266 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 août 1791.] M. Duval d’Eprémesnil. Mon intention est de me soumettre très religieusement à l’ordre établi par l’Assemblée pour la discussion de l’acte constitutionnel; mais, pour m’y soumettre, il faut bien s’entendre et je dois m’assurer cjue je l’ai bien saisi. Il me semble que l’intention du comité, appuyée par plusieurs préopinants, est de distinguer, relativement à la parole, la méthode adoptée par le comité, d’une part, et la nature des décrets rassemblés dans l’acte constitutionnel de l’autre. Je crois qu’on pourrait réduire la question à ceci : La méthode adoptée par les comités de Constitution et de révision est-elle bonne? Les décrets rassemblés dans l’acte constitutionnel sont-ils véritablement constitutionnels y (Murmures et approbations.) Il ne s’agit pas de savoir si tel décret est ou n’est pas bon, s'il est ou n’est pas utile à la chose publique : on prétend la constitution décidée ; il faut donc se réduire à demander si ce décret est ou n’est pas réellement Constitutionnel et si on ne peut pas ajouter aux décrets qui sont déjà rangés dans l’acte constitutionnel quelque antre décret qui aurait été omis. {Applaudissements à gauche.) Ces dispositions étant bien entendues, je ne m'en écarterai pas, mais je crains qu’on né me retire les applaudissements que je viens d’entendre. Je ne désapprouverai rien, mais nous nous croirions indignes de l’estime des gens de bien, si nous n’avions pas la courageuse probité de vous déclarer d’avance que nous persistons dans toutes nos précédentes déclarations. ( Rires à gauche .) Les membres de l'extrémité droite se levant : Oui! oui! M. La vie. Tant mieux ! l’improbation des méchants est une apologie pour nous. M. Duval d’Epréracsnil. Oui ! nous persistons dans nos précédentes déclarations pt protestations au sujet des entreprises pratiquées depuis deux ans sur l’autorité royale... A gauche : fît sur celle des parlements, M. Duval d’Eprémesnil... et sur les principes constitutifs de la monarchie française. {Applaudissements à droite .) MM. l’abbé Maury, Madier de lion tj au Foucatilt-Eardimalie, de l’audreuil, et plusieurs autres membres de l'extrémité droite se lèvent en déclarant qu’ils partagent l’opinion dp M. Duval d’Eprémesnil. {Rires à gauche. Applaudissements à droite.) 4 gauche : 4 l’ordre du jour! M. Robespierre. L’objet de la délibération n’étant point de changer ni d’altérer la Constitution d’aucune manière, mais au contraire de la déclarer et de la déterminer d’une manière nette... M. La vie. La question étant connue, je demande que l’on passe à la délibération. M. Robespierre... pour accélérer la délibération, il faut, ce me semble, qu’il soit bien établi que la délibération a pour objet non seulement d’examiner si, tel ou tel article est ou non constitutionnel, mais encore de regarder comme constitutionnel tout article qui est relatif à la distribution des pouvoirs et qui fixe la forme du gouvernement. Plusieurs membres : L’ordre du jour ! M. La vie. Ce sont des phrases que cela. M. Treilhard. La motion est faite de passer à l’ordre du jour. Monsieur le Président, mettez-là aux voix, tout le monde la demande. M. Robespierre. Je demande que l’on discute le projet sous ce point de vue. M. Malouel. J’insiste pour continuer mon opinion (l). A gauche : L’ordre du jour! aux voix! aux voix ! M. Malouet. Je demande la parole, du moment qu’il n’y a pas de décret prononcé pour mel’ôter. A gauche : Aux voix ! aux voix ! M. Malouet. Un décret! un décret! M-le Président. Vous avez entendu, Messieurs, la proposition de M. Le Chapelier; à l’exception de M. Malouet, elle a été appuyée par tous les opinants, même par M. d’Eprëmesnil. {Rires à gauche.) M. Duval d’Eprémesnil. Je ne l’ai pas appuyée. M. le Président. Je vais mettre aux voix si l’Assemblée veut adopter l’ordre des matières, la distribution des parties du travail des comités. A gauche : Oui! oui! A droite : Point de voix ! (L’Assemblée, consultée, adopte l’ordonnance générale du travail et la distribution des matières présentées par les comités de Constitution et de révision, et elle ordonne de passer immédiatement à l’examen et à la discussion du projet.) M. le Président. Il résulte du décret que l’Assemblée vient