132 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 18 Le citoyen Escudier demande un congé de six décades pour rétablir sa santé altérée depuis quatre mois. [Escudier, député du Var, au président de la Convention nationale, de Paris, le 23 vendémiaire an II (sic)] (29) Depuis plus de quatre mois ma santé est altérée et je dépéris chaque jour malgré les soins qui me sont administrés par deux officiers de santé dont je présente les attestations sous ce pli. L’état où je me trouve me force de demander un congé de six décades. Je te prie de faire part à la Convention nationale de ma demande et des motifs qui la nécessitent. Escudier. [Attestations des officiers de santé Coulomb et Gardanne, des 3 et 21 vendémiaire an III] Je soussigné, officier de santé, certifie que le citoyen Escudier, représentant du peuple, est malade depuis plusieurs mois, qu’il est sujet à des vomissements bilieux, et que son estomac suporte difficilement les plus légers aliments, et qu’il dépérit tous les jours. Coulomb. Je soussigné officier de santé du comité de bienfaisance de la section de Guillaume-Tell, certifie que je donne mes soins depuis plusieurs mois au citoyen Escudier, député à la Convention nationale ; à la suite d’une maladie de poitrine, et d’une foiblesse des organes digestifs : qui ne peuvent plus faire ses fonctions ; au point que l’estomac ne peut plus supporter la présence des alimens solides, et que s’il se permet d’en prendre quelquefois, même des plus légers ; il est obligé de les rendre par le vomissement. Cette cruelle maladie ayant résisté jusqu’à ce jour à tous les remèdes que je lui ai administré ; et conduit ledit citoyen à un dépérissement qui pourrait devenir dangereux pour ses jours ; s’il restoit plus longtems dans ce paÿs. J’estime que le seul moyen qu’on puisse employer pour le rétablir; c’est d’aller passer quelques tems dans son pays natal, où l’air qu’il respirera opérera plus que tous les remèdes qu’on pourrait lui administrer ici. Gardanne. La Convention décrète le congé demandé (30). FRÉRON : Je demande à faire une motion d’ordre. Je demande que le congé qui a été ac-(29) C 321, pl. 1343, p. 27. (30) P.-V., XLVII, 150. C 321, pl. 1335, p. 3, minute de la main de Lozeau. cordé à Escudier pour se rendre dans le Midi soit rapporté. Il y a peu de temps qu’il est arrivé de ce pays, et il a d’ailleurs accusé formellement Ricord, dont la justification va paraître (31). [Fréron demande le rapport d’un décret qui accorde un congé au représentant Escudier; il se fonde, 1°. sur ce que Escudier a obtenu un congé pareil il y a peu de tems; 2°. sur ce que Escudier, qui a dénoncé Ricord, doit être présent au rapport qui sera fait incessamment, par le comité de Salut public sur cette dénonciation.] (32) ESCUDIER : J’ai accusé Ricord à cause de la conduite qu’il a tenue, pendant quinze mois, avec Robespierre jeune, à l’armée d’Italie; Ricord n’a pas répondu. Je suis malade, et je crois que la Convention ne peut pas me refuser un congé pour aller rétablir ma santé. Puisque Ricord a bien attendu trois mois sans répondre, il peut bien attendre encore deux mois pour que je sois rétabli. RICORD : Escudier m’a accusé d’être non seulement le complice de Robespierre, mais un dilapidateur, un voleur. Il m’a dénoncé comme ayant exercé la dictature dans le Midi et comme ayant vexé les patriotes. J’ai pressé le comité de Salut public de me donner la dénonciation, afin que je pusse y répondre ; on ne la trouvait pas, et deux fois le comité a écrit à Escudier de la remettre ; Escudier a dit qu’il n’avait point reçu de lettre. Qu’il aille, s’il veut, dans le Midi, chercher des dénonciations et des pièces contre moi ; je ne le crains pas. BARRAS : Qu’Escudier aille dans le Var, qu’il charge le comité de Toulon de chercher des pièces contre Barras et Fréron. C’est lui qui eut la bassesse d’aller, avec des hommes de boue, chercher la pièce d’après laquelle il nous a accusés relativement à la voiture dont vous avez