604 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 août 1790.] ce moyen puissant manque son effet, alors montrez-vous à leurs yeux comme le dispensateur des grades et de toutes les faveurs militaires; offrez-leur le rang de leurs officiers; engagez-les à s’y porter d’eux-mêmes et à s’élire entre eux, en les assurant que nous les y maintiendrons : vous pouvez même leur nommer le prince, et leur donner sa parole. Le V. de N ..... a dû vous écrire déjà sur cet objet, et vous pourrez vous en rapporter à ce qu’il vous mande. Mais, me direz-vous, un pareil ordre de choses ne peut avoir lieu : comment faire acceptera des hommes qui jouissent d’un état honorable dans leurs classes, d’un état fondé sur leurs devoirs, et dont les fonctions ne leur laissent aucun remords; comment, direz-vous, leur faire accepter un état qui naîtrait du bouleversement total de la discipline, et qu’il serait d’ailleurs impossible de leur conserver ? Je sais toutes les objections que l’on peut faire à cet égard ; mais pensez-vous qu’ils y réfléchissent comme nous, qui sommes obligés de tout prévoir? Pensez-vous que quand vous léur peindrez les avantages de la position brillante que vous leur offrez, en écartant avec adresse toutes les réflexions sur Ips suites qu’elle peut entraîner ; quand vous les ferez paraître les égaux de leur capitaine, de leur colonel, de leur général, ils puissent résister à l’idée attrayante de franchir l’intervalle qui les en sépare? Ge coup décisif étant frappé, la ruine de l’armée est consommée, et alors que nous importent les instruments dontnousnous serons servis? Il nous est fort indifférent que l’ordre des choses que nous aurons établi pour un moment à leur égard persiste ou se détruise. L’artillerie surtout doit être l’objet de vos attentions; c’est dans ce corps que la classe d’officiers, connus sous le nom d'officiers de fortune , est plus généralement répandue; cette classe, tirée de celle des bas-officiers, ne fait qu’une avec elle, et les hommes qui la composent sont d’autant plus aisés à se laisser séduire par l’ambition, qu’ils en ont déjà franchi les premiers échelons. M. de la F..., depuis quelque temps, nous donne beaucoup d’embarras; il a vu que notre parti gagnait prodigieusement, et il a senti la nécessité de s’appuyer sur l’armée, où il travaille autant à remettre l’ordre que nous à le détruire. Chose étonnante] malgré tous nos efforts, les municipalités des grandes garnisons et la plupart des gardes nationales le secondent aujourd’hui, et un des principaux chefs militaires paraît agir de concert avec lui, et s’v être réuni entièrement. Mais si vous ne vous découragez pas, si vous agissez toujours avec la même ardeur que vous avez témoignée, nous maîtriserons encore tous les obstacles : vous savez que je ne me les suis jamais dissimulés; vous savez aussi que je vous ai préditdes succès auxquels vous n’auriez osé croire il y a un an, et que mon attente n’a pas été trompée. Achevez votre ouvrage, mon cher..., le moment décisif est arrivé; l’époque de la confédération approche : j’ai fait retarder la constitution militaire jusqu’à cette époque, je la retarderai encore, s’il le faut; mais si nous perdons du temps, nous nous sommes perdus nous-mêmes, et tout le fruit de nos soins nous est enlevé. Vous travaillez pour un prince dont la générosité a souvent été indignement calomniée; mais vous avez éprouvé par vous-même qu’il ne met pas de bornes à sa reconnaissance, quand on a su la mériter. Il arrive le mois prochain; qu’il trouve vos travaux avancés ; comptez sur lui ; vous savez ce que je vous ai dit, je le répète encore, il n’a jamais varié dans ses promesses, il les tiendra, j’en suis garant ; mais il faut lui donner les moyens de les effectuer : il les attend de vous. