146 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE traduits devant les tribunaux avoient obtenu par le décret du 30 frimaire, un sursis à toutes poursuites jusqu’à plus ample examen de leur conduite. Il résulte des renseignemens pris par le comité de sûreté générale qu’à l’époque du 31 mai que (sic) les détenus ont été un instant égarés par des journaux perfides, mais que leur erreur n’a été que de peu de durée; que depuis le commencement de la révolution, ils ont donné des preuves du plus grand amour pour la liberté, qu’ils jouissent de l’estime des plus purs républicains. Enfin Mallarmé qui a été en mission dans le département n’a rien recueilli qui ne soit à leur avantage. Le Rapporteur a donc proposé de briser sur-le-champ, leurs fers et de les rendre à leurs foyers] (1). Un membre [LACOSTE], au nom du comité de sûreté générale, fait un rapport à la suite duquel il propose un projet de décret, qui a été adopté ainsi qu’il suit : «La Convention nationale, après avoir entendu son comité de sûreté générale, «Décrète que les citoyens Lanthonnet, receveur; Dessaulx, instituteur national; Henriot-Valleron et GiUon, administrateurs du district de Bar-sur-Ornain; Henriot, agent national près le même district; et Perard, greffier du tribunal, tous habitans de la commune de Bar-sur-Ornain, seront mis sur-le-champ en liberté » (2). 32 Un membre [MONNOT], au nom du comité des finances, fait adopter le décret suivant : «La Convention nationale, après avoir entendu son comité des finances, «Décrète que l’offrande patriotique de 500 liv., adressée le jour d’hier à la Convention par deux citoyens de Nice qui ont gardé l’anonyme, est renvoyée au comité de salut public pour statuer sur la destination de cette somme de la manière qu’il trouvera la plus convenable» (3) . 33 Un secrétaire fait lecture du procès-verbal de la séance du 29 prairial; la rédaction est adoptée (4) (1) C. Univ., Séance du 6 Mess., p. 2450; J. Perlet, n° 640; Audit, nat., n° 639; J. S. Culottes, n° 495; J. Fr., n° 638; M.U., XLI, 164; C. Eg., n° 675; Mess. Soir, n° 674; J. Lois, n° 634; Audit, nat. n° 639; J. Sablier, n° 1397. (2) P.V., XL, 125. Minute de là main de Lacoste, Décret n° 9643. Mon., XXI, 62. Rép., nOB 185, 187; Débats, n° 642; F.SJP., n° 355; Ann. R.F., n° 206. Mentionné par : J. Paris, n° 541. (3) P. V., XL, 126. Minute de la main de Monnot. Décret n° 9644. Mon., XXI, 62; Débats, n°642; J. univ., n° 1675. Voir séance du 5 mess., n° 66. A noter que le comité des finances ne tient pas compte des desiderata des 2 C“s de Nice qui destinaient leur don au cn Geffroy. (4) P.V., XL, 126. 34 Un autre secrétaire fait lecture du procès-verbal de la séance du 2 messidor; la rédaction est également adoptée (1). 35 Un membre [MICHAUD] fait un rapport: Michaud, au nom du comité de législation : Citoyens, il a existé dans la commune d’Argen-ton un projet d’empêcher le recrutement décrété par la Convention nationale le 24 février; on faisait contracter aux jeunes gens, et par serment et par souscription sur une liste, l’engagement de ne point porter les armes pour la patrie; on combattait leur zèle déjà trop attiédi par des propos liberticides, par le tableau exagéré des victimes immolées par la guerre, et par la perspective d’une contre-révolution prochaine. Ces atrocités furent dénoncées au juge de paix de la commune d’Argenton, le 5 mars 1793, vieux style. Il résulte des informations faites par ce juge de paix, les 6 et 9 mars, que les auteurs de ces mouvemens ont été dévoilés. Les nommés Jacques Marchand, praticien et neveu d’un prêtre réfractaire, ancien curé de la commune d’Argenton; Jean-Baptiste Lesueur, volontaire, ayant quitté les drapeaux du 1er bataillon de l’Indre à cette époque, sur un simple billet de convalescence; Désaigues et Crochereau, fils d’un entrepreneur, paraissent avoir été les