairer sur les rapports des poids et des mesures des anciens. Nous avons profité des lumières répandues dans ces deux ouvrages (2) ; mais la sincérité que nous devons au comité de l’Assemblée nationale, nous impose la loi d’avouer que les traités les plus étendus qui ont paru jusqu’à présent sur les poids et les mesures des anciens, quelque précieux qu’ils soient en eux-mêmes, font désirer que ce chaos soit enfin débrouillé, et que les nations puissent marcher d’un pas ferme et sùr dans ce labyrinthe. Nous croyons que ce travail, qui serait considérable sans être immense, ne devrait être confié à aucun particulier, quelque étendues que fussent ses connaissances. On ne connaît que trop la difficulté, peut-être même l’impossibilité pour l’homme, de s’affranchir de tout esprit de système, de toute séduction du côté des hypothèses. Il n’y a que des compagnies savantes qui puissent rassurer le public contre ces deux écueils, par un travail fait ou du moins discuté en commun, et avoué par ces mêmes compagnies dans ses détails et son ensemble. L’Académie des belles-lettres et celle des sciences rempliraient supérieurement cette glorieuse tâche. Indépendamment des secours tirés des Bibliothèques publiques et particulières, ces compagnies trouveraient dans la collection des mémoires qui, d’année en année, leur ont été fournis par leurs membres, un très grand nombre de matériaux d’élite qu’on chercherait vainement ailleurs. Et ce qui serait plus précieux encore, elles trouveraient dans l’expérience et la sagacité de tant d’hommes savants toutes les ressources qu’on peut attendre et des sciences mathématiques et de l’érudition. Nous désirons, pour l’honneur de l’humanité, (\) Voy. le Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, t. 7 de l’édition in-8°, à la fin de l’avertissement qui est à la tête des tables. (2) Métrologie, ou Traité des mesures', poids et monnaies, etc. A Paris, chez la veuve Desaint, 1780, in-4“. Métrologie , ou Tables pour servir à l’intelligence des poids et mesures des anciens, etc. Paris, de i’im primerie de Monsieur, 1789, in-4°. que le résultat d’un si bel ouvrage substitue, aux probabilités que plusieurs savants ont déjà rassemblées, des preuves claires de l’ancienne existence d’un système métrique universel. Tout nous porte à croire que ce système existe encore, et qu’il suffirait d’écarter la rouille, qui en défigure les copies, pour reconnaître que les peuples se servent de poids et de mesures dont l’étalon matrice, pris dans la nature, a toujours été le même. Si celte conjecture, appuyée d’avance sur l’opinion de savants distingués et sur un grand nombre de faits, d’observations et de rapprochements, était une vérité, il ne serait ni impossible, ni difficile de retrouver le type élémentaire des mesures de tous les peuples d’Europe, et peut-être de tous les peuples policés. Au Louvre, le 4 février 1790. Signé : Tillet et Abeille. ADDITION. Il ne restait à imprimer que les dernières pages de ces observations, lorsqu’un membre de l’Assemblée nationale nous a envoyé une brochure intitulée : Tribut de la société nationale des Neuf-Sœurs. Nous sommes persuadés que Ta plupart des lecteurs nous sauront gré d’avoir extrait ce qui suit, d’un Mémoire sur la nouvelle mesure qu’on propose d'établir en France, par M. de La Lande. « La toise de Paris, dit cet académicien astronome, est si célèbre dans tout l'univers, que je ne pense pas qu’il faille la changer pour y substituer le pendule à secondes ..... Le seul avantage qu'on y ait aperçu, serait de faire adopter )ar l’Angleterre une mesure nouvelle prise dans a nature. . . . ; mais une révolution générale dans es deux nations me paraît impossible. L’opération sera très longue, très embarrassante, très incomplète. Elle mettra une confusion dans les opérations de ceux qui calculent et sera absolument indifférente à ceux qui ne calculent pas. « Je dis plus, elle ne remplira pas l’objet qu’on se propose, en considérant le pendule à seconde à 45 degrés de latitude ..... Car on différera toujours sur la longueur du pendule, plus qu’on ne différera sur la longueur de deux mesures. On ne peut pas s’assurer d’un centième de ligne sur le pendule; l’on peut s’en assurer avec un étalon bien fait. ... Je suppose que nous fassions l’expérience du pendule avec toute la précision possible actuellement-, dans 20 ans, sans doute, on la fera avec une précision plus grande, on trouvera quelques centièmes de plus ou de moins. Alors, d’après la mesure adoptée, on sera réduit à dire par un nouveau calcul : le pendule à secondes diffère de notre mesure de tant de centièmes. Or, dés qu’il faut une réduction, la difficulté restera, et il faudra toujours en revenir à un étalon convenu, dont les copies exactes, répandues dans la France et dans les Etats voisins, seront l’objet de la convention générale, lors même qu'il sera reconnu pour n’être pas le pendule à secondes. « Cette mesure (la toise de Paris) est immortalisée en Angleterre même, par le livre fameux de Newton, qui s’en sert pour les dimensions de la Terre. « Le pendule, qu'on mesure par expérience , n’est pas celui qu’on peut adopter pour servir de mesure universelle, car il varie pour plusieurs causes : 1° par la dilatation du froid et du chaud ; 2° par l’étendue des arcs qu’on fait décrire au 487 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 février 1790.] pendule d’expérience ; 3° par la hauteur au-dessus