00 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 114 mai 1791.) M. Regnaad ( de Saint-Jean-d' Angély) . Je ne sais comment il est possible que la raison d’aucun homme se refuse à sentir que rejeter la demande qui vous est faite, c’est décider le sort des hommes de couleur, c’est subordonner les motifs d’intérêt général qu’ils peuvent vous présenter à l’intérêt particulier et à l’amour-propre d’un parti. Je ne sais comment une Assemblée qui a accordé, il y a deux jours, le droit de pétition à tous les citoyens, en refuserait l’exercice à tous ceux qui viennent en ce moment réclamer les droits politiques les plus précieux. Quand la question serait telle que M. Malouet le prétend, ce dont je ne conviens pas,, il ne s’ensuivrait pas que les pétitionnaires, au nom des gens de couleur, ne doivent pas être entendus. En effet, ils auraient à vous demander de les juger, de leur donner les droits de citoyens actifs dans ce moment, sans attendre l’initiative de ceux que des intérêts mal entendus et un vain orgueil ont rendus injustes vis-à-vis d’eux. Ils ont droit d'être entendus, car ils n’ont pas de représentants dans cette Assemblée, quoiqu’ils y aient des défenseurs ( Applaudissements .) ; ils n’ont pu émettre un vœu dans les assemblées primaires; personne n’est chargé de leurs intérêts, et leurs adversaires ont des députés qui siègent parmi vous. Ils ont droit d’êtreen tendus,car, je lerépète, vous avez décrété il y a trois jours que vous recevriez des pétitions et sur quel objet plus important pouvez-vous en admettre que celui auquel tient l’état social, l’existence politique d’une classe nombreuse de citoyens trop longtemps opprimés. Vous devez surtout les entendre, car vous pouvez décider contre eux, et il ne faut pas qu’ils puissent vous reprocher de l’avoir fait faute de lumière et parce que vous les auriez repoussés; il ne faut pas que vous refouliez dans leur âme les plaintes qu’ils veulent exhaler devant vous ; il faut, s’ils n’obtiennent pas l’objet de leur, vœu, qu’ils emportent au moins la consolation d’avoir fait connaître eux-mêmes tous leurs moyens, et qu’ils puissent se dire, s’ils ne sont pas accueillis, que du moins ils n’ont pas été repoussés. Je demande donc que vous admettiez à midi ou à présent (Tout de suite!)... eh bien, tout de suite les pétitionnaires qui demandent à être admis. Plusieurs membres: Fermez la discussion. (L’Assemblée ferme la discussion.) M. de Rostaing. Je demande la question préalable sur la proposition d’admettre les pétitionnaires {Murmures.)... Plus ce quartier-!à {il désigne la gauche) affectera un air de victoire, plus j’y mettrai d’obstination. {Murmures.) (L’Assemblée, consultée, décide qu’il y a lieu à délibérer et décrète que M. Raymond et ses collègues seront admis à la barre.) Plusieurs membres à droite réclament et demandent qu’on passe à l’ordre du jour. ( Bruit prolongé.) M. de Montiosier. En attendant que la députation vienne, je demande à faire part d’une adresse qui m’a été envoyée. M. Je Président. On he lit pas d’adresse à l'Assemblée qü’elle n’ait été commübiquée au Président. M. de Méntlo&ier. Cétte adresse m’a été envoyée pour en faire parfcmoi-mêttie à F Assemblée. M. le Président. Fort bien 1 remettez-la au bureau et on l’examinera. M. de Montiosier. Je vais dire à l’Assemblée ce dont il est question. Plusieurs membres : Non ! non ! M. de Montiosier. Mais j’en réponds 1 {Bruit.) (Il descend de la tribune.) Les commissaires des hommes de couleur sont introduits à la barre . M. Raymond, orateur de la députation (1). Messieurs, nous réclamons l’indulgence de l’Assemblée; nous la prions de nous entendre favorablement sur des faits qui ne nous paraissent pas assez connus pour décider du sort des citoyens de couleur. L’état de la population des hommes libres à Saint-Domingue, île principale des colonies françaises, n’est pas conmi. On a dit à la tribune que fa population des hommes de couleur, dans toutes les colonies, ne s’élevait pas à 6,000 hommes, lorsque la population noire de Saint-Domingue seule s’élève de 27 à 28,000. Ce que j’ai l’honneur d’avancer ici dans l’Assemblée est un fait qui se peut vérifier dans l’instant. Les bureaux de la marine fourniront un état de recensement des deux classes des habitants de Saint-Domingue. Or, dans ces recensements, on y retrouvera que la population des hommes de couleur s’élève au moins de 27 à 28,000, encore y a-t-il même une observation à faire ici relativement à cela. C’est que dans l’état de population, fourni au bureau de la marine, il n’est pas possible d’atteindre en général la population. Vous allez, Messieurs, l’entendre lorsque j’aurai eu l’honneur de vous l’expliquer. On ne connaît la population d’une colonie que d’après tous les recensements particuliers que fournissen t tous les propriétaires. 11 n’ya pas encore bien longtemps que tous les propriétaires indistinctement fournissaient ces déclarations, sans être obligés de désigner la qualité de leur couleur. Depuis environ 8 ans, un ordre du gouvernement obligea tous les habitants de couleur à mettre sur leurs déclarations leur qualité de couleur. Qu’est-il arrivé? G’est que beaucoup de personues de couleur, ayant de la fortune, étant bien venus des blancs répugnaient à avoir cette qualité, qui, dans ce pays, est l’insulte la plus grave qu’on puisse faire. Il en résulte donc que, beaucoup ayant cette qualité, le gouvernement n’a pas pu les comprendre dans le nombre, et ne les a comptés que comme des blancs. Uneautre considération encore, Messieurs, c’est que, dans les colonies, beaucoup d’Européens ont épousé des femmes de couleur. Lorsqu’ils donnent ce recensement, ils ne disent point quelle est leur couleur, parce qu’ils sont censés blancs. Cependant les habitants ont des enfants de couleur, puisque leur mère est de couleur. Ces ehfants ü’étânt point désignés par la couleur, C’êst encore Une diminution à faire sur le tableau que l’on vous a présenté. Quant aüx propriétés des hommes de couleur, on a cherché à vous mOiïfrer que cette classe ne possédait rien ou presque rien ; elle ne possède pas, Messieurs, les grandes richesses des colons blancs. Hélas I cela n’est pas étonnant ; mais il est une (1) Ce discours est très indomplèt àd Moniteur.