ARCHIVES PARLEMENTAIRES RÈGNE DE LOUIS XVI ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. MERLIN. Séance du samedi 23 octobre 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures et demie du soir. M. de Gennes ( Guillaume-Joseph Pelisson ), suppléant de la députation de l'ancienne sénéchaussée du Maine, admis à Ja séance du matin de ce jour, d’après le rapport et l’avis du comité de vérification, et sur la démission de M. Guérin, membre de la même députation, prête le serment d’usage et prend place dans l’Assemblée. On admet à la barre le sieur Barthélémy, ci-de-vant entrepreneur des nitrières et chargé de visiter les différents arsenaux et poudrières de l’Eu-� rope, lequel a déjà eu l’honneur de présenter à l’Assembiée nationale un mémoire sur le raffinage du salpêtre, la fabrication et la perfection des poudres. Il fait un nouvel hommage d’une représentation en relief du champ de la Fédération, ci-devant connu sous le nom de Ghamp-de-Mars, construite v en salpêtre, et la présente comme une preuve de sa capacité dans la manipulation du salpêtre, offrant de consacrer ses talents en ce genre au service de la nation. (L’Assemblée nationale agrée cet hommage ; elle ordonne qu’il en sera fait une mention honorable dans son procès-verbal, et accorde au sieur Barthélémy les honneurs de sa séance.) Il est ensuite donné lecture des adresses suivantes : Adresse des administrateurs du département des Basses-Pyrénées, qui consacrent les premiers moments de leur existence à présenter à l’Assem-\ blée nationale le tribut de leur admiration et de leur dévouement ; ils expriment les vœux les plus ardents pour le retour de leurs frères qui se sont éloignés, sous le prétexte que le chef-lieu du département a été fixé à Navarreins. Adresse du Régime général des écoles chré-� tiennes, qui supplie l’Assemblée de conserver r cet Institut, et, en cas de suppression, de le traiter à l’instar des religieux rentés. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. lre Série. T. XX. Adresse des électeurs du district de Montpellier, du district de Gastelnaudary et du district d’Orgelec, assemblés pour la nomination des juges, qui expriment une nouvelle adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale. II résulte du procès-verbal de l’assemblée électorale du district d’Orgelet, que les juges élus considérant que le traitement de 1,800 livres attaché à leur place, entraînait pour le district une dépense dont ils auraient voulu le décharger entièrement par un service gratuit, s’ils n’avaient craint d’en écarter par la suite des citoyens distingués par leurs talents et leurs vertus, ont réduit leur traitement à 1,200 livres, savoir : 600 livres de fixe, et 600 livres en distribution d’assistance. Adresse de M. Tuet, ci-devant chanoine de Sens, qui fait hommage à l'Assemblée d’un ouvrage intitulé : Projet sur l'usage que Von peut faire des Livres nationaux. Adresse de M. Bonne, ingénieur hydrographe de la marine, qui présente il l’Assemblée un ouvrage qu’il a composé sur les mesures, les poids et les monnaies. Adresse des électeurs du district de Louhans, réunis les 16 et 17 de ce mois pour l’élection de leurs juges : après avoir exprimé les sentiments de respect, d’admiration et de reconnaissance dont ils sont pénétrés pour le bienfait de la Constitution, ils jurent de sacrifier, s’il le fallait, tout ce qu’ils ont de plus cher, et leurs vies mêmes, à la patrie, pour lui conserver dans sa pureté et son intégrité la jouissance de ce bienfait ; ils demandent, en leur nom et au nom de leurs commettants, la conservation de leur district, et qu’il soit incessamment prononcé sur l’indemnité du canton deGhaussin, ordonnée par décret du 7 avril dernier, suivant le projet arrêté par les administrateurs du district. (L’Assemblée applaudit aux sentiments exprimés dans cette adresse, et en ordonne le renvoi à son comité de Constitution.) Adresse du conseil général de la commune de Marseille, qui demande justice et protection contre tous les ministres, que la nation entière accuse, et qui dément en particulier, de la manière la plus formelle, les inculpations faites contre cette ville par le ministre de la guerre; il demande à être autorisé à le poursuivre devant les tribunaux, comme calomniateur, pour avoir osé en imposer à l’Assemblée nationale, en lui annonçant que la majorité des sections de la t><\ v°>o 2 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 octobre 1790.) ville de Marseille , qui ne sont plus en activité, s’était opposée au départ du régiment de Vexin, tandis que la vérité est que les sections ne se sont pas assemblées, qu’il n’y a eu de leur part aucune opposition, et que la municipalité, de concert avec le commandant des troupes dé ligne du département, s’est donné tous les soins possibles pour préparer ce départ que le ministre avait ordonné. (L’Assemblée ordonne le renvoi de cette adresse à son comité des rapports.) Adresse du corps des prud’hommes-pêcheurs de Cannes, qui expriment de la manière la plus énergique leur dévouement à la Constitution, et supplient l’Assemblée nationale de leur conserver le droit, dont l’origine remonte aux temps les plus reculés, et qui se rapporte à l’institution bienfaisante des juges de paix, décrétée pour tout le royaume et pour toutes les classes de citoyens, de faire juger en dernier ressort, et par des juges choisis chaque année dans leur sein, tous les différends et toutes les contestations sur les faits relatifs à la pêche, et de les faire jouir ainsi des mêmes avantages accordés aux pêcheurs de Marseille