principaux auteurs. Jacques Marchand a proposé à 5 citoyens, qui déposent uniformément de ce fait, de s’inscrire sur une liste des traîtres qui s’opposaient au recrutement. Il disait à l’un d’eux que, si on voulait le croire, les patriotes auraient chaud. Jean-Baptiste Lesueur disait à ceux dont il voulait ébranler la fidélité envers la patrie qu’il ne voulait pas rejoindre le 1er bataillon de l’Indre, qu’il en était revenu couvert de gale et de poux; qu’avant le mois de mars il y aurait plus de 400 000 Français de tués; qu’il n’y avait plus de roi, plus de chef, de constitution, et qu’il ne voulait pas soutenir ce que faisait la Convention. Crochereau fils agissait auprès des jeunes gens dans le sens des deux 1ers coupables; il quêtait des inscriptions sur la liste des rebelles à la loi. Désaigues recevait chez lui les inscriptions de ceux que ses complices engageaient à se refuser au recrutement. Ce même Désaigues a pris une part active dans le complot; son domestique était l’agent dont il se servait pour acquérir des partisans. Tous ceux qu’on excitait à la révolte, on leur indiquait Désaigues comme devant recevoir leurs serments et leurs signatures. Un témoin paraît indiquer même qu’il avait une somme de 10.000 liv. à distribuer aux malheureuses victimes de sa séduc-(1) P.V., XL, 126. 146 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE traduits devant les tribunaux avoient obtenu par le décret du 30 frimaire, un sursis à toutes poursuites jusqu’à plus ample examen de leur conduite. Il résulte des renseignemens pris par le comité de sûreté générale qu’à l’époque du 31 mai que (sic) les détenus ont été un instant égarés par des journaux perfides, mais que leur erreur n’a été que de peu de durée; que depuis le commencement de la révolution, ils ont donné des preuves du plus grand amour pour la liberté, qu’ils jouissent de l’estime des plus purs républicains. Enfin Mallarmé qui a été en mission dans le département n’a rien recueilli qui ne soit à leur avantage. Le Rapporteur a donc proposé de briser sur-le-champ, leurs fers et de les rendre à leurs foyers] (1). Un membre [LACOSTE], au nom du comité de sûreté générale, fait un rapport à la suite duquel il propose un projet de décret, qui a été adopté ainsi qu’il suit : «La Convention nationale, après avoir entendu son comité de sûreté générale, «Décrète que les citoyens Lanthonnet, receveur; Dessaulx, instituteur national; Henriot-Valleron et GiUon, administrateurs du district de Bar-sur-Ornain; Henriot, agent national près le même district; et Perard, greffier du tribunal, tous habitans de la commune de Bar-sur-Ornain, seront mis sur-le-champ en liberté » (2). 32 Un membre [MONNOT], au nom du comité des finances, fait adopter le décret suivant : «La Convention nationale, après avoir entendu son comité des finances, «Décrète que l’offrande patriotique de 500 liv., adressée le jour d’hier à la Convention par deux citoyens de Nice qui ont gardé l’anonyme, est renvoyée au comité de salut public pour statuer sur la destination de cette somme de la manière qu’il trouvera la plus convenable» (3) . 33 Un secrétaire fait lecture du procès-verbal de la séance du 29 prairial; la rédaction est adoptée (4) (1) C. Univ., Séance du 6 Mess., p. 2450; J. Perlet, n° 640; Audit, nat., n° 639; J. S. Culottes, n° 495; J. Fr., n° 638; M.U., XLI, 164; C. Eg., n° 675; Mess. Soir, n° 674; J. Lois, n° 634; Audit, nat. n° 639; J. Sablier, n° 1397. (2) P.V., XL, 125. Minute de là main de Lacoste, Décret n° 9643. Mon., XXI, 62. Rép., nOB 185, 187; Débats, n° 642; F.SJP., n° 355; Ann. R.F., n° 206. Mentionné par : J. Paris, n° 541. (3) P. V., XL, 126. Minute de la main de Monnot. Décret n° 9644. Mon., XXI, 62; Débats, n°642; J. univ., n° 1675. Voir séance du 5 mess., n° 66. A noter que le comité des finances ne tient pas compte des desiderata des 2 C“s de Nice qui destinaient leur don au cn Geffroy. (4) P.V., XL, 126. 