entendu parler; cette pièce a tourné contre lui. Qu’il aille en mendier de nouvelles; il se couvrira encore de honte et d’infamie. LAIGNELOT : Il y a trop longtemps qu’on veut déchirer la République, que des hommes conspirateurs attaquent, par des petites intrigues, par des diffamations, la réputation des hommes probes. Il faut dire la vérité tout entière ; il faut que le peuple juge la Convention ; il faut lui faire connaître des hommes qui, n’ayant pas fait leur devoir, sont déjà jugés par l’opinion publique, mais qui craignent encore un tribunal plus redoutable; car la guerre est à mort entre les hommes de sang et les bons citoyens (Applaudissements) (33). [Trop long-temps on a tenté de déchirer la République; trop long-temps des hommes inconnus jusqu’ici, et qui n’ont d’existence que par de petites intrigues et par d’obscures diffamations, ont cherché, non à diffamer des individus, ce n’étoit là qu’un prétexte, mais à (31) Moniteur, XXII, 242. (32) Débats, n” 752, 349-350. (33) Moniteur, XXII, 242. SÉANCE DU 23 VENDÉMIAIRE AN III (14 OCTOBRE 1794) - N° 18 133 dissoudre la représentation nationale. Citoyens, je demande qu’enfin nous connoissions la vérité toute entière (On applaudit). Il faut que le peuple français nous connoisse tous ; il faut qu’il soit bien convaincu que la Convention nationale, en très grande majorité, est faite pour sauver le vaisseau de l’état (On applaudit). Il est temps de faire cesser pour jamais ce système d’avilissement et de tracasseries, qui se recrée chaque jour sous des formes nouvelles ; nous sommes tous d’accord sur les principes. Guerre, guerre à mort contre les hommes de sang et les intrigans! (On applaudit). L’as-Je demande que la Convention se prononce d’une manière digne d’elle, digne du peuple français qu’on a voulu égarer. Ces hommes atroces savaient bien qu’ils avaient affaire à un peuple généreux et sensible; aussi ont-ils dit : Il faut le démoraliser, dénaturer son coeur, égarer son esprit, le rendre fripon, voleur; nous nous entendrons avec Pitt et Cobourg, et nos projets réussiront. Je demande que la Convention nomme, à l’appel nominal, une commission de douze membres qui seront chargés de recueillir tous les faits à la charge des hommes dont je viens de parler. Il ne faut plus que la Convention s’amuse à entendre des dénonciations particulières, qui ne servent qu’à l’avilir. J’aurai moi-même beaucoup de choses à dire; et, si je n’étais pas l’homme du peuple, j’aurais pu me faire ici une grande réputation en disant ce que je sais ; mais j’aime mieux prendre d’autres voies, afin que la Convention conserve tout le respect qui lui est dû (35). [Cette commission seule peut sauver la France (On applaudit). Moi-même, citoyens j’aurais des faits graves à lui dénoncer ; comme vous tous, je veux sauver la République. Toute l’assemblée se lève, en s’écriant : tous, tous ] (36) ISORE : Je ne puis résister à de pareils discours. L’état de la République est on ne peut pas plus satisfaisant ; pourquoi nous jeter dans des discussions qui alarment le peuple et jettent tout le monde dans la terreur? (Murmures) Il faut parler franchement, et ne pas envelopper les innocents avec les coupables en ne particularisant pas les choses. Je demande que, si Laignelot a des faits à dénoncer, il nous en fasse l’exposé (37). [La République est dans l’état le plus glorieux et le plus satisfaisant. Les bons citoyens ne craignent que ces agitateurs hypocrites qui cherchent depuis quelques jours à agiter les esprits par des alarmes sourdes et peut-être intéressées. Ce sont eux qui alimentent par des motions artificieuses ces misérables pamphlets qui ne sont pas répandus sans dessein. Un représentant dix peuple doit montrer plus de franchise, que celui qui sait quelque chose le dise, la Convention est ici pour l’entendre.] (38) (34) Débats, n 752, 350. (35) Moniteur, XXII, 242. (36) Débats, n“ 752, 351. (37) Moniteur, XXII, 242. (38) J. Paris, n° 24. THURIOT : La question la plus simple en