de rendre, que la discussion est dans le cas d’être ouverte sur le commencement du travail, c’est-à-dire sur la disposition des articles qui composent la déclaration des droits. M. Thouret, rapporteur. La déclaration des droits de l'homme et du citoyen est en tête de notre travail. Elle y est exactement telle qu’elle a été décrétée. Les comités n’ont pas cru qu’il leur fût permis de vous proposer d’y faire aucun changement. Ils croient même qu’il ne serait pas bon qu’il y fût fait aucun changement. Cette déclaration a, en quelque sorte, acquis un caractère sacré et religieux. Elle est depuis deux ans devenue le symbole de tous les Français, elle est imprimée dans tous les formats ; elle se trouve en placards dans tous les lieux publics et jusque dans les habitations des habitants d< s campagnes ; elle a servi et sert à apprendre à lire aux (1) Voir ci-après, aux Annexes de la séance, le texte complet de cette opinion, imprimée par les soins de M. Malouet. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 août 1791.] enfants. Il serait très dangereux d’établir en parallèle de cette déclaration, une seconde déclaration différente, non seulement dilférente par le fond des choses quMIe pourrait contenir, mais même différente en rédaction. On ne connaîtrait plus qu’elle est la véritable déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Nous croyons donc que, comme elle contient tous les principes élémentaires, Comme elle contient tous les germes, toutes les conséquences utiles qu’on peut désirer et toutes les inductions avantageuses à l’état social et aux droits des individus et de la société, nous croyons donc qu’il est absolument inutile de faire aucun changement à cette déclaration, et, comme je le disais, il serait dangereux de le faire. C’est pouiquoi nous avons proposé, après la déclaration telle qu’elle est, le second titre qui garantit les droits de cette déclaration. Si quelqu’un, pour des raisons infiniment pressantes, croyait qu’il fût nécessaire d’éclairer par induction quelques-unes des dispositions, ce serait plutôt en ajoutant ces inductions dans le second titre, qu’en travaillant le texte de la déclaration. ( Applaudissements .) M. Roederer. Je sens combien il est nécessaire de respecter dans son entier la déclaration des droits. Il n’y a qu’une inexactitude de style, qui a été généralement remarquée, que l’Assemblée peut faire disparaître et qui est nécessitée par le sens du décret. C’est à l’article 17. Il y est dit : « Les propriétés étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé... » 11 faut dire : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, etc. » M. Thouret, rapporteur. C'est une faute d’impression qu’on aura soin de corriger. M. Roederer. Non, Monsieur, ce n’est pas une simple erreur d’impression; car dans aucune version il n’a été dit : la propriété ; et ce qui prouve que cela n’a jamais été décrété, c’est qu’il qurait été ajoute au second membre : « nul ne peut être dépouillé de ses propriétés » et cela est nécessaire. Je propose donc ( Mouvement .) de décréter cet article dans ces termes : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut être privé de ses propriétés, si ce n’est, etc...» (Non! non!). On ne peut pas dire que les propriétés sont un droit ; c’est la propriété qui est un droit. Voix diverses : C’est juste ! — Non! non! M. Dupont (de Nemours). Je demandela parole. M. le Président. La question est de savoir si on laissera la déclaration telle qu’elle est, ou si on accordera la parole à M. Dupont, qui veut y proposer des changements. M. Dupont ( de Nemours). Je ne demande point de changements ; je demande Inexécution d’un décret de l’Assemblée. L’Assemblée, lorsquelle a décrété la déclaration des droits , eut à statuer sur divers articles additionnels qui lui étaient présentés; elle décida que lorsqu’on ferait la révision elle s’occuperait de ces articles et verrait s’il était utile ou non de les ajouier à la déclaration. Parmi ces articles il en était un qui avait fixé particulièrement l’attention de l’Assemblée, c’était celui qui est la base de tous les 267 services de bienfaisance et d’instruction publique. L’article disait que tout homme a droit aux secours des autres hommes, à des secours gratuits s’il est