77 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.) La suite de la discussion sur l'organisation de la marine est reprise. M. de La Galissonnière. (1). Messieurs (2), au mois de janvier dernier votre comité de la marine présenta à cette Assemblée un planjd’organi-sation militaire. Ce plan fut attaqué par des membres mêmes du comité. Il le fut encore par des députés étrangers au comité, je fus de ce nombre. Par mes conclusions je demandai l’ajournement du projet et son renvoi au comité de la marine. L’objet de l’Assemblée fut d’être plus éclairée sur le second projet qui lui serait présenté, par la discussion que nécessiterait au comité l’adjonction de six nouveaux commissaires. M. de Sillery vous a dit hier qu’il avait présenté au comité un plan qui a été rejeté. J’en ai présenté un autre, qui a eu le même sort. Ainsi le nouveau projet que vous propose le comité est loin d’avoir, sur beaucoup d’articles, l’unanimité. 11 en est quelques-uns où la majorité n’a été que d’une voix; et, je ne crains pas de le dire, ces articles sont les plus vicieux. Le pian qui vient d’être présenté à l’Assemblée n’est point militaire, c’est un mélange de guerre et de commerce, où les principes de ces deux professions ne peuvent qu’être altérés. Je croyais avoir démontré, dans mon opinion du 15 janvier, sur le projet d’organisation militaire, combien l’esprit de ces deux marines était différent; et, si ce premier projet avait des vices, il m’est démontré que le second en a encore de plus considérables, et qu’il ne peut soutenir le jour de la contradiction. J’en vais discuter les articles importants; et pour en abréger le fastidieux, j’adopte les premiers articles du nouveau projet, excepté l’article premier, parce qu’il ne présente point un sens bien déterminé; et quant aux articles 11 et 12, concernant les pilotes côtiers, je ne perdrai pas de temps à démontrer l’inutilité de l’examen qu’on leur demande, parce que cet examen tombera en désuétude; et, en ,effet, quel examen peuvent subir des hommes qui, pour la plupart, ne savent pas lire et dont la véritable science, la seule indispensable, est de connaître l’aspect des côtes, les bancs, les roches et les écueils qui les avoisinent. Je m’arrête aux aspirants. Les aspirants de la marine sont divisés, par votre comité, en trois classes ; et d’après les principes de la Constitution, comme d’après ceux d’une monarchie bien organisée, tous les citoyens y sont admissibles à 15 ans accomplis, après avoir cependant subi un examen public sur l’arithmétique, la géométrie, les éléments de navigation et de la mécanique. Les aspirants, reçus d’abord de la troisième classe, parviennent à la seconde après 18 mois de navigation; et enfin, à la première, lorsqu’ils ont répondu d’une manière satisfaisante a un nouvel examen, tant sur la théorie que sur la pratique de l’art maritime. Il résulte de cet article que le nombre des aspirants sera illimité, puisque les deux seules conditions apposées pour l’admission sont, d’une part, l’âge de 15 ans et de l’autre part un examen public. Mais ce nombre illimité sera nécessairement très grand. En 1790, avec 5,600 officiers (1) Ce discours n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Nolo eumdem populum esse porlitorem et impera-torern orbis terrarum (Cicéron)- (iSot-e de l'opinant.) mariniers, matelots, novices et mousses, embarqués sur les bâtiments du commerce de Bordeaux, il fut employé environ 1,336 officiers d’état-major. Les jeunes gens connus sous le nom d’enseignes, ou de pilotins, forment environ le tiers de ce nombre. Le port de Bordeaux doit donc fournir de 4 à 500 pilotins; et en supposant, ce qui ne s’éloigne pas de la réalité, que les bâtiments de Bordeaux soient le quart des bâtiments du commerce de France, le nombre des jeunes gens employés dans tous les ports peut s’élever à 2,000. Vous ne doutez pas que ces jeunes gens, la plupart de familles de navigateurs, ne s’empressent de se présenter à l’examen. Jetez à présent les yeux sur cette nombreuse pépinière de marins que renferment les trois grands ports militaires, sur la quantité de sujets que vont offrir les provinces, d’après le goût décidé des Français pour le service militaire ; considérez encore que l’admission sera facile, parce que ce n’est pas un concours exigé, mais un simple examen ; et ne craignez pas d’admettre que le nombre possible des aspirants reçus s’élèvera de 2,000 à 3,000, si vous observez que j’ai fait abstraction de tous les officiers de la marine marchande employés comme lieutenants, qui auront un égal empressement pour se faire admettre au nombre des aspirants. Alors le peu d’armements qui se font en temps de paix ne suffira pas pour les employer tous. Il faudra donc, s’ils veulent remplir le temps de navigation exigé, par le comité, pour l’avancement au grade d’officier, que la plus grande partie de ces jeunes gens cherchent de l’emploi dans la marine marchande. Or, Messieurs, votre comité ayant reconnu que la navigation marchande est moins instructive que la navigation militaire, exige douze mois de la première pourtenir lieu de huit moisdela seconde. Geseradonc un grand avantage, pour les aspirants, de pouvoir être embarqués sur les vaisseaux de l’Etat, et cet avantage sera accordé par les commandants des ports ou par le ministre. Alors quel champ vous ouvrez à la protection, à la faveur, aux préférences ! Et pour ui ces préférences ? Pour les jeunes navigateurs es trois grands ports, pour les enfants des capitaines ou officiers employés; plus à portée des armements, ils perdront rarement l’occasion de compléter le temps de navigation nécessaire pour parvenir au grade d’officier. Ils l’obtiendront, et dans le fait, quelques efforts qu’on tente pour confondre les deux marines, ni l’une ni l’autre ne pourra passer la ligne de démarcation posée par la nature des choses, elles seront toujours distinctes. Enfin, Messieurs, ne trouvez-vous pas un grand inconvénient à faire passer ainsi les jeunes aspirants d’abord des vaisseaux de l’Etat sur les bâtiments de commerce, où ils porteront l’esprit de la navigation militaire, ensuite des bâtiments du commerce sur les vaisseaux de l’Etat, où ils porteront l’esprit de la navigation marchande, celui de pacotille? J'avoue que je ne sais lequel de ces deux maux est le plus grand. En effet le service militaire exige le plus grand désintéressement, le dévouement le plus absolu. L’esprit de pacotille en est le plus grand fléau. Il gêne les armements, i! encombre les vaisseaux qui, retardés dans leur marche et mal préparés pour le combat, deviennent aisément la proie de l’ennemi. Les officiers auxquels on confie les vaisseaux de l’Etat ne peuvent, à cet égard, s’imposer une réserve trop rigoureuse ; mais une fois qu’on s’est [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791. j 78 livré à des spéculations mercantiles, il est bien difficile d’y renoncer. Le seu liment de l’intérêt étouffe la voix de l’honneur et de la gloire; et le passage fréquent de la navigation marchande à la navigation militaire portera nécessairement dans celle-ci l’esprit de pacotille inné dans la première. D’un autre cô'é, si le projet du comité était adopté, il n’existerait plus d’autre dénomination pour les officiers commandant les bâtiments de commerce que celle d’enseigne de vaisseau, dénomination qui leur rappellerait sans cesse qu’ils sont officiers militaires. Ils se présenteront au service des armateurs, avec toutes les prétentions, tout l’esprit de cette profession, esprit qui tend sans cesse et presque irrésistiblement à la supériorité. Si l’intérêt étouffe un moment l’opinion d’eux-mêmes, et leur défend de rougir du service d’un négociant qui ne sera point guerrier, ils exigeront au moins un traitement plus considérable, des égards plus marqués. Cette simplicité et cette économie, qui sont la base et la prospérité du commerce, disparaîtront de la marine marchande, et les négociants seront tous étonnés de n’avoir plus que des employés qui voudront leur faire la loi. Enfin ces enseignes auront, si vous le voulez, toutes les qualités, excepté celles qui sont nécessaires aux opérations mercantiles ; car, il ne faut pas s’y tromper, les éléments du service militaire et du service marchand sont très différents; et je pense que l’introduction de l’esprit militaire dans la navigation marchande serait la ruine absolue de notre commerce, et surtout du cabotage. On n’exige des jeunes gens qui commencent la carrière de navigateurs marchands, que des connaissances très légères d’hydrograpnie. Iis font d’abord l’office de novice, et ne se forment qu’à une manœuvre routinière. Ils pourraient sans doute se perfectionner, si l’intérêt ne portait pas leurs vues ailleurs. Leur but est de parvenir au commandement d’un navire, et ils ne peuvent y arriver qu’en devenant négociants. Ils s’occupent donc des principes du commerce ; et, dès qu’un pilotin sait tenir les livres de compte, il est sûr d’arriver promptement au grade de lieutenant, sans être guère plus avancé dans la science de la navigation. Alors, si ses talents mercantiles se déploient, il ne tardera pas à commander. Ceux qui ne sont pas propres aux détails de la traite et de la vente des cargaisons, qui ne s’occupent que des travaux de la mer proprement dits, ne s’élèvent jamais au-dessus du poste de capitaines en second, et ce sont sans contredit les meilleurs marins. Il existe donc dans la marine marchande, et c’est une vérité à laquelle votre comité