et de Toulon. (L’Assemblée nationale applaudit aux sentiments exprimés dans cette adresse, et renvoie l’examen de la pétition qu’elle contient à son comité de Constitution.) Adresse des électeurs du district de Montfort, département de l’ Ille-et-Vilaine, réunis les 13 et 14 de ce mois pour l’élection des juges de ce district, par laquelle iis expriment de nouveau à l’Assemblée leur dévouement et leur inébranlable fidélité à la Constitution , et lui transmettent leurs vœux ardents pour la conservation de leur district, conformes à ceux précédemment émis par presque toutes les municipalités de son territoire, formées pour cet effet en conseils généraux de commune, ainsi que les principaux motifs qui doivent déterminer à y avoir égard. (L’Assemblée ordonne le renvoi de cette adresse à sou comité de Constitution.) Le sieur Bleuet, fils, libraire, admis à la barre, a remis à l’Assemblée, pour être déposée sur son bureau , la première livraison d’un ouvrage , ayant pour titre : Mémoires historiques , critiques et politiques de la Révolution de France, avec toutes les opérations de l’Assemblée nationale, par le Sr. Hugon, ci-devant de Bassville, membre de plusieurs académies, consistant en 2 vol. in -8°. On fait également hommage à l’Assemblée, au nom de la dame Anel, veuve du Sr. Le Rebours, contrôleur provincial des postes, du projet d’une nouvelle édition d’un ouvrage intitulé : Avis aux mères qui veulent nourrir leurs enfants; et il eu a été remis sur le bureau un exemplaire, contenant toutes les corrections qui doivent perfectionner cette édition. Un de MM. les secrétaires fait lecture d’une adresse de l’université de Strasbourg, qui contient le développement et l’éloge de tous les principes de la Constitution. On demande l’insertion de celte adresse dans le procès-verbal imprimé. Cette proposition est adoptée. Suit le texte de l’adresse : « Messieurs , l’université de la ville de Strasbourg a l’honneur de vous offrir l’hommage profond de l’admiration et de la reconnaissance dont la pénètrent vos augustes travaux. « La première monarchie de la terre penchait vers sa ruine ; le trône, entouré d’une vaine pompe, était miné sourdement par les prétentions des grands ; une distance infranchissable séparait le prince de ses peuples ; une classe privilégiée absorbait les revenus de l’Etat, sans y contribuer dans une juste proportion ; et plus le meilleur des rois était bienfaisant, plus le peuple était malheureux ; les abus gothiques du pouvoir féodal étendaient tous les jours davantage leurs rameaux parasites, et pour comble de maux, ils menaçaient de redevenir constitutionnels ; l’autorité du monarque était moins absolue que despotique : aucun corps politique, légitimement investi de ce droit, ne contenait le pouvoir souverain dans son orbite ; l’opinion publique était sans force et sans énergie ; les parlements, ces prétendus tuteurs de nos rois, s’arrogeaient la triste prérogative de contrarier les opérations du gouvernement, et ils en usaient en usurpateurs, ils ne songeaient qu’à leurs propres intérêts; Louis XVI enfin, cet héritier des vertus de Henri IV, et du pouvoir de Louis XIV, pouvait tout, hors la seule chose qu’il désirait, le bien. « Quinze années de règne furent employées inutilement à recouvrer ce droit, le seul qu’ambitionnât Louis XVI. 11 crut l’acheter par des sacrifices, et ces sacrifices furent autant de victoires, furent autant de triomphes pour les ennemis du peuple. Le peuple, écrasé sous le poids des maux qui l’accablaient, gémissait, et Louis XVI gémissait avec lui. « Il n’y avait qu’une union entre ce bon prince et son peuple, qui pût les délivrer l’un et l'autre des entraves de l’aristocratie. Louis XVI sentit enfin cette vérité de tous les temps, mais qui malheureusement trouve rarement accueil chez les rois : que l’autorité la plus respectable est la plus légitime; qu’il n’y a d’autorité légitime que celle qui résulte du vœu du peuple, et que le seul moyen d’avoir de bonnes lois, et surtout de les faire observer par le peuple, c’est de rendre le peuple lui-même son propre législateur; Louis XVI convoqua les Etats généraux. « Vous arrivâtes, Messieurs, et la France ressuscita. La nation, ensevelie, depuis une longue suite de siècles, sous les décombres menaçants de la barbarie du moyen âge, fut rappelée à la vie; l’opinion publique reprit ses droits. Bientôt constitués en Assemblée nationale, votre zèle, et surtout votre courage triomphèrent de tous les obstacles que l’intérêt personnel, ce Protée destructeur de toutes les vertus publiques, opposa à la marche glorieuse de vos travaux. L’homme, rendu à sa dignité, apprit ses devoirs dans le code même de ses droits : vous portâtes le coup de la mort à l’hydre de la féodalité; vous abolîtes jusqu’aux dernières traces du servage; vous reconnûtes, Messieurs, que la base de tout bon gouvernement est la justice; et en détruisant le préjugé homicide, que le crime d'un seul dégrade des générations entières, vous ne pûtes faire grâce à cet autre préjugé qui perpétuait dans l'Etat des distinctions héréditaires. Les idées sublimes d’égalité que la philosophie humaine, et la religion, cette philosophie épurée au creuset de la révélation divine, recommandent de concert, devinrent les fondements inébranlables de l’édifice majestueux de la Constitution; et le titre majestueux de citoyen, devenu le plus beau, dédommagea amplement ceux des Français à qui d’anciens préjugés en avaient transmis* de plus fastueux. « Tout pouvoir émane essentiellement de la nation; toute institution nationale ne doit avoir