[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.1 Hi Un autre rôle comprendrait ceux qui ne payant, pour contribution, qu’une ou deux journées d’ouvriers, touchent à l’indigence absolue, et peuvent y être réduits au moins accidentellement et par diverses circonstances : ceux-là ne devront pas être habituellement secourus; mais des accidents imprévus, un grand nombre d’enfants, de longues maladies leur donneraient droit à des secours. Les règles précises de cette assistance sont plus faciles à sentir qu’à expliquer positivement, dans tous les cas qu’elles peuvent embrasser. Elles seront sûrement connues et suivies par la justice et l’expérience des administrateurs, auxquels l’exécution appartient ; et nous vous proposerons, à cet égard, des vues dans le développement des détails de votre travail. Ici, Messieurs, nous bornons ce rapport que vous pouvez considérer comme l’ensemble des principes qui doivent tixer votre législation sur les secours que la nation doit à l’indigence ; et nous avons, en conséquence, l’honneur de, vous proposer de les déterminer par le décret suivant : 1° Les biens dont les revenus sont aujourd’hui destinés à l’entretien des hôpitaux, maisons de charité, ceux régis par les ordres hospitaliers, pèlerins ; les fonds affectés aux maiadreries et autres établissements du même genre, sous quelque dénomination que ce puisse être, sont déclarés biens nationaux, et toutes les dispositions des lois, relatives auxdits biens, leur seront communes ; 2° Les octrois perçus à l’entrée des villes, au profit des hôpitaux, continueront à l’être, et les revenus, dans la proportion qui en appartient aux pauvres, seront versés dans la caisse du département, en déduction des sommes auxquelles ils auront droit de prétendre pour la distribution des secours; 3° L’Assemblée nationale déclare qu’elle met au rang de ses obligations les plus sacrées, l’assistance des pauvres dans tous les âges et dans toutes les circonstances de la vie ; et qu’il y sera pourvu, ainsi qu’aux dépenses pour l’extinction de la mendicité, sur les revenus publics, dans l’étendue qui sera jugée nécessaire ; 4° Il sera accordé, en conséquence, à chaque département les sommes nécessaires pour les objets indiqués dans le présent article ; 5° La base générale des secours à accorder aux départements, districts et municipalités, seront les trois bases de la représentation nationale, la population, contribution et étendue, et la proportion du nombre des citoyens actifs avec le nombre de ceux qui ne le sont pas ; 6° Ces fonds auront pour objet les secours à donner aux enfants abandonnés, aux malades, aux vieillards, aux infirmes, le travail à offrir aux valides, les maisons de correction, etc.; 7° La répartition de ces fonds sera faite de la manière suivante. Une partie qui aura pour objet l’entretien des établissements permanents, sera donnée aux départements, sans que ceux-ci payent, à cet effet, aucune contribution particulière, n’au-tre, qui aura pour objet le travail à fournir et le supplément de secours, sera augmentée d’une contribution, payée par les départements, en proportion des sommes qu’ils recevront; 8° Indépendamment de ces secours, accordés à chaque département, il sera fait un fonds de réserve pour subvenir aux malheurs imprévus, occasionnés par des circonstances extraordinaires, dans quelque partie du royaume que ce soit et pour les dépenses communes à tous les départements; 9° Les dotations, souscriptions et fondations, qui se feront à l’avenir au profit des pauvres, et qui ne contrarieront pas les lois du royaume, seront suivies dans toute leur intention, pendant l’espace de cinquante années. Le nom des souscripteurs ou donataires sera gravé sur une des murailles du principal établissement ; 10° Après la révolution des cinquante années, sur la réquisition des districts les départements présenteront une pétition à l’Assemblée nationale, pour suivre ou changer l’intention de ces fondations, bien entendu toutefois qu’aucun des souscripteurs, fondateurs ou donataires n’existerait plus, aucun changement ne devant être opéré pendant leur vie ; il0 L’administration des fonds de secours appartiendra, comme toutes les autres, aux destricts des départements ; 12° Il sera formé dans chaque département, une agence au conseil de secours, qui sera chargé par le département, et sous ses ordres, des soins et détails de cette administration ; 13° L’agence ou conseil des secours sera, dans les déparlements, composé de quatre personnes choisies par les électeurs ; 14° Elle sera composée de deux seulement dans les districts, et choisie de même; 15° Indépendamment de ces agences, il sera formé un comité de surveillance pour le régime et la police intérieure des maisons de correction et hospices. Ce comité, composé de quatre personnes, dont deux de l’agence du district et deux domiciliés dans le canton, sera présidé par le juge de paix du canton ; de manière que si, dans le même district, mais dans des cantons différents, il se trouvait deux établissements de cette espèce, les deux mêmes membres de l’agence du district pourraient être du comité de surveillance pour les deux; tandis que ceux qui ne seraient pas de cette agence ne pourraient être attachés qu’à celui de leur canton ; 16° Les conditions pour être inscrit sur le rôle des secours, c’est-à-dire pour avoir droit aux secours gratuits dans les temps de maladies, d’in-lirmiiés et de vieillesse, seront de ne payer aucune taxe d’imposition; 17° Il sera fait un second rôle de secours où seront inscrits ceux qui ne payent qu’une, en deux et même trois journées d’ouvriers; ceux-ci, dans des cas particuliers et accidentels, auraient droit aux secours publics. TROISIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE du 15 juillet 1790. Rapport fait au nom du comité de mendicité, des visites faites dans divers hôpitaux, hospices et maisons de charité de Paris , par M . de La Rochefoucauld-Liancourt, député du département de l’Oise (1). (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) L’Assemblée nationale, en comprenant dans le (1) Ce document n'a pas été inséré au Moniteur. 112 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.] travail dont elle a chargé son comité de mendicité le soin de lui présenter des vues sur le meilleur moyen d’assister les pauvres dans l’état de maladie, de vieillesse et d’infirmité lui a prescrit le devoir de prendre soigneusement toutes les connaissances qui pourraient le plus complètement servir les intentions bienfaisantes dont elle est animée pour cette classe infortunée qu’elle a pris, au nom de la nation, l’engagement de secourir. Le comité a cru ne pouvoir plus efficacement suivre le vœu de l’Assemblée, qu’en ajoutant aux lumières que lui ont fourni les divers ouvrages écrits sur cette matière et les renseignements pris sur les établissements des peuples voisins, les connaissances plus particulières qu’il retirerait de la visite des différents hôpitaux de Paris. Il a pensé que les immenses établissements faits pour la capitale du royaume, devaient présenter une masse d’avantages ou d’abus précieux à examiner avec attention et dont l’observation réfléchie devait faciliter son travail. Aces grands motifs suffisants, sans doute, pour avoir déterminé les visites qu’il a cru devoir faire dans ces différentes maisons, il a joint encore le désir de se mettre promptement en état de proposer un travail pour les hôpitaux de Paris si l’Assemblée pensait que l’étendue de la capitale, le nombre prodigieux des malheureux qui doivent y être assistes, l’organisation particulière de sa municipalité exigeaient une modification au système général qu elle pourrait prescrire pour les hôpitaux et hospices du royaume. L’Assemblée, informée de ces visites a ordonné que le compte lui en soit rendu et qu’il soit publié. Le comité a cru qu’il devait plutôt mettre sous les yeux de l’Assemblée nationale l’ensemble des diverses maisons qu’il a visitées, que les détails multipliés de leur police intérieure ; il n’aurait pas même eu le moyen de les recueillir dans leur totalité. Malgré les visites répétées qu’il a faites dans les mêmes maisons et malgré le zèle et le soin avec lesquels il a pris les informations dont il rendra compte, le temps qu’il a pu leur donner a été borné : cependant, il ose assurer qu’aucun des laits qu’il exposera ne pourra être contesté; enfin il les présentera avec la franchise qui est le devoir essentiel de tous les comités de l’Assemblée nationale, mais qui semble être plus positi-ment encore celui du comité à qui elle a daigné confier, d’une manière plus particulière, la cause des pauvres et des malheureux. Il commencera ses rapports par le compte de l’hôpital général, parce que cette administration répandant des secours de plusieurs espèces, et sur une plus grande quantité d’individus, donne lieu à un plus grand nombre d’observations et serad’un intérêt plus grand pour l’Assemblée. HOPITAL GÉNÉRAL (1). Introduction. L’hôpital général, composé des maisons de Sci-pion, de la Pitié, des Trois-Maisons, des Enfants trouvés, de JBicêire, de la Salpétrière, du Saint-Esprit, de Sainte-Pélagie et du Mont-de-Piété, assiste habituellement onze à douze mille pau-(1) Les visites dans toutes les maisons de l’hôpital général ont été faites par MM. de Liancourt, curé de Sergy, Decrétot, député, et MM. Montlmot et Thou-vet, agrégés externes an travail du comité. vres, sans y comprendre les enfants trouvés placés à la campagne. Douze administrateurs gérants dirigent aujourd’hui cette immense administration qui a eu, jusqu’à présent, pour chefs supérieurs : l’archevêque de Paris, les premiers présidents des cours souveraines, le procureur général du Parlement, le lieutenant de police et le prévôt des marchands. Ces premiers administrateurs qui tenaient leur autorité de leur place,. ne se mêlaient de l’administration que dans des cas très rares où il s’agissait d’une décision de grande importance; alors iis se réunissaient avec les administrateurs-gérants, à l’archevêché, en bureau général. Les administrateurs-gérants s’élisaient entre eux quand il y avait une place vacante; leur élection devait être confirmée en bureau général et elle l’était toujours; ils prêtaient serment au Parlement, et restaient administrateurs inamovibles. Choisis dans la meilleure bourgeoisie de Paris, et parmi les hommes qui généralement avaient dans leur vie acquis une réputation plus reconnue de probité, ils apportaient toujours dans l’administration des vues désintéressées et des intentions pures. C’est un hommage que nous nous croyons en droit de leur rendre d’après la voix publique confirmée par tout ce que nous avons été à portée de reconnaître plus particulièrement. Mais l’administration des dix maisons qui secourent près de quinze mille individus est une machine immense qui est au-dessus des forces humaines de régir avec tous les soins de détail qu’exige l’assistauce des malheureux. Cette machine est gouvernée encore par les règlements de sa formation faits en 1656, et, depuis ce moment, elle a reçu, à plusieurs époques, des augmentations coni-idérables qui ont rendu son administration plus difficile. Dans le nombre des administrateurs, plusieurs ayant un autre état, chargés d’affaires étrangères à l’hôpital, ne peuvent donner tout leur temps à cette administration dont les détails ont successivement été rendus, et plus multipliés et plus compliqués. Le moindre changement qu’ils eurent voulu apporter aux règlements imparfaits, aux usages anciens de ces hôpitaux, eût nécessité la sanction des grands administrateurs, celle du Parlement, des ministres ; et peut-être, ne l’eût pas obtenu. Quelques tentatives en ont montré les difficultés et ont dû refroidir le zèle de ceux qui, avec plus d’espérancede succès, eussent provoqué, avec plus de suite, ces changements désirables. D’ailleurs, il fallait reprendre sous-œuvre l’ensemble de ce gothique édifice, le reconstruire pour ainsi dire àneuf; des réparations partielles eussent mis en péril son existence. Il fallait, pour espérer quelque succès, réunir à une conception hardie, un courage opiniâtre pendant plusieurs années et qu'aucun obstacle ne devait intimider; il fallait une autorité sans bornes. Cette entreprise ne pouvait être du ressort des administrateurs-gérants. Toutes ces considérations les justifient des vices, malheureusement trop nombreux qui se rencontrent dans l’administration de l’hôpital général; on peut le dire inhérents à une aussi immense machine ; ils s’y sont perpétués depuis sa création par l'empire de l’habitude dont rien ne dérange l’influence quand elle doit transmettre des abus, et qui est généralement la lui souveraine de tous nos hôpitaux. Nous les présenterons vivement et fortement, comme nous eu avons été frappés, et nous ferons voir alors comment, sous l’administration d’hommes honnêtes, vertueux et [Assemblé© nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {15 juillet 1790). H 3 bien intentionnés, les préjugés et la routine peuvent cependant consacrer et légitimer, pour ainsi dire, des usages que la plus simple réflexion réprouve et faire même méconnaître les droits de l’humanité. Les administrateurs ont, depuis plusieurs mois, donné la démission de leurs places qu’ils ont déclaré ne vouloir plus exercer, mais ils continuent, au désir de la commune de Paris, de donner, pendant quelque temps encore, les mômes soins à l’hôpital général. MAISON DE SCIPION. La maison de Scipion est le dépôt général des vivres de l’Hôpital général, et le centre commun d’où partent tous les jours, le pain, la viande et la chandelle que l’on consomme dans les antres maisons. Soixante-quatorze employés de toute espèce sont destinés à ce service. Huit commis à la tète desquels est un économe, règlent et inspectent tout ce qui tient à cette régie très compliquée sous tous les rapports. Le hlé s’achète dans différentes provinces. Il est mis en farine dans les moulins de Gorbeil, qui, au nombre de dix, appartiennent à l’hôpital, et converti en pain, dans la maison de Scipion. Vingt-quatre boulangers cuisent environ vingt mille livres de pain par jour, quatre garçons bouchers et plusieurs autres employés sont chargés de la distribution des viandes. L’hôpital général consomme annuellement environ aix-huit cents bœufs, huit cents veaux, et six mille moutons. Les achats sont réglés par les administrateurs qui en chargent des commissionnaires et des inspecteurs particuliers. Nous nous proposons de présenterailleursquelques réflexions sur cette régie, qui, embrassant des détails immenses, doit être surveillée sans cesse. La fourniture de la viande est en partie à l’entreprise, puisqu’elle est confiée à un fournisseur qui promet livrer, à un prix et à un poids fixés, la quantité de bestiaux nécessaires à la consommation de l'hôpital. Un en trepreneur est chargé aussi de lafourniture du bois dont la consommation est de six mille voies par an. Quarante-quatre chevaux sont tous les jours occupés à faire ce service. On pourrait croire que le calcul d’un bénéfice considérable pour l’hôpital, a pu déterminer l’administration à se charger des soins très multiples et très pénibles d’une aussi immense régie. Cependant le prix de la viande, en comptant le bénéfice des graisses, n’est que d’un cinquième au-dessous du prix de Paris. Les variations survenues dans le prix des grains rendent plus difficile de fixer le prix du pain, composé avec celui que vendent les boulangers; ce calcul, d’ailleurs, ne pourraitêtre exact, parce que les principaux employés de l’Hôtel, et les pensionnaires mangeant du pain blanc, un