n’a fait aucune attention, il existe deux classes très distinctes. La première, composée des officiers négociants, des capitaines par excellence, est à la tête des armements. La seconde, composée de vrais marins, mais peu estimés, et que les premiers qualifient de capitaines voituriers , n’est jamais qu’en sous ordre; car dans ce genre de navigation l’homme de mer est bien moins prisé que le facteur ; aussi la majeure partie des marins qui se consacrent au service marchand se livre-t-elle plus constamment à l’étude du commerce qu’à celle de la marine. Transportez ces marins sur les vaisseaux de l’Etat, ils y porteront d’abord l’esprit de pacotille; mais, ce genre leur étant interdit, ils éluderont la loi, ou seront forcés, s’ils veulent se distinguer, de se livrer à l’étude pénible de connaissances qui leur étaient étrangères. La campagne terminée, ils redeviendront commerçants avec toutes les prétentions de marins militaires; et, dans le fait, ils ne seront ni l’un ni l’autre. Ceux qui veulent confondre les deux marines se rallient aux noms de Duguay-Trouin et de Jean Bart, mais Duguay-Trouin n’a jamais commandé de bâtiments de commerce ; et sans doute il ne s’y fût pas trouvé propre. Ses succès sur des vaisseaux armés en course commencèrent sa réputation, et ce ne fut que comme armateur que Jean Bart fixa l’attention de l’Europe. Ainsi l’exemple de Duguay-Trouin et de Jean Bart prouve au contraire que l’esprit des deux marines est incompatible, et qu’en les confondant on ne fera que les dénaturer l’une et l’autre. Je reprends le projet du comité. Le grade d’enseigne est accordé aux aspirants de la première classe, qui auront fait quatre années de navigation, dont une au moins obligée sur les vaisseaux de l’Etat, en qualité d’aspirants, et après avoir subi un nouvel examen. Ici, Messieurs, je vous fais remarquer qu’après toutes ces épreuves, un jeune homme reste dans l’incertitude sur le sort qui l’attend, et qu’il n’est pas encore attaché au corps de la marine. Trois examens subis, quatre années de navigation, peut-être des campagnes de guerre en qualité d’oflicier, peut-être même des blessures, tout cela ne lui suffit pas ; il faut encore qu’il se soumette à la chance d’un concours exigé par l’article 29 etsuivauts, pour le grade de lieutenant; et quelle que soit sa capacité, si la nature lui a refusé la magie d’une élocution facile, s’il ne remporte pas sur ses concurrents, peut-être moins instruits, moins expérimentés, mais s’exprimant mieux, il se trouvera sans état, et ne pourra même se présenter à l’examen s’il a passé l’âge de 30 ans. Vous êtes sans doute étonnés qu’un pareil article vous ait été proposé par votre comité; mais vous saurez qu’il u’a passé qu’à la pluralité d’une seule voix ; et, certes, dans une matière aussi importante, ce n’est pas une pluralité suffisante. Vous voyez. Messieurs, que le concours placé au grade de lieutenant laisse sans état des jeunes gens qui, ayant embrassé la carrière militaire dès leur première jeunesse, et l’ayant suivie jusqu’à l’âge de 30 ans, n’ont plus alors d’autres ressources que d’aller solliciter de l’emploi dans le service marchand, auquel ils seront peu propres, par l’habitude qu’ils auront contractée du service militaire, et par leur ignorance des principes du commerce; et, sur ce point, j’en appelle au témoignage de tous les négociants instruits. J’ajoute qu’ils trouveront difficilement de l’emploi, parce que leur exclusion du service militaire formera un préjugé contre eux. Il ne faut pas croire que le nombre de ces infortunés sera médiocre, parce qu’il est très probable qu’il y aura toujours trois ou quatre fois plus de concurrents que de places vacantes de lieutenants à disputer. Enfin cette disposition du projet a encore un inconvénient trè3 grave. Une partie des enseignes qui seraient en état de se présenter aux examens pourraient, à l’époque du concours, se trouver employés sur les vaisseaux de l’Etat et répandus sur toutes les parties du globe. Serait-il juste que ceux qui seraient restés fussent mieux traités que ceux qui donneraient, dans le même temps, des preuves de zèle et qui rendraient des services à la nation? Ne serait-il pas à craindre qu’à l’approche des examens, on ne cherchât à éviter l’embarquement, et surtout [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.] 79 pour des voyages de long cours? Ne serait-ce pas mettre en opposition les vues d’avancement avec l’amour du devoir? je dis plus, avec l’obéissance due au roi; car un enseigne pourrait être commandé pour le service, lorsque son intérêt exigerait qu’il restât à terre pour se trouver au concours. Votre comité a cru remédier aux absences pour cause de service, en énonçant, article 31, que ceux qui se trouveront à la mer, lors du concours, et qui auraient atteint l’âge de 30 ans péndant ce voyage, pourraient se présenter au premier concours, après leur retour. En supposant que ces marins, admis au concours, soient élevés au grade de lieutenant, qui leur rendra jamais les rangs perdus par leur absence? Ils auront la douleur de se voir commandés par leurs cadets, et d’âge et de service, par le seul fait de leur zèle et de leur dévouement à la chose publique. Ces reflexions, Messieurs, doivent vous faire conclure que le concours placé au grade de lieutenant est cruel pour la plupart des individus, injuste envers d’autres; et l’on prouverait, de la même manière, qu’étant placé au grade d’enseigne, il aurait les mêmes inconvénients. Il paraît donc démontré qu’il ne peut y avoir de concours qu’à l’entrée de la carrière ; et c’est ce que vous avez si sagement conservé dans le corps du génie militaire. En un mot, Messieurs, pourquoi y aurait-il, dans l’armée navale, un autre mode d’admission que dans l’armée de terre? Qu’avez-vous décrété pour celle-ci? Que tous les citoyens de l’Empire fussent susceptibles des emplois, grades, avancements, décorations. N’avez-vous pas établi une hiérarchie de grades? et n’avez-vous pas assuré l’état de tout militaire à son entrée au service? Renvoyez-vous son admission à des grades marquants? Non; vous avez voulu et vous avez ordonné que celui qui aurait obtenu le grade d’ofücier, en raison de ses talents et de son mérite, pût parvenir successivement; mais vous n’avez pas voulu exposer son existence militaire aux hasards d’un examen, en l’exigeant lorsqu’il était déjà breveté officier. Avant de le lui conférer, vous avez sagement prescrit une sorte de concours et d'examen ; mais, une fois pourvu, son sort est assuré. Ajoutez à cela, Messieurs, que le comité vous propose d’admettre au concours, pour le grade de lieutenant, des enseignes qui uauront, pour ainsi dire, fait leur apprentissage que sur des bâtiments du commerce, et qui auront été appelés, à tour de rôle, sur les vaisseaux de l’Etat, et même en concurrence avec les marins qui, n’ayant pas passé 30 ans, auraient satisfait d’ailleurs aux autres conditions. Que diriez-vous, si l’on vous proposait que le premier grade entretenu dans l’armée de terre fût celui de capitaine; et que tous les officiers des gardes nationales remplissent, à tour de rôle, dans chaque régiment, les fonctions de lieutenants et sous-lieutenants, pour parvenir ensuite aux places de capitaines, d’après un concours non seulement entre eux, mais auquel seraient admis, avec eux, tous les gardes nationaux, dont les seuls titres exigés seraient l’âge et un temps déterminé de service? Et je dois vous faire observer que la différence du service, et surtout de l’esprit entre les troupes de ligne et les gardes nationales, n’est pas si grande qu’entre les marins de la marine marchande et ceux de la marine militaire. Les militaires des deux armées doivent donc êlre soumis au même mode d’admission. S’il en était autrement, ne serait-il pas aussi étrange que ridicule de voir deux frères, l’un servant sur terre, pouvant être sous-lieutenant appointé à 16 ans; et l’autre, voulant servir sur mer, n’en acquérir la certitude qu’au grade de lieutenant de vaisseau, puisque ce n’est qu’à ce grade qu’il serait de fait officier militaire de la marine; et, avant que d’y parvenir, il faudra qu’il navigue, tantôt à bord des vaisseaux de l’Etat, tantôt à bord des bâtiments du commerce, avec l’incertitude d’être jamais admis. La marine militaire est de toutes les professions celle qui exige le plus de connaissances et l’étude la plus constante: il est de toute justice que le citoyen qui y consacre sa vie soit rassuré contre la crainte de perdre inutilement les plus belles années de sa jeunesse; il est nécessaire en même temps d’offrir à ce citoyen tous les moyens d’instruction qui puissent le rendre capable de servir un jour utilement sa patrie. Ce sont des motifs semblables qui ont déterminé l’Assemblée à conserver les écoles du génie, de l’artillerie, des ponts et chaussées. L’art de la marine, plus savant encore, exige impérieusement la conservation de ses écoles; et qu’on ne croie pas que l’établissement des écoles gratuites proposées parle comité, article 14, remplisse cet objet; il est bien, à la vérité, suffisant pour mettre les jeunes gens en état de se présenter au concours, pour la place d’aspirant ou d’élève de la marine, car je ne tiens pas au nom; mais, une fois admis, ces jeunes gens doivent se livrer à un genre plus profond d’instruction. Ce n’est pas à bord des bâtiments de commerce qu’ils deviendront de hardis manœuvriers, d’habiles tacticiens, qu’ils prendront, ce qu’il leur importe