f Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES j JJ U 457 cœur, au lieu que l’être irréprochable a pour sauf-conduit ses actions, et pour caution la voix publique. Il serait donc absurde de prétendre qu’en réalisant la responsabilité, personne n’osera s’en charger; c’est dire que la gloire de servir son pays, que le dévouement de la liberté, que l’ambition même ont universelle¬ ment perdu leur empire. Connaissez mieux votre propre cœur. Comment, l’appât d’un faible gain fait qu’on livre chaque jour son existence aux tempêtes et aux écueils qui couvrent les mers orageuses : et vous croyez qu’on sera arrêté par la crainte d’un abîme qui ne menace que les dissidents, quand en marchant sans s’écarter on ne peut recueillir sur sa route que les plus douces jouissances de l’âme, la paix intérieure, le contentement de soi-même, la satisfaction de faire des heureux, l’estime des hommes libres, et la reconnaissance de ses concitoyens ! D’ailleurs, l’être vertueux, fort de sa conscience, loin de redouter la répression du crime, la demande, pour être à la fois séparé et débarrassé des méchants. Citoyens, faut -il vous le dire? le législateur qui ne place pas la sauvegarde de la liberté dans un châtiment plus sûr et plus rigoureux pour les écarts des fonctionnaires publics, quelle que soit leur suprématie, semble déjà calculer les fautes qu’il peut commettre; et dès ce premier acte de faiblesse, il a lui -même trahi sa patrie. Laissez ce reproche aux deux Assemblées qui vous ont précédés. Il est temps de rendre au corps politique une santé robuste aux dépens de ses membres gangrenés. Remarquez que tout s’engorge autour de vous, ou s’engloutit dans l’éloignement, depuis que de tous côtés on s’occupe plutôt de soi-même que de la patrie. *-Mais en ramenant les choses à leur vrai point, le mouvement simultané des autorités secon¬ daires provoquera par leur réaction votre propre activité qui demande elle-même du travail. Ne vous y trompez pas : plus le malaise politique se prolonge, plus le besoin d’un gou¬ vernement se fait sentir. C’est le meilleur ren¬ fort du patriotisme ; car il lui rallie les hommes paisibles, faibles, trembleurs, tièdes, et même insouciants. D’ailleurs, on nous accuse d’être anarchistes. Prouvons que c’est une calomnie, en substituant spontanément l’action des lois révolutionnaires aux oscillations continuelles de tant d’intérêts, de combinaisons, de volontés, de passions qui s’entrechoquent, et qui déchi¬ rent le sein de la patrie. Certes, ce gouverne¬ ment ne sera pas la main de fer du despotisme, mais le règne de la justice et de la raison. Ce gouvernement sera terrible pour les conspira¬ teurs, coercitif envers les agents publics, sévère pour leurs prévarications, redoutable aux mé¬ chants, protecteur des opprimés, inexorable aux oppresseurs, favorable aux patriotes, bien¬ faisant pour le peuple : c’est ainsi qu’à l’avenir tous vos décrets, que toutes les lois n’auront plus d’autre effet que de maintenir la Répu¬ blique dans toute son intégrité; que de vivifier la prospérité générale; que de conserver à la Con¬ vention toute sa force. Ed masse, tenez ici vigou¬ reusement les rênes de l’État. Ressemblez au faisceau que vous représentez; comme lui, tirez toute votre puissance de votre réunion; et qu’aussi, le crime le plus grave soit, ou l’ambition de s’élever au-dessus des autres, ou la désertion de la cause du peuple. Point de grâce pour de pareils attentats. Point d’inviolabilité pour qui que ce soit. C’est une monstruosité politique. La seule qui ne soit point dangereuse, la seule légitime, réside dans la vertu. Il faut donc, et vous l’avez décidé, il faut que l’épée de Damoclès plane désormais sur toute la super¬ ficie. Qu’importe à ceux qui marchent sans dévier ! Ce n’est que par des mouvements en sens contraire, qu’on peut rompre le fil qui tient cette épée suspendue : au lieu que le glaive de l’anarchie, sans cesse brandissant dans les mains de toutes les passions qui se l’ar¬ rachent tour à tour, menace et frappe indistinc¬ tement, et Marius avide de pouvoirs, et les Gracques fondateurs de l’égalité. Tels sont les principes justifiés par l’expérience et les considérations puissantes qui ont déter¬ miné le comité de Salut public à vous présenter le projet de décret suivant : PROJET DE DÉCRET La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Salut public, décrète : SECTION PREMIÈRE Envoi des lois. Art 1er. « Tous les décrets seront délivrés par le bureau de la Convention au comité des procès-verbaux, séance tenante. Art. 2. « Les lois seront imprimées jour par jour, et par ordre de matières, dans un Bulletin qui servira désormais à leur promulgation. Ce Bulletin sera envoyé directement, par la poste, à toutes les autorités constituées et à tous les fonctionnaires publies, chargés de leur sur¬ veillance ou de leur exécution. Art. 