septième de fleur de farine, pris à cet effet sur tcmte la farine employée dérangerait toute appréciation de cette nature. Il en résulte cependant que si le pain bis du pauvre est bon comme nous nous en sommes assurés, il doit être aussi un peu moins substantiel. La consommation de la chandelle dans les différentes maisons de l’hôpital est d’environ quatre-vingt-dix mille livres par année. Elle se fait à la maison de Scipion ; ce qui s’en fabrique d’excédent est vendu. On est étonné d’y voir que les mèches qui pourraient fournir du travail à quelques pauvres lre S�RIE, T. XVII. de l’hôpital soient achetées toutes filées. Cette économie, si c’en est une, ne nous a pas paru bien calculée, et fait voir d’avance combien peu, dans ce grand établissement, on s’occupe de ménager les moyens de travail. MAISON DE LA PITIÉ. La maison de la Pitié doit être considérée sous deux rapports, comme centre de l’administration des maisons réunies sous le nom d’ Hôpital général et comme hôpital particulier. Sous le premier rapport, la maison de la Pitié est le lieu où les pauvres de toutes classes, qui réclament l’assistance des hôpitaux dépendant de l’administration, vien uent présenter leurs titres. Ges titres sont la pauvreté absolue certifiée par les curés. Deux administrateurs au moins doivent les vérifier et selon leur validité et la vacance de places, admettre ou rejeter les postulants. Cette présentation a lieu les lundis de chaque semaine. Cette maison est encore le magasin commun des étoffes achetées dans les provinces pour l’habillement de tous les pauvre assistés par l’hôpital général; ces habillements y sont même généralement travaillés. La maison de la Salpêtrière fait travailler, dans son intérieur, ceux destinés à son usage ; mais les étoffes en sont toujours fournies par les magasins de la Pitié. Les poissons, légumes et fruits secs pour la subsistance générale sont mis aussi en magasin dans cette maison et fournis de là à toutes les autres. Quatre-vingt-douze personnes des deux sexes sont employées au travail des vêtements ou à la garde des magasins. La fabrication de toutes les parties de l’habillement de quinze mille individus qui forment la population des maisons de l’hôpital général fournirait un travail utile et sûr à un bon nombre de pauvres, si le système de l’entière oisiveté n’était pas celui que l’administration paraît avoir adopté. Ce système qui semblerait ne devoir être attribué qu’au vice d’uue longue habitude, nous a été présenté par les administrateurs eux-mêmes, comme l’effet d’un principe réfléchi dont il est cependant difficile d’admettre la vérité. Cette triste réflexion sur l’absence entière du travail dans ces maisons de charité, afflige à chaque pas ; et, sans doute, dam le cours des comptes que nous avons à vous rendre, nous vous en fatiguerons plusieurs fois encore. Au reste, les magasins et ateliers nous ont paru propres et les registres dans un grand ordre. La maison de la Pitié, considérée comme hôpital, est destinée aux enfants pauvres admis par les mêmes formes et aux mêmes titres que les autres pauvres de l’hôpital général. Il paraît que le nombre de ces enfants n’est fixé par aucun règlement : 11 y en a, à l’époque actuelle, mille trois cent quatre-vingt seize et cette quantité qui excède celle ordinairement reçue dans la maison, tient à la difficulté du moment pour les débouchés. Ges enfants sont reçus depuis quatre ans jus qu’à douze. Ils doivent être conservés à la mai son jusqu’à ce qu’ils aient fait leur première communion, ou, plus tard, s’ils ne sont pas assez forts pour être mis en apprentissage. Ils sont répartis en sept divisions appelées emplois et y reçoivent l’instruction de la lecture, de l’é-1 criture, de l’arithmétique et de la religion. Chaque 8 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 Juillet 1790.] 114 emploi a un maître et un sous-maître. Ges divisions ne sont pas graduelles. Un emploi particulier est destiné aux seuls enfants de quatre à huit ans. Us y sont, à présent, au nombre de trois cent quatre-vingts. Parvenus à l’âge de huit ans, ces enfants sont indifféremment admis dans les autres emplois. Celui appelé des convois, c’est-à-dire destiné à aller aux enterrements, est composé des plus grands, et nous dirons, en passant, qu’il nous semble que des jeunes gens que l’on accoutume ainsi à jouer à côté des cadavres et des cérémonies les plus tristes de la religion, doivent recevoir, de cette habitude, une empreinte de dureté et d’immoralité qui peut se retrouver dangereusement dans le cours de leur vie. L’instruction est la même partout, et partout les mêmes moyens. Chaque emploi a plus ou moins de dortoirs et de salles de classe. Les dortoirs, même anciens, sont assez grands, les nouveaux sont vastes, bâtis avec intelligence, pour procurer des courants d’air; mais le nombre d’enfants couchant dans la même chambre est toujours trop grand. On fait admirer des lits d’une nouvelle construction qui coulent et se nichent sous d’autres, de manière qu’une salle qui contient cinq rangées de lits quand les enfants se couchent n’en présente que trois quand ils ne sont pas couchés. Il est difficile de ne ras craindre que ces lits roulés sous les autres, dès que les enfants sortent, et découverts seulement quand ils y rentrent, ne présentent plus de causes d’insalubrité, que s’ils étaient toute la journée à l’air. La gale et la teigne sont les seules maladies traitées dans la maison. Les enfants malades sont envoyés à l’Hôtel-Dieu. Ceux qui n’y meurent pas en rapportent la gale qui paraît perpétuelle dans ce grand hôpital. Le scorbut est très commun dans la maison de la Pitié. On assure que les farineux donnés avec abondance en nourriture à ces enfants, en ont diminué l’intensité. Les fièvres rouges y sont aussi des maladies habituelles; mais elles sont, ainsi que les petites véroles, portées à l’Hôtel-Dieu, et l’on sent bien que leur danger augmente, et de cette tran sportati on forcée et du traitement qu 'elles y reçoivent. On n’a jamais pensé, depuis quarante ans que l’inoculation est connue en France, à prouver, par de grandes expériences faites sur un grand nombre d’enfants, combien cette précieuse manière de se préserver de la plus horrible maladie était sans danger et à en faire connaître l’avantage à toutes les classes de la société. Il faut cependant convenir que de tous les biens qui peuvent être espérés d’un grand établissement de charité, celui-ci serait un des plus importants, puisqu’il serait, à la fois, salutaire aux enfants qu’il préserverait d’une maladie souvent mortelle, et dont les suites sont souvent encore fâcheuses pour ceux qui en réchappent, et d’un exemple déterminant pour tant de personnes qui ignorent encore jusqu’à l’inoculation. Mais, chaque pas fait dans les hôpitaux persuade davantage que ces maisons sont l’asile des préjugés, qui s’y conservent bien des années après qu’ils ont disparu du reste du monde. Les meilleures raisons y sont toujours prêtes pour prouver qu’un changement quelconque serait un mal. A la suite des grands bâtiments que l’on construit à grands frais, à la Pitié, depuis six à huit ans, on projette de bâtir une. infirmerie, mais elle n’est pasfaite encore et, en attendant, ces malheureux enfants vont périr en foule à l’Hôtel-Dieu. Il est vraiment inconcevable que la charité qui assiste la pauvreté soit aussi peu soucieuse et aussi peu éclairée sur sa conservation. A quoi bon réunir treize cents enfants lorsqu’on ne peut pas les traiter en maladie. La bienfaisance ne serait-elle pas plus entière, si le nombre des admis était de moitié moins considérable, et plus complètement assistés? Cette éternelle routine, suivie dans ces établissements de bienfaisance qui devraient s’enrichir de toutes les lumières utiles à l’humanité , fait naître des réflexions bien tristes ; et combien ne le seraient-elles pas davantage encore si un simple calcul additionnait le nombre de morts dues à cette incurie d’habitudes. Les enfants sont nourris comme les pauvres de toute l’administration. Ils le sont suffisamment, puisqu’ils ont en général l’air de la santé; mais malgré les éloges qui'nous ont été faits des soins de leur éducation, ils sont mal élevés, puisqu’en général, ces enfants ne tournent pas à bien. Il y a une classe d’élèves, c’est-à-dire de ceux qui pour l’écriture et la lecture montrent le plus de dispositions et de talents. Ils sont douze sur treize cents enfants, proportion bien modique; encore plusieurs de ces élèves sont-ils pris dans la ville par faveur et protection, ce qui décourage et fait murmurer les enfants de la maison. Cette petite classe, établie seulement depuis quatre mois, doit être la pépinière des sous-maîtres. Plusieurs écrivent très bien. L’instruction générale, il faut le répéter, ne consiste qu’à lire, écrire et apprendre la religion. Sur la réflexion que nous nous sommes permise aux administrateurs que c’était apprendre bien longtemps la religion que de l’apprendre cinq heures par jour, pendant douze ans, pour des enfants qui semblaient ne devoir que savoir leur catéchisme, ils nous ont répondu qu'on leur apprenait la religion mieux qu’ailleurs ; que c'était ainsi qu’on leur préparait des principes pour l’avenir, et c’est cependant d’eux qu’un moment plutôt, nous avions appris que ces enfants tournaient presque tous mal. Il est vrai que dans un petit mémoire fait sur l’hôpital de la Pitié, nous avons vu que plusieurs de ces élèves avaient, devant M. l’archevêque de Paris, l’année dernière, soutenu un exercice où ils avaient expliqué : Jésus figuré par les patriarches de l'ancien Testament. , et Jésus prédit par tous les prophètes. Cet effort de leur part était présenté par l’auteur, comme une preuve qu’ils avaient approfondi la religion et qu’elle ne leur était pas enseignée comme à des perroquets. IJ semble que des enfants destinés à être théologiens, docteurs en Sorbonne, etc., pourraient être très utilement instruits de cette manière, mais que les principes de religion, nécessaires à tous les hommes, une fois bien inculqués à ces pauvres enfants, le travail serait leur meilleure institution. Mais, nous l’avons dit et nous le répétons encore à regret, il n’est aucun travail dans cette maison. Ces malheureux enfants, destinés à être pauvres toute leur vie, sont façonnés, par la charité, à l'oisiveté, à l’inertie, et préparés, par conséquent, à devenir des sujets nuisibles à la société. Les administrateurs, sur la forte objection que nous leur avons faite de nouveau contre cette pernicieuse pratique de leur maison, l’ont motivée sur l’économie. Point de débouché à leurs lacets, comme si les lacets était le seul ouvrage que l’on pût faire dans un hôpital, et comme si l’intelligence ne créait pas des moyens de travail, et ne trou vait pas, dans Paris, des débouchés certains à toute sorte de main-d’œuvre, et comme si, enfin, [Assemblés nationale,] ARCHIVES PARLEM ENf AIRES. [18 juillet 1790.] perdre quelques sommes annuellement, en faisant travailler ces enfants, n’était pas encore, en bon calcul d’administration, gagner beaucoup. Ils nous ont dit qu’ils manquaient de local, comme s’ils n’eussent pas pu placer ailleurs leurs magasins, recevoir moins d’enfants, établir les ateliers dans les classes, et, comme si encore une vigilance mieux entendue n’eût pas, depuis bien longtemps, transporté hors de Paris cet établissement, ne l’eût pas divisé en cinq ou six maisons à la campagne, et n’eût pas ainsi fourni à ces enfants, un travail utile, mesuré selon leurs forces, mais toujours en activité, et, par là, des moyens de santé, de conduite et d’aisance pour le reste de leur vie. C’est à la campagne, sans aucun doute, que doivent être transportés ces établissements destinés à la jeunesse. L’air et le mouvement sont les premiers besoins de cet âge, et l’habitude d’un travail constant, sa première instruction nécessaire; mais les administrateurs n’auraient pas cet établissement sous leurs yeux, leur surveillance serait inquiétée de l’éloignement, et sans doute leur attachement pour les soins qu’ils donnent à leurs maisons, les égarent plus que leurs propres intérêts d’administrateurs sur le bien qui résulterait de ce changement ; et puis cette éternelle et toujours renaissante routine, la meilleure de toutes les raisons : faire ce qui a été fait la veille est toujours bien. Que �administrations dont cet espèce de proverbe a jusqu’ici été le seul principe! Revenons à ces enfants. La première communion faite et leurs forces suffisamment acquises, les maîtres ouvriers les demandent en apprentissage. Ils doivent y rester trois ans, et reçoivent de la maison un petit trousseau de la valeur de 21 livres. Pendant ces trois ans, ils sont encore sous la surveillance de la maison. Cet apprentissage de trois années doit les conduire à pouvoir gagner leur vie. Un inspecteur doit suivre leur conduite chez les différents maîtres où ils sont placés : mais qu’est-ce que la surveillance d’un homme sur quatre cent cinquante enfants qui doivent se trouver à la fois en apprentissage et qui sont répandus dans tout Paris; et que ferait à ces enfants une surveillance plus active, quand ils n’ont plus rien à espérer de la maison dont ils sortent, et quand la correction qu’ils eu craignent est plus comminatoire que réelle? car elle se borne à rappeler les coupables dans la maison où ils ne peuvent pas être gardés longtemps, ou à les envoyer àBicêtre, à la maison de correction, avec des enfants la plupart condamnés pour crime, et qui achèvent de les corrompre; d’où ü arrive que leur inconduite chez les maîtres est rarement réprimée. Ces enfants, la plupart trop jeunes pour bien calculer leurs intérêts, entraînés par mille écueils d’autant pins dangereux qu’ils sortent pour ainsi dire de captivité, ne travaillent pas, se conduisent comme ils l’entendent; les maîtres, qui ne doivent recevoir aucun avantage, aucune prime de satisfaction, si leur élève fait des progrès, se lassent bientôt de leur inconduite; ils se plaignent, la maison n’y peut rien ; les enfants continuent de mal en pis, quittent les maîtres, s’en vont, deviennent fainéants, mendiants, vagabonds et repeuplent les cabanons de Bicêtre, s'ils ne font pas une lin plus misérable encore. C’est de Messieurs les administrateurs que nous tenons ces détails. Ils nous ont avoué avec douleur que plus des trois quarts de ces enfants désertaient de chez leurs maîtres. Tel est le résultat nécessaire d’une éducation sans 118 travail. Le défaut d’encouragement pour les maîtres et les élèves est sans doute un vice, mais le principe du mal est dans l’habitude de l’oisiveté. Les administrateurs qui sentent une partie de ces inconvénients, en reconnaissent encore dans l’espèce des enfants admis à la Pitié, et la donnent comme une des causes les plus puissantes de l’impossibilité du travail. Ils disent que beaucoup de ces enfants ne passent que quelque temps dans la maison ; que leurs parents viennent souvent les rechercher, et que quand ils doivent y rester jusqu’à leur première communion, plus des trois quarts y font une perpétuelle navette, et y restent, les uns quinze jours, les autres plusieurs mois, les autres deux ou trois ans ; ils disent que souvent ces enfants reçoivent des certificats des curés, qui attestent une pauvreté qui n’existe pas, soit que les curés soient absolument trompés, soit qu’ils ne soient que faibles; ils disent que souvent un enfant revient à la maison quatre ou cinq fois. Sans doute, ces inconvénients sont réels, et les obstacles bien difficiles à vaincre. Mais il semble aussi qu’une grande attention, une grande sévérité