d’acquérir, les notions au moins élémentaires de la construction navale ; c’est dans des écoles nationales, c’est à bord des corvettes d’instruction, qu’ils se formeront à ces hautes connaissances, et qu’ils deviendront véritablement marins. Mais vous n’obtiendrez aucun de ces avantages si, en fixant, d’après le projet de votre comité, la certitude de l’admission dans la marine au grade de lieutenant, vous abandonniez au hasard les fondements d’une bonne marine, l’instruction due aux jeunes gens qui se consacrent à une étude qui doit durer autant que leur vie, et si vous ne les rassuriez pas contre la crainte de perdre, sans fruit et sans récompense, les premiers travaux de leur jeunesse. Je finis ici, Messieurs, mes remarques sur le projet du comité, et je vais soumettre à vos lumières un autre projet que j’ai médité longtemps, et qui me paraît fondé sur de bons principes. Je pars des mêmes bases dont j’avais offert de soumettre la discussion au comité de la marine ; mais ces bases furent rejetées à la majorité de sept voix contre six, et je dois dire que parmi les opposants, il se trouva à la séance du comité, des commissaires qui n’y paraissent presque jamais. Je m’attache principalement au mode d’administration dans la marine, et au genre d’instruction qu’il convient de donner aux jeunes gens, lorsqu’ils feront leurs premiers pas dans cette carrière. Je ne propose pas de charger l'Etat de leur première instruction ; c’est aux parents, qui destinent leurs enfants au service maritime, à leur donner celle qui convient, et à choisir pour cela les meil-! leurs maîtres. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.] 80 J’établis uq concours auquel pourront se présenter tous les sujets de l’Empire, de quelque profession qu’ils soient, et les places à remplir seront données à ceux qui, au jugement de l’examinateur de la marine, répondront le mieux sur l’arithmétique, la géométrie, les éléments de mécanique et de navigation. Ce concours n’a pas l’inconvénient de celui que propose le comité, parce que ceux qui seront refusés, étant fort jeunes, auront la facdité de prendre un autre état. Je vous ferai d’abord remarquer, Messieurs, que le goût des Français pour le service militaire est si grand, qu’il est probable qu’il se présentera toujours aux examens un beaucoup plus grand nombre d’individus qu’il n’en faudra pour remplir les places vacantes; d’ailleurs ces examens devant nécessairement être très rigoureux, à cause du concours, les parents n’oseront présenter que des jeunes gens qui auront quelque talent. Aussi les sujets qui composeront la marine seront choisis parmi un grand nombre d’autres, dont chacun sera lui-même un sujet choisi. Il n'est donc pas possible qu’en préférant ce mode d’admission, votre marine ne soit à l’avenir composée d’excellents sujets; et j’observerai que c’est à une disposition absolument semblable, que le génie militaire et l’artillerie doivent la grande supériorité qu’ils ont acquise : les mêmes causes produiront les mêmes effets. On pourra m’objecter que l’examen que j’exige n’est pas assez profond, et qu’on devrait demander des connaissances plus étendues; mais je répondrai : 1° Qu’il est intéressant que les jeunes gens qui se destinent à la marine commencent de bonne heure cette carrière, et qu'alors on ne peut exiger d’eux, ce qu’on exige, par exemple, des ingénieurs militaires; 2° Que ces connaissances théoriques qui font l’objet de l’examen, sont plus que suffisantes pour remplir parfaitement tout ce qui concerne le premier service de la marine, pourvu qu’on le possède bien; qu’il n’est pas possible que des jeunes gens reçus à un concours ne soient fort instruits dans les connaissances élémentaires qui leur auront mérité la préférence, et qu’un jeune homme de 15 à 16 ans, fort sur les éléments, offre une heureuse aptitude à des études plus profondes ; 3° Que ceux de ces jeunes gens que la nature aura doués de talents distingués, et il s’en trouvera nécessairement plusieurs, sauront bien continuer seuls et sans maître leurs études théori-ues, et qu’ils porteront le flambeau des sciences ans les parties de la marine, susceptibles d’être perfectionnées. Je fixe à 15 ans, ainsi que le comité l’a proposé, l’âge avant lequel on ne pourra se présenter au concours; mais il faut aussi déterminer l’âge après lequel on ne pourra plus se présenter, parce qu'il est important qu’on parvienne de bonne heure aux grades. Je fixe cet âge à 18 ans, pour ceux qui n’auront pas encore exercé le métier de la mer, et j’accorde à ceux qui ont déjà navigué une année de plus pour chaque année de navigation qu’ils auront faite en qualité de marins, quel que soit le grade dans lequel ils auront été employés. Daignez observer, Messieurs, combien cette dernière disposition favorise la classe la plus indigente. Une jeune homme, né de parents pauvres, s’embarque comme matelot. Il ne pense alors qu’à s’assurer des moyens de subsistance; il acquiert cependant des connaissances pratiques; bientôt son âme s’agrandit à la vue de l'océan, dont son imagination active embrasse l’étendue. Un sentiment impérieux l’entraîae vers de plus grandes vues, son génie lui dit qu’il est né pour commander. Au retour de ses voyages, il va puiser dans les écoles gratuites des leçons d’hydrographie, il joint des connaissances théoriques à ses connaissances pratiques ; enfin, au moyen des exemptions accordées en faveur des années de navigation, il peut, jusqu’à l’âge de 24 ans, se présenter au concours, non seulement avec l’espérance d’être reçu, mais encore avec la certitude qu’une fois admis, son service comme matelot lui servira pour parvenir plus promptement que les autres au grade d’officier; mon plan donne une latitude que n’offre aucun autre projet. Je viens de vous exposer, Messieurs, le mode d’admission dans la marine, et vous voyez que je n’y reçois que des sujets distingués par leurs talents. Il reste maintenant à leur donner la meilleure instruction possible, et c’est ce que je fais en les embarquant, aussitôt après leur réception, sur des corvettes uniquement destinées à servir d’écoles de marine. Ils y seront d’abord instruits par les différents maîtres de manœuvre, de canonnage et de pilotage, sur tous les détails pratiques qui concernent ces arts; ils y rempliront successivement toutes les fonctions graduées de ces différentes professions. Les officiers leur expliqueront ensuite l’art des manœuvres; des maîtres particuliers leur enseigneront à appliquer aux différentes parties, les connaissances théoriques qu’ils auront déjà acquises; ils les exerceront à observer et à calculer toutes les observations nautiques et à faire toutes les opérations hydrographiques qui peuvent être utiles. Enfin les corvettes d’instruction feront une campagne d’observations au long cours, dans laquelle elles parcourront .différents climats, et les élèves acquerront alors toutes les connaissances relatives à la grande navigation, aux vues des terres, aux mouillages et aux appareillages. Au reste, Messieurs, ces corvettes servant d’écoles de marine, ne sont point un simple projet que je vous propose; elles existent déjà, depuis 4 à 5 ans, dans notre marine, et elles sont regardées comme une instruction excellente. La seule chose que j’y ajoute, et c'est d’après l’avis des marins les plus instruits, est de prolonger l’armement de ces bâtiments, et de leur faire faire une campagüe d’observations au long cours, afin de compléter l’instruction des élèves. Ce sont les officiers mêmes qui ont commandé ces corvettes, qui l’ont proposé; et ils ne doutent pas qu’après une pareille campagne et une instruction aussi suivie, les élèves n’aient acquis plus d’expérience dans le service de la mer, qu’ils n’en auraient acquis pendant 6 ans, je ne dis pas sur des bâtiments marchands, mais sur les vaisseaux mêmes de l’Etat, armés pour des missions ordinaires. Les élèves, étant désarmés des corvettes, subiront un examen public sur toutes les parties théoriques et pratiques de l’instruction qu’ils auront reçue; et les juges de l’examen feront ensuite une liste, dans laquelle ils classeront les élèves, chacun suivant le degré d’instruction dont il aura fait preuve. Enfin, pour exciter leur émulation, je propose d’accorder, à ceux qui se seront le plus distingués, tant dans cet examen, que dans celui qu’ils auront subi pour le concours, des exemptions du temps de navigation prescrit pour être avancés au grade d’officier. D’après ce plan d’instruction que vous adop- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.] terez, Messieurs, si vous voulez poser les fondements d’une bonne marine militaire, je propose la formation d’un corps composé de 300 élèves non entretenus, et qui ne seront soldés qu’à la mer. Ainsi j’entre par là dans les vues économiques de l’Assemblée; et j'offre en même temps un point central à l’émulation, bien autrement active dans un corps quelconque, qu’entre des individus que le hasard réunirait dans les armements, si vous admettiez le plan de votre comité, et pour lesquels il n’existerait aucune unité d’instruction, impossible pour 3,000 à 4,000 individus. Je propose que le grade d’enseigne soit le dernier grade entretenu de l’état-major de la marine. Je pense avoir démontré les inconvénients qui résulteraient de l’admission d’un projet qui ne donnerait qu’au grade de lieutenant la certitude d’être véritablement agrégé au corps de la marine. J’ajouterai ici que ce serait augmenter la dépense des armements, par