[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [Annexes.] 105 PROJET DE CAISSE PATRIOTIQUE ET MILITAIRE PRÉSENTÉ Par M. le marquis d’USSON, Député de la sénéchaussée de Pamiers, à l’Assemblée nationale (1). (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale) Présenter à une partie de ses concitoyens le moyen d’assurer un sort heureux à leurs enfants ; de diminuer les malheurs occasionnés par la misère et par la prostitution qui en est souvent la suite, de procurer aux autres des facilités libé-ratives, à l’aide d’un sacrifice léger, et pourtant reproductif; offrir au commerce et à l’agriculture des ressources capables de donner plus d’étendue aux spéculations des négociants et des laboureurs, et ce, à un intérêt tel, que le prêteur n’aura point à rougir, et que l’emprunteur ne sera pas grevé : présenter, en un mot, un projet qui réunisse tous ces avantages, c’est, j’ose le penser, faire preuve d’un amour raisonné pour la patrie et pour l’humanité. C’est au moment où la nation se régénère, au moment où, en établissant sa nouvelle Constitution sur des bases inébranlables, elle va rétablir la confiance et le crédit public ; c’est à une pareille époque, sans doute, qu’on peut se flatter de voir adopter un projet qui date de plusieurs années, qu’on a examiné avec une indifférence coupable, et qu’une insatiable cupidité a fait condamner à l’oubli, par des hommes qu’il faut plaindre, ou de n’avoir pas osé vouloir, ou d’avoir dédaigné de faire le bien de leurs semblables. L’idée d’une caisse patriotique s’est présentée naturellement à uu grand nombre de bons esprits. On peut présumer que l’Assemblée nationale s’occupera d’un pareil établissement ; on doit surtout être certain que sa sagesse saura la mettre en garde contre ces projets �spécieux et (i) Voir Archives parlementaires, tome XI, séance du 16 février 1790, page 619. séduisants, où, sous l’apparence d’un zèle ardent pour le bien public, les auteurs cachent des vues personnelles, et les calculs meurtriers de l’égoïsme. Je ne crains point d’offrir mon plan à l’examen de cette auguste Assemblée; je ne redoute en aucune manière la sévérité de son coup d’œil, parce que le bénéfice qui peut résulter de mes spéculations doit tourner entièrement au profit de la chose publique, et encore, parce qu’elles doivent venir au secours des bonnes mœurs, en adoucissant le sort de ces citoyens infortunés, que la misère et le besoin conduisent à la dépravation et à la honte. La seule objection raisonnable qu’on ait élevée contre le projet pour lequel j’invoque aujourd’hui les lumières de l’Assemblée nationale, c’est le défaut de confiance. En effet, dans un temps où les idées versatiles d’un gouvernement toujours inquiet et indécis ; dans un temps où la destination toujours arbitraire des deniers publics, faisait craindre et la dilapidation des fonds et la cessation des payements, la confiance devait être en défaut; mais, aujourd’hui qu’une surveillance nationale et toujours active réparera les maux passés et préviendra les malheurs à venir, aujourd’hui qu’il serait honteux d’être oisif et nul, et qu’il ne saurait l’être de se tromper en rêvant au bonheur de ses concitoyens ; aujourd’hui, enfin, que tout rappelle cette confiance, si longtemps trahie par une suite d’administrations vicieuses, je ramène mon projet dédaigné, je demande qu’on en vérifie les hases, et que l’on prononce sur le plus ou le moins de justesse des vues que je me suis proposées. Tous les établissements publics, qui ont été 106 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. I élevés jusqu’ici, ont semblé n’avoir pour but que le bien général, c’est toujours sous cet aspect qu’ils ont été présentés aux ministres, qui, ou trop distrait pour s'occuper de leur examen, ou trompés par leurs agents, ou enfin intéressés dans les résultats numératifs de ces établis-ements, se sont contentés de la menteuse apparence du bien qu’ils présentaient