34 Un autre secrétaire fait lecture du procès-verbal de la séance du 2 messidor; la rédaction est également adoptée (1). 35 Un membre [MICHAUD] fait un rapport: Michaud, au nom du comité de législation : Citoyens, il a existé dans la commune d’Argen-ton un projet d’empêcher le recrutement décrété par la Convention nationale le 24 février; on faisait contracter aux jeunes gens, et par serment et par souscription sur une liste, l’engagement de ne point porter les armes pour la patrie; on combattait leur zèle déjà trop attiédi par des propos liberticides, par le tableau exagéré des victimes immolées par la guerre, et par la perspective d’une contre-révolution prochaine. Ces atrocités furent dénoncées au juge de paix de la commune d’Argenton, le 5 mars 1793, vieux style. Il résulte des informations faites par ce juge de paix, les 6 et 9 mars, que les auteurs de ces mouvemens ont été dévoilés. Les nommés Jacques Marchand, praticien et neveu d’un prêtre réfractaire, ancien curé de la commune d’Argenton; Jean-Baptiste Lesueur, volontaire, ayant quitté les drapeaux du 1er bataillon de l’Indre à cette époque, sur un simple billet de convalescence; Désaigues et Crochereau, fils d’un entrepreneur, paraissent avoir été les principaux auteurs. Jacques Marchand a proposé à 5 citoyens, qui déposent uniformément de ce fait, de s’inscrire sur une liste des traîtres qui s’opposaient au recrutement. Il disait à l’un d’eux que, si on voulait le croire, les patriotes auraient chaud. Jean-Baptiste Lesueur disait à ceux dont il voulait ébranler la fidélité envers la patrie qu’il ne voulait pas rejoindre le 1er bataillon de l’Indre, qu’il en était revenu couvert de gale et de poux; qu’avant le mois de mars il y aurait plus de 400 000 Français de tués; qu’il n’y avait plus de roi, plus de chef, de constitution, et qu’il ne voulait pas soutenir ce que faisait la Convention. Crochereau fils agissait auprès des jeunes gens dans le sens des deux 1ers coupables; il quêtait des inscriptions sur la liste des rebelles à la loi. Désaigues recevait chez lui les inscriptions de ceux que ses complices engageaient à se refuser au recrutement. Ce même Désaigues a pris une part active dans le complot; son domestique était l’agent dont il se servait pour acquérir des partisans. Tous ceux qu’on excitait à la révolte, on leur indiquait Désaigues comme devant recevoir leurs serments et leurs signatures. Un témoin paraît indiquer même qu’il avait une somme de 10.000 liv. à distribuer aux malheureuses victimes de sa séduc-(1) P.V., XL, 126. SEANCE DU 6 MESSIDOR AN II (24 JUIN 1794) - N° 35 147 tion. Ce soupçon s’accroît encore par la déposition indirecte d’un autre témoin, qui accuse Désaigues d’avoir dit qu’il fallait tous tenir bon pour ne pas partir; qu’il était sûr de 10 paroisses qui en feraient autant; qu’il avait 10.000 liv. à leur partager pour les divertir s’il réussissait dans son projet; qu’il espérait que nos volontaires allaient tous être égorgés, et que les ennemis ne ménageraient que les troupes de ligne. Le juge de paix lança des mandats d’arrêt contre Marchand et Lesueur. Charles Badou, à qui le juge de paix renvoya cette affaire comme faisant fonction de directeur du jury, interrogea les deux prévenus. Le 16 mars, le commissaire national requit un sursis à l’instruction et au jugement, et s’opposa à toutes procédures ultérieures; il motiva son réquisitoire sur le décret du 10 mars, par lequel la Convention nationale créait un tribunal extraordinaire qui devait connaître de tous les délits contre-révolutionnaires; sur la nécessité de consulter dans ce cas la Convention nationale, dont le décret n’était pas encore parvenu officiellement, pour savoir si les prévenus seraient jugés dans la forme ordinaire ou par le tribunal révolutionnaire. Le