le grand nombre d’enseignes et d’élèves qu’il faudrait embarquer, si l’on ne voulait les réduire au désespoir. Votre comité vous propose 30 places d’enseignes constamment entretenus, destinés, comme la récompense des talents et des services distingués, aux maîtres entretenus de manœuvre et de canonnage. J’offre le même avantage à cette classe d’hommes précieux, et qui mérite d’autant plus d’encouragement, qu’elle est privée davantage des moyens d’instruction. Je leur en offre même un plus grand, puisque, dans chaque année, je leur assure trois places d’enseignes ; ce qui, par progression, doit porter leur nombre au-dessus de trente. J’ouvre en même temps la porte de la marine militaire aux capitaines du commerce, connus par de grands talents ou de grandes actions, puisque je laisse en leur faveur, au choix du roi, la nomination à une partie des places d’enseignes. Je donne même une plus grande latitude de récompenses au mérite de ces capitaines, puisque j’admets qu’ils pourront être nommés aux places de lieutenants, réservées au choix du roi, sans avoir passé par le grade d'enseigne. Je passe aux capitaines de vaisseaux. Le comité propose que l’ancienneté ne soit plus un titre aux lieutenants qui auront atteint l’âge de 50 ans, pour devenir capitaines. Je propose le même article, parce que, dans mon plan, le grade de capitaine de vaisseau est le seul où un âge déterminé soit une exclusion à l’avancement, tandis que votre comité en propose à différents grades, ce qui est un vice. Je suis également d’accord avec le comité sur les officiers généraux, ainsi que sur la nomination aux commandements, et sur les retraites et décorations. Appointements. Le comité propose de payer en tous temps les appointements des officiers généraux, mais de ne payer que pour moitié ceux des capitaines et des lieutenants de vaisseaux, lorsqu’ils ne seront pas de service, à bord des vaisseaux, ou dans les arsenaux; et dans ce cas ils ne seront pas tenus de résider dans leurs départements. Je n’élèverais aucune objection contrecette pro-osition, si ce mode avait été adopté pour l’armée e terre; mais comme j’y vois les officiers jouir de semestres d’une année à l’autre, et conserver néanmoins la totalité de leurs appointements, je 1M Série, T. XXV. suis fondé à demander pourquoi le comité propose à l’Assemblée de traiter, d’une manière différente, les officiers des deux armées? Pourquoi ceux de l’armée navale ne conserveraient pas leurs appointements, lorsque les besoins de l’Etat n’exigent pas qu’ils soient employés ? Pourquoi enfin ils n’auraient de semestres, et ne jouiraient de la faculté d’aller dans leurs familles, que par le sacrifice de la moitié de leurs appointements? Si l’Assemblée nationale traitait ainsi les officiers de la marine non employés, il serait au moins de toute justice de leur accorder, au retour des campagnes, des congés avec la totalité des appointements, en réglant que la durée de ces congés ne serait que de la moitié du temps qu’ils auraient été à la mer, de manière cependant que, quelle qu’eût été la durée de la campagne, celle du congé qui la suivrait ne pourrait excéder une année. Ce règlement réduirait à peu de chose l’économie qui pourrait résulter du projet de votre comité. Je vous observerai enfin, Messieurs, que, la porte des emplois étant ouverte à tous les citoyens, il s’en trouvera nécessairement beaucoup très faiblement partagés du côté de la fortune, et qui cependant déploieront de grands talents. Si le désir d’instruction les décide à n’avoir d’autre demeure que nos arsenaux maritimes, trouveriez-vous juste de ne pas les traiter plus favorablement que ceux qui, au sortir d’une campagne, iraient se délasser au sein de leurs familles? Non, Messieurs, une pareille loi ne peut subsister, et je demande que cet article soit rayé. Je propose des appointements moins considérables; mais je demande qu’ils soient payés toute l’année. Une assemblée de législateurs ne peut pas avoir l’intention de traiter d’une manière contradictoire les défenseurs de ses lois et de l’Empire; d’établir une différence entre deux frères, dont l’un servirait sur terre et l’autre sur mer; en un mot, de créer des privilèges. - Votre comité propose que l'Etat entretienne 1,040 officiers de tous grades, savoir : Officiers généraux .......... 30 Capitaines ................. 180 Lieutenants ................ 800 Enseignes .................. 30 Total ......... 1,040 officiers. Les appointements de ces différents officiers forment une masse de 3,345,000 livres. Les grades de capitaines et de lieutenants étant les seuls sur les appointements desquels le comité propose la retenue de moitié, lorsque ces officiers ne seront pas employés, voici l’économie qui résulterait d’une retenue que j’aime à croire que l’Assemblée rejettera. Les appointements des 180 capitaines et des 800 lieutenants de vaisseaux, montent à ............. , ...... 2,922,000 1. » s. Comme il est à présumer qu’il y aura toujours la moitié au moins de ces officiers employés, soit à bord des vaisseaux, soit dans les ports, la retenue ne serait à faire que sur l’autre moi-A reporter ..... 2,922,000 . » s. 6 82 [Assemblée nationale. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.) Report ..... tié, ce qui la réduit au quart de la totalité, c’est-à-dire à Reste ..... Il faut ajouter à cette somme les appointements des officiers généraux et des enseignes qui seront payés en tous temps. Ces appointements , montent pour les officiers généraux, à et pour les enseignes, à... Total ..... L’Assemblée voudra bien ne pas perdre de vue que le comité, ne proposant que trente enseignes entretenus, il est démontré qu’il y aurait plus delà moitié des lieutenants employés, ou que l’Etat n’aurait presque aucuns bâtiments à la mer; et comme, pour former des officiers, il faut les exercerai est encore démontré qu’on en embarque un plus grand nombre en temps de paix. Alors le bénéfice résultant de la retenue proposée serait moins considérable. L'Assemblée voudra bien encore observer que cette retenue ne pourrait avoir lieu que pendant la paix; car, à la guerre, tous les officiers seront employés. Ainsi le bénéfice de cette retenue ne serait que fictif, par les raisons suivantes, ou bientôt ia marine serait sans officiers instruits. Votre comité propose de donner aux enseignes non entretenus, appelés au service de l’Etat, depuis 1,200 livres jusqu’à 1,800 livres d’appointements; et aux aspirants, suivant leur classe, 540, 360 et 180 livres par an. Je ne porterai ma réflexion que sur les enseignes, puisque je ne propose, ainsi que lui, de ne payer les élèves qu’à la mer. Je tire donc de la proposition de votre comité le dilemme suivant : « Ou l’Etat appellera, en temps de paix, sur ses vaisseaux, des enseignes, ou il n’en appellera pas. » S’il en appelle, le bénéfice s’évanouit. S’il n’en appelle pas, alors il n’aura point de sujets préparés militairement au grade de lieutenant; et si vous aviez une longue paix, à quelles écoles et comment se seraient formés ces officiers? La France n’aurait réellement pas d’armée navale instruite, disciplinée, et préparée à manœuvrer devant celles des puissances voisines. Il faut donc renoncer à une retenue injuste envers les officiers de mer, puisque ceux de terre n’en supportent aucune, et dangereuse par ses suites pour le succès de nos forces navales. D’après les raisons que je viens de développer, et présuman que l’Assemblée rejettera la retenue proposée, je porte pour dépense la totalité des appointements proposés par le comité, à 3,345,000 livres. Mon plan est plus vaste, et cependant il est moins cher. Le comité a presque doublé les appointements de quelques grades, et moi je me suis borné à les augmenter d’un tiers, d’un quart, d’un cinquième, ou d’un sixième, et en cela, j’ai suivi l’esprit de vos décrets sur les appointements de l’armée de terre. Cependant chaque officier, suivant.son grade, jouira d’un traitement honnête. J’en ai consulté un grand nombre, et je n’en ai trouvé aucun qui ne m’ait répondu qu’ils devaient être contents. Je propose un corps de 1,210 officiers de tous grades, savoir : Officiers généraux ....... 30 Capitaines ............... 180 Lieutenants .............. 600 Enseignes ................ 400 Total ......... 1,210 officiers La totalité de leurs appointements, d’après mon plan, ne s’élèvera qu’à 3,087,000 livres. Vous vous rappellerez, Messieurs, que les appointements proposés par le comité montent à ............................. 3,345,000 liv. Ceux que je propose ne s’elé-vant qu’à ..................... 3,087,000 L’économie en faveur de mon plan est donc de ............... 258,000 liv. Je propose ................ 1,210 officiers Le-comité en propose. .... . 1,040 — Excédent ......... 