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. D’ANDRÉ. Séance du mercredi 4 août 1790 (1) . M. le Président ouvre la séance à 9 heures précises du matin. M.Boutteville-Bumetz, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du mardi 3 août au matin. Il est adopté. M. le Président annonce qu’il a présenté à la sanction du roi les décrets suivants ; « Décret qui fixe définitivement à Arras le chef-lieu du département du Pas-de-Calais. « Décret qui ordonne l’inventaire, par le directoire du district de Strasbourg, des meubles et effets, titres et papiers de l’évêché du grand chapitre de ladite ville; enjoint au cardinal de Rohan de revenir, sous quinze jours, reprendre sa place dans l’Assemblée, et rendre compte de sa conduite, s’il y a lieu. « Décret qui réunit à la municipalité de la Chapelle la partie du faubourg Saint-Denis, connue sous le nom du faubourg de Gloire. « Décret sur les pensions, gratifications et autres récompenses nationales. « Décret qui annuité la nomination du sieur Lemaître aux fonctions de maire de la ville de Loudun, et lui défend d’en prendre le titre et d’en faire les fonctions; et ordonne qu’il sera procédé à une nouvelle nomination. « Décret portant qu’il sera ordonné aux tribunaux du royaume, et particulièrement dans le département du Loiret, de punir avec sévérité ceux qui s’opposent au payement des dîmes de celte année, des droits et champarts non supprimés, et aux municipalités de détruire toutes les marques extérieures d’insurrrection et de sédition. M. le Président ajoute ; le roi m’a répondu qu’il prendrait ces objets en considération. M. Bouche demande la parole pour faire un rapport très court, au nom du comité de vérification, sur la députation de Tartas. M. Bouche, rapporteur. Les sièges de Dax, Saint-Sever, Mont-de-Marsan et Tartas composent le département des Landes. Lors de la formation de l’Assemblée nationale, Dax, Saint-Sever et Bayonne nommèrent quatre députés et un suppléant ; Tartas nomma seulement quatre députés, dont un est mort. Aujourd’hui M. Laffitte, suppléant de Dhx, Saint-Sever et Bayunne, demande à être reçu à la place du décédé. Le motif qu’il allègue est pris de ce qu’il se trouve suppléant du département des Landes, dans lequel Tartas est entré par la nouvelle formation et division de la France. Le comité a pensé qu’il devait faire (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 août 1790.) 605 l’Assemblée juge des raisons alléguées pour et coutre M. Laffitte. D’un côté, on fait valoir que les députés étant censés députés de toute la nation, il doit être admis ; d’autre part, on objecte que quoique M. Laffitte ait obtenu la confiance des électeurs de D ix, Saint-Sever et Bayonne, rien ne prouve que ceux de Tartas lui eussent donné la leur. C’est à l’Assemblée à prononcer. (L’Assemblée décide que M. Laffitte ne sera pas admis.) M. le Président donne lecture du bulletin de la santé du roi, ainsi conçu : ' « Saint-Cloud, ce 4 août 1790. « Le roi s’étant très bien trouvé hier toute la journée et ayant très bien passé la nuit, Sa Majesté a pris ce matin une première médecine. Il n’y aura plus de bulletin. « Signé : Le Monnier, Vic-d’Azir, Laservolle. » (L’Assemblée témoigne sa joie par des applaudissements.) M. Vernier, rapporteur du comité des finances, propose d’autoriser les officiers municipaux de la ville de Montmédy à emprunter une somme de 12,000 livres. La proposition est mise aux voix et décrétée dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport du comité des finances, autorise les officiers municipaux de la ville de Montmédy à emprunter la somme de 12,000 livres , à l’effet d’acquitter celles énoncées dans la délibération prise en conseil général, du 25 avril dernier, conformément aux différentes ordonnances rendues par l’ancien intendant de Meiz, à charge de rembourser ladite somme sur les coupes de leurs bois communaux qui devaient avoir lieu les années 1788, 1789 et 1790, lorsqu’ils auront obtenu la permission de faire lesdites coupes, et, au surplus, à charge de rendre compte. » M. Vernier fait un second rapport relatif au refus des cabaretiers, aubergistes, bouchers et autres contribuables de Noyon , Ham, Chauny et paroisses circonvoisines , depayer les droits dont la perception a été continuée. M. l’abbé Gouttes. Je dénonce comme inconstitutionnel le moyen qu’emploieen ce moment le pouvoir exécutif pour parvenir à