3. « Il y aura une imprimerie exclusivement destinée à ce Bulletin, et une Commission, composée de deux membres, pour en suivre les épreuves et pour en expédier l’envoi. Cette Commission, dont les membres seront person¬ nellement responsables de la négligence et des retards, est placée sous la surveillance immé¬ diate du comité de Salut public. Art. 4. « Il sera fabriqué un papier particulier pour l’impression de ce Bulletin, qui portera le sceau de la République et le contreseing de deux membres du comité de Salut public, et des deux membres de la Commission instituée à cet effet. Art. 5. « L’envoi de ce Bulletin aux autorités cons¬ tituées et aux autres fonctionnaires publics, ainsi que la distribution aux membres de la Convention, auront lieu le surlendemain, au plus tard, du jour où le décret aura été rendu. 458 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. | 28 brumaire an II 1 J (18 novembre 1793 Art. 6. « Les lois seront lues et expliquées aux ci¬ toyens dans un lieu public, tous les décadis; dans les campagnes, par les maires ou les pro¬ cureurs de commune et, dans les villes, par les présidents de section. « L’application des lois révolutionnaires et des mesures de sûreté générale et de salut public est confiée aux municipalités et aux comités de surveillance, à la charge pareillement de rendre compte, tous les dix jours, de l’exécution de ces lois, au district de leur ressort, comme chargé de leur surveillance active. Art. 7. « Le traitement de chaque membre de la Commission sera de six mille livres. Art. 8. « Tout contrefacteur du Bulletin des lois sera puni de mort. Art. 9. « Les peines infligées pour les retards dans l’expédition et l’envoi de ce Bulletin sont, pour les membres de la Commission : la condamnation à cinq années de fer. Art. 10. « Le comité de Salut public est chargé de prendre toutes les mesures nécessaires pour l’exécution des articles précédents, et d’en rendre compte, tous les vingt jours, à la Con¬ vention. Art. 6. « Toutes les autorités constituées enverront aussi, à la fin de chaque mois, l’analyse de leurs délibérations et de leurs correspondances à celle qui est chargée par ce décret de les surveil¬ ler immédiatement. Art. 7. « Les administrateurs des départements seront sédentaires, et ne pourront exercer leurs fonc¬ tions que dans le chef -lieu de leur établissement. Art. 8. « Les procureurs syndics de districts, les pro¬ cureurs de communes et leurs substituts sont seuls autorisés à se déplacer et à parcourir leurs arrondissements, pour y assurer l’exécution des lois. SECTION II Exécution des lois. Art. l6r. « La Convention nationale est le centre unique de l’impulsion du gouvernement. Art. 2. « Tous les corps constitués et les fonction¬ naires publics sont mis sous l’inspection immé¬ diate du comité de Salut public, conformément au décret du 19 vendémiaire. Art. 3. Art. 9. « La peine infligée aux fonctionnaires publics, coupables d’avoir négligé la surveillance ou l’application des lois, sera la dégradation civique pendant dix ans, et la confiscation de la moitié des biens du condamné pour les membres » .*; conseil exécutif, pour les présidents et les procu¬ reurs syndics de district, pour les maires et procureurs de communes, pour les substituts des procureurs syndics de district et des mu¬ nicipalités, pour les accusateurs publics, pour les commissaires nationaux, pour les présidents des tribunaux et des comités de surveillance e révolutionnaires, enfin, pour tout fonctionnaire public chargé personnellement de surveiller ou de faire exécuter les lois. <* « L’exécution des lois se distribue en surveil¬ lance active, et en application. Art. 4. « La surveillance active, relativement aux lois militaires, administratives, civiles et criminelles, est déléguée au conseil exécutif; et pour les lois révolutionnaires, et les mesures de sûreté géné¬ rale et de salut public, cette surveillance est attribuée exclusivement aux districts; à la charge par eux et par le conseil exécutif d’en rendre compte exactement, tous les dix jours, à la Convention nationale. Art. 5. « L’application des lois militaires appartient aux généraux et aux autres agents militaires; celle des lois relative aux contributions, aux manufactures, aux grandes routes, aux canaux publics appartient aux départements; celle des lois civiles et criminelles, aux tribunaux : à la charge expresse d’en rendre compte, tous les dix jours, �au conseil exécutif. Art. 10. « La peine pour les autres membres des tri¬ bunaux, des corps administratifs et munici¬ paux sera la privation du droit de citoyen pendant cinq ans, et une amende égale au tiers de leur revenu pendant une année. Art. 11. « Le fonctionnaire public, soumis à cette responsabilité Solidaire, et qui aura averti la Convention de l’inexécution de la loi ou du défaut de surveillance active, dans le