dans l’état de faiblesse ou d’indigence, à des secours réciproques s’il est dans l’état de démence. (Murmures.) Cet article a été formellement renvoyé par décret de l’Assemblée, inséré dans son procès-verbal; et elle s’est réservé, comme voulant ordonner son travail, de décréter cet article quand elle ferait la révision. J’avais de plus à vous observer, Messieurs, que sans rien changer à la déclaration des droits, il est de la dignité nationale d’exprimer quelques articles d'une manière qui ne paraisse pas compromettre les droits qu’on veut établir. Et comment diriez-vous, par exemple, que la nation à le droit, par ses représentants, de consentir librement les contributions publiques? Y a-t-il un pouvoir qui ait le droit de demander le consentement à l’imposition publique? N’êtes vous pas obligé que la nation ou ses représentants ont le droit de voter les contributions publiques, et non pas celui de les consentir librements comme quand vous parliez à des despotes qut croyaient vous faire de l’honneur en vous consultant. Plusieurs membres : C’est bon ! c’est bon ! M. Dupont (de Nemours). Je vous demande s’il vous convient d’exprimer des idées et des distinctions qui déjà sont à 2 siècles de nqus, quoiqu’il n’y ait que 6 mois qu’elles sont passées, je vous demande s’il vous convient de dire que l’on n’aura pas d’acception de personnes dans l’exécution des lois; qu’elles frapperont également sur les individus, comme si cela ne doit pas être compris dans l’égalité parfaite que vous avez décrétée au commencement de votre rassemblement. Nous avons fait, Messieurs, de si rapides progrès, que l’on ne peut pas avoir été détourné dans un travail, sans trouver que l’Assemblée, que la nation, que l’opinion publique ont avancé de plusieurs années à la connaissance des vérités utiles au genre humain. Eh bien, Messieurs, quand, avec ces progrès de lumières, on relit la rédaction faite il y a 2 ans, on voit qu’elle a été faite en tremblotant par de pauvres représentants des communes qui commençaient à s’éclairer, et qui semblaient trembler vis-à-vis des troupes, vis-à-vis des parlements, vis-à-vis des lettres de cachet. Il faut que la Déclaration des droits, qui est le véritable acte constitutionnel, car tout le reste n’en est que le commentaire, il faut qu’elle ait la brièveté impériale; il faut qu’elle ait la clarté philosophique; il faut quelle ait la profondeur desidées et la justesse de'l’ex pression. Je vous demande de la relire, et vous verrez qu’il y manque beaucoup de ces choses-là. Je fais donc la motion expresse que, d’une part, on y ajoute l’article que j’ai proposé ; de l’autre, que vous chargiez vos comités de Constitution et de révision... Plusieurs membres : La question préalable! M. Dupont (de Nemours)... de vous présenter sous trois jours une nouvelle rédaction qui en ôte (Murmures), qui en ôte les petites taches, entre autres l’article 14 que le malheur des circonstances y avait jeté alors. Comme il ne s’agit pas d’en rétrancher aucune des bases, il est pos- 268 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (8 août 1791. J sible de passer à la discussion des titres suivants. Plusieurs membres: Non! non! La question préalable ! M. Dupont (de Nemours). Il y a dans le décret qu’on demande un sentiment respectable, qui est celui de ne pas déranger l’habitude de lire la Déclaration des droits , avec les défauts qui s’y sont glissés. Mais, Messieurs, il ne s’agit pas d’une déclaration des droits qui doive durer un jour. Il s’agit de la loi fondamentale, des lois de votre nation et de celles des autres nations qui doivent durer autant que les siècles. Je demande, Messieurs, que le portique soit en tout digne de l’édifice. Vous êtes devenus bien grands depuis la déclaration des droits ..... M. d’André. Gomme je ne pense pas que l’ajournement demandé par le préopinant soit appuyé, je ne m’arrêterai pas à le combattre. Le préopinant demande l’addition d’un article relatif aux secours publics dus aux pauvres et infirmes. Sans doute, le préopinant n’a pas lu attentivement le projet qui nous est présenté, car il aurait vu au titre premier, à l’avant-dernier paragraphe, la disposition suivante ; « Il sera créé et organisé un établissement général de secours publics pour le soulagement