et ont augmenté la somme des abus par le concours même des moyens qui semblaient devoir les extirper pour jamais. En voici un exemple frappant : L’usure était portée à un tel excès, que la plus exacte, la plus rigoureuse surveillance était devenue impuissante à en arrêter les progrès. Des fils de famille ruinés, soit par le prix énorme de l’intérêt, soit par l’émission d’effets précieux sur lesquels ils n’avaient reçu qu’une somme p'us que modique; le recèlement que ce genre de piêt lac litait -. tout détermina à protéger ouveriement l’établissement du Mont-de-Piété, parce qu’il semblait devoir obvier à la plus grande partie des désastreux inconvénients de l’usure. Comme il fut décidé qu’on y prêterait à un taux plus élevé que celui qui est autorisé par la loi, on chercha à colorer ce gain illicite, contre lequel il était tout simple qu’on réclamât; on le couvrit du manteau de la bienfaisance, et ou en distribua le bénéfice aux hôpitaux. Mais si le taux du prêt s’élève beaucoup plus haut que sa fixation réelle ; si le bénéfice ne • remplit pas les vues de bienfaisance qu’on s’est proposées ; si la ressource qu’on a voulu présenter dans une nécessité urgente, est aussi onéreuse pour le moins, que l’ancienne méthode; si les fonds ne sont pas suffisants pour satisfaire aux besoins de ceux qui sont forcés d’y avoir recours ; si on prouve enfin que les bénéfices du Mont-de-Piété sont absorbés par les agents de l’administration ; peut-on mettre cet établissement en comparaison avec celui que je propose? Ne doit-on pas quelque préférence à un projet qui, en diminuant le taux de l’intérêt, réunit les avantages de faire un grand nombre d’heureux, de faciliter les libérations, de diminuer les charges de l’Etat et d’offrir de nouveaux moyens à l’encouragement du commerce et de l’agriculture ? Je demande donc que le Mont-de-Piété, qui ruine le peuple au lieu de le servir, qui engloutit tout, pour s’enrichir aux dépens du pauvre, soit entièrement aboli. Je demande qu’on prenne en considération la création d’une caisse patriotique, qui ne recueille que pour répandre, et qui soit, pour la classe la plus indigente comme la plus utile des citoyens, une source féconde et intarissable de bienfaits. Je demande enfin que cette caisse soit autorisée à recevoir chaque année une somme de 10 millions, aux coudrions détaillées ci-après. Le placement des 10 millions sera divisé en plusieurs portions de fonds, qui ne pourront être excédées. Il se fera par classe et par tète sur une somme déterminée. On ne recevra aucun intérêt pendant 15 ans; mais après ce temps, on recevra 50 0/0 de la mise, et on en jouira, en rente viagère, sa vie durant. Pour assurer la base de ce projet, on a consulté les auteurs qui ont le plus travaillé sur la probabilité de la vie humaine, et l’on s’est déterminé à prendre entre eux le terme moyen; de sorte que, d’après le rapprochement de leurs idées, on a cru pouvoir se déterminer d’après le calcul suivant. De 100 enfants nés le même jour, il n’en reste, Savoir : A l’àge de 6 ans, que ....... 64 A — — 16 — — ....... 46 A — — 26 — - ....... 26 A — — 36 — — ....... 16 A — — 46 — — ....... 10 A — — 56 — - ....... 6 A — — 66 — — ....... 3 A — — 76— — ....... 1 Si le fond du projet obtient le vœu de l’As-sembiée naiiouale, ou peut, aussitôt qu’elle le désirera, mettre sous les yeux les calculs qui prouvent la vérité des faits que l’on avance. 1° La caisse patriotique entre en bénéfices à la trente-quatrième année, jusqu'à la soixante-cinquième année inclusivement, et cette soixante-cinquième année est l’époque où Ja rente est invariable à jamais. Ces bénéfieesserviront, soit à des remboursements, soit à diminuer le taux de l’intérêt auquel on prêtera, soit, enfin, à former des établissements publics, à l’avantage de la patrie et de l’humanité. 