et une grande exactitude à suivre les règles ordonnées par les édits de création et autres qui n’ont jamais été révoqués, anéantiraient tous ces vices que l’insouciance et l'inexactitude ont seules laissé établir, et dont l’ancienneté fait la plus grande force. Mais on peut quelquefois reconnaître le mal, sans trouver les moyens de le réparer, et voilà où en est l’administration de cet hôpital. Il existe encore, dans cette maison, un vice que nous avons retrouvé dans presque toutes celles de l’hôpital .général ; c’est un grand nombre de femmes et un grand mélange des officiers et employés des deux sexes. Ces femmes ne sont d’aucune congrégation. Les supérieures et officières sont communément âgées, mais les subalternes et les employées sont reçues à tout âge, et prises là où la préférence les fait choisir. Le plus grand nombre est cependant élevé dans les maisons de i’hôpital. On sent facilement combien, indépendamment des petits désordres de mauvais exemples qui peuvent avoir lieu dans ces maisons, il doit arriver fréquemment, quand les hommes ont la principale autorité, qu’ils la laissent à la disposition de celles qu’ils préfèrent, et combien ces petites vanités et ces petits intérêts doivent se parer et abuser de cette grande confiance; combien leur influence doit avoir d’effets de prévention et d’injustice, et combien ces préventions et ces injustices font de grands malheurs, quand elles portent sur des individus déjà malheureux par l’âge, les infirmités, la misère ou la captivité. Si tous ces inconvénients sont sans exemple dans les maisons de l’hôpital général, il faut convenir qu’ils n’y sont pas sans vraisemblance. Indépendamment de dix-sept maîtres et sous-maîtres, d’un directeur et dmn sous-directeur d’études, on voit avec peine, sur l’état des employés de la maison de la Pitié, huit prêtres dont la seule fonction est le service divin. Il semble que les maîtres et sous-maîtres pourraient bien remplir ces fonctions compatibles avec leur étal, ou que si quelque prêtre de supplément était nécessaire, le nombre de huit est excessif. Parmi trois cent-vingt-deux personnes employées dans la maison de la Pitié, tant pour l’hôpital que pour les magasins, il y a cent cinquante-neuf femmes. L’économe de ia maison et la supérieure ont chacun une autorité distincte et 116 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.] égale; grande source de désordres; mais dans ie cas de querelle ou de désunion dans la maison, la supérieure prononce. Il y a, dans cette maison, beaucoup d’apparence d’ordre et beaucoup de propreté. Elle est aussi bien tenue qu’elle peut l’être, d’après les principes qui la régissent. Les réflexions que nous vous avons soumises prouvent que nous pensons cependant qu’elle peut l’être beaucoup mieux, sous plusieurs rapports intéressants. LES TROIS MAISONS DES ENFANTS TROUVÉS. De tous les établissements fondés et soutenus par la charité, un des plus intéressants, sans doute, est celui qui a pour objet d’assister les enfants abandonnés, et de leur faire trouver, dans les soins de la bienfaisance, les secours qu’ils doivent attendre de la nature et qu’elle leur refuse. Tel est l’objet de l’hôpital des Enfants trouvés. Ce grand établissement assiste les enfants qui lui sont apportés et ne cesse ses secours que lorsqu’ils sont en état de gagner leur vie. Trois maisons composent cet établissement, dépendant lui-même en partie de la grande administration de l’hôpital général. Ces trois maisons sont : la maison de la Crèche, près Notre-Dame, l’hospice de Vaugirard et la maison de Saint-Antoine. La maison de la Crèche est celle où sont apportés tous les enfants qui viennent de naître; aucun renseignement n’est demandé à ceux ou celles qui apportent leurs enfants; aucune condition n’est imposée pour leur admission. L’intention bienfaisante de conserver à la vie le plus grand nombre possible des enfants que leurs parents abandonnent, a proscrit toute information ; elle pouvait écarter bien des mères du dessein d’assurer à leurs malheureux enfants au moins la protection du gouvernement. Cette réserve entière, établie seulement depuis quelques années, a produit le salutaire effet de faire apporter romptement et directement à la maison de la rèche tous les enfants abandonnés qui, jadis exposés dans les rues, étaient souvent trouvés morts ou expirants de la rigueur de la saison ou de l’influence de l’air. Cinq à six mille enfants sont annuellement apportés à la maison de la Crèche ; ie plus grand nombre est né à Paris ; cependant, on en compte de sept à huit cents envoyés des provinces, et la Bourgogne est, de toutes, celle qui en fournit le plus. Ils sont gardés dans cette maison jusqu’au moment où ils sont mis en nourrice ou confiés à des meneurs chargés de ce soin dans les campagnes qu’ils habiteut; mais un grand nombre meurt avant cette époque; deux tiers, au moins, succombent dans le premier mois, et, dans ces deux tiers, trois cinquièmes avant d’être donnés aux nourrices. Cette prodigieuse mortalité s’attribue particulièrement au mauvais état dans lequel la plupart de ces enfants, fruit de la débauche ou de la misère, sont apportés à l’hôpital : une maladie contagieuse, presque toujours existante dans cette maison, connue sous le nom de muguet et dont ces enfants guérissent peu, en enlève beaucoup encore. Enfin, ces enfants restent quelquefois des semaines, des mois entiers sans nourrice, réunis en grand nombre dans les mêmes salles, et cetb1 dernière cause de mort n’est sans doute pas la moins funeste. Ceux qui échappent à ces premiers dangers trouvent rarement, dans leurs nourrices, une nourriture propre à les remettre de leur première détresse. Ces femmes payées au-dessous du prix ordinairejdes nourrices sont nécessairement dans une situation d’indigence peu propre à fournir du bon lait, toujours pauvres, souvent vieilles et malades, et le nombre de celles qui se présentent est encore trop peu considérable, pour que la maison de la Crèche puisse se rendre difficile sur le choix. L’infériorité du prix dans lequel est tenu le salaire donné aux nourrices des Enfants trouvés n’est pas l’effet d’un calcul d’économie, elle prend son motif dans l’impossibilité où seraient beaucoup d’habitants de Paris de trouver des nourrices si elles exigeaient un prix plus élevé que celui qu’elles exigent à présent, ce qui arriverait sans doute si l’hôpital des Enfants trouvés élevait celui qu’il donne jusqu’au taux commun, tant il est vrai que souvent la bienfaisance trouve des obstacles à son extension, dans la justice même et dans l’ordre public. Les charrettes dans lesquelles ces enfants entassés sont menés avec leurs nourrices sont encore pour eux un nouveau danger. Ce danger augmente selon la longueur de la route qui souvent est considérable. Le plus grand rapprochement des demeures de ces nourrices est de douze lieues de Paris, le plus grand éloignement est de soixante. Vingt-deux meneurs, dispersés dans toute cette étendue, correspondent avec l’administration, font les affaires des nourrices de leur département et ont sur elles une sorte de surveillance dont les frais sont payés par l’administration. Gomme les premiers mois de la vie de ces enfants sont les moments où elle est le plus en danger, l’administration encourage les nourrices à des soins plus particuliers, en mettant, pendant cette époque, plus fortement en jeu leur propre intérêt. Indépendamment de douze livres qui leur sont accordées de plus dans la première année, elles reçoivent une prime de six livres à la fin des trois premiers mois, et une autre égale à la fin du neuvième, si l’enfant confié à leurs soins existe à cette époque. Cette combinaison d’encou-ragementest un établisement nouveau; elle prouve combien l’administration s’occupe avec réflexion de l'existence des enfants: elle produira sans doute quelques bons effets : mais tant de vices son t inhérents à une aussi immense administration , que la prévoyance et la réflexion ne peuvent que légèrement en diminuer le nombre; car il faut convenir que de tous les secours adonner à l’humanité souffrante, ceux adonner aux enfants trouvés sont les plus difficiles. Il vaut presque autant leur refuser des secours que de les leur donner incomplets. Les secourir sans réserve, c’est cependant tenter un grand nombre de mères d’abandonner à la charité publique leurs propres enfants: c’est à la fois charger les hôpitaux d’une dépense qui ne devrait pas être la leur, et ce qui est pis mille lois, c’est rendre cette administration de bienfaisance complice du crime le plus contraire à la nature, et d’autant plus dangereux à voir s’étendre, qu’il trouveson excusedans le sentiment maternel lui-même, qui porte une mère à désirer se détacher de son enfant, pour lui assurer un meilleur sort. Et il n’est pas hors de propos de rappeler à cette occasion que les lettres patentes données par Charles VII le 7 août 1445, relativement à l’hôpital du Saint-Esprit, défendant de recevoir dans cette maison desenfants bâtards s’expliquent [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.) ainsi : Si on en recevait , il y en aurait si grande quantité, parce que moult de gens s'abandonneraient et feraient moins de difficultés de eux abandonner à pêcher, quand ils verraient que tels enfants bâtards seraient nourris davantage et qu'ils n'en auraient pas la charge première ni sollicitude. Le secours a donner à ces enfants est donc rempli de difficultés, le retour des meilleures mœurs qui doit être excité par toutes les lois, tous les règlements, tous les établissements, peut seul en triompher. Pour suppléera l’inconvénient très commun de l’insuffisance dans le nombre des nourrices, on a fait, dans cet hôpital, plusieurs essais de nourrir ces enfants avec du lait d’animaux : ces essais ont été tentés dans la maison même, et en en confiant le soin à des femmes de campagne. Mais quoiqu’ils n’aient pas eu de grands succès, l’administration est persuadée elle-même qu’ils seraient répétés utilement, s’ils étaient faits avec une suite de précautions que l’expérience a montrées nécessaires, et elle pratique cette nourriture artificielle pour les enfants qu’elle reçoit jusqu’au moment où les nourrices viennent les chercher. C’est à la campagne que ces établissements doivent être faits pour en assurer le succès, etils devraient être multipliés; une courte instruction pratique qui pourrait avoir lieu dans la capitale, mettrait bientôt un nombre considérable de femmes de campagne, en état de suivre avec fruit cette méthode, et de consacrer leur vie à ce genre de service auquel l’expérience les rendraient tous les jours plus propres. Ceux des enfants trouvés qui échappent à tous les dangers dont sont remplis les premiers temps de leur vie, sont, à l’âge de six à sept ans, ou ramenés à la maison de Saint-Antoine, ou conservés par les nourrices, qui reçoivent alors une pension de quarante livres jusqu’à ce que l’enfant soit parvenu à l’âge de seize ans. Presque tous ces enfants conservés par les nourrices par delà le terme fixé, sont gardés dans leur maison, jusqu’à ce qu’ils se marient, y sont traités comme leurs propres enfants; le plus grand nombre tourne bien et devient de bons habitants des campagnes. L’éducation qu’ils reçoivent à Saint-Antoine, plus soignée sans doute, et surtout plus dispendieuse, ne réussit pas autant, et le nombre de ceux des deux sexes qui, mis en métiers, deviennent de bons ouvriers et de bons sujets, est bien peu considérable. Cette maison, un peu plus soignée que celle de la Pitié, réunit cependant à peu près les mêmes inconvénients ; les petits garçons ne sont occupés à aucun travail, par les mêmes raisons de défaut de débouchés, de danger pour la santé, par des raisons enfin puériles et qui ne peuvent être admises par la plus légère réflexion. Le travail des petites filles est un peu plus suivi, et fait même une partie des revenus de l’établissement, mais sorties de la maison, ces enfants n’en tournent pas mieux ; elles sont ordinairement demandées pour être servantes, quelquefois pour être ouvrières. Leur éducation les rend si peu propre à la fatigue, quelles sont promptement renvoyées des maisons où elles entrent, et beaucoup d’elles, sans ressources, sans état, après être restées quelques jours sans place, et avoir abusé de leur liberté, sont admises encore à la maison de Saint-Antoine, et mêlées dangereusement avec les jeunes tilles, à qui leur expérience ne peut être d’aucun avantage. L’établissement des Enfants trouvés, bien cha-117 ritable, bien utile, bien respectable dans son intention, a le défaut du siècle où il a été fondé, et celui de tous les grands établissements. On y nourrit, on y entretient l’enfant qui y est reçu, mais on ne s’occupe que de ce soin exercé encore selon les anciennes pratiques de l’établissement. Par exemple, les enfants en nourrice, répandus dans les campagnes, ne sont presque jamais visités ; au moins ne le sont-ils ni fréquemment, ni régulièrement. Le curé du lieu où ils sont est bien chargé de signer tous les ans une feuille qui constate ou leur existence ou leur mort, mais aucun médecin, aucun chirurgien n’a commission de suivre ces malheureux enfants dans leurs maladies, de les surveiller; enfin l’existence, la subsistance qu’ils reçoivent leur est accordée comme une aumône ; jamais les soins suivis et éclairés de la bienfaisance, ou même de la charité, ne leur sont donnés. La même insouciance se porte sur le sort de ces enfauts ou en métier ou répandus dans la société; dès qu’ils sont sortis de la maison, ils ne sont plus rien à ce grand établissement, qui, ayant assuré leur vie, semblerait avoir le droit et le devoir d’en suivre tous les événements et tous les intérêts. Dans les seize dernières années, cent un mille enfants ont été reçus aux Enfants trouvés, quinze mille seulement existent aujourd’hui, huit cents à la maison de Saint-Antoine, quatre-vingts à peu près à la maison de la Crèche. Ges derniers destinés aux quêtes publiques, dans certains jours de l’année, sont choisis parmi les plus jolis enfants des deux sexes et gardés dans cette maison, jusqu’au moment où ils sont mis en métiers ; et comme les soins qu’ils reçoivent sont moins divisés, leur éducation, à peu près la même, réussit mieux qu’à Saint-Antoine : Une beaucoup plus grande proportion tourne bien. Tout le reste est dans les campagnes ou chez les nourrices qui les ont conservés ou chez d’autres habitants qui les ont demandés à l’administration. Quelques enfants encore sont à l’hôpital de Vaugirard; ce sont ceux qui, nés avec le mal vénérien en infectaient les nourrices auxquelles ils étaient donnés, et les rendaient ainsi victimes de leur pauvreté et de leur dévouement. Diverses tentatives avaient été faites précédemment pour la guérison de ces malheureux enfants, soit en les traitant par des boissons, et donnant à leurs nourrices des préservatifs, soit en les nourrissant au lait d’animaux et en les soumettant à des frictions. Réunis depuis dix ans dans l’hôpital de Vaugirard, les enfants infectés du mal vénérien sont donnés à des nourrices malades de la même maladie : la nourrice est traitée, et son lait apporte à l’enfant assez de contre-poison, pour détruire en lui le vice qu’il faut combattre. Presque toutes arrivent grosses: leur traitement qui commence avant leur accouchement, se continue jusqu’à la tin de la nourriture. Elles nourrissent à la fois et leur enfant, et l’enfant trouvé malade. Dans le nombre de dix-neuf mille cinquante-neuf enfants apportés dans cette maison depuis dix ans, quatre centquaranteont été guéris, quinze cent dix-neuf sont