directeur du jury exposa au tribunal assemblé que le commissaire national n’avait voulu donner d’autres conclusions qu’un réquisitoire par lequel il s’en réfère et en écrit à la Convention nationale, pour être instruit si les prévenus seraient jugés par la loi révolutionnaire créée le 10 mars. Le directeur du jury déclara qu’il n’était pas de cet avis, qu’il n’estimait pas que les nommés Lesueur et Marchand, supposé qu’ils eussent tenu les propos à eux imputés, et que ledit Marchand eût colporté la liste en question, eussent agi méchamment et à dessein, et qu’il ne trouvait pas le délit à eux imputé de nature à mériter peine afflictive. Le tribunal, trop attaché à des formes de peu de conséquence, adopta l’avis du directeur du jury. Il ordonna la relaxation des prévenus, et motiva son jugement sur plusieurs considérations qui, aux yeux du citoyen révolutionnaire, ne sont pas d’un grand poids; entre autres sur ce que le porteur du mandat d’arrêt avait omis de prendre du geôlier une reconnaissance de la remise des prévenus en la maison d’arrêt, et de la faire signer par le directeur du jury, et sur ce que les délits n’étaient classés ni dans la loi de police municipale et correctionnelle, ni dans le Code pénal. Ce jugement vous fut dénoncé, citoyens collègues. Charles Badou, directeur du jury, fut mandé à votre barre le 6 avril suivant, et par le même décret vous ordonnâtes que les prévenus seraient mis en arrestation. L’affaire est demeurée dans l’indécision pendant 9 mois. Le 22 nivôse, sur la pétition du citoyen Badou, vous m’avez envoyé pour vérifier les faits qui ont donné lieu au mandat à la barre contre Badou, et statuer provisoirement, sauf à vous en rendre compte. Vous venez, citoyens collègues, d’entendre l’exact récit de ces faits; voici maintenant les considérations que je vous présente pour arriver à une décision définitive, fondée sur la justice que l’on doit aux hommes et sur la prudence du législateur, qui dirige toutes les actions vers l’utilité publique. Les manœuvres que je vous ai tracées n’ont point empêché le recrutement; il s’est exécuté avec facilité; il n’a éprouvé aucun obstacle; à l’instant où le tribunal informait contre les coupables, les jeunes gens s’empressaient de montrer la plus entière soumission à la loi; ceux mêmes qui s’étaient laissé aller à un égarement passager manifestaient le désir de le faire oublier en versant leur sang pour la cause de la liberté. Le tribunal était ému par ces exemples de repentir, par les dispositions favorables que manifestait la jeunesse; il était effrayé des actes nombreux de sévérité qu’il eût fallu exercer si l’on eût recherché tous ceux qui avaient méconnu un instant la voix de la patrie. Le directeur du jury, dans cette occasion, n’a personnellement aucun reproche à se faire qui ne soit commun à tous ses collègues; il n’a point prononcé de lui-même la relaxation des prévenus; le jugement a été rendu par le tribunal entier. La loi n’établissant aucune peine contre les juges en pareil cas, j’aurais pu prononcer leur destitution, ou plutôt leur suspension provisoire. Chargé par vous d’organiser le gouvernement révolutionnaire dans le département de l’Indre, j’ai consulté l’opinion du peuple sur le caractère des juges du tribunal du district d’Argenton; elle a été unanime en leur faveur; ils jouissent auprès de leurs concitoyens de l’estime que l’on doit aux vertus morales et civiques, et de la confiance que l’on accorde à des talents distingués. Cette confiance est générale dans tout le département, et le citoyen Badou la partage. La Société populaire d’Argenton met le plus vif intérêt à cette affaire; elle m’a exprimé plusieurs fois, de vive voix et par écrit, son vœu en leur faveur; ce vœu ne vous paraîtra pas suspect si vous vous rappelez, citoyens collègues, que cette Société populaire vous a exprimé