170 officiers J’entretiens donc, avec une économie réelle de 258,000 livres, 170 officiers déplus; et je ne suis pas forcé d’aller, dans des circonstances impérieuses, inquiéter, tourmenter nos commerçants, en leur enlevant les capitaines de leurs navires, que le tour du rôle appellerait au service de l’Etat. Si l’on m'objectait que je propose un corps de marine trop nombreux; quoique l’objection ne fut pas fondée, puisque mes 300 élèves ne seront soldés qu’à la mer, j’aurais cependant les réponses suivantes à faire, toutes plus victorieuses les unes que les autres, quand même j’aurais proposé d’entretenir les 300 élèves (1) ; et je les puise dans le nouvel ordre de choses. Je dirais : l’Assemblée a détruit les distinctions héréditaires. Il n’y a donc plus d’autre moyen d’être remarqué dans la société, d’y jouer les principaux rôles, que par la richesse. L’Assemblée a détruit les grandes corporations et les compagnies de finance. Il n’y a donc pius d’autres moyens de se procurer de grandes richesses que par le commerce. Pour faire un grand commerce, la navigation seule en donne les moyens ; et une grande navigation ne peut exister que par une grande force militaire qui la protège. Qui peut calculer l’extension que prendra le commerce? Tous les citoyens vont s’y livrer. Alors quel accroissement va recevoir la marine, par la seule disposition des esprits I L’acte de navigation a créé et soutient la richesse de l’Angleterre, parce que son commerce en a reçu et en conserve la source précieuse. Avant ce fameux acte, chef-d’œuvre du génie politique, l’Angleterre était pauvre. Depuis, l’esprit des Anglais s’est tourné, par la seule impulsion des choses, vers le commerce; et, à l’instar de leur génie, le commerce n’a plus eu de bornes. L’Assemblée nationale fera dresser, sans doute, un acte de navigation. Alors l’esprit, les spéculations et les bénéfices du commerce, entrant dans l’éducation publique, l’esprit public changera; il se dirigera vers tous les moyens licites d’accroître la richesse nationale : et comme, dans cet accrois-(1) Il serait digne de la majesté du peuple français de décréter l’entretien des élèves ; cette dépense ne serait que d’environ 130,000 à 200, C00 livres. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.J g3 sement public, chaque particulier en aurait un privé dans sa fortune, il est difficile de dire à quel degré de grandeur s’élèvera notre commerce. Dès lors, la marine marchande doublera le nombre de ses bâtiments. L’Etat, recevant du commerce, lui devra une protection plus étendue et plus assurée. Il faut donc consti tuer une marine militaire, qui puisse en garantir les opérations. Si l’on m’objedait l’augmentation des dépenses de ce département, je répondrais : En raison de ce que votre armée navale deviendra plus redoutable, vous aurez besoin d’une armée de terre moins considérable. Alors vous reverserez sur la première l’économie de la seconde. L’Angleterre a une armée navale formidable, et une armée de terre faible. La raison politique en est moins dans sa position topographique, comme île, que dans l’étendue de son commerce. Sa liberté est, par cette raison, fondée, moins sur sa constitution, que sur l’étendue de ce même commerce. Il n’y a point de despote chez une nation commerçante, parce que le commerce ne souffre aucun arbitraire. La liberté est donc plus assurée chez un peuple commerçant que chez un peuple agricole ; et, quelques forces navales qu’ait ce même peuple, ces forces ne peuvent servir ni contre la liberté publique, ni contre la liberté individuelle; parce que, à supposer qu’un despote, qu’un tyran que Dieu aurait donné, dans sa colère, à ce peuple, pour roi, voulût l’enchaîner, il est démontré que ce despote ne pourrait mettre à exécution ses desseins tyranniques, avec des vaisseaux. Je me résume, Messieurs. Je crois avoir établi : 1° Que la France n’aura pas de marine vraiment militaire, vraiment protectrice du commerce, si elle ne l’organise pas d’une manière militaire ; 2° Que la seule manière de la bien organiser est dans le mode d’admission au service, dans l’établissement d’écoles de marine, pratiques, établies sur des corvettes d’instruction, et dans la formation d’un corps permanent d’élèves; 3° Que ce mode, qui doit ouvrir la porte de ce service à tous les citoyens, ne peut être qu’un concours placé à l’entrée de la carrière ; 4° Que d’établir un concours d’après un examen public, au grade d’officier, est un mode injuste pour les individus et presque impossible dans sonfexécution ; 5° Que le nombre des officiers doit être tel, que l’Etat puisse toujours armer au moins les deux tiers de ses vaisseaux, sans être obligé d’appeler des auxiliaires pour en compléter les états-majors, et sans troubler, par cet appel, toutes les opérations du commerce ; 6° Que l’Etat doit entretenir, en tout temps, les officiers de tous grades qui composeront sa marine militaire. D’après ces principes, que je crois avoir suffisamment développés, j’ai l’honneur, Messieurs, de vous proposer le projet de décret suivant : Projet de décret. « L’Assemblée nationale décrète, comme loi constitutionnelle, les articles suivants : « Art, 1er. L’Etat entretiendra une marine militaire. « Art. 2. Nul ne pourra comrnencer la profession de navigateur qu’en qualité de mousse, de novice ou d’elève de la marine. Mousses. « Art. 3. Nul ne pourra être embarqué, comme mousse sur les vaisseaux de l’Etat, que de 10 à 16 ans. Novices. « Art. 4. Tous ceux qui commenceront à naviguer après 16 ans, et qui n’auront pas satisfait ù l’examen exigé par l’article 17, seront novices. Matelots. « Art. 5. Ceux qui auront commencé à naviguer en qualité de novices pourront, après 12 mois de navigation, être admis à l’état de matelots. « Art. 6. Les matelots obtiendront, suivant le temps et la nature de leurs services, des augmentations de paye et, à cet effet, la paye des matelots sera graduée en plusieurs classes. « Art. 7. Aucun matelot ne pourra être porté à la haute paye, sans avoir passé par les payes intermédiaires. Officiers mariniers. « Art. 8. 11 y aura des officiers mariniers ayant autorité sur l'es matelots ; ils seront divisés en plusieurs classes. Ce grade ne sera accordé qu’aux matelots ou ouvriers matelots, parvenus à la plus haute paye, et seulement lorsqu’ils auront les qualités nécessaires pour bien en remplir les fonctions. « Art. 9. On ne pourra être fait officier marinier de manœuvre sans avoir été employé, pendant une année de navigation en qualité de gabier. « Art. 10. Toutes les augmentations de solde et avancements en grade pour les gens de l’équipage seront faits, pour chaque vaisseau, par son commandant, qui se conformera aux règles établies à cet égard. Pilotes côtiers. « Art. 11. Nul ne pourra commander au petit cabotage, qu’il n’ait le temps de navigation, et satisfait à l’examen qui serait prescrit. Ces maîtres seront employés au moins comme timoniers. « Art. 12. Nul ne sera embarqué comme pilote côtier, s’il n’a pas commandé au moins 3 ans, en qualité de maître au petit cabotage et satisfait à l’examen qui sera prescrit. Maîtres entretenus. « Art. 13. Les officiers mariniers, parvenus par leurs services au premier grade de leur classe, pourront être constamment entretenus, et le nombre des entretenus sera déterminé d’après les besoins des ports. Les deux tiers des places de maîtres entretenus, vacantes dans chaque département, seront données à l’ancienneté, et l’autre tiers au choix du roi. L’ancienneté des maîtres ne sera évaluée que par le temps de navigation faite sur les vaisseaux, frégates et autres bâtiments de l’Etat, avec le grade et en remplissant les fonctions de premier maître. « Art. 14. Les maîtres entretenus de manœuvres, de pilotage et de canonnage, deviendront officiers conformément aux règles ci-après énoncées, 84 [14 avril 1791-1 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Écoles gratuites. « Art. 15. Il y aura des écoles gratuites de navigation dans les principales villes maritimes, ainsi qu’il sera déterminé par un règlement particulier. Élèves de la marine. « Art. 16. Le nombre des élèves de la marine sera déterminé; tous les citoyens de l’Empire français y seront admissibles d’après les conditions énoncées dans les articles suivants. a Art. 17. Les places d’élèves vacantes seront données au concours', à ceux qui auront le mieux répondu à un examen public sur l’arithmétique, la géométrie et les éléments de navigation et de mécanique. L’examen se fera à Paris (1), tous les ans, au 15 mars, par l’examinateur de la marine. « Art. 18. Nul ne pourra être admis au concours avant l’âge de 15 ans accomplis : il ne pourra non plus se présenter après 18 ans, à moins qu’il n’ait déjà exercé le métier de la mer; et dans ce cas il sera admis au concours un an plus tard pour chaque année de navigation qu’il aura faite, jusques et compris l’âge de 24 ans, passé lequel il ne pourra plus se présenter. « Art. 19. Les élèves de la marine n’auront ni le grade ni le rang d’officiers ; ils seront commandés à bord des vaisseaux par le premier maître d’équipage, de pilotage et de canonnage. « Art. 20. Les élèves reçus seront embarqués (1) Lorsque j’ai proposé d’établir un seul concours pour l’admission à la place d’élève de la marine, et de choisir Paris pour le lieu de ce concours, il s’est élevé quelques réclamations dans l’Assemblée. Mes motifs cependant sont très fondés, et je les ai présentés sur-le-champ à l’Assemblée, qui a paru les goûler. 1“ Il ne peut y avoir qu’un seul et même examinateur; s’il en était employé plusieurs, il résulterait souvent de la différence d’avis, de jugements, de méthode même, qui, quoique générale dans le principe, se particularise toujours un peu, des contestations quelquefois aiguisées par le sentiment de l’amour-propre, qui ne pourraient être terminées que par l’arbitrage d’un tiers, qui prononcerait non sur la capacité des élèves qu’il n’aurait pas entendus, mais uniquement sur les motifs de préférence ou d’exclusion développés par chaque examinateur. 