morts, ce qui porterait aux sept neuvièmes la proportion de la mortalité ; mais il faut observer que, dans ce nombre, sept cent quatre-vingt huit n’ont pas pris le teton, et n’ont, par conséquent, été soumis à aucun traitement. Il faut se rappeler que parmi les enfants trouvés, apportés à la maison de la Crèche, sans indication de maladie, deux tiers meurent dans le premier mois, et alors on trouvera la proportion moins forte et le bien de cet établissement grand, 118 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juillet 1790.1 quand surtout on apprendra qu’avant qu’il eut lieu aucun de Ces enfants réputés viciés n’échappait à la mort. Dans les avantages de cet établissement il faut encore compter celui de guérir les nourrices. Tous les médecins, et les médecins anglais particulièrement) ne reconnaissent pas que le mal vénérien soit aussi commun dans les enfants, que l’on paraît le croire dans cette maison et dans celle de la Crèche, d’où ils viennent et où l’on en estimé le nombre annuel à cent trente. Quelques-uns même, mais en petit nombre, prétendent que ce mal ne peut être communiqué par la mère et qu’aucun enfant n’en est atteint en naissant. C’est à l’expérience et aux discussions savantes à éclairer ce grand procès. De cette incertitude, il doit bien résulter que quelques enfants confiés à des nourrices vénériennes pourraient bien n’être pas malades, car les médecins eux-mêmes conviennent que peu ont des symptômes très remarqués, et qu’ils jugent la maladie par la situation extérieure et générale de 1 enfant; mais il est difficile, d’après ce que nous avons vu, et d’après l’opinion commune, de douter que quelques-uns ne naissent viciés. Quoiqu’il en soit, il faut convenir que l’idée de ce traitement est à la fois ingénieuse et humaine, et que c’est en l’appliquant ainsi qu’on a la première fois ima-ginéde rendre, avec nécessité, la corruption utile à l’innocence. On croit remarquer que les nourrices de ces enfants leur sont plus attachées et en prennent plus de soins que les nourrices d’enfants sains, soit que l’état de maladie où elles sont elles-mêmes les rende plus faibles et par conséquent plus sensibles, soit plutôt que par cette loi bienfaisante et presque toujours certaine de la nature, ces femmes s’attachent, par les soins qu’elles donnent, par l’espérance et le plaisir de retirer d’un grand danger ceux de ces malheureux enfants, dévoués sans elles à la mort. Les maisons de la Crèche et celle de Saint-Antoine, confiées aux soins clés sœurs de charité, sont tenues avec ordre et propreté. Les soins charitables dé cette respectable congrégation y sont aussi complets que partout ailleurs. C’est un hommage que nous trouvons ici, avec plaisir, l’occasion de leur rendre ; elles sont, dans l’une et l’autre maison, aidées par des filles de service tirées de celles de l’hôpital général, ou prises à leur choix. Le nombre en varie à la maison de la Crèche, selon celui des enfants. A Saint-Antoine il est de trente-six, et ce grand nombre d’employées est un défaut commun à tous les établissements de l’hôpital. La maison de Vaugirard est conduite par un économe, une ofticière et un Chirurgien : Cette maison nous a paru aussi en bon ordre. L’établissement des Enfants trouvés est uni à celui de l’hôpital général, quoiqu’ayant des revenus séparés ; et ses administrateurs, choisis parmi ceux de l’hôpital général, ne sont cependant qu’au nombre de huit. Le revenu des Enfants trouvés est de plus de neuf cent mille livres, en y comprenant lé revenu des Pèlerins de Saint-Jacques qui vient de leur être offert. Ce que ces revenus auraient d’insuffisant, devrait être suppléé par l’hôpital général, qui fournit encore, de la maison commune de Scipion, les comestibles à toutes celles dépendant des Enfants trouvés. Quoique les soins donnés aux enfants abandonnés soient incomplets, quoique les vices inhérents à un aussi immense établissement coûtent la vie à beaucoup d’eux, et que la proportion de ceux qui retirent d’heureux fruits de leur édu-cation soit très petite, cependant beaucoup d’enfants légitimes y sont abandonnés ; les administrateurs en estiment le nombreà près demoitié.Oh a cru qu’en rendant aux parents qui avaient ainsi abandonné leurs enfants, le moyen de les retirer plus difficile, le nombre en diminuerait, et l’administration a, en conséquence, exigé que la nourriture de cesenfants, estimée par elle à cent livres, serait remboursée par ceux qui les réclament, même en prouvant qu’ils en sont les véritables parents. Ce moyen, dur en apparence, mais ordonné à bonne intention n’a pas eu de succès, et le nombre des enfants légitimes n’en paraissait pas diminué. Une association bienfaisante de dames, formée depuis peu sous le nom de Charité maternelle, s’est proposé le même but avec des moyens plus doux, et leurs essais paraissent déjà couronnés de succès. Recherchant avec soin, dans tous les quartiers de Paris, qu’elles sesontdistribués entre elles, les femmes que la misère pourrait déterminer à abandonner leurs enfants, elles les assistent de soins et de secours ; elles leur donnent à elles-mêmes le salaire qu’elles donneraient à une nourrice étrangère et les préservent ainsi du grand danger qui menace toutes les femmes qui font leurs couches à l’Hôtel-Dieu , et qui y meurent dans une proportion considérable. Elles prolongent leur assistance jusqu’à deux années, et elles ne se refusent à aucune peine, à aucune recherche, pour que leur bienfaisance ne soit pas trompée, parce qu’elle porte sur les plus malheureuses. Leur charité a tous les caractères de la véritable bienfaisance, activité, sévérité et simplicité, et leurs soins vigilants rendent réellement ainsi des mères à leurs enfants et des enfants à leurs mères.' Déjà, l’année dernière, l’établissement des Enfants trouvés a reconnu une diminution de trois à quatre cents enfants qu’il attribue à cette charitable association. Cette association, formée de souscriptions volontaires, appelle les regards et les secours de la ville de Paris. Les circonstances ont diminué les fonds, les ressources, et par conséquent la possibilité des secours, et cependant, jamais ils n’ont été si nécessaires. Il semble qu’il est de l’intérêt dé l’humanité et des mœurs publiques, de soutenircette salutaire association qui, tendant à soutenir l’établissement des Enfants trouvés, pourrait recevoir des fonds de l’hôpital général, quelqües secours passagers, qui ainsi ne recevraient pas même une application étrangère au but de leur institution première. Mais il faudrait que la grande sévérité avec laquelle la Charité maternellerefuseaujourd’hüiioussecaurs inutiles, fût le premier principe réglementaire de cette institution; mal dirigée et saris vigilance, elle pourrait produiredés effetsabsolumeiit contraires aux intentions vertueuses et bienfaisantes qui l’ont formée. HOPITAL DU SAINT-ESPRIT. L’hôpital du Saint-Esprit dont la fondation, due à une association de bienfaisance, remonte à l’anhée 1362, a pour objet d’élever des enfants des deux sexes nésà Paris, orphelins de père et de mère, et dans un état absolu de pauvreté, sans même, disent les lettres patentes qui l’ont confirmé, que ces enfants puissent espérer de secours de parents ou d’amis. Une déclaration de Louis XIV, en date du 12 avril 1680, ordonne la réunion de cette maison [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |1S juillet 179J.J 119 à celle de l’hôpital général, et particulièrement à celle de la Pitié; par la raison expresse que les fonds réunis donneront le moyen d'entretenir plus d’enfants sans augmenter le nombre des maîtres et officiers qui étaient alors à la Pitié. La déclaration du roi portant cette réunion rappelle les titres et les conditions qu’exige et que promet la fondation. Les enfants, dont le nombre doit être porté à quatre cents, seront , dit-elle, couchés , levés, vêtus, chauffés, alimentés, gouvernés de toutes choses à ce nécessaires, introduits et appris à école et métier, les filles mariées, letout gratuitement pour ces enfants et aux frais de l’hôpital ; et cependant la réunion du Saint-Esprit avec l’hôpital général n’est faite que pour les fonds; la maison est toujours séparée. Les enfants, au nombre de cent vingt seulement, des deux sexes, sont soignés par vingt-neuf personnes, et l’on exige, pour leur admission, une somme de deuxcentquarantelivres, sur laquelle on paie leur apprentissage. Cette somme placéedepuis deux ans au Mont-de-Piété, jointe aux petites successions qui peuvent leur revenir, compose leur avoir dont il leur est fait décompte à l’âge de vingt-cinq ans, ou plutôt, s’ils se marient, On y joint, pour les garçons, la part des rétributions accordées pour le tirage des loteries, et pour les filles, leur part à un legs fait par le dernier ministre de la maison, pour leur être donné dans la première année de leur apprentissage. Si ces enfants meurent dans la maison, l’hôpital hérite de tout cet avoir. On ignore, dans l’administration même de l’hôpital général, les motifs de cette dérogation aux clauses expresses de la fondation et de la réunion. On assure que Paris ne peut fournir le nombre de quatre cents orphelinsdepère et de mèreet que pour compléter le nombre de cent vingt dont est composée la maison, il faut quelquefois admettre par nécessité des enfants seulement orphelins de père ou de mère : mais alors, pourquoi exiger une misé de deux cent quarante livres qui exclut entièrement les vrais pauvres, puis qu’elle est la condition nécessaire de l’admission? pourquoi, contre le vœu exprimé delà fondation, faire supporter à des enfants la dépense de leur apprentissage, enfin charger l’administration de frais considérables, dont l’édit de réunion avait prétendu la débarrasser. Des règlements d’administration, sans autre titre, ont opéré toutes ces graves altérations : au moins, si en exigeant cette mise première de deux cent quarante livres, iis eussent eu en vue le bien-être futur de ces enfants; si en les défrayant de tout, jusqu’à ia sortie de leur apprentissage, ils faisaient, à leur avantage, accroître cette somme delà cumulation des intérêts, ils contribueraient ainsi à leur établissement, assureraient le bonheur et la bonne conduite de leur vie ultérieure. Cette mise et les autres revenants-bons de ces enfants ainsi conduits, porteraient, de calcul fait, leur avoir à mille sept cent quatre-vingt-dix-neuf livres pour les garçons, à onze cent cinquante livres polir les filles à l’âge de vingt-cinq ans ou à onze cent soixante-douze livres et huit cent quatre-ving-dix livres, à celui de vingt ans. Mais, loin que cette si naturelle prévoyance soit pratiquée, ce n’est que depuis quatre ans, que leurs mises sont placées au Mont-de-Piétè, et les différentes dépenses auxquelles elles fournissent, les réduisent généralement à rien, au moment de leur décompte final. Nous dirons de cet établissement ce qui a été dit des autres, destinés comme lui, à assister les enfants, et dont nous avons déjà rendu compte. Les enfants apprennent la religion, à lire, écrire, l’arithmétique, un peu de dessin et le plain-chant, cette dernière partie de l’éducation est celle qui occupe le plus les petits garçons, et dont ils font plus d’usage, car presque toute leur matinée est employée à servir des messes et à chanter des offices. Des fondations sans nombre et la dévotion de beaucoup d'habitants de Paris, particulièrement affectéeà l’église du Saint-Esprit, y font dire beaucoup de messes que les enfants ont seuls le privilège de servir ; leur habillement en soutane rappelle le temps où l’espoir de leur éducation était la tonsure. Les petites filles apprennent à travailler; jadis la maison les mariait, les titres anciens prouvent même que leur bonne éducation les faisait rechercher par de bons ouvriers de Paris, et qu’elles étaient d’excellentes ménagères; à présent, elles se marientdifficilement ou se marient elles-mêmes. Depuis dix ans, sur cinquante-deux qui sont sorties de la maison, cinq ou six seulement sont mariées; il est vrai que l’espèce de communauté libre, composée de douze sœurs qui soignent cette maison, est toujours renouvelée par ces enfants. Les garçons et celles de ces filles qui ne restent pas à ia maison, sont mis à seize ans en apprentissage. La maison ignore ce qu’ils deviennent et n’entend parler d’eux qu’à l’âge de vingt-cinq ans, où l’économe leur rend le compte de leur minorité, et quand ils réclament quelque secours pris sur leur avoir, et qu’eucore une fois la fondation leur attribue sur les fonds de l’hôpital. La même habitude d’insouciance, la même éducation négligée se trouve dans cette maison; mais comme le nombre des enfants y est moins considérable, qu’ils sont plus surveillés, les inconvénients sont moins multipliés, et les mauvais résultats dans une proportion moins grande. La nourriture est beaucoup meilleure que dans aucun autre établissement de celte espèce, la maison plus soignée et mieux tenue, mais les mêmes réflexions que nous avons déjà faites toutes les fois que nous avons parlé des soins donnés aux enfants dans Paris, se renouvelle ici. Les amis de l’humanité ne pensent jamais, sans une profonde peine, que le système de cette éducation charitable, que les opinions et les idées de ceux qui la dirigent, n’aient pas, depuis la fondation de toutes ces maisons, fait le moindre progrès, et qu’aussi l’Etat continue à élever à grands frais des sujets dont le plus grand nombre doit troubler l’ordre public, tandis qu’il serait facile d’en faire des citoyens laborieux, utiles et heureux. La comptabilité des détails de l’hôpital du Saint-Esprit est régie par un économe qui est à la fois chef de la comptabilité de l’hôpital général : elle est montée comme celle des autres maisons. Les commissaires de ia ville, chargés depuis un an de la surveillance des hôpitaux, estiment que la totalité de la dépense de la maison du Saint Esprit, qui consiste en service de l'Eglise, acquit des messes, traitement des ecclésiastiques, des sœurs, maîtres, sous-maîtrés et autres employés, dépenses de bouche, d’habillement, d’entretien, de service et ameublement de l’hôpital, s’élève à cent mille livres, Ce qui porte à près de huit cents livres par année, les frais occasionnés par chaque enfant élevé dans cet hôpital. Si, comme il y a lieu de le croire, ce calcul est réel, cette dépense est bien considérable pour former des ouvriers toujours communs, souvent mauvais, et quelquefois sujets dangereux* 4 20 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.] MAISON DE BICÊTRE. La maison de Bicêtre renferme des pauvres reçus gratuitement, des pauvres payant pensions (et l’on distingue quatre classes différentesde pensions), des hommes, des enfants épileptiques, écrouelleux, paralytiques, des insensés, des hommes renfermés par ordre du roi, par arrêts du parlement, et ceux-là encore sont avec et sans pensions, des enfants arrêtés par ordre de la police, ou condamnés pour vol ou autre délit, des enfants sans vices et sans maladie, et admis gratuitement, enfin des hommes et des femmes traités du mal vénérien. Ainsi, cetie maison est à la fois : hospice, Hôtel-Dieu, pensionnat, hôpital, maison de force et de correction. La totalité des individus vivant dans la maison s’élevait le 5 mai à trois mille huit cent soixante-quatorze, dont sept cent soixante-neuf employés pour le service, parmi lesquels, à la vérité, sont quatre cent trente-cinq pauvres qui reçoivent une augmentation de nourriture et une petite somme de quatre livres par mois. Sept emplois sont la division de l’administration de la maison. Un gouverneur supérieur est attaché à chacun de