2° À l’avenir, et par une des suites heureuses de cet établissement, le urêt sur gages ne s’élèvera pas à pies de 6 0/0. Il faut prouver de combien le prêt actuel du i\lont-de-Piéié excède cette somme ; c’est ce qui résulte du calcul suivant : Première opération. On suppose qu’on a placé, par la voie des commissionnaires, un effet sur lequel on aura prêté une somme de 2,400 livres, ci.... 2,400 liv. Il revient pour droit de commission, à raison de 4 deniers pour livre. . . 40 liv. Pour droit de prisée, t denier pour livre ........................ 10 Iutérêt d’un mois à 2 deniers pour livre pour le mois ............... 20 Pour droit du commissionnaire du dégagement, 2 deniers pour livre. . 20 Total ..... 90 liv. C’est donc, pour un mois, 70 livres de plus que Fiotérêt ; ainsi, il en coûte 45 livres 0/0 sur un objet que souveutl’on retire peu de jours après, et quelquefois dans le même jour. Il est vrai que si l’on va directement au Mont-de-Piété, il n’en coûte que 15 0/0, savoir ; Pour droit de prisee, 1 denier pour livre ....................... 10 liv. Pour intérêt dudit mois, 2 deniers pour livre ....................... 20 Total ..... 30 liv. Mais on observe aussi qu’il n’y a que les très petits objets qui aillent directement au Mont-de-Piété, et que tous ceux qui sont un peu considérables, y sont généralement portés parles commissionnaires. Seconde opération. En supposant encore qu’on hisse porter par la voie des commissionnaires un objet sur lequel on [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 107 prête 2,400 livres et qu’on ne puisse le retirer, qu’au bout d’un an, il en coûtera pour l’année, savoir : Intérêts, 10 0/0.. . . ................ 240' liv. Pour droit de commission, 4 deniers pour livre .......................... 40 Pourdroitdeprisée,l denier pour livre. 10 Pour droit de dégagement, 2 deniers pour livre ............ ............. 20 Total ..... 310 liv. Ce qui porte l’intêrêt à 15 1/2 0/0 (1). Eu portant directement son effet au Mont-de-Piété, on aura de moins à payer les droits de commission et de dégagement, s’élevant ensemble à la somme de 60 livres. L’intérêt alors se trouvera réduit à 10 1/2 0/0; mais il ne faut pas perdre de vue l’observation placée à la suite de la première opération. Il est donc évident que l’intérêt étant fixé à 6 0/0 sans aucuns frais ultérieurs, celui que le (1) Il est encore un droit accordé aux huissiers pri-seurs, lors de la vente des objets engagés au Mont-de Piété, et ce droit sur les très petits objets s’élève à un taux énorme: tel que pour 3 livres, on paye 10 sols. besoin du moment forcera d’emprunter une somme quelconque, ne payera, pour le premier mois, que 4 deniers ou 1/2 0/0, au lieu de 9 deniers ou 45 0/0, qu’il paye aujourd’hui, en employant les commissionnaires, et qu’il ne lui en coûtera que 1/2 0/0 en portant son effet dinc-tement à la caisse patriotique, au lieu de 15 0/0 à quoi lui revient l’argent dont il a besoin pour un mois, ou pour un moindre terme. S’il ne peut rembourser qu’au bout de l’année, il ne payera que demi 0/0 par mois, et non 15 et un 8e et seulement 6 0/0 pour l’année, s’il ne se sert pas de commissionnaires. Après avoir fait connaître l’avantage qui résulte pour l’emprunteur, de l’établissement de la caisse patriotique, il faut démontrer que, de quelque manière que les pères de familles placent leur argent en faveur de leurs enfants, ils ne peuvent espérer un aussi grand avantage que celui que l’on offre par ce nouvel ordre de choses. On se contentera de spéculer sur une somme de 100 livres placée, soit à 5 0/0, soit à 6, soit à 10 0/0; on annulera les intérêts, pour faire un nouveau fonds, et l’on prouvera qu’il est impossible qu’il rapporte un intérêt aussi considérable que celui que la caisse patriotique peut offrir. Aperçu 108 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] APERÇU DE LA TRIPLE OPÉRATION. EXEMPLE. 1” année. 