ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l« juin 1791.] 692 [Assemblée nationale.] M. de Montlosier. Il s’agit ici d’un crime de haute trahison. M. Dnport. Vous avez toujours pensé qu’une poursuite criminelle ne peut avoir lieu que pour un crime méritant peine afflictive et infamante. Pouvez-vous ordonner une poursuite criminelle en ce moment, et le délit dont il est question est-il de nature à encourir peine afflictive et infamante? ( A droite: Oui I oui!) Je demande si ce n’est pas d’ailleurs faire une injustice que de mettre dans la balance l’opinion de l’Assemblée sur un simple individu, en ordonnant de poursuivre avec l’opinion connue du gouvernement. M. de Choiseul-Praslln. Je demande pour l’honneur de l’Assemblée que son Président soit chargé de se retirer par devers le roi pour lui porter l’arrêté par lequel l’Assemblée a consigné la lettre de M. de Montmorin dans son procès-verbal. M. Robespierre. Je demande la question préalable sur toutes les propositions. Si lorsqu’un ministre se plaint d’une injure qu’il a reçue d’un écrivain... (A droite: C’est le roi! c’est le roi!), soit que ce ministre parlât en son nom, soit qu’il se couvrît du nom plus respecté du roi, si dans ce moment, dis-je, il sortait du Corps législatif un décret qui chargeât le Corps législatif lui-même de la vengeance de ce ministre, par lequel l’Assemblée législative se. chargeât d’armer elle-même le pouvoir judiciaire contre l’individu qui serait accusé devant elle, le Corps législatif serait le plus terrible fléau de la liberté individuelle. Je réclame, moi, devant l’Assemblée nationale, les premiers principes de la justice, et je demande à l’Assemblée si, de quelque part que vienne une dénonciation, soit d’un ministre, soit d’un autre dénonciateur, elle peut adopter cette dénonciation, la dénoncer elle-même à son tour aux tribunaux, sans juger elle-même si cette dénonciation est vraie ou fausse. Dr, ici, quelles preuves avez-vous contre l’assertion de l’écrivain? L’asserûun de M. de Montmorin, et rien de plus. Est-ce ici qu’on peut accueillir un système qui tendrait à défendre aux citoyens de révéler des faits importants au salut public! (. Applaudissements .) Il serait dangereux de dire aux citoyens que celui qui attaquera un ministre se trouvera entre la poursuite ministérielle et celle de l’Assemblée nationale; il se présente ici une question d’un plus grand intérêt. Avez-vous fixé le degré des opinions à l’égard des hommes en place? Savez-vous si vous n’adopterez pas la différence à faire entre les hommes en place et les simples particuliers? Pouvez-vous oublier que l’opinion des hommes qui ont le plus d’idées sur la liberté de la presse est que cette liberté doit être illimitée quand il s’agit des hommes publics, et que l’action en calomnie soit interdite aux hommes en place? (Murmures.) Je demande donc la question préalable sur toutes les propositions avec d’autant plus de raison qu’il serait du plus dangereux exemple que l’on pût faire, avec quelque espérance de succès, des motions aussi serviles que celle sur laquelle vous avez à délibérer. (Applaudissements.) M. de ta Rochefoucauld-Liancourt. Le préopinanl s’est trompé sur un fait. 11 ne s’agit pas ici d’uüe réparation à faire au ministre, il est question d’une insulte grave faite au chef du pouvoir exécutif; et la probité du roi est absolument intéressée à ce que la fausseté de cette lettre soit absolument démontrée. Le roi serait le plus fourbe des hommes si, après tout ce qu’il a dit, il eût nourri un projet aussi coupable que celui qu’on vous a dénoncé. Plusieurs membres à droite : Aux voixl aux voix ! M. de La Rochefoucauld-Uancourt. Je n’appuie cependant pas pour cela la motion de M. Loys ; mais je dis que la dénonciation formelle qu'en a fait M. de Montmorin, est certainement une attaque, une inculpation suffisante pour que l’écrivain du Moniteur y réponde. Si le Moniteur, après le défi de M. de Montmorin, ne le nomme pas, si des