ces emplois; et a, sous lui, autant de sous-gouverneurs qu’il y a de classes différentes dans l’emploi. Ces emplois sont plutôt une division de localité qu’une division par classe on de maladies à guérir, ou de malheurs à soulager. Ainsi, sous la même division, se trouvent à la fois des pauvres valides et des pauvres infirmes, des pauvres qui ont payé pour avoir un lit, d’autres qui partagent un lit avec un, deux ou trois autres, des pensionnaires, des pauvres gratuitement assistés, des malades et des hommes en santé. Cette division, qui nous a semblée mauvaise, a pour cause ou prétexte les localités, et, plus que tout, l’habitude ancienne. Les gouverneurs sont sous la direction de l’économe de la maison, et celui des administrateurs dont nous avons parlé ; mais comme ces derniers ont à partager leur inspection et leurs soins entre plusieurs maisons, il est facile de sentir que l’administrateur véritable est de fait l’homme qui, ayant leur confiance, est chargé de tous les détails et a la connaissance journalière des intérêts de la maison et de tout ce qui la compose. Une supérieure partage avec lui le gouvernement de la maison, elle régit soixante femmes qui sont chargées, sous elle, de la police des dortoirs, du soin de la cuisine, dé la iinge-rie. La supérieure est cependant, pour ses comptes, subordonnée à l’économe. La classe la plus nombreuse de cette maison est celle des pauvres admis en vertu de l’édit de 1656, portant fondation de l’hôpital général, et qui exige, comme condition essentielle d’admission, qu’ils aient plus de soixante ans, ou qu’ils soient infirmes: cette classe est appelée celle des bons pauvres : assurément un grand nombre d’en ire eux ne remplissent pas strictement les conditions exigées. Nous en avons interrogé plusieurs moins âgés que l’édit ne le prescrit, et dont cependant les infirmités n’existaient pas, ou n’étaient pas de nature à leur interdire le travail ; cet abus, très funeste sans doute, puisqu’il ôte à de plus malheureux des secours auxquels, avec un choix plus exact, ils auraient droit, est de tous le plus excusable pour des administrateurs. Le pauvre qui implore l’asile de Bicêtre, est assez malheureux, sans doute, pour toucher celui qui peut lui en accorder l’entrée, et qui n’avant pas près de lui tous ceux dont les titres seraient plus urgents, a sous les yeux la misère deceluiqui le sollicite et se laisse alier à la douleur de le secourir. Il faut une humanité bien réfléchie pour résister à la sensibilité du moment, celle-ci est plus facile, et est elle-même une des meilleures qualités dans ceux qui sont proposés au soulagement des misères humaines. Les pauvres sont, nous l’avons dit, répandus indistinctement dans tous les emplois ; le pensionnaire est mêlé avec celui qui ne paye point de pension. La somme donnée n’apporte de différence que sur la nourriture qui est meilleure et surtout plus abondante, selon que la pension est plus forte ; il y en a depuis cent livres jusqu’à quatre cents. L’admission à la maison de Bicêtre ne vaut que le droit de coucher quatre dans un lit : l’ancienneté et surtout la préférence des gouverneurs et sœurs officières , accordent le triste privilège de coucher dans des dortoirs où les lits ne se partagent qu’entre deux et trois; mais pour coucher seul, il faut acheter à la maison ou un lit qui se paye cinquante écus, et dont la maison hérite à la mort du pauvre qui l’a acheté. Ce lit, par conséquent, se vend plusieurs fois. On nous a même assuré que quand l’administration condamnait un pauvre ayant payé lit a passer dans un dortoir où l’on couche quatre, ce qui est une punition de sa maison, et une des plus pénibles, le lit n’était pas remboursé à l’homme ainsi puni. La vente des lits n’est établie à Bicêtre que depuis environ seize ans et seulement par un règlement du bureau général qui changeant ainsi l’esprit de la fondation, et pour le seul motif de l’augmentation des revenus éloigne tous ceux qui n’ont pas quelque ressource ou quelque protection de cette douceur, objet du désir de tous les pauvres de la maison. Les très anciens employés obtiennent cependant un lit seul sans le payer. Cette vente des lits n’est pas le seul profit fait par l’administration de l’hôpital sur les pauvres. Le même calcul se retrouve souvent et n’est pas non pins particulier à l’hôpital général. Il semble qu’il devrait être banni de toutes les maisons destinées à secourir la misère. Que de moyens, que de prétextes ne donne-t-il pas aux murmures du mécontentement et aux abus ? La règle d’admission transgressée souventpour l’âge et les infirmités, l’est encore pour les conditions exigées de l’indigence absolue ; d’abord un pensionnaire de trois cents livres, de quatre cents livres, peut sans doute vivre ailleurs qu’à Bicêtre, où tant d’autres, sans ressources, ne peuvent arriver ; ils ne devraient donc pas y être admis; et, dans ce nombre encore, il est des hommes qui jouissent d’un revenu fort au-dessus de leur pension. La pension vaut, comme nous l’avons dit, une plus abondante nourriture au pensionnaire, mais cette nourriture lui est servie auprès de celui qui, ne payant rien, est plus mal nourri; il est facile de concevoir combien cette distinction humilie, et peut aigrir celui qui se trouve plus mal traité. Elle est réellement contraire à tout véritable esprit de bienfaisance puisque la consolation et la bonté sont les conditions premières de tous secours à donner aux malheureux. Cette réforme des pensionnaires serait une des plus instantes opérations à faire. Que les hôpitaux soient ouverts à ceux qui ont [Assemblée nationale.] 121 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 Juillet 1790.] un revenu évidemment insuffisant pour vivre, rien n’est plus désirable, mais qu’en affligeant les vrais pauvres par cette cruelle comparaison, ces hommes un peu moins misérables fassent encore le mal ou d’usurper ta place de malheureux sans ressources qui y seraient admis, ou d’encombrer les salles d’un plus grand nombre d’hommes qu’elles n’en devraient contenir, voilà ce qu’une bonne administration ne devrait pas souffrir, et ce que les anciens usages et une longue habitude ne peuvent absolument justifier. On a peine encore à concevoir qu’une maison aussi considérable n’ait aucun moyen de soigner ses malades. A quelques infirmeries près, pour les gouverneurs, gouvernants et employés, il n’est aucune ressource pour les malades; les fous et les prisonniers sont aussi traités dans des salles destinées à les recevoir, mais seulement parce que la maison répond d’eux. Tout ce qui n’est que pauvre, est, dès qu’il est malade, porté à l’Hôtel-Dieu ; la rigueur des saisons, les intempéries, le caractère de lu maladie, rien ne trouve grâce contre ia règle de la maison qui veut que ces malheureux soient voitures à i’Hôtel-Dieu, entassés dans un tombereau non suspendu, ou, s’ils sont dans le cas le plus grave de maladie, portés à bras sur des brancards découverts, couchés sur une simple toile, et confiés ainsi à des vieillards de la maison, que leur manque de force oblige de s’arrêter sans cesse dans le trajet qui n’est pas moins long qu’une lieue ; aussi assure-t-on que le nombre de ceux qui meurent en chemin est très grand : Get usage barbare n’a pu encore être motivé que par son ancienneté même, ce qui rappelle cette terrible vérité que, dans les établissements institués pour le secours des malheureux, il suffit d’avoir une fois violé l’humanité pour affaiblir et user la compassion naturelle. Le gouvernement a senti toute l'horreur de cet usage; par un arrêt du conseil de 1781, il a ordonné qu’il serait construit dans chaque maison de l’hôpital général une infirmerie suffisante pour recevoir tous les malades ; mais les administrateurs n’ont pas cru pouvoir commencer à la fois les infirmeries dans toutes les maisons. Le tour de Bicêtre n’est pas encore venu, et cet usage qui révolte tous ceux qui le connaissent, dont les administrateurs gémissent les premiers, estcepen-dant toujours maintenu. Il semble qu’une révision exacte de tous les hommes admis à Bicêtre, comme pauvres, eût donné assez de places pour recevoir les malades, il semble que l'humanité serait mieux servie, en diminuant le nombre de ceux que ces maisons assistent, pour pouvoir les traiter tous dans l’état de maladie; il semble enfin que ia maison pourrait pour remplir ce devoir d’humanité, se débarrasser d’un assez grand nombre de classes dont son édit de création ne prescrivait pas l’admission ; car peut-on réellement appeler maison de charité, de secours, de bienfaisance, un établissement qui augmente à un si haut point les chances de mortalités. L’épilepsie, les humeurs froides, la paralysie, donnent entrée dans la maison de Bicêtre, mais ces maladies sont alors considérées comme infirmités incurables, et leur guérison n’est tentée par aucun remède, quelque peu invétérée que soit la maladie et quelque soit l’âge du malade. Ainsi un enfant de dix à douze ans, admis dans cette maison, souvent pour des convulsions nerveuses qui sont réputées épileptiques, prend, au milieu de véritables épileptiques ia maladie qu’il n’a pas, et n’a, dans la longue carrière dont son âge lui offre la perspective, d’autre espoir de guérison que les efforts rarement complets de la nature. Ges efforts salutaires si peu communs dans cette espèce de maladie, sont encore contrariées à Bi-cètre par le local des salles qui leur sont destinées : elles sont toutes étroites, basses ; une entre autres est sous le toit et reçoit la chaleur du soleil, à travers les tuiles qui la leur communiquent d’une manière dangereuse pour la maladie dont ils sont atteints. Enfin, dans ces salles où les malades de tout âge sont confondus, où même on voit des hommes non attaqués de cette maladie, on en voit encore, comme dans tous les emplois de cet établissement, que leur santé, leur âge et leur peu de misère devraient exclure de cette maison. Ges malades, confiés aux soins de deux seuls gardiens, sont véritablement abandonnés à eux-mêmes, ou aux soins de leurs camarades dans le moment de leurs crises ; aussi arrive-t-il fréquemment des accidents graves par les coups qu’ils se donnent. Les enfants scrofuleux, dartreux, teigneux, imbéciles, sont aussi confondus dans les mêmes salles, quoiqu’il y en ait plusieurs destinées à ces genres d’infirmités, et trois de ces enfants couchent ensemble dans deux petits lits joints à cet effet. Ainsi, indépendamment de l’incommodité momentanée pour ceux qui souffrent davantage d’être sans cesse interrompus par le mouvement et le bruit des moins souffrants, il se fait une communication continuelle des maux de toute espèce dont ils sont attaqués, et chacun a nécessairement bientôt ceux de tous. Si une maladie vive se joint à ces maux habituels, ces enfants sont portés à l’Hôtel Dieu, comme tout ce qui, dans celte maison, n’est pas premier employé, prisonnier ou fou. Nous ne pouvons trop le répéter, le long usage de cette pratique vraiment indigne d’une maison qui a pour but de secourir et de soulager l’humanité, étourdit les administrateurs sur les funestes conséquences qui en résultent, inconvénients qu’ils reconnaissent sans doute, mais dont le peu d’espace de la maison, les raisons de dépenses, et tous les obstacles si communs opposés aux innovations, éloignent toujours la réforme; il en est peu, cependant, de plus nécessaires à détruire promptement, et nous sommes assurés qu’ils le seront des premiers, quand on s’occupera d’en supprimer quelques-uns. Les fous sont à Bicêtre comme les épileptiques et les écrouelleux, jugés incurables; dès qu’ils arrivent dans la maison, ils n’y reçoivent aucun traitement. Ils paraissent généralement conduits avec douceur. Le quartier qui leur est destiné contient cent soixante-dix-huit loges, et un pavillon à deux étages où ils couchent seuls, à trois lits près, communs à deux. La grande quantité de malades dont cet établissement est encombré oblige quelquefois de les mettre deux dans une même loge, ce qui, comme on le juge facilement, occasionne alors des querelles fréquentes, et la nécessité de les séparer : un gouverneur et treize employés servent ce département. Les fous sont toutes les nuits renfermés dans leurs loges ou dans les salles, mais ils ont toute la journée la liberté des cours quand ils ne sont pas furieux. Le nombre de ceux-ci est peu considérable, il varie selon les saisons; dix seulement étaient enchaînés parmi les deux cent-soixante-dix individus enfermés le jour de notre visite; il est vrai que, dans ce compte, cinquante-deux ne sont pas fous. On aura peine à comprendre que le peu de m [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.J respect pour l’humanité malheureuse et souffrante aille jusqu’à réunir des hommes qui ont l’usage de leur raison avec ceux qui l’ont perdue : de ce nombre sontdix-huit épileptiques et trente-deux hommes arrêtés par ordre du roi pour inconduite, prévention de crime, pour toute cause enfin qui, juste ou non, ne devait pas faire placer ces malheureux parmi les fous. Sur l’observation que nous en avons faite aux administrateurs, ils nous ont répondu que ces hommes étaient mieux là, qu’ils ne seraient les uns aux salles des épileptiques et infirmes, les autres aux salles de force? qu’ils y jouissaient d’une sorte de liberté, de douceur, qu’ils n’auraient pas dans le lieu qui naturellement leur est destiné; enfin, on a voulu nous prouver que c’était pour un meilleur traitement et par préférence qu’ils étaient ainsi placés, et cependant, une des punitions infligées aux épileptiques et autres infirmes des salles, même aux bons pauvres, est de les mettre parmi les fous : cette insouciance est bien éloignée de la piété éclairée et soigneuse pour le malheur, par laquelle il reçoit tous les soulagements, toutes les consolations possibles; et, s’il est vrai qu’elle ne puisse pas être écoutée dans de grands établissements de charité, il faut alors les faire moins considérables, en multiplier le nombre, car peut-on jamais, eh voulant secourir la misère, consentir à paraître dégrader l’humanité? Malgré la nullité de traitement pour les fous et la réunion de différentes espèces de cette maladie, on nous a assuré qu’une cinquantaine environ par année recouvrent la raison, et dans ce nombre deux tiers au moins de Ceux qui ont été traités à l’Hôtel-ûieu; ils sont alors mis en liberté. Le gouvernement et les employés de ce département nous ont dit que rien n’était plus rare que de voir les fous devenir épileptiques, les épileptiques devenir fous, et les hommeB sains gagner aucune de ces maladies; mais nous avons cru cette assertion, qui choque toutes les lumières de l’expérience, plutôt l’excuse d’un mauvais usage, qu’une vérité à laquelle il fallait nécessairement ajouter foi. Les cours sont aérées, et si les loges n’étaient pas au-dessous du terrain, et par Conséquent humides, elleB ne seraient pas mauvaises pour un homme seul ; on y reprocherait cependant, toujours l’inconvénient d’être sous le toit, et de ne pas présenter aux eaux, un écoulement qui les en écarte. La maison de force contient dès salles, des cabanons, des infirmeries, des cachots anciens et nouveaux. Les hommes détenus dans cette maison, au nombre de quatre cent vingt-deux, à l’époque de notre visite, le sont, ou par ordre du roi, c’est-à-dire pour inconduite plus ou moins grave, selon la facilité des ministres qui avaient ce département, ou par arrêt du parlement et par commutation de peine ou par sentence de la prévôté. Les salles sont destinées au commun des détenus, iis y sont en plus ou moins grand nombre, et n’en sortent jamais. Là