2° Ce seul examinateur doit avoir sous les yeux, lors de sa décision, les objets de comparaison, les concurrents examinés; car il pourrait trouver, et il trouverait certainement dans chacun des concours partiels, établis dans différents lieux de l’Empire, un nombre de concurrents supérieur à celui des places vacantes; tous cependant fort instruits, méritant tous un degré quelconque de préférence; il serait donc obligé de soulager sa mémoire par des notes; et lorsqu’il les comparerait, et qu’il trouverait les notes égales, l’intégrité, la délicatesse même lui permettraient-elles de prononcer sur l’admission ou l’exclusion de sujets tous admissibles et dont ses notes, quelque exactes qu’elles fussent, ne lui rappelleraient cependant qu’un souvenir incertain et même un peu confus? L’axaminateur ne peut donc prononcer avec pleine connaissance de cause que lorsque le sentiment de la comparaison est dans toute sa force ; et ce sentiment ne peut être le résultat que d’un seul concours où tous les objets sont présents. J’ai choisi la ville de Paris, parce qu’elle est le centre de tous les rapports, tant politiques que d’instruction théorique de l’Empire français, et que d’ailleurs il y aurait moins à craindre, pour les citoyens des provinces méditerranées, l’influence des villes maritimes. le plus tôt qu’il sera possible sur des corvettes ou petits bâtiments qui seront armés dans les ports, uniquement pour servir d’écoles de marine. Ces corvettes seront d’abord tenues quelque temps eu rade, et feront ensuite une campagne de côtes, et une d’observations au long cours. « Art. 21. Les élèves rempliront successivement, sur ces corvettes, le service de tous les grades de gens de manœuvre, de canonnage et de pilotage, celui de maîtres et seconds maîtres excepté. Ils y seront instruits et exercés d’abord sur tous les détails pratiques qui concernent ces grades, et ensuite sur toutes les parties théoriques et pratiques de la manœuvre et de la navigation, conformément à ce qui sera prescrit par un règlement particulier. « Art. 22. Au désarmement des corvettes, les élèves seront examinés publiquement en présence d’un conseil d’officiers de marine, par les maîtres d’art, nommés à cet effet par ledit conseil, sur toutes les parties d’instruction qu’ils ont reçues à bord des corvettes ; et les juges de l’examen feront une liste dans laquelle chaque élève sera classé suivant le degré d’instruction dont il aura fait preuve. « Art. 23. Il sera accordé aux élèves qui se seront le plus distingués, tant dans l’examen du concours pour être reçus élèves, que dans l’examen au désarmement de la corvette, des exemptions graduelles du temps de navigation qui sera prescrit par l’article 26, pour l’avancement au grade d’officier. Ces exemptions ne pourront être données qu’au quart des élèves examinés, et aucune ne pourra excéder 18 mois. Officiers de la marine. « Art. 24. Les grades d’o ‘liciers de la marine seront ceux d’enseignes de vaisseaux, lieutenants de vaisseaux, capitaines de vaisseaux, et les grades d’officiers généraux. Ces différents officiers seront entièrement voués au service de l’Etat, et constamment entretenus. « On ne pourra être fait officier avant 18 ans accomplis. Enseignes. « Art. 25. Le grade d’enseigne sera le dernier grade d’officier de la marine : le titre et le brevet en seront donnés aux élèves qui auront rempli les conditions suivantes pour le nombre des places vacantes qui leur seront destinées. « Art. 26. Nul élève ne sera fait enseigne, s’il n’a 18 ans d’âge accomplis, et 4 années de navigation, dont une en qualité d’élève sur les vaisseaux de l’Etat, et pour les trois autres années, le temps de navigation sur les bâtiments de commerce, ne sera compté qu’à raison de 8 mois pour chaque année de navigation. « Art. 27. Le temps de navigation, antérieur à l’âge de 12 ans accomplis, ne sera pas compté. « Art. 28. Les places vacantes d’enseignes seront données aux élèves par rang d’ancienneté, à l’exception de 5 places qui seront données chaque année; savoir : 3 aux maîtres entretenus de manœuvres, de pilotage et de canonnage, dont une dans chaque état alternativement par année à l’ancienneté et au choix du roi, sans égard à l’âge ; et les 2 autres aux capitaines de navires du commerce, au choix du roi, et pareillement sans égard à l’âge. « Art. 29. Les élèves faits enseignes prendront [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.] $5 raDg entre eux, suivant la date de leur admission, et avant ceux faits au choix du roi. Lieutenants. Art. 30. Le grade de lieutenant sera immédia-ment au-dessus de celui d’enseigne. « Art. 31. Les cinq sixièmes des places vacantes seront donnés par rang d’ancienneté aux enseignes. « Le sixième des places vacantes du grade de-lieutenant sera laissé au choix du roi, qui pourra le faire sans distinction d’âge, parmi les enseignes qui auront fait au moins une année de navigation daus ce grade, ou parmi les capitaines du commerce qui auraient fait une action brillante à la guerre. « Art. 32. Les lieutenants prendront rang entre eux, suivant leur rang d’enseignes et avant ceux nommés par le roi. « Ces derniers ne prendront également rang qu’après les capitaines du commerce, élevés à cause d’une action distinguée à la guerre. Capitaines de vaisseaux . « Art. 33. Les capitaines de vaisseaux seront tous pris parmi les lieutenants, de la manière suivante : « Une moitié de ce remplacement se fera en suivant le rang d’ancienneté, et l’autre moitié au choix du roi, sans égard à l'âge. « Ce choix ne pourra porter que sur ceux qui auront au moins 2 ans de naviga tion dans le grade de lieutenant. « L’ancienneté ne sera plus un titre pour les lieutenants âgés de 50 ans. « Art. 31. Les capitaines de vaisseaux prendront rang entre eux de la date de leur brevet. « Les officiers faits capitaines de vaisseaux dans la même promotion conserveront entre eux le rang qu’ils avaient lorsqu’ils étaient lieutenants. Officiers généraux. « Art. 35. Les officiers généraux seront divisés en 3 grades : les amiraux, les vice-amiraux et les contre-amiraux. « Art. 36. Les contre-amiraux seront pris parmi les capitaines, un tiers par ancienneté, 2 tiers au choix du roi. Ce choix ne pourra porter que sur ceux des capitaines de vaisseaux qui auront au moins 12 mois de navigation dans ce grade. « Art. 37. Les contre-amiraux parviendront au grade de vice-amiral, par rang d’ancienneté. « Art. 38. Les amiraux pourront être pris parmi les vice-amiraux et les contre-amiraux, et toujours au choix du roi. « Art. 39. Les officiers-commandants, en temps de guerre, les escadres dans les mers de l’Amérique ou des Indes, seront autorisés par le roi à récompenser, par des avancements conformes aux règles précédentes, et en nombre déterminé, les officiers qui l’auront mérité. Les officiers ainsi avancés jouiront provisoirement du grade qu’ils auront obtenu et de ses appointements ; mais ils ne pourront le conserver et prendre rang parmi les officiers du grade auquel ils auront été promus, qu’autant queleur nomination aura été confirmée par le roi. « Art. 40. Les remplacements par ordre d’ancienneté dans les différents grades marcheront avant ceux par choix, et auront lieu à mesure que les places viendront à vaquer, et au plus tard, trois mois après la connaissance de la vacance. Nomination aux commandements. « Art. 41. Le commandement des armées navales et escadres, composées au moins de neuf vaisseaux de ligne, ne pourra être confié qu’à des amiraux, vice-amiraux ou contre-amiraux, mais indistinctement entre eux. « Art. 42. Le commandement des divisions sera confié aux contre-amiraux et capitaines indistinctement, et celui des vaisseaux de ligne armés en guerre, à des capitaines. « Art. 43. Les commandants des frégates seront pris indistinctement, soit parmi les capitaines, soit parmi les lieutenants. « Art. 44. Les commandants pour les autres bâtiments, comme corvettes, avisos, flûtes, gabar-res, iougres, et autres bâtiments appartenant à l’Etat, seront pris indistinctement, soit parmi les lieutenants, soit parmi les enseignes, pourvu que ces derniers aient fait, en cette qualité, douze mois de navigation. t Art. 45. Le roi nommera aux commandements, et il pourra les ôter par ordre simple, quoiqu’il n’y ait pas d’accusation . « Art. 46. Les commandants des armées navales et escadres, pendant le cours de leur campagnes, exerceront le droit donné au roi par l’article précédent. Retraites et décorations. « Art. 47. Tous les hommes de profession maritime auront droit aux retraites et décorations militaires, en raison de leurs services, ainsi qu’il sera déterminé par un règlement particulier. « Art. 48. L’Assemblée nationale se réserve de statuer, par un décret particulier, sur la manière d’appliquer le présent décret à l’état actuel de la marine. » Décret d’application. « Art. 1er Pour l’exécution des présents décrets, le corps de la marine est supprimé, et sera recréé de la manière ci-après, pour cette fois seulement. « Art. 2. Le corps de la marine militaire, entretenu par l’Etat, sera composé de : Amiraux ......................... 3 Vice-amiraux ...................... 9 Contre-amiraux .................... 18 Capitaines de vaisseaux ............ 180 Lieutenants ....................... 600 Enseignes ......................... 400 Elèves ............................ 300 Maîtres pilotes entretenus ........... 45 Maîtres d’équipages entretenus ...... 50 Maîtres canonniers entretenus ....... 60 Maîtres charpentiers entretenus. .... 36 Maîtres cal fats entretenus .......... 36 Maîtres voiliers entretenus .......... 