2® — 6® 4» _ 5® - 8» — 9® - 10® 11® 12® 13® — 14® 15® Le fonds à la quin zième année, dans chaque hypothèse, ne peut donner un in térêt égal à celui qu’on obtiendra en plaçant à la caisse patriotique. Différence par la caisse patriotique.. Intérêt à 10 0/0.. Différence en plus avantageuse . , lr® année. 4® 5® 6» - 7® — 10® 11» — 12® 13» — 14» — 15® Intérêt à 10 0/0, 109 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. On vient de démontrer qu’il est impossible de faire valoir son argent d’une manière plus avantageuse que celle proposée. 11 faut rassurer sur l’emploi des fonds qui se montent à la somme de 591,311,897 livres. On pense qu’il ne sera pas difficile de les mettre en mouvement, si l’on considère : 1° Le léger taux de l’intérêt ; 2° La facilité qu’il donne pour se garantir des frais de justice, qui sont toujours ruineux ; 3° La facilité qu’on aura de trouver les fonds nécessaires pour les grandes entreprises, telles qu’édifîces publics, grandes routes, canaux, manufactures, défrichements, dessèchements de marais, et autres spéculations patriotiques de tous les genres; 4° Qu’un pareil établissement offre un moyen prompt et facile de soutenir une guerre onéreuse ; de se procurer, à un intérêt modique, les fonds nécessaires pour attendre le produit de l’impôt; sans fouler ni surcharger les peuples; de ne plus payer d’intérêts énormes de fonds d’avance; enfin, d’empêcher les gains illicites, puisque sous l’inspection de commissaires choisis par les législateurs, on pourra se servir des fonds de la caisse patriotique, pour payer, au comptant, tous les fournisseurs, et obtenir d’eux des rabais considérables. On suppose une succession ouverte, grevée de dettes chirographaires ou autres. Des créanciers inquiets, pousses par le besoin ou par des conseils intéressés, mettent le feu dans les affaires et spolient, par des frais inutiles, des biens qu’on aurait pu conserver. Vainement cherche-t-ou des ressources; si l’on en trouve, elles sont de l’espèce de celles qui pallient un moment le mal pour ensuite augmenter la détresse. Cependant, la vente d’un mobilier considérable, l’argent comptant, les effets qui sont sous les scellés, tout présente des moyens effectifs de liquidation ; mais la cupidité des agents de la justice multiplie les formes, les vacations; et non seulement le mal du débiteur s’aggrave, mais la position du créancier n’en devient pas meilleure ; car en obtenant même les intérêts de droit, à compter du jour de sa demande, son argent lui rapporte toujours beaucoup moins que s’il pouvait le faire valoir dans sou commerce. Si la ressource de la caisse patriotique est ouverte, elle viendra au secours de ces mêmes héritiers qui, dans quelque bourse qu’ils puisent, n’en trouveront jamais à un prix aussi modéré. Emprunte-t-on à constitution ? on trouve à 5 0/0, même sans retenue; mais il faut payer le coût de l’acte, plus la pistole par mille, que l’on peut estimer l’un dans l’autre à 1/2 0/0 pour le moins, au-dessus de l’intérêt ordinaire. S’adresse-t-on aux agents de change? alors ce n’est plus à 5, mais à 6 0/0 qu’on emprunte, que l’on négocie des effets; c’est alors qu’on ne peut calculer à quel taux on achète l’argent! Prenons un terme moyen, et supposons à 7 1/2, non compris les droits de courtage. On voit alors que la caisse patriotique prête à meilleur marché, et qu’elle offre un secours toujours ouvert, toujours garanti par la publicité, par l’inspection des commissaires et qui délivre des inquiétudes et des recherches. Une observation essentielle et qui tient au bonheur des familles , c'est que , par le secours de la caisse patriêtiqne, le possesseur de terres , contraint, à quelque titre que ce soit, de vendre un bien qu'il a reçu de ses pères , prendra son temps et le vendra sa valeur. Ainsi , celle des biens-fonds se soutiendra , et Von ne verra plus la finance écrasant le propriétaire, tirer souvent un aussi grand parti d'un bien-fonds que des effets de son portefeuille. On suppose encore que des propriétaires, des laboureurs, des négociants, artistes ou artisans, fassent une spéculation dont ils espèrent tirer un grand profit. Pour peu qu’il y ait de sûreté dans leurs entreprises, et après les informations nécessaires, la caisse patriotique leur sera ouverte. Trouveront-ils quelque part des emprunts aussi sûrs, aussi doux, aussi avantageux ? Non sans doute; cette découverte serait impossible. 