l’homme invétéré daDS lé vice est réuni avec celui pour qui la détention dans cette maison est la punition de sa première faute. Ainsi, ce lieu de correction en est un de corruption nécessaire pour le jeune homme ud instant égaré. Enhardi par le récit des crimes, il sort criminel d’un lieu où il n’était entré que faible et digne d’une protection sévère contre lui-mêüae. C’est cependant de la correction d’une première faute qu’une sage administration doit attendre le repentir êt l'amendement. Quel profitable usage pour les mœurs et l’ordre public ne pourrait-on pas faire de la retraite absolue, par laquelle un homme coupable, auquel il serait donné des moyens de travail, serait laissé quelque temps à ses remords et à ses réflexions, et dont il serait doucement tiré par les sages cou seils, par des conversations utiles, par l’apparence de l’intérêt, pour sa situation et ses malheurs. Tous ces ménagements, tous ces soins essentiellement recommandés par la morale et l’humanité, sont le devoir strict d’un bon gouvernement. Sans doute, on ne devait pas s’attendre de les rencontrer dans les maisons de force, qui jusqu’ici n’ont été regardées en France que comme des geôles, mais peut-être aussi pouvait-on espérer ne pas les y voir si cruellement méconnus : l’usage et le défaut de place, voilà, dans ce lieu, les excuses de tous les abus. Cette incurie est peut-être plus choquante encore dans l’emploi destiné à recevoir les enfants jugés criminels par arrêts du parlement, et condamnés à tenir prison jusqu’à leur majorité. Nul moyen salutaire n’est employé pour les rendre meilleurs, et, au milieu d’eux se trouvent des enfants reçus dans la maison, dont on ne veut que punir la désobéissance ou réprimer l’étourderie. Enfin, nous y avons vu cinq ou six enfants qui, envoyés à la Pitié et à Bicêtre pour y être traités de la gale, avaient été mis de puis leur guérison dans ces dortoirs, comme en un lieu de dépôt, d’où l’on se proposait sans doute de les tirer bientôt, mais où probablement ils eussent resté quelque temps encore, sans l’horreur que nous avons témoignée et qui leur a valu leur sortie sur-le-champ. Mais c’est dans les infirmeries de la Force que ce pernicieux et barbare abus est porté au plus haut point. Gomme elles sont destinées aux fous et aux renfermés comme tels, aux prisonniers de Bicêtre, aux enfants de la Correction-, aux prisonniers envoyés du Châtelet, tous les âges sont réunis, le criminel et le malheureux, l’homme sans raison et l’homme sain d’esprit; enfin, celui que la pitié a sauvé de la corde, qui a vieilli dans le crime, et le malheureux enfant coupable à peine d’une légère faute. C’est là que ces misérables tiennent école de vices et de crimes, et corrompent de toutes les manières ces infortunés enfants qui présentaient tant de moyens d’être remis dans le chemin de la probité et de l’honneur, et à qui celui du désordre reste seul ouvert. On ne peut s’arrêter longtemps sur les sentiments de peine et d’horreur qu’inspire une si funeste insouciance toujours et éternellement motivée par l’habitude, rabon de tous les abus. Pensons avec douceur qu’elle va disparaître devant une humanité plus éclairée, plus morale, plus politique et que le souvenir de ces pratiques atroces servira, comme tant d’autres, à honorer l’époque, d’où datera le redressement de tant de malheurs. Revenons aux prisonniers: ceux qui ne sont pas enfermés dans des salles communes, le sont dans des cabanons; mais ce sont plus communément ceux qui payent pension, ceux qui sont recommandés, ou enfin* Ceux qui, jadis employés dans l’espionnage de Pans, à présent détenus eux-mêmes pour leur compte, seraient exposés au ressentiment de leurs nouveaux camarades, dont ils pourraient bien avoir provoqué la détention dans leur ancien métier : l’expérience a prouvé qu’il y allait de leüfs jours à les laisser dans les Balles communes. Ces cabanons sont des chambres particulières, de huit pieds carrés cha- [Assemblée tiâtionàUi,] ÀRGHIYE8 Ï’ARLEMENTÀIKES. [15 juillet 1790,] cüde, bien éclairées, bien aérées, garnies d’un lit, d’une chaise et d’une table; elles sont à chaque étage d’un bâtiment qui en contient trois, séparées par un long corridor: il existe un quatrième rang pins enfoncé, par conséquent plus isolé, plus obscur et plus malsain que les autres, qui sert habituellement de prison aux prisonniers* et qui était aussi employé corame cabanons ordinaires quand il y avait foule. Les prisonniers des cabanons ne sortent jamais de leur prison; ils conversent ensemble par leurs fenêtres ou par leur guichet qui est ouvert deux heures par jour: ils peuvent, avec l’approbation de l’économe, travailler au poli des glaces, ou à tourner le puits ; mais le nombre des travailleurs est borné et les prétendants doivent attendre leur tour. Le premier de ces ouvrages plus dur que l’autre ne peut guère valoir que cinq ou six sols par jour à ceux qui travaillent bien, tandis que le travail du puits leur en produit neuf ou dix. Les ou-vriers du poli des glaces ne sont admis au travail du puits que successivement et lorsqu’il y a place. Ce genre de travail vient récemment encore d’être ôté aux prisonniers pour être donné aux bons pauvres; la tentative d’une révolte parmi les prisonniers qui travaillaient en a été la cause. Le travail des glaces est aussi presque nul aujourd’hui; ainsi, voilà les prisonniers absolument sans occupation. Ceux que l’horreur des récits, des propos, des conseils de leurs camarades pourrait engager à fuir les salles communes, pour échapper à leur contagion, sont forcés d’y demeurer. Et que peut-on espérer d’hommes criminels que l’on achève de corrompre par l’oisiveté, à qui l’on ne donne que la facile possibilité de tramer des complots pour l’avenir, de cimenter la vraisemblance des succès de leurs cou aides projets, par l’expérience de tous les crimes dont ils sont environnés, et qui, renvoyés plus ou moins tôt de ces prisons, n’apportent plus dans la société d’autres moyens de subsister que 1 exécution des crimes qu’ils ont profondément médités ? la punition et la sûreté du moment, voilà, on lé répète, quelles sont les seules vues que l’on se soit jusqu’ici proposées en France dans la détention des coupables. L’espoir de leur correction n’est jamais entré dans le calcul; aussi, peut-on dire, dans Ja plus exacte vérité* de ces prisons, ce que nous avons dit des salles où 3ont entassés tous les genres de maladies et d’iniir-mités: celui qui n’y arrive que coupable d’une faute, en sort infecté de tous les vices et avec la profonde empreinte de tous les crimes. La punition des prisonniers est le plus souvent un retranchement de nourriture, c’est aussi la punition commune de la maison : on les met encore dans une espèce d’armoire extrêmement basse, connue dans la maison sous le nom de malaise et où les plus petits hommes ne peuvent rester debout. On faisait jadis un grand usage de cachots: nous en avons vu huit placés sous la Chapelle, à quinze pieds sous terre, resserrés dans un espace de trois pieds sur cinq, et ne recevant la lumière que par des trous percés eu zigzag et prolongés dans une profondeur Oblique de vingt pieds. On ne peut entendre que des hommes déjà privés de leur liberté, ou pour leur vie, ou pour un long terme, étaient, à la volonté dh gouverneur ou de l’économe, jetés dans des cachots, chargés de chaînes, et oubliés pendant des mois et deo années entières. On en nomme plusieurs qui y oui passé douze à quinze ans. Uü nommé Duchâtelet, compagnon de Cartouche* et qui, pour l’avoir décelé, a obtenu la grâcê de la vie, y en a pâSsé trente-sept; jadis on y a enfermé des femmes; il y a trois mois que cet horrible abîme était encore habité. Se peut-il qu’une pareille inhumanité se soit encore exercée de nos jours? grâces âü ciel et à la Révolution elle ne se renouvellera plus. Nous avons même la consolation d’annoncer que le roi, récemment instruit de l’existence de ces abîmes affreux, a ordonné de les combler et a voulu que cette dépense fût faite par lui, d’ôù il résulte trois vérités satisfaisantes; la destruction absolue de ces cachots, une preuve nouvelle de la justice et de l'humanité" personnelle du roi, enfin une nouvelle certitude que le mal fait en son nom n’était pas à Sa Connaissance, et que ceux qui, par méchanceté 6u par engourdissement, autorisaient ou toléraient ces vexations, ne pouvaient y parvenir qu’en les dérobant aux yeux du roi. “ On a pratiqué depuis trois ou quatre ans, dans une partie des bâtiments de la Force, huit cachots nouveaux qui paraissent réunir à la sûreté désirable de ces sortes de lieux, toute la salubrité dont ils sont susceptibles: il faut espérer que la grande dépense que leur construction à occasionnée sera entièrement perdue, et que même les geôliers reconnaîtront bientôt, qüe si la société a le droit de priver de la liberté, pour la vie, un de ses membres dont elle juge la communication dangereuse, elle n’a pas celui de rendre cette captivité atroce, et d’étendre la sévérité au delà de la sûreté. Peut-être aussi est-il permis d’espérer qu’à l’avenir. Une législation plus réfléchie prescrira, pour ceux des citoyens que la société devra rejeter de Son sein, üne correction plus salutaire, plus propre à mettre à profit la réflexion du repentir, plus utile à i’ordrê public, plus adaptée enfin aux droits et aux besoins de l'homme, que la triste demeure où l’on enchaîne à jamais toutes ses facultés. Les bâtiments de la Force renferment encore, comme nous l’avons dit, plusieurs salles d’infirmeries, dans lesquelles on de traite qüè leâ maladies des prisonniers et des fous. Les differentes prisons de Paris y envoient aussi leurs malades. Les maladies vénériennes et la gale sont celles qui y abondent le plus. Les malades couchent trois dans deux lits; leur grand nombre oblige souvent de mettre des brancards au milieu de ces salles extrêmement petites et peü aérées: le défaut d’eau prive ces malades de l’usage des bains : quand ils sont guéris ou manqués, ils sont renvoyés dans leur salle ou réclamés par les prisons de Paris, s’ils ne sont pas de la maison. Rien ne présente un aspéct plus hideux que toutes ces salles de traitement où régnent la malpropreté, le désordre, les vices en pratique, et les crimes en prédication. Indépendamment de ces infirmeries, la maison en contient encore dans un de ses bâtiments, deux pour les vénériens hommes et femmes qui, n’étant pas détenus dans la maison, présentent un certificat dés chirurgiens de l’Hôtel-Dieu et se font enregistrer pour attendre leur tour de traitement. Cmqüante-quatre femmes et cinquante-six hommes sont traités dans lè même temps. Le traitement düre à peu près deux mois, tant pour le soin des malades que pour le nettoiement des salles; ainsi, il y a environ six-cent soixante malades vénériens annuellement traités. Quoique six-cent fixante malades soièttt seulement traités, il s’en présente dix-huit ou dix-neUf cehts poür Fêtée, et le nombre des ifij sCrits serait plus grand si l'attente était moins 124 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. longue. L'ancienneté de leur inscription, la gravité et l’urgence de leur mal, doivent leur servir de titre pour obtenir Je traitement; on sent facilement que la faveur en est un plus sûr. Aussi voit-on des malades inscrits depuis plusieurs années, sspns avoir été appelés au traitement, et même, depuis plus d’un an, admis dans la maison pour attendre leur tour, sans qu’il soit encore venu. Car il y a dans les mêmes bâtiments plusieurs salles d'expectants pour les hommes et pour les femmes. Là vingt ou vingt cinq lits serventquel-quefois à deux cents personnes : quatre y couchent à la fois, tandis que quatre autres, étendus par terre, attendent leur tour pour les remplacer, et ces hommes ou femmes ainsi entassés sont déjà si grièvement malades, qu’ils portent presque tous des plaies qui demandent des traitements provisoires, jusqu’à ce que la maladie puisse être attaquée. Aussi de quatre-vingt dix personnes qui meurent à peu près annuellement parmi les vénériens, deux tiers succombent dans la salle des expectants, moins encore de la maladie dont ils viennent chercher la guérison, que de la contagion infecte de l’air qu’ils y respirent. Les fièvres putrides et la gangrène y sont très fréquentes. Les salles de traitement, toutes petites, basses, mauvaises, ne le sont cependant pas au même de-ré; la faveur qui accorde le traitement, indépen-ammentdes titres d’ancienneté ou d’instance du mal, accorde aussi la préférence des salles ; mais on croira avec peine qu’aucun infirmier ne soit chargé du soin des malades, le moins incommodé soigne les autres ; le même défaut d’attention se porte et sur les linges, et sur les draps, et sur le traitement de ces malheureux qui semble leur être fait par la plus froide insouciance. Quelques malades nous ont fait entend reque ces soins, quelque insuffisants qu’ils lussent, n’étaient pas absolument gratuits; nous ne pouvons garantir la vérité de cette assertion, que nous sommes disposés à ne pas croire, car elle nous a été contredite, et par d’autres malades, et par les chirurgiens ; mais si jamais un abus de cette espèce pouvait être exécuté, ce serait pour ces chirurgiens qui n’ont pour tout traitement qu’une nourriture insuffisante, qui ne reçoivent, ou point d’appointements ou des appointements très modiques, et qui cependant, dans la force de l’âge, écrasés de fatigues, passant la plus grande partie de leur temps dans cet air infect, éprouvent la nécessité de quelques dépenses. Si cet abus existe, la faute en esta l’administration qui s’en excuse toujours sur les anciens usages. On traite aussi dans ce pavillon quelques étrangers ; mais, par une sorte de prédilection, il existe un projet de traiter désormais ces étrangers malades, dans un établissement qui doit être formé aux Capucins de la rue Saint-Jacques. Des dépenses assez considérables ont même déjà été faites, daus cette intention. Il paraît qu’elles sont suspendues ; cependant il serait bien pressant de débarrasser la maison de Bicêtre de ce traitement qui n’y a lieu que depuis environ cinquante ans, et toujours en vertu de règlements particuliers, et qui tient une place qui pourrait être utilement occupée par une infirmerie : au moins si cette infirmerie ne contenait pas tous les malades de Bi-cêtre, elle recevrait ceux à qui leur âge et la gravité de leur mal mériteraient cette préférence : quelques-uns au moins seraient arrachés à la vraisemblance de la mort, car indépendamment des quatre cents qui meurent, ou d’accidents ou de vieillesse, dans la maison, ou de maladie dans les [18 juillet 1790.] infirmeries, un nombreau moins égal, meurtàl’Hô-tel-Dieu ou dans les brancards et voitures qui les y conduisent. Un chirurgien gagnant maîtrise, deux compagnons et quatre élèves sont chargés de tous les malades de la maison, de la visite des salles, du pansement des blessés. Il est vrai que l’établissement paye un médecin et un chirurgien en chef, mais ceux-ci, chargés de presque toutes les maisons de l’hôpital général et de beaucoup de malades particuliers, viennent visiter une fois par semaine chacune de ces maisons ; et leurs soins passagers se portent, ou sur des maladies extraordinaires, ou sur les incommodités des sœurs et des officiers. Nous nous interdisons toute réflexion sur cet inconcevable arrangement, qui, appliquant les plus forts salaires à ceux qui rendent le moins de services, fait toujours les pauvres, victimes de ses funestes conséquences. Quoique la pharmacie générale de l’hôpital général soit à la Salpêtrière, une très grande est établie à