18 « Art. 3. Tous les officiers de la marine rouleront entre eux, sans aucune distinction de département. « Art. 4. La charge d’amiral de France est supprimée, et néanmoins les fonctions actuellement exercées par l’amiral, ou en son nom, le seront provisoirement dans la forme accoutumée, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement statué. 86 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.] « Art. 5. Tous les grades non énoncés dans la présente composition, et toutes les distinctions d’escadres actuellement existantes, sont aussi supprimés, ainsi que les états-majors qui y sont attachés. Les fonctions attribuées à ces états-majors seront exercées provisoirement par l’état-major de la marine dans chaque port. « Art. 6. Les amiraux, vice-amiraux et contre-amiraux seront choisis par le roi, parmi les officiers généraux actuellement existants. < Les officiers généraux non compris dans cette promotion conserveront leurs titres actuels, et leurs appointements. « Le tiers des places de contre-amiraux sera laissé vacant, pour être rempli au choix du roi, par les officiers actuellement capitaines de vaisseaux. « Art. 7. Les 180 capitaines seront choisis parmi les capitaines de vaisseaux actuels, les directeurs des ports, les majors de vaisseaux, les officiers des ports ayant rang de majors, et tous les officiers des classes qui seront dans le cas de concourir à cette formation, d’aprè3 le décret sur les classes, ils seront choisis par le roi. « Art. 8. Les officiers promus aux grades d’officiers généraux ou de capitaines de vaisseaux, conserveront le rang qu’ils avaient entre eux; et quant aux officiers des classes qui seraient compris dans la nomination, ils ne pourront être admis que dans le grade qu’ils avaient avant leur retraite et y reprendre leur rang. Les directeurs des ports et officiers de ports, ayant rang de majors, prendront rang de l’époque de leur brevet de directeurs ou de majors. « Art. 9. Les 600 lieutenants seront pris parmi les lieutenants actuels par rang d’ancienneté, et s’il ne s’en trouvait pas ce nombre, il serait complété au choix du roi, parmi les sous-lieutenants et les capitaines du commerce, conformément à l’article 31. » Art. 10. Les 400 enseignes seront pris, savoir ; 200 parmi les sous-lieutenants actuels, et sur les 200 autres places, 6 seront données à raison de deux dans chaque état aux maîtres entretenus de pilotage, de manœuvre et de canonnage; 6 aux capitaines du commerce, suivant l’article 28, et les 188 places restantes, aux élèves actuels qui auront rempli les conditions prescrites par l’article 26 ; dans le cas contraire, elles demeureront vacantes. Art. 11. Pourront aussi concourir à cette formation, les officiers des classes qui sont dans le cas énoncé pas l’article 14 du décret sur les classes, conformément à la disposition de cet article. « Art. 12. Le grade de sous-lieutenant est supprimé. « Les lieutenants et sous-lieutenants actuels, qui ne seraient pas compris dans la première formation, conserveront les deux tiers des appointements dont ils jouissent actuellement jusqu’au moment où ils rentreront en activité. « Art. 13. Les élèves actuels de la marine seront reçus au nombre des 3Q0 élèves de la nouvelle formation, s’ils en sont jugés capables, d’après un concours et un examen publics qui auront lieu, le premier mai prochain, auxquels concours et examens pourront également se présenter tous les citoyens de l’Empire ayant 15 ans révolus, conformément aux articles 16 et 17. « Art. 14. Les capitaines et majors de vaisseaux qui ne voudront pas continuer leurs services, ou qui ne seront pas compris dans la nouvelle formation, auront pour retraite dans ce moment-ci seulement, les deux tiers des appointements dont ils jouissaient, à moins que leurs services, d’après les règles fixées par le décret du 31 août dernier, ne leur donnent droit à un traitement plus considérable, et ceux qui auront 10 ans de service dans leur grade, obtiendront en retraite, le grade supérieur. Pour compléter les 10 ans, on comptera pour moitié le temps fait dans le grade Inférieur. Correspondance des grades des officiers de la marine , avec ceux des officiers de l'armée de terre. Armée navale. Amiral. Vice-amiral. Contre-amiral. Capitaine de vaisseau, des trois classes. Lieutenant de vaisseau, première classe. Lieutenant de vaisseau, deuxième classe. Enseigne, première classe. Enseigne, deuxième classe. Armée de terre. Maréchal de France. Lieutenant général. Maréchal de camp. Colonel. Lieutenant colonel. Capitaine. Lieutenant. Sous-lieutenant. MARINE. FORMATION ACTUELLE. Total de chaque grade. 30 officiers généraux ........... 180 capitaines .................. 600 lieutenants ................. 400 enseignes .................. Officiers de la nouvelle formation. Officiers. I 3 amiraux, chacun ...... . . . ] 9 vice-amiraux .............. f 18 contre-amiraux ........... |f>0 capitaines ........... 60 Idem .................... 60 Idem ................... 300 lieutenants ............... 300 Idem .................... 200 enseignes ................ 200 Idem ..................... Appointements. 1,210 officiers entretenus en tout temps. 300 élèves qui ne seront payés que lorsqu’ils seront employés. 1,510 3,087,000 1. [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1731. ] 87 Dépense d’après le plan du comité ............................................. 3,345,000 1. Dépense d’après mon plan ...................... . .............................. 3,087,000 Economie résultant de mon plan ...................... ........ ................. 258,000 1. Nota. — Par ce plan, aucuns enseignes à payer extraordinairement, à bord des vaisseaux, ni dans les arsenaux; et, si l’entretien des élèves est accorde, il n’en résulterait une augmentation de dépense annuelle que de 150 à 200,000 livres. (L’Assemblée décrète l’impression du discours de M. deLaGalissonnière.) M. Defermon. Après la longue discussion qui a été faite sur l’organisation de la marine, je propose une motion d’ordre. Je demande que l’on mette en discussion le principe même du comité, à savoir que tous les citoyens étant soumis à la conscription maritime, ia marine française sera composée de tous les marins. Il y a là un point de difficulté sur lequel il faut ce me semble se décider tout d’abord. M. ülalouet. Le pian du comité vous convient-il? Gonvient-il au contraire d’en adopter un autre? Voilà la question. Si l’Assemblée veut entendre mes observations... ( Nombreuses marques d' assentiment .) Messieurs (1), j’attaque aussi le plan du comité, sans embrasser tous les détails, sans adopter toutes les opinions de ses adversaires. J’adopte encore moins, mais je ne répondrai rien aux censures amères de M. Ricard. Il y a une juste mesure dans les discussions politiques, une sorte de gravité dans la hardiesse des conceptions nouvelles qui n’appartiennent pas à tous les hommes ; et je remarque avec plaisir que M. Mon* neron vient de vous donner la preuve qu’on peut allier la sagesse et la dignité à l’improbation la plus prononcée. Je regrette que ses observations, qui auraient dû le conduire à d’autres résultats, ne soient pas suffisamment développées; elles se rapprochent des miennes sur plusieurs points : j’aurais désiré qu’il eût pu les produire au comité de marine. Au reste, Messieurs, il me parait bien évident que par des motifs très divers et souvent opposés, le plan du comité ne convient à personne, et que la marche arriérée de ses travaux excite l’étonnement et l’impatience de l’Assemblée : ces deux impressions sont naturelles. Ceux qui désirent le renversement complet de l’ancien système militaire ont raison de n’être pas satisfaite On détruit assez pour laisser apercevoir des ruines ; mais le nouvel édifice ne présente encore que des ruines : ceux qui désirent de conserver l’ancien régime sont encore plus mécontents ; ce qui était bon et ce qui ne l’était pag est également renversé. Quant à la marche incertaine, arriérée des travaux du comité, elle s’explique tout aussi facilement. J'avais toujours pensé que le plus pressé était de soumettre à votre examen l’administration générale et les dépenses de ce département : il était facile d’en saisir l’ensemble, d’en régler les parties principales, et d’arriver graduellement aux réformes, aux réductions nécessaires. Mon devoir personnel comme administrateur, mem-bredu comité, étaitde provoquer particulièrement sur cet objet votre attention : c’est ce que j’ai fait par un premier rapport qui vous a été distribué il y a 13 mois; ce rapport n’eut aucune suite; (1) Le Moniteur ue reproduit qu’ineomplètemeat ce discours. on vous en fit un second sur les classes, et vous ordonnâtes un travail sur l’organisation du corps militaire. Dès lors, toutes les différences d’opinions, de préjugés, de principes, se développèrent dans votre comité : la diversité des travaux auxquels sont livrés plusieurs membres, la nécessité pour quelques-uns de s’instruire à fond de détails nouveaux pour eux, et, si j’ose le dire, pour d’autres, le découragement qui résulte des essais des efforts d’un zèle inutile, tout a concouru à ralentir le travail, et à préparer des résultats discordants qu’il n’est cependant pas impossible de rectifier avec quelque attention et de l’impartialité. Le projet du comité est composé de 49 articles; 40 au moins sont admissibles dans tous les plans, ils ne présentent ni vues nouvelles, ni obstacles à l’organisation d’un bon sysième militaire. Il n’en est pas de même des articles absolument