11 est vrai que la caisse patriotique n’ouvrira ces secours qu’à des opérations utiles, et dont on pourra au moins présumer le succès ; mais il faut observer que, si l’on doit aider le spéculateur qui tourne vers le bien de l’Etat ses calculs patriotiques, on ne doit rien à l’égoïste qui craint peu de ruiner autrui, pour établir sa fortune sur les débris de celles de ses victimes; ni à l’imprudent, qui risque son bonheur et son honneur comme on hasarde une chance à la loterie. De grandes entreprises se sont embarrassées par des constructions énormes, ont fait des approvisionnements de matières premières qu’elles ne peuvent employer; la vente ne va pas; les crédits, les retards de payements ont épuisé les ressources des actionnaires, et ces établissements menacent ruine, faute d’un fonds courant pour les dépenses journalières. Cependant, ces actionnaires sont propriétaires de terrains et de bâtiments considérables ; i!s ont des marchandises ouvrées et non ouvrées; ils ne sont ni banquiers ni négociants; leurs noms ne sont pas connus sur la place ; ilsne peuvent onc pas avoir recours à l’agiotage; mais ils ont un fonds et des marchandises sur lesquels la caisse patriotique pourrait leur avancer des sommes capables de régénérer leurs entreprises, et de rendre à l’utilité publique un objet perdu pour elle, non moins que pour les propriétaires. Je pourrais multiplier les exemples; mais je crois en av ir assez dit. Après avoir démontré les avantages que trouveront dans la caisse patriotique, et ceux qui placentsurelle,etceuxquilui feront des emprunts, il reste à prouver la facilité d’arriver à un résultat aussi avantageux ; c’est ce dont on espère convaincre par le calcul mis à la suite de ce projet, après lequel on donnera les détails de l’administration, des conditions imposées aux emprunteurs, et le résultat du bénéfice qui doit en sortir pour la chose commune. Pour rendre cet établissement plus avantageux, on a pensé que tous les fonds déposés dans ce moment aux consignations et autres dépôts forcés, devraient être versés à la caisse patriotique, laquelle fera bon pour l’année, aux créanciers ou aux débiteurs, de l’intérêt à raison de 4 0/0 ou, si on l’aime mieux, elle reportera ce nouvel intérêt même en fonds jusqu’au remboursement ordonné. On a pensé que ce serait rendre un grand service aux débiteurs et aux créanciers, que de faire tourner à leur profit un argent mort pour l’un et pour l’autre, et qui ne bénéficie que pour ceux qui en sont dépositaires. Personne n’ignore que les dépôts forcés, ou les consignations, ne font qu’aggraver la position du débiteur, puisque non seulement il ne peut s’acquitter, mais qu’il paye en outre, un droit de consignation très considérable ; encore lorsqu’il 110 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [Annexes.] a obtenu les mainlevées nécessaires, éprouve-t-il les plus grandes difficultés pour retirer des fonds qui, au bout d’un certain temps, se trouvent réduits presque à rien, par les frais de garde. Il est de notoriété publique que les héritiers négligents, ou peu instruits de leurs affaires, ont abandonné, sans retour, leurs fonds aux consignations, et qu’il en est d’oubliés depuis un temps immémorial. On ne croit pas se tromper en avançant que Iessomm"S déposées se montent à 50 ou 60 millions, dont les dépositaires bénéficient; tandis que le débiteur et le créancier sont en souffrance. Quand il ne s’agirait point de la caisse patriotique que je propose ; quand mon projet serait jugé impossible, il serait très intéressant, très urgent que l’Assemblée nationale prît en considération ces