du niveau ; 4° par la résistance de l’air et par sa densité ; 5° par la nature du terrain dans le pays où l’on opère. « Je ne crois pas que l’on trouve le pendule à 45 degrés de latitude exactement de la même longueur, dans les landes de Bordeaux, dans les rochers du Piémont, de la Hongrie, de l’Arménie et de la Tartarie, quoique toujours à 45 degrés de latitude. « C’est donc une illusion d’imaginer que le pendule naturel sera jamais une mesure fixe. Il en approchera beaucoup; mais le plus ou le moins vaut-il la confusion et le désordre auquel il faudra livrer toutes les mesures exécutées depuis un siècle, rapportées dans tous les ouvrages de mathématique, de géographie, de commerce, de politique, d’agriculture, et dans toutes les parties de l’Europe ? € La société, établie à Londres, pour l’encouragement des arts, ayant proposé un prix en 1774, pour la manière de réduire les mesures d’Angleterre à unè mesure fixe, rejetait Vidée du pendule à secondes. . . dans le programme qui fut publié dans le temps. « Il me semble donc qu’il n’est plus temps de la changer (la mesure de Paris). Mais la confusion qui règne dans les mesures de toutes les parties de la France, est un abus intolérable, un reste de l'absurdité et de la barbarie féodale. « Après avoir tâché de prouver qu’il ne faut point changer la toise de Paris, qui est si connue, je dirai la même chose de la réformation du calendrier. Il serait mieux sans doute que notre année commençât à l’équinoxe du printemps; que les mois de 30 et de 31 jours fussent distribués d’une manière plus conforme aux intervalles des douze signes du zodiaque dans lesquels on les a répartis; mais cet avantage, ou plutôt cette simple convenance , ne saurait balancer les inconvénients du désordre réel qui se trouverait dans nos calendriers, dans nos époques, dans nos dates, dans nos histoires, dans nos relations étrangères, si nous venions à compter d’une manière nouvelle. » B ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du dimanche 7 février 1790 (1). La lecture du procès-verbal des deux séances du 6 février est remise à demain. M. le Président annonce que l’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur la division des départements du royaume. M. Gossin, organe du comité de constitution, propose pour le département du Haut-Berry le décret suivant, qui est adopté : Département de Bourges. « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution : 1° que le département de Bourges, dont Bourges est le chef-lieu, est di-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. visé en sept districts ; 2° que les chefs-lieux de ces districts sont : Bourges, Vierzon, Sancerre, Saint-Amand, Château-Meillant, Sancoins etAubi-gny, sauf à placer le siège du tribunal du district de Sancoins à Dun-le-Roi; 3° que les tribunaux des dictricts de Château-Meillant et Aubigny pourront être placés à Lignière et à Henriche-mont. » Après avoir établi les divers motifs qui avaient déterminé les députés duVivarais à désirer unanimement l’alternative des séances du département et des districts, dans plusieurs villes de leur province, M. Gossin propose le décret suivant, qui est agréé par l’Assemblée : Département du Vivarais. « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution: « 1° Que le département du Vivarais est provisoirement divisé en sept districts, dont les chefs-lieux sont : Annonay, Tournon, Vernoux, Aube-nas, Privas, Villeneuve-de-Berg, et l’Argenlière ; « 2° Qu’en conséquence de l’arrêté des députés de ce département, les séances alterneront entre les villes d’Annonay, Tournon, Privas, Aubenas et le Bourg, mais que la première assemblée se tiendra à Privas; « 3° Que les autres conventions des députés du Vivarais, sur l’alternative des séances des districts de Tournon, Vernoux, Privas, Aubenas et l’Argen-tière seront provisoirement exécutées en faveur des villes de Saint-Perex, de Saignes, la Voûte, Montpesat, Joyeuse ; de manière néanmoins que les premières Assemblées aient lieu à Tournon, Vernoux, Privas, Aubenas et l’Argentière. « 4° Que l’Assemblée nationale aura les égards que de raison à la division des établissements de ces districts, entre les villes ci-dessus énoncées, sur le vœu des députés à l’Assemblée nationale, ou sur celui des électeurs du département ; « 5° Que les articles ci-dessus pourront être modifiés et changés par la prochaine législature, sur la demande des électeurs du département. » M. Gossin expose ensuite les diverses opinions des députés des Deux-Flandres, du Hainaut et du Gambrésis, sur le chef-lieu du département. Les députés de Douai et les députés de Lille le réclament chacun pour leur ville. Le comité, après avoir mûrement réfléchi sur les prétentions rivales, propose le décret suivant : Département des Deux-Flandres, du Hainaut et du Cambrésis. « 1° L’Assemblée nationale décrète, d’après l'avis du comité de constitution, que la ville de Douai est le chef-lieu du département des deux Flandres, du Hainaut et du Gambrésis; « 2° Que les limites de ce département, avec ceux de l’Artois, de la Picardie et du Vermandois, subsisteront telles qu’elles ont été convenues par les députés respectifs, dans l’acte signé d’eux au comité de constitution. » M. Wartel, député de Lille , combat les propositions du comité de constitution. M. de Kystpoter, député de Bailleul, insiste beaucoup pour que l’Assemblée donne la préférence à Lille sur sa rivale.