plusieurs fois son adhésion la plus entière à vos décrets les plus révolutionnaires, et que souvent cette salle a retenti des applaudissements que vous avez donnés à l’énergie et à la pureté de ses principes. L’intérêt public me commande de vous observer encore qu’il serait impossible de réorganiser le tribunal d’Argenton; les hommes capables y sont rares, et l’on ne sert pas la patrie en désorganisant les autorités constituées dans un gouvernement révolutionnaire, où l’action des lois doit être prompt, et où les intrigants, qui sont les plus dangereux fléaux de la société, sont sans cesse aux aguêts pour s’emparer des places. Mais, citoyens collègues, je dois vous dire aussi que je pense que la vengeance nationale doit s’appesantir sur les principaux auteurs des mouvements contre-révolutionnaires qui se sont manifestés à Argenton. La justice accompagne toujours la vertu, que vous avez mise à l’ordre du jour, et la justice ne pardonne pas aux véritables criminels. L’époque du recrutement des 300.000 hommes a été une des plus dangereuses crises de la Révolution; la liberté en est sortie victorieuse; il faut consolider son triomphe par la destruction de tous les scélérats qui ont voulu la détruire; la Convention nationale ne pourrait, sans crime, leur pardonner (1) . (1) Mon, XXI, 60. SEANCE DU 6 MESSIDOR AN II (24 JUIN 1794) - N° 35 147 tion. Ce soupçon s’accroît encore par la déposition indirecte d’un autre témoin, qui accuse Désaigues d’avoir dit qu’il fallait tous tenir bon pour ne pas partir; qu’il était sûr de 10 paroisses qui en feraient autant; qu’il avait 10.000 liv. à leur partager pour les divertir s’il réussissait dans son projet; qu’il espérait que nos volontaires allaient tous être égorgés, et que les ennemis ne ménageraient que les troupes de ligne. Le juge de paix lança des mandats d’arrêt contre Marchand et Lesueur. Charles Badou, à qui le juge de paix renvoya cette affaire comme faisant fonction de directeur du jury, interrogea les deux prévenus. Le 16 mars, le commissaire national requit un sursis à l’instruction et au jugement, et s’opposa à toutes procédures ultérieures; il motiva son réquisitoire sur le décret du 10 mars, par lequel la Convention nationale créait un tribunal extraordinaire qui devait connaître de tous les délits contre-révolutionnaires; sur la nécessité de consulter dans ce cas la Convention nationale, dont le décret n’était pas encore parvenu officiellement, pour savoir si les prévenus seraient jugés dans la forme ordinaire ou par le tribunal révolutionnaire. Le directeur du jury exposa au tribunal assemblé que le commissaire national n’avait voulu donner d’autres conclusions qu’un réquisitoire par lequel il s’en réfère et en écrit à la Convention nationale, pour être instruit si les prévenus seraient jugés par la loi révolutionnaire créée le 10 mars. Le directeur du jury déclara qu’il n’était pas de cet avis, qu’il n’estimait pas que les nommés Lesueur et Marchand, supposé qu’ils eussent tenu les propos à eux imputés, et que ledit Marchand eût colporté la liste en question, eussent agi méchamment et à dessein, et qu’il ne trouvait pas le délit à eux imputé de nature à mériter peine afflictive. Le tribunal, trop attaché à des formes de peu de conséquence, adopta l’avis du directeur du jury. Il ordonna la relaxation des prévenus, et motiva son jugement sur plusieurs considérations qui, aux yeux du citoyen révolutionnaire, ne sont pas d’un grand poids; entre autres sur ce que le porteur du mandat d’arrêt avait omis de prendre du geôlier une reconnaissance de la remise des prévenus en la maison d’arrêt, et de la faire signer par le directeur du jury, et sur ce que les délits n’étaient classés ni dans la loi de police municipale et correctionnelle, ni dans le Code pénal. Ce jugement vous fut dénoncé, citoyens collègues. Charles Badou, directeur