dépôts enfouis dans ce gouffre impénétrable, nuis pour tout ce qui y a des droits, et dont la plus grande partie est dissipée, peut-être. Il me reste à développer un des plus précieux avantages quepuis-e offrir la caisse patriotique, comme j’en ai conçu le plan et les divisions. Cet avantage concerne le sort des officiers et des soldats qui auront bien mérité de ta patrie, par ta constance de leurs services. Je vais m’occuper particulièrement de cette branche essentielle de mon projet. Caisse patriotique et militaire , relative aux retraites des officiers Depuis longtemps, l’officier français a été traité d’une manière peu propre à rattacher au service; la versatilité du ministère, l’arbitraire des ministres, le changement perpétuel des ordonnances, tout rendait son sort tellement précaire, qu’il se hâtait de profiter d’un moment de faveur pour solliciter une retraite, laquelle était plus ou moins bonne, selon qu’il était plus ou moins protégé. Si on en excepte quelques êtres privilégiés, à peine ces retraites suftisaient-elles à une très médiocre subsistance ; et comme parmi ces militaires sans intrigue, ou sans protection, les uns étaient nés sans fortune, les autres avaient épuisé la majeure partie de leur patrimoine, ils se trouvaient ordinairement hors d’état de se former un établissement. Obligés d’attendre le payement de leurs pensions qui souvent étaient retardées d’un et même de 2 ans, ils jouissaient d’un sort moins heureux que les invalides qui avaient servi sous leurs ordres. Tel était le sort que la patrie assurait à cette classe d’hommes, qui se faisait un honneur de sacrifier à son pays, son sang, sa fortune et sa vie. Sans doute il s’en trouvait d’accablés sous le poids des grâces, mais c’était le plus petit nombre. Au moment où tout se régénère, il faut aussi régénérer l’armée, attacher l’officier à son état, et lui faire entrevoir un avenir heureux pour prix de ses sacrifices. Je ne discuterai pas quelle marche il faut donner à l’avancement ; je n’entrerai pas dans le détail de la formation ; je me bornerai à proposer les moyens d’assurer chaque année à un nombre d’officiers donné une retraite convenable selon les grades. Je fixerai le terme où cette retraite pourra être accordée ; je proposerai de l’augmenter pour ceux qui se détermineront à servir un plus long temps, afin, par cet avantage, de conserver de vieux officiers. A cet effet, le Trésor national versera annuellement, dans la caisse patriotique et militaire, la somme de 300,000 livres, et il sera fait une retenue d’unmoisd’appointements àchaque officier, depuis le sous-lieutenant jusqu’au lieutenant-colonel. On a supposé que le nombre des officiers se montera à 9,600. On les a divisés en 3 classes, comme suit : La première de 3,200, donnant chacun 50 livres, ci ....................... 160,000 liv. La seconde de 3,200, donnant chacun 100 livres, ci ........... 320,000 La troisième de 3,200 donna t chacun 150 livres ........ . ..... Nota. Ces 3,200 officiers se compléteront dans l'espace de 16 ans , et donneront à la seizième année un total de ......... . .......... 480,000 A quoi il faut ajouter les 300,000 livres données par le gouvernement, ci .............. 300,000 Ce qui, à cette époque, porte la - rentrée annuelle à la somme de. 1.260,000 liv. Ainsi, tout officier qui, à l’époque de l’établissement, n’aurait pas 16 ans de service, sera dans le cas de jouir des avantages ci-après proposés. On se rappellera qu’on a fixé le nombre des officiers à 9,600, en ne calculant qu’à un trentième les mutations occasionnées soit par les mortalités, les retraites anticipées, ou les retraites réelles. On a calculé qu’il y aurait chaque année 320 emplois à nommer, et que sur ces 320 emplois, il y en aurait 138 vacants par retraites réelles. A dater delà seizième année de l’établissement, c’est-à-dire au bout de 32 ans, 138 officiers pourront obtenir leurs retraites; elles seront divisées