preuves ne sont pas données, il passera aux yeux du public pour un calomniateur. (Applaudissements.) M. de Montlosier. Oui, mais le calomniateur ne sera pas puni. Plusieurs membres. Fermez la discussion! (L’Assemblée ferme la discussion et décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) M. le Président lève la séance à 3 heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du mercredi 1 M juin 1791, au soir( 1). La séance est ouverte à six heures du soir. M. Ricard de Séalt, secrétaire, fait lecture des adresses suivantes : Adresse de la société des amis de la Constitution, séant à Neufbrisach, qui fait éclater ses sentiments de patriotisme, et supplie l’Assemblée de placer dans cette ville un des nouveaux corps administratifs. Adresse de la société des amis de la Constitution, établie à la Ciotat, qui présente à l’Assemblée nationale le tribut de son admiration et de son dévouement. Adresse des administrateurs composant le directoire du département de la Charente-Inférieure, contenant deux exemplaires imprimés d’un projet lu dans le Conseil général d’administration, sur l’établissement d’un prix annuel d’agriculture dans chacun des districts du département. Ils supplient l’Assemblée de vouloir bien autoriser cet établissement. Adresse des administrateurs composant le directoire du département de la Gironde, qui annoncent que l’embargo, qu’ils avaient mis momentanément sur les navires du Commerce, à été levé. Les négociants ont volé une adresse qu’ils envoient aux colons et aux négociants de nos îles. Plus de 800 jeunes gens se sont déjà fait inscrire pour se rendre dans les colonies. Adresse des officiers municipaux de Perpignan , contenant le procès-verbal de la réception hono-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [l*r juin 1T91.J @93 rable et triomphante de M. Deville, évêque constitutionnel du département des Pyrénées-Orientales. Adresse des officiers municipaux de Saint-Denis - en-Val, département du Loiret , d'Honnecourt, département du Nord, de Sousmoulins , département de la Charente-Inférieure, et des amis de la Constitution , séant aux Jacobins à Béziers , qui instruisent l’Assemblée des honneurs funèbres qu’ils ont rendus à Mirabeau. Adresse des membres de la société des amis de la Constitution , et des fabricants, négociants et autres citoyens de la ville de Lille , département du Nord, qui exposent la détresse extrême de cette ville par la pénurie du numéraire; ils dénoncent une lettre du ministre de l’intérieur, par laquelle, au mépris de l’ordonnance de 1691, qui n’a pas encore été abrogée, non seulement on tolère, mais encore on autorise la sortie du numéraire. Ils supplient instamment l’Assemblée de décréter au plus tôt la prohibition absolue de la sortie du numéraire. Adresse de MM. Charmot. Ils prient l’Assemblée, au nom de 17 communes, d’ordonner que les directoires des départements répondront, dans le mois, aux mémoires qui leur seront présentés. (Cette adresse est renvoyée au comité de Constitution.) Adresse de MM. Rousseau, Franchaut , Arnout, Guillot et autres, formant la société des amis de la Constitution de la ville de Lorient-, ils demandent qu’il soit ouvert un registre où tous les citoyens qui voudront porter en personne, aux colonies, les secours nécessaires à leur tranquillité, puissent s’inscrire, ainsi que ceux qui désireraient, par leur moyen pécuniaire, contribuer à la dépense. (Cette adresse est renvoyée au comité colonial.) M. le Président fait donner lecture d’une lettre du directoire du district de Confolens ; elle porte que les deux frères Sardins, ayant excédé un aubergiste de Chabanais, furent mandés par la municipalité et refusèrent de se rendre, ce qui engagea le procureur d’office et le commandant de la garde nationale d’aller devers eux avec une compagnie d’hommes armés; que les deux frères tirèrent des coups de fusil, tant sur le procureur du roi que sur le commandant de la garde nationale qui, se voyant ainsi