a amené une qui ne la suivait point du tout. Es-cudier arrive depuis peu de son pays; la loi ne permet pas qu’il y retourne. Il ne s’agit pas d’examiner d’ailleurs s’il y a des divisions ou s’il n’y en a pas. Je ne suis pas de l’avis de ceux qui pensent que la Convention n’est pas à une hauteur désirable, et qu’il faut qu’elle s’élève davantage ; je crois que cela n’est pas possible : elle professe de grands principes; elle veut le salut de la France, il n’est pas possible d’en douter. Ne répandons pas des inquiétudes qui empêchent le peuple de jouir de la félicité. Lurbijuc nous avons orgaiiioc gouvernement, nous avons chargé des comités de recevoir les dénonciations qui pourraient être faites par des représentants du peuple contre des représentants du peuple. Nous avons eu pour but, en prenant cette mesure, de prévenir les haines et d’arrêter les dénonciations qu’un moment d’humeur pourrait faire naître. La loi existe, qu’on s’y conforme; il est inutile de créer une commission pour recevoir ces dénonciations, quand deux comités en sont chargés. Il n’y a pas d’instant où la République soit plus en deuil que celui où les représentants du peuple se dénoncent entre eux (Applaudissements). C’est le voeu de nos ennemis ; et si nous étions bien instruits, nous verrions souvent que l’homme qui dénonce n’est pas celui qui a le plus envie que la dénonciation soit faite, mais bien ceux qui l’entourent et qui le pressent. Escudier a fait une dénonciation; il faudra qu’il la rapporte. J’aime à penser que, lorsqu’elle aura été examinée dans les comités, on forcera le dénonciateur et le dénoncé à se rendre leur estime, à convenir qu’ils avaient été trompés, comme cela est arrivé lors des reproches faits à Barras et Fréron. C’est là le voeu le plus cher de tous les hommes qui veulent que la Convention soit absolument une, et que toutes les passions soient consignées à la porte (Applaudissements). Je demande l’ordre du jour sur la proposition de Laignelot, et le rapport du décret qui accorde un congé à Escudier. ESCUDIER : Je consens aussi au rapport pour éviter les inconvénients dont Thuriot vient de vous parler. J’ai dénoncé mes collègues au comité de Salut public. Barras m’accuse d’avoir envoyé des émissaires. ..(39) [Laloy demande l’ordre du jour.] (40) (L’ordre du jour! s’écrie-t-on de toutes parts.) La Convention rapporte le congé accordé à Escudier, et passe à l’ordre du jour sur tout le reste (41). La Convention nationale rapporte le décret par lequel elle accorde un congé de (39) Moniteur, XXII, 243. Ann. Patr., n' 652; Ann. R.F., n° 23; C. Eg., n 787; F. de la Républ., n° 4 ; J. Fr., n 749; J. Mont., n° 3; J. Paris, n° 24; J. Perlet, n' 751; J. Univ., n” 1784; M.U., XLIV, 361-362; Mess. Soir, n 787; Rép., n° 24. (40) F. de la Républ., n” 24. (41) Moniteur, XXII, 243; Débats, n° 752, 349-351. 134 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE six décades au citoyen Escudier, et ajourne sa demande en congé (42). BOURDON (de l’Oise) : Je ne prends point la parole contre aucun de mes collègues ; je veux seulement vous faire part d’un projet qui est payé par l’or de l’Angleterre. Il est démontré pour tout bon esprit que le principe de la cabale qui voulut le malheur de la patrie ne fut jamais dans la Convention; les dénonciations qui ont été faites ici n’étaient, comme l’a dit Thuriot, que l’effet de l’exaspération des passions individuelles ; mais le projet dont je veux parler existe (43). [Bourdon de l’Oise obtient la parole pour une motion d’ordre. Il voit la faction de l’étranger se renouveler : il ne peut douter d’après les agitations qui se manifestent depuis quelque tems, et qu’il voit dirigées par des mains criminelles et soudoyées par nos ennemis.] (44) Les ennemis, battus de tous côtés, travaillent à dégoûter le peuple de ses victoires, et déjà Robespierre avait commencé ce système avant son supplice. Ils veulent, après que les émigrés et les agioteurs ont emporté une partie de votre numéraire, après