du jury, fut mandé à votre barre le 6 avril suivant, et par le même décret vous ordonnâtes que les prévenus seraient mis en arrestation. L’affaire est demeurée dans l’indécision pendant 9 mois. Le 22 nivôse, sur la pétition du citoyen Badou, vous m’avez envoyé pour vérifier les faits qui ont donné lieu au mandat à la barre contre Badou, et statuer provisoirement, sauf à vous en rendre compte. Vous venez, citoyens collègues, d’entendre l’exact récit de ces faits; voici maintenant les considérations que je vous présente pour arriver à une décision définitive, fondée sur la justice que l’on doit aux hommes et sur la prudence du législateur, qui dirige toutes les actions vers l’utilité publique. Les manœuvres que je vous ai tracées n’ont point empêché le recrutement; il s’est exécuté avec facilité; il n’a éprouvé aucun obstacle; à l’instant où le tribunal informait contre les coupables, les jeunes gens s’empressaient de montrer la plus entière soumission à la loi; ceux mêmes qui s’étaient laissé aller à un égarement passager manifestaient le désir de le faire oublier en versant leur sang pour la cause de la liberté. Le tribunal était ému par ces exemples de repentir, par les dispositions favorables que manifestait la jeunesse; il était effrayé des actes nombreux de sévérité qu’il eût fallu exercer si l’on eût recherché tous ceux qui avaient méconnu un instant la voix de la patrie. Le directeur du jury, dans cette occasion, n’a personnellement aucun reproche à se faire qui ne soit commun à tous ses collègues; il n’a point prononcé de lui-même la relaxation des prévenus; le jugement a été rendu par le tribunal entier. La loi n’établissant aucune peine contre les juges en pareil cas, j’aurais pu prononcer leur destitution, ou plutôt leur suspension provisoire. Chargé par vous d’organiser le gouvernement révolutionnaire dans le département de l’Indre, j’ai consulté l’opinion du peuple sur le caractère des juges du tribunal du district d’Argenton; elle a été unanime en leur faveur; ils jouissent auprès de leurs concitoyens de l’estime que l’on doit aux vertus morales et civiques, et de la confiance que l’on accorde à des talents distingués. Cette confiance est générale dans tout le département, et le citoyen Badou la partage. La Société populaire d’Argenton met le plus vif intérêt à cette affaire; elle m’a exprimé plusieurs fois, de vive voix et par écrit, son vœu en leur faveur; ce vœu ne vous paraîtra pas suspect si vous vous rappelez, citoyens collègues, que cette Société populaire vous a exprimé plusieurs fois son adhésion la plus entière à vos décrets les plus révolutionnaires, et que souvent cette salle a retenti des applaudissements que vous avez donnés à l’énergie et à la pureté de ses principes. L’intérêt public me commande de vous observer encore qu’il serait impossible de réorganiser le tribunal d’Argenton; les hommes capables y sont rares, et l’on ne sert pas la patrie en désorganisant les autorités constituées dans un gouvernement révolutionnaire, où l’action des lois doit être prompt, et où les intrigants, qui sont les plus dangereux fléaux de la société, sont sans cesse aux aguêts pour s’emparer des places. Mais, citoyens collègues, je dois vous dire aussi que je pense que la vengeance nationale doit s’appesantir sur les principaux auteurs des mouvements contre-révolutionnaires qui se sont manifestés à Argenton. La justice accompagne toujours la vertu, que vous avez mise à l’ordre du jour, et la justice ne pardonne pas aux véritables criminels. L’époque du recrutement des 300.000 hommes a été une des plus dangereuses crises de la Révolution; la liberté en est sortie victorieuse; il faut consolider son triomphe par la destruction de tous les scélérats qui ont voulu la détruire; la Convention nationale ne pourrait, sans crime, leur pardonner (1) . (1) Mon, XXI, 60.