en 3 classes : La première, composée de 92 capitaines, auxquels il sera accordé 4,000 livres d’argent comptant, et 1,200 livres de rente viagère; La seconde, de 23 majors, lesquels devront avoir 35 ans de service, auxquels il sera donné une somme de 6,000 livres comptant, et 1,800 livres de rente viagère. La troisième, de 23 lieutenants-colonels, ayant le même temps de service, recevant la même somme de 6,000 livres comptant, mais dont la rente viagère se portera à 2,000 livres. Nota. L’époque pour les officiers parvenus par les grades subalternes sera fixée par un règlement particulier. Il en sera fait un pour régler , dans chaque arme , le nombre des officiers pour chaque grade, qui devra jouir de sa retraite. Tout officier qui désirera servir au delà du terme fixé, recevra en supplément d’appointements la moitié de sa pension; et s’il reste 5 ans de plus, son sort sera augmenté et sera porté, Savoir : Celui des capitaines à 6,000 livres d’argent comptant, et 1,800 livres de rente viagère; Celui des majors à 9,000 livres d’argent comptant, et 2,400 livres de rente viagère; Celui des lieutenants-colonels à même somme de 9,000 livres d’argent comptant, et à 3,000 livres de rente viagère. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes .] JH Pour parvenir au but proposé, il en aura coûté à la nation, pendant 48 ans, 300,000 livres par an, ce qui fait une somme de 14,400,000 livres. Lesquelles, avec la retenue annuelle faite sur les appointements des officiers se montant à la somme de ................... 71,875,329 liv. procureront un fonds de.. 57,475,329 liv. Mais la nation aura payé en argent comptant 644,000 livres par an pendant 32 ans, \ ci ....................................... .... .................. 20,608,000 1. / *Et à dater de la 16e année, époque où le département de la > 90,285,800 1. guerre entre en bénéfice, jusqu’à la 48e année, par le payement \ annuel des rentiers ........................................ . • • • 69,677,800 1. ) Le bénéfice pour la nation sera donc de 147,761,129 livres à la 48e année, et cette époque est celle où le nombre des rentiers sera invariablement fixé à 2,418. Dont ........ 403 lieutenants-colonels. 403 majors. Et .......... 1 ,612 capitaines. Ci ..... 2,418’ Ce qui fait plus des deux neuvièmes de la totalité des offlci rs en activité. Il reste à faire connaître ce qu’un officier aura payé pendant 32 ans de service fixés pour sa retraite. Pendant 8 ans ..... 50 ..... 400 Id. 8 ans ..... 100 ..... 800 Id. 16 ans ..... 150 ..... 2,400 Total .............. 3,600 Il en coûtera quelque chose de plus aux majors et aux lieutenants-colonels; mais aussi leur sort est-il beaucoup plus avantageux. Caisse patriotique et militaire , relative aux retraites des soldats. J’ai regardé comme un de mes devoirs de citoyen de présenter à l'Assemblée nationale, le plan que j’ai cru capable de diminuer l’indigence, de lui préparer des secours, et de protéger les mœurs dans toutes les classes de la société. Si je n’ai pas rempli la tâche que je m’étais imposée, au moins n’ai-je sur mes intentions aucun reproche à me faire; j’en aurais si je ne m’occupais pas aujourd’hui principalement du sort des défenseurs de la pairie. Par état, et par confraternité, je leur dois une attention, une bienveillance particulières; le plan qui va suivre prouvera que je leur ai toujours conservé l'attachement et l’estime dont ils m’ont paru dignes. Serai-je assez heureux pour les servir aussi efficacement que je le désire? Ce n’est pas tout que le soldat, lorsqu’il est au service, soit bien nourri, bien vêtu, bien soigné en maladie ; il faut encore qu’après avoir sacrifié les plus belles années de sa vie à la gloire de son pays, il revienne dans ses foyers, non seulement jouir de l’estime de ses concitoyens, mais encore de cette considération que les peuples de tous les âges que tous les gouvernements se sont fait un devoir d’accorder à la vétérance ; or, cette considération ne peut se soutenir qu’avec une sorte d’aisance. Il faut qu’après avoir défendu sa patrie, le soldat puisse remplir les conditions de citoyen actif, et payer à l’Etat le tribut utile de l’expérience que l’âge et l’instruction lui auront acquise. On propose, en conséquence, que le Trésor public fasse un fonds annuel, lequel sera versé dans la partie de caisse nationale, qui sera désignée sous le nom de patriotique et militaire. Au moyen de ce fonds annuel, dès la vingt-quainème année de cet établissement, 800 soldats obtiendront leur retraite et recevront chacun 200 livres d’argent comptant. Les retraits seront divisées en ceux classes : la première, des sergents ayaut servi 10 ans dans ce grade, et u on t 200 (nombre indispensable à fixer), obtiendront chaque année 400 livres de rente viagère. La seconde, de ceux des sergents qui n’auront pas leurs 10 ans de service dans ce grade, des caporaux et ces soldais qui auront 24 ans de service, dont le nombre sera fixé à 600, et auxquels il sera accordé 300 livres de rente viagère. Ceux qui aimeront mieux rester à leur corps, ne jouiront que de la moitié de la rente qui leur sera allouée; mais la somme d’argent comptant augmentera, au moment de leur retraite réeile, de l’excédent de ladite renie, en proportion des années qu’ils auront servi de plus; il leur sera également alloué un intérêt à 5 0/0 par chacun an. Le projet de nouvelle formation appelant un certain nombre de sergents à arriver aux grades d’officiers, de ce moment ils jouiront de la plénitude de leur rente qui leur sera précomptée sur celle qui leur sera accordée comme officiers, au moment de leur retraite, dont le terme doit être fixé par la nouvelle ordonnance. Pour se déterminer sur les moyens d’arriver au but que l’on se propose, ou a supposé l’armée composée de 147,200 hommes. L’expérience prouve qu’elle se renouvelle tous les 8 ans. La mutation est donc chaque année de 18,400 hommes. Ou ne croit pas se tromper en présumant que par les morts, les retraites anticipées, l’inconstance et la désertion, à la vingt-quatrième année, le nombre de 18,400 se trouvera réduit à 800 : nombre auquel nous avons fixé ceux qui seront dans le cas de jouir de la vétérance. C’est d’après ces données qu’on a calculé que, moyennant la somme de 662,400 livres versée annuel I ment dans la caisse patriotique et militaire, on pourra, à la vingt-cinquième année de l'établissement, faire aux soldats le sort proposé. Dès cette époque, le département de la guerre entrera en bénéfice, lequel augmentera graduellement chaque année jusqu’à la cinquante-cinquième, terme où il sera entièrement déchargé de la somme qu’il en coûte aujourd’hui pour les invalides, soldes et demi-soides. Cette époque sera celle où le nombre des vétérans sera invariable. Il se montera à 12,710, dont 3,177 sergents et 9,533 soldats. Pour parvenir à ce but, il en coûtera à la Dation 36,342,226 livres; mais elle aura acquis un fonds de 75,363,313 livres; elle aura de plus acquitté, en argent comptant, lors de la retraite des vétérans, 4,800,000 livres, indépendamment des sommes qu’elle aura payées pour l’acquit des rentes viagères, à dater de la vingt-cinquième année, et qui se montent à 87,046,300 livres. {f 8 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] De sorte que moyennant 36,342,226 livres données en 55 ans, la nation se trouvera avoir en fonds plus du double de cette somme, ci .......................... 75,363,313 liv. Avoir payé argent comptant. 4,800,000 Plus, avoir pareillement payé pour le sort des soldats vétérans ........................ 87,046,300 A reporter ..... 167,209,613 liv. Report.... 167,209,613 liv. Dont il est juste de défalquer les 36,342,226 Reste de bénéfice réel ...... 120,867,387 liv. Indépendamment de celui que le département de la guerre fera annuellement, à dater de la vingt-cinquième armée, et lequel équivaut à celui des rentes viagères.