Bicêtre pour les besoins de la maison. Il nous a semblé que son régime prêtait bien des moyens aux chirurgiens, s’ils en voulaient user, de së dédommager de la trop grande modicité de leur traitement. La nourriture des pauvres est de quatre onces de viande trois fois par semaine, de légumes ou de beurre les autres jours, et d’une livre un quart de pain. Les pensions augmentent, comme nous l’avons dit, ces quantités. Un des plus fréquents sujets de plainte des pauvres, est que souvent plusieurs dortoirs entiers n’ont pas de viande les jours où ils devraient en avoir, parce qu‘‘, leur dit-on, le calcul de la marmite a été mal fait. On sent que quand la cuisine des pauvres est commune avec celle des employés de toute espèce, et que la règle de la maison ne donne à ceux-ci qu’une livre de viande, les pauvres sont portés à croire que leur portion retranchée, augmente celle de leurs supérieurs. La même méfiance produit les mêmes plaintes sur le bouillon réputé par les pauvres, le reste délayé des premières tables. On sent combien ces plaintes peuvent être injustes, mais on sent aussi combien elles devraient être prévenues par un ordre de choses qui les rendît sans vraisemblance. Le plus grand mal de cette maison, le vice qui dôus a le plus frappé, parce qu’il porte sur une plus grande masse d’hommes, et qu’il pourrait être facilement réparé, c’est le défaut de travail dans toutes les classes de la maison. De l’aveu des administrateurs et de l’économe, une moitié au moins des bons pauvres pourrait être occupée, et une administration éclairée les emploierait tous; car elle sentirait que le prix résultant du travail est moins à considérer que l’avantage d’éloigner l’oisiveté d’un tel établissement. Lesenfants de la Correction, lesenfantsde chœur ne sont eux-mêmes, ni forcés, ni encouragés au travail. Jadis ils étaient occupés à faire des lacets, des lisières, mais comme la, maison n’en trouve pas de débouché, leur travail est depuis quelque temps suspendu, et ils sont laissés dans une complète inoccupation. Ce vice vraiment condamnable, peut le paraître plus encore si l’on remarque que les édits portant établissement de ces hôpitaux enjoignaient de faire travailler ceux qui y étaient réunis, et donnaient même toutes les facilités possibles pour le débit de la main-d’œuvre. La promenade dans les cours, voilà le seul passe-temps de plus de deux mille cinq cents hommes dont on pourrait rendre le travail extrê- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.1 125 mement utile, et pour l’économie de la maison et pour leur propre avantage. Quatre ou cinq marchands privilégiés de la maison, et payant pour y tenir boutique, vendent bien cher à ces malheureux ce qu’ils peuvent payer ; car il faut que leur petite finance se retrouve sur le prix de leurs marchandises ; un marchand de vin et d’eau-de-vie vend, au profit de la maison, ces deux denrées dont il se fait un grand usage, et dont l’oisiveté augmente la consommation. Le profit de quarante-six mille livres que fait l’administration sur cette vente est-il légitime ? Est-il permis à un établissement de charité, d’asseoir ainsi un impôt sur le malheureux ? et de l’assurer par un privilège exclusif qu’il étend à volonté ? ne devrait-on pas écarter soigneusement jusqu’à la possibilité des plaintes que de pareils trafics appellent si justement? que de maux ne doivent pas en résulter dans une aussi grande maison? méfiance, murmure des subalternes, mécontentement envers les supérieurs ; vengeance, duretés, mauvais traitements de ceux-ci; enfin, malheur et injustice pour tous. Indépendamment des sept cent soixante-neuf employés qui, comme nous l’avons dit au commencement de ce rapport, font le service de la maison, une garde, uniquement aux ordres de l’économe est chargée de maintenir la police, de conduire les pauvres dans les prisons et les cachots, de veiller sur les cabanons. Elle est composée de deux officiers, cinq sergents, soixante-dix-huit soldats; leur nourriture et entretien coûtent à l’administration environ 38,500 livres; ajoutant ce nombre de gardes à celui des différents employés, on trouve que la totalité s’élève à huit cent cinquante -quatre, ce qui donne un employé pour un peu moins de pauvres ou détenus, et le total général de la dépense de la maison nous fait porter celle des employés à 231,265 livres. A ces détails nous ajouterons que le coup d’œil général de la maison nous a présenté une administration assez bien ordonnée mais sans soin, sans bienfaisance, sans véritable principe d’humanité. Il est vrai que ces soins consolateurs et cette pitié compatissante ont jusqu’ici été peu exercés dans nos hôpitaux de France, et doivent l’être plus difficilement dans un établissement aussi immense, mais il nous a semblé que les soins destinés aux infirmités et à l’indigence pourraient être facilement rendus plus complets et plus utiles qu’ils ne le sont à Bicêtre, sans augmenter la dépense. La maison de Scipion fournit tous les vivres de Bicêtre comme ceux de toutes les autres maisons de l’hôpital général. Toutes les fournitures et l’habillement sont aussi envoyés du magasin commuu. Le compte de cette maison dont est chargé l’économe est donc très borné; il a été porté l’année dernière à cent deux mille livres, et la dépense à huit cent cinquante-six mille livres; le bénéfice est versé par lui dans les mains du receveur général des pauvres. Dans la recette les sommes résultant des pensions s’élèvent à trente deux mille six cent soixante-cinq livres; celles de la vente du vin et eau-de-vie, à quarante six mille livres, et celle des lits seuls à onze mille huit cent soixante et dix livres. Tels sont les renseignements particuliers que nous avons pu prendre sur Bicêtre. Les comptes des autres maisons de l’hôpital ajouteront à tout ce que nous trouverons nous-mêmes d’insuffisant à celui de cette maison, et en compléteront l’ensemble. MAISON DE SAINTE-PÉLAGIE. Nous devons encore vous rendre compte de Sainte-Pélagie. Cette maison dépendant en partie de l’administration générale des hôpitaux, parce qu’elle en reçoit en avances ses denrées de comestibles, était, et maison de force et maison de retraite. Elle recevait et enfermait les filles et les femmes débauchées, d’après les ordres du roi. Les décrets de l’Assemblée lui ont ôté cette attribution, et la force n’existe plus. Cette maison est encore maison de retraite pour les filles et femmes repentantes. Elle sert aussi d’asile aux filles d’une certaine classe qui, recommandées à la supérieure, et connues d’elle, viennent y faire en secret leurs couches, et échapper ainsi à la honte et aux reproches publics. Elles y trouvent consolation, bon traitement, secours nécessaires, secret absolu et sécurité complète. Ces asiles devraient être multipliés dans Paris et répandus dans les provinces. Que de réputation ils sauveraient! Que d’enfants en seraient conservés, et combien de filles seraient, par la confiance du mystère, ramenées à une bonne conduite, à qui, aujourd’hui, la publicité de leur malheur ne laisse d’autre parti que de se jeter dans le vice. Les religieuses qui conduisent cette maison sont de l’ordre de saint Thomas de Villeneuve. Nous avons tous été frappés de leur ton honnête, décent et gai ; elles semblent aimées dans leur maison. Les revenus de cette maison consistent en 4,800 livres de revenu fixe, et en celui de pensions, tant des personnes retirées dans cette maison de refuge que des pensionnaires logées dans l’enclos. Une éducation de jeunes filles entièrement séparées de la maison de refuge, n’y ayant aucune communication, quoique gouvernée par les mômes dames, apporte encore à la masse commune, et augmente les revenus de la maison. MAISON DE LA SALPÊTRIÈRE. La maison de la Salpêtrière est la plus considérable des établissements qui dépendent de l’hôpital général, et même de tous les hôpitaux connus; elle renfermait, au commencement de juin, six mille sept cent quatre individus, à l’exception de quelques hommes qui vivent avec leurs femmes dans un quartier séparé sous le nom de ménage; cet hôpital ne contient que des femmes : il réunit, dans la même enceinte, tous les âges de la vie, depuis la plus tendre enfance jusqu’à la caducité; et les intermédiaires de ces deux termes sont remplis par toutes les misères et les infirmités de la nature humaine. La première réflexion qui se présente contre un établissement de cette nature est son étendue, l’impossibilité d’une surveillance exacte y est démontrée et la multiplicité des soins qu’il exigerait y est impraticable. Cette maison, ainsi que toutes celles de l’hôpital général est divisée par emplois; mais comme aucune règle n’a déterminé cette classification, nous croyons plus simple de suivre, dans le compte que nous allons en rendre, la graduation des âges et la division des infirmités. [Assamblée nationale,] ARCHIVA PARLEMENTAIRES. [45 juilfe 4790. 426 Les enfants placés à la Salpétrière sont pu des enfants dont la pauvreté des parents est constatée, ou des enfants illégitimes. Ces deux classes ne sont admises que depuis un an jusqu'à douze. C’est de la maison des Enfants trouvés de Paris que sont envoyés la plupart de ceux de la seconde classe, parce qu’elle ne garde pas les enfants qui y sept apportés plus âgés que d’un an. Quelques femmes pauvres, souvent quelques filles enceintes, sont réunies dans un dortoir commun, en attendant qu’elh s puissent aller faire leurs couches à l’Hôlel-Dieu. Elles y reviennent ensui te avec leurs enfants. Après le sevrage, l’enfant et la mère doivent sortir de la maison; quelquefois elles y restent l’un et l’autre. Si c’est un abus, la misère qui le fait solliciter et la pitié qui l’accorde le rendent bien excusable. Cette classe de femmes nourrices est un des établissements les plus utiles de la maison; beaucoup de celles que l’extrême indigence force à y avoir recours, sans cette ressource, abandonneraient leurs enfants, augmenteraient le nombre des mères coupables et d’enfants malheureux, tandis qu’ ainsi secourues elles s’attachent à leurs enfants qu’elles nourrissent en ne les privant pas au moins dé la douceur de connaître leurs parents. La nourriture donnée aux nourrices est delà même nature que celle des autres pauvres, un peu plus considérable, et cependant insuffisante. Jusqu’à l’âge de sept ans les enfants sortant des mains de leurs mères ou simplement admis à la Salpêtrière sont réunis dans un lieu commun, appelé la Crèche. Les berceaux, sans rideaux, sont propres; les dortoirs sont passablement aérés, mais ils présentent l’inconvénient de rassembler trop d’enfants dans les mêmes lieux, et l’on sait de quelle conséquence il est que les premières années de l’enfance se passent dans un air libre et pur. Si l’administration de l’hôpital était aussi pénétrée de celte vérité qu’il serait à désirer, elle appliquerait à cet usage beaucoup d’emplacement dont elle peut disposer, ne fût-ce que celui ties jardins, En sortant de la Crèche , les enfants passent dans un bâtiment où ils sont occupés à émincer de la laine ou à tricoter ; quelques-uns couchent seuls, plusieurs couchentdeux. Après leur sixième année, les garçons sont envoyés à la Pitié, les filles seules restent dans la maison. C’est dans les dortoirs destinés à recevoir ces enfants que l’on peut observer toute l’étendue de l’insouciance de l’administration et les abus d’uu régime meurtrier. Dans l’intérieur, on reconnaîtra que le travail de la laine est le plus défavorable à la santé des enfants, La plupart ont de légères atteintes de scorbut, presque toutes ont la gale et sont énervées avant d’acquérir de la force. Comment ces individus faibles, sans prévoyance ne gagneraient-ils pas la gale? Au-dessus de leur dortoir se trouve placée une infirmerie de galeuses. On pourrait demander encore pourquoi traite-ton la gale dans cette maison, quand la communication est entière entre les filles traitées et colles qui ne le sont pas, et quand, par une perpétuelle, mais nécessaire navette, les malades donnent la gale à celles qui ne l’ont pas et celles-ci la leur rendent après leur guérison? Aussi toute la maison est-elle infectée, jeunes, vieilles, malades et bien portantes, personne n’en est exempt. On ne fait, dans ces dortoirs, nul usage de vinaigre. Il semblerait presque que Pair, l’eau et la propreté seraient des moyens entièrement inconnus à la Salpêtrière. Si l’on considère ensuite quelle est la position du bâtiment où sont ces enfants, on le trouve placé près de l’égout de la maison qui répand une odeur infecte dans les grandes pluies, L’amphithéâtre d’anatomie est placé au-dessous des dortoirs, et l’air qui entre par les fenêtres est imprégné de tous les miasmes putrides qu’exhale la basse-cour, où l’on entretient habituellement soixante-quinze cochons mis en pension, au mois, par des charcutiers de Paris. Tous les germes de corruption et de maladie sont rassemblés autour de ces enfants, Telle est la marche que l’on suit à la Salpêtrière pour commencer les générations du peuple auquel les administrateurs n’auront à offrir un jour, pour unique patrimoine, que la force et la santé. En sortant de ces dortoirs les filles passent à un plus vaste. Elles y sont au nombre d’environ six cents; on leur apprend à travailler en linge, faire de la tapisserie, de la dentelle et à broder. La nourriture de ces jeunes filles, âgées depuis dix ans jusqu’à vipg-cinq, est non seulement incomplète, si on a égard aux besoins de leur âge, mais elle est encore la plus malsaine que l’on puisse offrir à des estomacs débiles, à des enfants viciés par des maladies de peau, des affections de poitrine, et habituellement souffrantes par lagêne qu’elles éprouvenbd être assises huit heures par jour en travaillant sur des bancs sans dossier. Quand on se fait rendre compte par écrit du genre do nourriture des pauvres, on remarque la distinction de la soupe maigre et de la soupe grasse, de la quantité de beurre, de fromage, de pois, de viande distribuée chaque semaine, mais nous nous sommes fait représenter ces aliments et sans avoir égard aux plaintes qui nous ont été faites, nous les avons trouvés de mauvaise qualité, sans cuisson, sans goût et la preuve est sans réplique; c’est que la plupart des enfants réjettent la soupe et ne la consomment pas, Les pauvres qui peuvent dépenser deux liards, les donnent à une fille de service pour faire recuire et assaisonner leurs aliments, car, dans ces maisons de charité, la charité n’est jamais gratuite. Celles qui rie peuvent pas faire cette dépense, énorme pour qui n’a rien, sont obligées de se contenter de ce qu’on leur donne, et elles éprouvent un tel besoin qu’elles ramassent dans les cours les débris d’oignons, de choux et de légumes qui ne leur sont pas destinés ; de là naissent les affections scorbutiques et les maux de bouche si fréquents dans cette maison. S’il est vrai de dire que le traitement, dans une maison, ne doive pas être tel qu’il y appelle les fainéants, il est au moins aussi vrai qu’ii doit pourvoir à une suffisante subsistance, qu’il doit fournir une nourriture saine, et que, de tous les âges delà vie, la jeunesse est celui qui exige les soins les plus complets. Le travail, tel qu’il est dirigé, nous a paru peu propre à en inspirer Je goût. Il est sans récompense pour les enfants et les jeunes filles. On laisse, à ce que l’on nous a assuré, une partie du produit de ce travail entre les mains des officiers, pour procurer quelque douceur à leur dortoir ; mais cette distribution, sujette à un grand arbitraire est encore impolitique, en ce qu’elle n’aiguillonne pas la prévoyance des ouvriers, et