provoquée, à son tour, fit feu, et tua les deux frères; que depuis la tranquillité est rétablie dans l’endroit. M. le Président fait donner lecture d’une lettre du directoire du département du Morbihan, qui se joint à M. Masle, son évêque, pour obtenir l’élargissement des laboureurs détenus dans les prisons de Vannes, depuis le 13 février dernier, et la cassation de toute procédure relativement à eux. (Cette lettre, ainsi que la demande de l’évêque, sont renvoyées au comité de judicature.) M. le Président annonce l’hommage que font à l’Assemblée ; 1° M. Joutielton, d’un travail sur la réforme de la médecine; 2° M. Carré, d’un mémoire dont l’objet est de rechercher les causes du dépérissement du commerce et des manufactures, et de supprimer la mendicité en offrant, à la classe pauvre 4es moyens de subsister, par la fabrication des matières premières, telles que le lin, le chanvre, la laine et la soie, (L’Assemblée renvoie le premier mémoire à son comité de salubrité, et le second à celui d’agriculture et de commerce.) M. le Président fait donner lecture d’une lettre de M. François de Neufchâteau, ainsi conçue : « Monsieur le Président, « Un citoyen que ses malheurs et sa faible santé condamnent à la solitude, ne pouvant suivre que de loin le spectacle des grands travaux de l’Assemblée nationale, a cru ne pouvoir mieux employer ses lectures, qu’en essayant de rapprocher la Constitution française des maximes les plus célèbres des sages de l’antiquité. Cette idée a produit l’ouvrage que j’ai l’honneur d’offrir à cette Diète auguste, et qui porte pour titre : « L’origine ancienne des principes modernes. » J’ose supplier l’Assemblée d’en agréer les 600 exemplaires qui lui seront remis de ma part par son imprimeur. Ce n’est qu’une faible partie de mes recherches sur ce point. J’ai choisi les citations, au lieu de les multiplier. Ce n’est pas sans surprise et sans plaisir, peut-être, que l’Assemblée nationale va reconnaître ses pensées et retrouver, en quelque sorte, l’esprit de ses décrets, dans l’esprit et dans les pensées des Xénophon, des Aristote, des Platon, des Polybe, des Cicéron, des Tite-Live, etc. Je n’ai gâté ce parallèle par aucune idée étrangère. J’ai recueilli les textes, j’ai traduit les passages ; c’est tout ce qu’il fallait pour ouvrir un champ vaste à la réflexion. Je serais payé de ma peine si l’Assemblée nationale daignait agréer mon hommage, et m’encourageait à finir le tableau dont je ne lui présente aujourd’hui que l’ébauche. « Je suis avec un profond respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissant serviteur. « Signé : François de Neufchâteau, ancien procureur général du roi au conseil souverain du Gap, dénuté suppléant à l’Assemblée nationale, administrateur du département des Vosges, juge de paix de Vicherai. « A Vicherai, district de Neufchâteau, département des Vosges, le 20 mai 1791. » M. de Saint-Martin, Messieurs, l’ouvrage de M. de Neufchâteau nous a été distribué ce matin; il est on ne peut plus patriotique; je demande qu’il en soit fait mention honorable dans le procès-verbal. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il sera fait mention honorable de l’ouvrage de M. de Neufchâteau et que sa lettre sera insérée dans le procès-verbal.) M. Rossignol, soldat citoyén de Paris et ancien directeur du doublage des vaisseaux , est introduit à la barre. Il y fait hommage du moyen de garantir les panons de fusils, les armes blanches, les ouvrages en fer, cuivre et nouveau fer-blanc, de toute atteinte de rouille, ainsi que d’une nouvelle vaisselle. (L’Assemblée accorde au sieur Rossignol les honneurs de la séance, et renvoie l’examen de sa découverte au comité militaire.) Un membre expose que de 6 commissaires nommés pour veiller à la fabrication des assignats de 5 livres, 5 se trouvent, par leurs occupations ou leur santé, dans l’impossibilité d’accepter la commission ; il propose que l’Assemblée nomme, samedi prochain, 5 tnou veaux commissaires.