la perception des impôts-, c'est de donner à des particuliers la commission de parcourir les départements pour veiller aux recouvrements, avec la faculté de requérir les troupes de lignes et gardes nationales s’ils en ont besoin. (Il lit une commission de cette espèce, datée du 18 juillet, et donnée à un commissaire des guerres.) M. Vernier. Le gouvernement a prévenu le comité des finances de ses mesures afin d’en obtenir une espèce d’adhésion. Nous avons pensé qu’il agissait dans la limite de ses attributions, mais nous nous sommes bien gardés de donner aucun avis en cette affaire, de peur que les commissaires n’excédassent leur mission. M. Goupil. Il est bien singulier que le comité nous donne une semblable raison. La question est de savoir si les commissions sont légitimes, ce qui est indépendant de la manière dont les commissaires se conduiront. Je demande le renvoi au comité de Constitution. (Le renvoi est prononcé.) Le projet de décret du comité des finances est ensuite adopté en ces termes : « Sur le rapport fait à l’Assemblée nationale des refus, et même de la coalition des cabaretiers, aubergistes, bouchers et autres contribuables de la ville de Noyon, Ham, Chauny et paroisses circonvoisines, à l’effet de ne point payer les droits dont la perception avait été continuée , refus constaté par la proclamation faite à ce sujet de l’autorité des. officiers municipaux le 21 juin, par les procès-verbaux des 1er et 2 juillet, l’Assemblée nationale ordonne, conformément à ses précédents décrets, que les octrois de la ville continueront d 'être perçus tels et de la même manière qu’ils l’étaient en l’année dernière, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné ; enjoint spécialement aux bouchers, cabaretiers et autres, d’acquitter les droits dont il s’agit, même pour les arriérés, à peine d’être poursuivis, non seulement comme contribuables, mais encore comme réfractaires aux décrets de l’Assemblée nationale. « Déclare le présent décret commun à tous les lieux où il se trouve des octrois établis. » M. Martineau. Le comité de Constitution et le comité des finances devaient présenter un projet de décret pour l’institution des trésoriers de districts, je ne sais pourquoi cet objet est retardé, il est cependant très urgent. On a déjà dénoncé de grands abus au comité des finances : les perceptions ne se font pas, la négligence des receveurs généraux et particulieis est telle, que de riches particuliers de ma connaissance sont en arrière de trois années, pour le payement de leurs impositions; quand ils se sont présentés pour les acquitter, on leur a dit qu 'il n'y avait rien de pressé. Il ne faut passe dissimuler que les personnes employées dans l’ancien régime veulent faire manquer la Constitution. Je demande donc qu’il soit incessamment présenté un projet de décret, par lequel les districts seront autorisés à nommer un trésorier chargé de la perception de toutes les impositions. M. Thouret. Les décrets rendus sur l’organisation des corps administratifs renferment des dispositions en vertu desquelles les districts doivent nommer des trésoriers. Le mode de cette nomination et des fonctions de ces officiers étant contenu dans les instructions à envoyer à ces corps, et ces instructions devant être imprimées et distribuées demain, l’objet de la proposition de M. Martineau est rempli. M. Ce Chapelier. Ce serait revenir sur vos décrets que d’adopter la proposition de M. Martineau, car vous avez décrété que le mode des impôts et la comptabilité resteront encore pour cette année sur l’ancien pied. Vous devez avoir confiance dans les administrateurs actuels. Je demande donc l’ordre du jour et surtout la continuation de l’ordre judiciaire; car si nous divergeons continuellement de matière en matière, comme nous le faisons depuis six semaines, il est impossible que nous puissions jamais obtenir de l’ensemble dans notre travail. M. ïe Président met cette motion aux voix : elle est adoptée à l’unanimité. M. l’abbé Pocheron, député de Charolles, demande un congé de six semaines pour affaires de famille importantes.