neufs qui expriment l’intention et les moyens du nouveau plan. En vain vous a-t-on dit qu’ils sont une conséquence nécessaire des principes de notre Constitution, qu’il n’existe pas d’autres moyens de consacrer pour les marins l’égalité des droits, de détruire dans le corps de la marine tons les préjugés, toutes les prétentions anciennes, et d’assurer enfin à la France la meilleure armée navale. Je conteste toutes ces assertions. Je soutiens que le plan, tel qu’il est, est mauvais, qu’il est inconséquent à ses propres principes, dérogatoire à ses motifs ; je soutiens qu’il est inconstitutionnel, et extrêmement dangereux de transporter dans un état civil, tel que la profession de marin commerçant, les prétentions, les mœurs et l’esprit militaire. Je n’ai vu jusqu’ici dans toutes dos discussions que des vanités, des prétentions nouvelles, combattant d’anciennes vanité3, d’aociennes prétentions. La marine commerçante était dans un état de servitude et d’avilissement, il faut l’en affranchir; voilà ce que la justice et le bien public vous commandent. La marine commerçante constitue essentiellement par ses matelots la puissance navale, elle peut encore lui fournir de bons officiers ; il faut leur ouvrir un libre accès, exciter leur émulation, assurer leur avancement; voilà ce que là raison, la justice, l’expérience nou3 conseillent. Mais attacher à l’action et aù service du commerce maritime des grades militaires, instituer dans l’armée navale une classe d’officiers, les enseignes de vaisseaux, par la seule considération de décorer de ce titre tous les capitaines du commerce, c’est établir sur les ruines des anciens préjugés de plus dangereuses prétentions, c’est manquer complètement le but qu’on se propose d’allier la marine du commerce avec la marine militaire, de les rendre auxiliaires l’une de l’autre, puisqu’on ne veut plus en former qu’un seul corps; c’est enfin consacrer par des lieux communs et des déclamations oratoires le plus dangereux des excès, celui d’ériger en principes le ressentiment des abus et l’exagération des principes. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.] 88 On pervertira toujours les institutions politiques par l’abus et la fausse application des principes philosophiques sur l’égalité et la liberté. L’égalité de droits ne peut exister qu’entre les hommes qui se trouvent dans des circonstances égales de services, de mérite et de moyens. La liberté indéfinie n’existe pour personne ni dans l’ordre social, ni dans l’état naturel. En admettant ces exceptions, et il est impossible de ne pas les admettre, c’est sur d’autres bases que celles qui vous sont présentées qu’il faut établir un système militaire. Je dirai ici, comme M. de Sillery: il ne s’agit plus de considérer ce qui blesse ou favorise, telle classe d’hommes ou telles prétentions, mais ce qui est le plus utile à l’objet et à la fin de l’institution. Or l’armée navale est instituée non pour procurer des soldes et des grades à c ux qui les sollicitent, mais pour faire respecter la puissance de la nation et pour défendre ses possessions. Il ne faut donc p3s déterminer le régime de l’armée navale sur des convenances apparentes, sur des analogies de droits, de prétentions, encore moins sur des principes généraux de sociabilité inalliables avec plusieurs des conditions d’un système militaire. Il n’y a que trois points essentiels à régler dans l’organisation de l’armée navale, la discipline, l’instruction, la distribution des grades et des modes d’avancement. Le comité de la marine a dû considérer l’armée navale sous ces trois rapports et vous proposer les changements et améliorations dont chacun d’eux est susceptible, car vous ne lui avez pas ordonné de changer pour changer, mais pour être mieux. La discipline des gens de mer, officiers, matelots, soldats, a été longtemps négligée, les dernières institutions l’ont rétablie et, jusqu’au moment où des traits multipliés d’insubordination ont excité votre sollicitude, le service sur les vaisseaux et dans les ports s’exécutait avec régularité. L’instruction des jeunes officiers s’était fort perfectionnée depuis vingt ans; à une théorie très étendue on avait joint la pratique des manœuvres nautiques et la nécessité d’un nombre d’années de navigation pour avancer de grade en grade. Les examinateurs des élèves ont été choisis parmi les savants les plus distingués, et leur cours d’étude embrasse les différentes parties des sciences arbitraires. Je ne crois pas qu’il fût utile de rien changer à cet égard, d’autant que vous avez reconnu la nécessité de respecter, dans l’armée de terre, de semblables institutions pour l'artillerie et le génie, et d’avoir, dans l’infanterie comme dans la cavalerie, différentes routes à l’émulation et à l’avancement. Les uns doivent arriver au grade par la pratique assidue des exercices militaires dans les emplois subalternes; les autres par une instruction plus soignée, par des talents cultivés et plus promptement développés doivent les devancer. Il était abusif d’accorder cette faveur à une seule classe d’homme, il est indispensable de l’assurer à une classe d’instruction et de talents. Et je dis plus, Messieurs, comme il ne peut exister d’armée sans discipline, comme la discipline consiste essentiellement dans une inviolable subordination, si l’on parvenait à déterminer cette subordination morale des esprits incultes aux lumières et à la capacité présumée de ceux qui les commandent, il n’y aurait plus d’armée, car jamais on ne verra une armée de savants ou de philosophes. ( Rires à droite.) Il faudrait donc, dans l’Etat le plus démocratique qui ne serait pas en délire, instituer une éducation particulière pour le commandement, et tous les hommes obligés, pour subsister, de se vouer aux travaux grossiers, seront non pas exclus, mais éloignés de ce genre d’éducation; ainsi il y aura toujours, il y a toujours eu même dans les démocraties ce qu’on veut appeler aujourd’hui des privilégiés, lorsque par le fait et par le droit il n'existe plus de privilège. Certainement Périclès et Alcibiade ne débutèrent pas dans l’armée des Athéniens comme les enfants des plus pauvres citoyens. Comment donc peut-on se permettre d’attacher, à un mode d’instruction et d’avancement dans un corps militaire, le reproche et la défaveur d’un privilège, s’il n’y a d’exclusion pour personne, si les titrés d’admission ne peuvent être déterminés que par un concours? Comment vous prouvera-t-on, par exemple, que la Constitution est violée, que l’égalité des droits est blessée pour les marins, en limitant la première classe des aspirants au grade d’officier, et en les admettant au concours après un temps de navigation déterminé? Comme c’est là l’article fondamental du nouveau système, c’est sur celui-là particulièrement que portent mes observations. Il y avait deux manières de constituer le corps militaire de la marine; l’une complètement favorable aux navigateurs commerçants pouvait se concilier fortuitement avec le bien de l’Etat et présentait au moins un système conséquent ; l’autre sans lésion pour les navigateurs commerçants, mais uniquement combinée sur des principes militaires, présentait un système complètement militaire. On n’a suivi aucun de ces deux plans. Dans le premier on pouvait considérer la marine commerçante comme la base et la pépinière de l’armée navale et ne prendre que dans cette classe les officiers comme les matelots. 11 fallait bien se garder alors de créer des enseignes de vaisseaux honoraires ; il suffisait que tous les marins, avertis des conditions d’instruction et de navigation nécessaires pour être admis à prendre rang dans le corps militaire, pussent librement se présenter au concours pour remplir les places vacantes; c’est dans ce système que des écoles gratuites distribuées dans tous les ports, et un nombre d’aspirants illimité naviguant indifféremment sur les vaisseaux de l’Etat ou du commerce, pouvaient conduire au but proposé ; il n’y avait rien d’inconséquent, rien de dangereux à faire refluer sur les navires du commerce tous les prétendants aux grades militaires avant de les avoir obtenus : ce serait une perspective commune à tous, et cependant ils exerceraient utilement, pour eux-mêmes et pour la chose publique, une profession distincte de celle des armes; ils n’y porteraient pas des prétentions anticipées et, en passant de l’une à l’autre, leur avancement effectif satisferait leur ambition ; au lieu que le grade inutile d’enseigne de vaisseau, prodigieusement multiplié par le projet de décret, ne fera que tourmenter la vanité sans assurer à aucun des titulaires un état solide, ni dans l’armée, ni dans le commerce. Enfin dans ce système je vois un objet des motifs, des moyens conséquents : ce n’est pas à mon avis la meilleure organisation militaire; elle vous expose à des risques; mais on peut la défendre avec avantage, on peut l’améliorer, elle n’offense ni les principes de 89 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 179 l.j l’état civil ni ceux de l’état militaire; elle n’a ni la faveur ni l’autorité de l’expérience; mais on peut lui concilier l’une et l’autre; elle est simple, elle est économique : la certitude de trouver toujours sur les navires du commerce un grand nombre dejeunes gensquiaspirentauxgrades militaires, qui se rendent capables d’y parvenir, peut faire réduire le nombre des entretenus pendant la paix, la nécessité du triage par l’examen, et le concours présente aussi l’espérance d’avoir