que les crimes de l’ancien ministère ont fait verser des millions dans la Belgique, ils veulent tâcher de vous faire rentrer dans nos anciennes limites C murmures ), afin que, conservant la navigation du Rhin, de l’Escaut et de la Meuse, ils aient réparé leurs pertes en deux années, et puissent essayer de monarchiser une nation qu’ils n’auront pas pu vaincre. Voilà mes craintes. Il est bien démontré que plusieurs des pamphlets qu’on répand avec tant d’indécence tendent à ce but. On sait bien que si vous ne donnez à la France d’autres limites que celles de l’ancienne Gaule, les fertiles plaines du Palatinat suffiront pour nourrir le Midi, en faisant le canal projeté (On murmure). Ce murmure m’annonce la splendeur de mon pays; il m’annonce que la Belgique sentira qu’elle ne peut retrouver aussi sa splendeur qu’en s’unissant à la France et qu’en lui conservant la navigation des trois grands fleuves qui la baignent. Voilà des vérités qui valent bien des dénonciations ; peut-être suis-je égaré, mais ce n’est que par l’amour de mon pays. Je demande que les trois comités vous fassent un rapport qui marquera les bornes et le lieu où seront posées les colonnes de l’Hercule français. Quand nos armées seront arrivées à ce but, reposez-vous sur leur courage pour empêcher qu’on en franchisse les barrières. Laignelot combat l’existence de la faction de l’étranger annoncée par Bourdon. Il soutient qu’il ne sera jamais au pouvoir d’aucune faction d’ébranler la République ; elle n’a pas seu-(42) P.-V., XLVII, 150. C 321, pl. 1335, p. 4, minute de la main de Lozeau. Décret attribué à Thuriot par C*II 21, p. 11. (43) Moniteur, XXII, 243. (44) J. Paris, n° 24. lement été décrétée par la Convention, mais par le peuple entier (45). [Laignelot ne veut pas croire que l’étranger ait des agens dans le sein de la Convention nationale; il croit que, depuis quelques tems, elle est toute républicaine. Il demande que l’ordre du jour termine toutes ces discussions inutiles. Décrété.] (46) [Il n’est plus en France au pouvoir de personne de rétablir la monarchie. L’assemblée se lève toute entière, et les cris répétés de vive la République retentissent longtemps.] (47) La Convention passe à l’ordre du jour (48). 19 Les représentons du peuple près l’École de Mars écrivent à la Convention que les élèves de cette école ont tenu une conduite vraiment admirable dans leur route jusqu’à Poissy [Seine-et-Oise], et dans le séjour qu’ils y ont fait; qu’ils ont fait une marche de six lieues, sans qu’un seul d’entr’eux quittât son rang, et en faisant retentir les airs des chants patriotiques qui guident nos armées dans le chemin de la victoire. La Convention décrète l’insertion de cette lettre au bulletin (49). [Les représentants du peuple près l’École de Mars au président de la Convention nationale, du quartier général de Poissy, 22 vendémiaire an 7/7] (50) Citoyen, Il est impossible à la Convention de nous procurer une jouissance plus douce que celle que nous donnent tous les jours les élèves de Mars, dont la surveillance nous est confiée, par le bon esprit qui règne parmi eux, et par la conduite vraiment admirable qu’ils ont tenue dans la route et pendant leur séjour ici. Que les despotes vantent les automates armés qu’ils ont, à force de temps et de coups de bâton, dressés à marcher alignés et à manier ensemble un fusil ; nous leur montrerons 3 600 jeunes républicains qui en 9 décades, animés par ces mots sacrés Patrie Liberté Egalité, sont devenus su-(45) Moniteur, XXII, 243; Ann. Patr., n° 652; Ann. R.F., n“ 23; C. Eg., n° 787 ; F. de la Républ., n 24; J. Fr., n° 750; J. Perlet, n° 751; J. Univ., n° 1784; Mess. Soir, n° 787; Rép., n“ 24. (46) J. Paris, n° 24. (47) Débats, n" 753, 354. (48) Moniteur, XXII, 243. (49) P.-V., XLVII, 150. (50) C 321, pl. 1338, p. 28. Moniteur, XXII, 242; Débats, n° 752, 348-349; Bull., 23 vend.; Ann. R.F., n° 23; F. de la Républ., n' 24; J. Fr., n 749; J. Mont., n“ 4; M.U., XLIV, 360, 372-373; Rép., n" 24.