délai de quinze jours, sera excepté des peines pronon¬ cées par le décret. Art. 12. « Les confiscations ordonnées par les précé¬ dents articles seront versées dans le trésor publié après, toutefois, avoir prélevé l’indemnité due au citoyen lésé par l’inexécution d’une loi, [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. SECTION III Compétence des autorités constituées , Art. 1er. « Le comité de Salut public est particulière¬ ment chargé des opérations diplomatiques les plus importantes, et correspondra directement pour tout ce qui appartient à ces mêmes opé¬ rations. Art. 2. « Les représentants du peuple correspondront tous les dix jours, avec le comité de Salut public. Ils ne pourront suspendre et remplacer les généraux que provisoirement, et à la charge d’en rendre compte, dans les vingt -quatre heures, au comité de Salut public. Art. 3. « Les • fonctions du conseil exécutif seront déterminées d’après les bases établies dans le présent_décret. Art 4. « Les administrations de département restent spécialement chargées de la répartition des contributions entre les districts, et de l’éta¬ blissement des manufactures, des grandes routes et des canaux. Tout ce qui est relatif aux lois révolutionnaires et aux mesures de gouvernement et de salut public n’est plus j|e leur ressort. L’inamovibilité des présidents "et des procureurs généraux syndics est suppri¬ mée. L’exercice de leurs fonctions sera alternatif, et ne pourra durer plus d’un mois. Art. 5. . « Les présidents et les secrétaires des comités révolutionnaires et de surveillance seront pareillement renouvelés tous les quinze jours, et ne pourront être réélus qu’ après un mois d’intervalle. Art. 6. « Les règles de l’ancien ordre établi, et auquel il n’est rien changé par ce décret, seront suivies jusqu’à ce qu’il ait été autrement ordonné. Seulement les fonctions du district de Paris sont attribuées au département, comme étant deve¬ nues incompatibles, par cette nouvelle organi¬ sation, avec les opérations de la municipalité. Art. 7. « La faculté d’envoyer des agents appartient exclusivement au comité de Salut public, aux représentants du peuple, au conseil exécutif, et à la commission des subsistances. L’objet de leur mission sera énoncé en termes précis dans leur mandat. Ces missions se borneront strictement à faire exécuter les mesures révolu¬ tionnaires et de Sûreté générale, les réquisitions, et les arrêtés pris par ceux qui les auront nom¬ més. Aucun de ces commissaires ne pourra s’écar¬ ter des limites de son mandat ; et, dans aucun cas, la délégation des pouvoirs ne peut avoir lieu. 28 brumaire an II 459 18 novembre 1793 Art. 8. « Les agents du conseil exécutif et de la com¬ mission des subsistances sont tenus de rendre compte exactement de leurs opérations aux représentants du peuple qui se trouveront dans les mêmes lieux. Les pouvoirs des agents nommés par les représentants, près les armées et dans les départements, expireront dès que la mission des représentants sera terminée, ou qu’ils seront rappelés par décret. Art. 9. « Il est défendu à toute autorité constituée d’altérer l’essence de son organisation, soit par des usurpations de pouvoir, soit par des réu¬ nions avec d’autres autorités, soit par des délé¬ gués chargés de former des assemblées cen¬ trales, soit par des commissaires envoyés à d’autres autorités constituées. Toutes les rela¬ tions entre tous les fonctionnaires publics ne peuvent plus avoir lieu que par écrit. Arfc. 10. « Aucune force armée, aucune taxe, aucun emprunt forcé ou volontaire ne pourront être levés qu’en vertu d’un décret. Les taxes révo¬ lutionnaires des représentants du peuple n’au¬ ront d’exéoution qu’après avoir été approuvées par la Convention, à moins que ce soit en pays conquis ou rebelle. Art. 11. « Il est défendu à toute autorité constituée de disposer des fonds publics, ou d’en changer la destination, sans-y être autorisée par la Con¬ vention, ou par une réquisition expresse des représentants du peuple. Art. 12. « Toute infraction à la loi, toute prévarication, tout abus d’autorité, commis par un fonction¬ naire public, seront punis de dix ans de fers et de la confiscation de tous les biens, dont il sera disposé conformément à l’article 11 de la se¬ conde section. ✓ Section ïv. Réorganisation et épuration des autorités constituées. Art. 1er. « Le comité de Salut public est autorisé à prendre toutes les mesures nécessaires pour pro¬ céder au changement d’organisation des auto¬ rités constituées, portées dans le présent décret. Art. 2. « Les représentants du peuple dans les dé¬ partements sont chargés d’en assurer et d’en accélérer l’exécution; comme aussi d’achever, sans délai, l’épuration complète de toutes les autorités constituées, et de rendre un compte particulier de ces deux opérations à la Con¬ vention nationale, avant la fin du mois pro¬ chain. »