ne leur laisse pas la liberté de l’emploi du prix de leur travail. Encore si la maison plaçait le produit du travail de ces enfants, ou même la 427 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [15 juillet 1790. partie qu’elle voudrait leur en attribuer, cette somme modique, croissant jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, terme de la tin de leur éducation, pourront leur ménager une utile ressource. Des pruneaux, des légumes, un mouchoir plus fin, voilà les douceurs que leur travail leur procure, Ce régime de couvent ne semble pas fait pour des enfants destinées à ne rien posséder et à vivre de leurs peines. Le travail est à la tâche dans le plus grand nombre des salles de la maison, dans toutes celles où il n’est pas imposé par punition, et, la lâche faite, les jeunes tilles peuvent travailler pour leur compte; mais elle se fait lentement; le temps qui reste est court, et il faut bien en donner à la dissipation et au mouvement. Il serait aisé d’ôter à ce mode de travail ce qu’il présente de servile, quand il est sans récompense; en y proportionnant un léger sacrifice d’argent, on augmenterait le courage et l’espoir et on en ferait supporter plug gaîment la contrainte. On nous a présenté des ouvrages d’art et de goût dans la salle de broderie et de tapisserie; nulle récompense particulière n’est accordée aux plus habiles. Ainsi, le sysième de la maison tend à anéantir toute émulation dans ces ouvrières, quand la seule ressource qu’elles puissent attendre de leur éducation n’est que l’amour du travail. Les filles et femmes occupées par punition à la filature, les femmes prisonnières même ne peuvent gagner au delàde six à sept liards par jour. Quand, d’après les comptes de la maison on voit que, sur à peu près sept mille individus, un sixième seulement travaille utilement, et que le produit de ce travail n’est, année commune, que d’environ treize mille livres, on regrette quecette somme qui, bien distribuée aux ouvrières, pourrait leur être d’un si utile encouragement, pour le reste de leur vie, ne leur soit pas abandonnée. Celles qui ne remplissent pas leur tâche sont punies en recevant la défense de sortir, si elles sont dans l’âge de profiter de cette faveur. On enferme les autres dans des dortoirs où les femmes les plus vieilles sont couchées à quatre, ainsi le châtiment d’une légère faute expose et bien souvent corrompt, d’une manière irrémédiable, la santé d’une jeune fille qui, pendant un séjour plus ou moins prolongé, dans un lieu infect, peut gagner des maladies cruelles, ou prendre le germe des plus affreuses infirmités. On nous a assuré que pour des fautes, sans doute plus graves, on renfermait des filles dans des loges de folles furieuses et qu’on les chargeait de chaînes. En lisant ces faits isolés, qui croirait qu’il est ici question de femmes et de maison de charité ? Très peu ü’enfantsapprennent à écrire, puisque sur plus de huit cents filles on n’en admet que vingt-quatre à ce genre d’instruction, tandis que les maîtresses enseignent des enfants du dehors qui payent leurs leçons. Une plus grande partie apprend à lire, mais l’éducation, à cet égard très imparfaite, dépend encore des préférences des officier es, car on sait bien que dans un hôpital les dispositions et les talents sont comptés pour rien, si Ton n’est pas protégé. Les effets de la protection et de la faveur se remarquent plus scandaleusement dans une certaine classe d’enfants que la prédilection dont elles jouissent fait appeler bijoux. Ce sont des enfants, ou de la maison, ou de Paris, admises comme pauvres sansaucundes titres qui donnent l’entrée de l’hôpital, et que les sœurs ofticières ét autres prennent sous leur particulière protection, Beaucoup de ces enfants payent pension à la sœur qui en reçoit tant qu’il s’en présente, et tant que le permet l’indulgence de la supérieure. Une de ces sœurs en a jusqu’à neuf. Ces enfants, mieux vêtues que les pauvres, sont encore mieux nourries, plus soignées. Il s'établit une sorte de rivalité de parure entre ces enfants pauvres et au milieu de la pauvreté. Quel contraste et quel abus ! Leur nourriture qui devrait être celle des pau-vres, puisqu’elles ne sont à la maison qu'à ce titre, est, comme on le sent bien, choisie sur celle des premières tables. Le supplément nécessaire est acheté des filles de cuisine, des cuisiniers et des employés qui vendent leurs portions et qui trouvent, sans doute, le moyen de s’en dédommager ; et nousdirons, en passant, que c’est un des grands abus de la maison, abus qui, comme on le voit, porte sur toutes les classes de cet hôpital. Quant à celui de l’existence de ces petites filles privilégiées, rien ne peut le justifier ; il est immoral sous tous les rapports. Si ces enfants d’adoption sont pauvres, pourquoi ne sont-elles pas traitées comme les pauvres ? Si elles ne le sont pas, pourquoi sont-elles dans une maison de charité ? Les sœurs cependant les façonnent de longue main au genre d’éducation qu’elles croient nécessaire aux places d’offieières qu’elles leur destinent dans la suite, et qui jamais ne leur échappent. Ce genre d’éducation, peu soigné d’ailleurs, est toujours dirigé dans l’intention de perpétuer les préjugés et le système d’arbitraire qui constitue le régime de la Salpêtrière. Revenons aux vrais pauvres. L’âge de vingt-cinq ans est, pour les filles élevées à la Salpêtrière, le dernier terme de leur éducation physique et morale. Parvenues à cet âge, celles qui ne sont pas réclamées par leurs parents, ou demandées par des personnes honnêtes qui veuillent bien s’en charger, ou qui n’ont ni le désir, ni la possibilité de se placer au dehors, ne quittent pas la maison. Elles se classent au nombre des bons pauvres, si elles n’obtienneut pas un petit emploi. Le nombre de celles qui restent est très considérable. L’incurie, la paresse qu’elles ont dû contracter pendant leur séjour à l’hôpital, l’ignorance des conventions sociales, une force d’hébêtement dans lequel elles sont élevées, souvent des infirmités les rendent incapables de la domesticité, seul état, cependant, auquel elles puissent prétendre. La plupart de celles qui sortent de la maison tournent très mal, et quand elles ne se livrent pas à la débauche, elles sont renvoyées et rentrent à l’hôpital. Enfin, on aura peine à croire que quand les fondations de la maison donnent un trousseau et trois cents livres aux filles qui se marient, il n’y en a pas plus de deux (année commune), qui profitent de cet avantage. C’est ainsi que la Salpêtrière dévore les générations qu’elle élève à grands frais, et qu’elle recrute les classes fangeuses de la société. La classe des bons pauvres est la plus considérable de la maison. Quelques genres de maladies sont séparés, mais si on excepte un petit nombre de grandes divisions, tous les âges, toutes les infirmités sont confusément mêlés dans ce cahos de misères. Une salle contient uniquement des aveugles. Elles couchent deux. Ces femmes qui, pour la plupart, viennent de l’Hôtel-üieu sont censées incurables, et, comme telles, on ne tente aucune opération qui puisse les guérir. Les paralytiques couchent seules dans deux dortoirs. Les 128 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.) autres n’offrent plus qu’un mélange dégoûtant d’infirmités de tous genres, et une malpropreté qui soulève le cœur. On ne voit pas sans peine, combien peu on porte d’attention à soigner la vieillesse que tout engage à consoler, à ranimer. Le spectacle des dortoirs de cette maison est vraiment hideux. Dans quelques-uns, les femmes couchent quatre et quelquefois cinq dans le même lit ; d’autres contiennent sous un toit très bas et dans une très petite largeur quatre rangées de lits ; dans le jour on y est suffoqué, on ne conçoit pas comment on peut y respirer la nuit. Ges cloaques infects doivent recéler des germes de putridité, suite nécessaire de l’amoucellement horrible d’individus déjà affaiblis par la misère, l’âge et les infirmités. C’est cependant sur ce fumier, offert comme un bienfait, que toutes les classes pauvres delasociété viennent s’inoculer une mort lente. Il serait facile à l’administration de réparer ces erreurs en classant les différents âges, en prodiguant aux pauvres une surveillance plus affectueuse ; car tout aigrit le malheur, et la misère même lui donne des défauts qu’une vraie compassion fait seule supporter et peut atténuer. Il semble aussi qu’on trouverait facilement le moyen de donner de l’air dans plusieurs dortoirs, soit avec des ventilateurs, soit par de nouvelles ouvertures. Mais le moyen le plus efficace serait de diminuer la masse énorme des individus de la Salpêtrière et de réduire à une mesure précise le nombre des pauvres que celte maison doit recevoir. Quelques dortoirs, un peu pius propres, sont réservés aux filles de service qui ont obtenu leur retraite, et à quelques femmes plus âgées ; car, à l’exception d elles et des paralytiques, le droit de coucher seule s’achète, comme a Bicètre, depuis quarante jusqu’à cinquante écus. On paye encore trois cents livres à la Salpêtrière la permission d’occuper de petits cabinets séparés. Il y en a quaranie-et-un de cette espèce; c’est assurément payé bien cher un asile malsain et sans air, mais ce logement donne droit, à celle qui n’est pas tout à fait pauvre, de participer à la nourriture de l’hôpital : ainsi, il est doublement un abus. Outre le profit que la Salpêtrière tire de la veine des lits et des logements ; elle en lire encore un autre des pensionnaires qu’elle reçoit : elles étaient le 9 juin au nombre de soixante-six, et classées dans l’ordre qui suit : quatre de 60Ô livres, une de 400, une de 350, sept de 300, trois de 250; viugt-six de 200, dix-huit de 150, six de 120. Nous ne répéterons pas ce que nous avons dit en parlant de Bicètre, sur ce mélange de pauvres mieux traités et de pauvres dénués de tout ; de l’immoralité d’un régime de maison de charité où légalité ne règne pas; nous ajouterons seulement que celle qui est en état de payer quatre cent cinquante livres comptant et une pension de deux cents livres ne doit pas être à la Salpêtrière; elle y tient la place d’un pauvre, et, par conséquent, il y a un individu de plus qui souffre. Si, pour avoir de la viande un peu plus cuite, des aliments mieux assaisonnés, il faut jouir d’une sorte d’aisance, on demande ce que devient alors cette charité toujours également active, qui doit présider aux distributions de secours. Les yeux du pauvre qui ne peut rien offrir sont encore bien plus offensés par une inégalité de traitement qui tient à de modiques sommes données aux officières de la maison v' n obtient en retour des préférences, des choix dans les aliments, et ces secours, si faibles qu’ils soient, ne peuvent avoir lien que sur la masse totale, et dans ce cas le pauvre perd et l’officier gagne. On ne saurait trop le répéter, il n’existe dans ces hospices aucune bienfaisance gratuite, on vend tout au malheureux, jusqu’aux soins qu’on lui doit à tant de titres, et on rend sou malheur plus cuisant et plus insupportable. Parmi cette foule d’emplois qui, à la Salpêtrière, occupent tant de gens de service, il en est un digne de remarque. Dans un petit dortoir, très malpropre, se trouvent seize filles, dont l’unique fonction est de quêter dans les différentes paroisses de Paris ; elles sont obligées, pa leur traité, de rapporter à la maison vingt sols par mois; l’excédent de ce genre de travail leur est alloué ; ainsi l’aumône est en régie, et la mendicité en emploi. Get usage est conservé, dit-on, pour soutenir le privilège qu’avait la Salpêtrière d’envoyer quêter dans les paroisses. Quel privilège à soutenir, et pour un hôpital d’un si énorme revenu 1 Si la loi qui exige d’être sexagénaire pour être admis à la Salpêtrière, au nombre des bons pauvr,es est souvent éludée par la faveur et les circonstances, elle est plus impérieusement suivie dans l'admission des geus mariés. Get établissement, particulier à la Salpêtrière, est connu sous le nom de Ménages. Pour être admis dans cette classe, il faut que le mari et la femme soient âgés de soixante ans, qu’ils soient nés dans la ville ou banlieue de Paris, ou bien qu’ils y soient domiciliés depuis deux ans : leur extrait baptistaire, leur contrat de mariage et un certificat de pauvreté du curé de leur paroisse, sont les titres qu’ils apportent au bureau qui leur délivre un billet d’admission quand il y a une place vacante. Si la femme meurt la première et que le mari veuille rester à l’hôpital, on le fait passer à Bicètre ; si au contraire la femme devient veuve, elle reste à la Salpêtrière et entre dans un dortoir. Get établissement, qui remonte à 1663, a été doté par le cardinal Mazarin, qui donna en 1665, à l’hôpital général, cent soixante mille livres, pour construire à la Salpêtrière un bâtiment propre à loger des gens mariés. Cette fondation ne leur accorde d’autre avantage que d’être placés dans des cellules, au nombre de cent huit ménages. Leur traitement en nourriture est le même que celui des autres pauvres. Quand on compare ces ménages avec ceux des Petites-Maisons dont nous rendons compte, on voit que tout est au désavantage de la Salpêtrière; les logements y sont sales, peu aérés ; la vieillesse y est chagrine, malpropre, la nourriture malsaine, et nulle attention ne prévient les plaintes du pauvre : la sérénité, le contentement semblent être le partage de la vieillesse aux Petites-Maisons, et les précautions dont on l’a environnée la rendent moins difforme et plus heureuse. Lu Salpêtrière renferme aussi des folles ; le nombre en était de cinq cent cinquante lors de notre première visite. Elles y sont bien plus mal que les fous ne sont à Bicètre ; l’air des vieilles loges est infect, elles sont petites, les cours étroites; tout y est dans un état d’abandon aussi affligeant qu’inconcevable; tous les genres de folies sont confondus : les folles enchaînées (et il y en a un grand nombre) sont réunies avec les folles tranquilles ; celles qui sont dans les accès de rage sont sous les yeux de celles qui sont dans le calme : le spectacle de contorsion, de fureur, les [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.] 429 cris, les hurlements perpétuels ôtent tous moyens de repos à celles qui en auraient besoin, et rend les accès de cette horrible maladie plus fréquents, plus vifs, plus cruels et plus incurables. Là enfin, n’existe nulle douceur, nulle consolation, nuis remèdes. On bâtit de nouvelles loges, un peu plus grandes, plus aérées, moins susceptibles d’infection, mais toujours dans le même système que les autres, et par conséquent n’épu-rânt aucun de leurs vices essentiels. Vingt-deux folles, un peu tranquilles, couchent dans onze lits ; quarante-quatre imbéciles sont également couchées deux à deux ; les salles sont sans propreté et sans courant d’air; toutes les folles reçoivent la même nourriture que les autres pauvres de la maison, et seulement un quart de pain de plus-, ces quantités sont insuffisantes pour des individus qui, dans une agitation continuelle, dissipent plus que s’ils travaillaient : à tous ces maux qui proviennent des localités, de l’absence de toute espèce de traitement, du trop grand nombre d’individus rassemblés sur un trop petit espace, il faut ajouter les contradictions habituelles qu’éprouventles folles entièrement livrées à l’agacerie des curieux qui les visitent, et au mauvais traitement des employées qui les doivent soigner et qui, déjà aigries elles-mêmes par un genre de travail dur et repoussant, ne les considèrent que comme des animaux à qui elles apportent la nourriture et l’eau, et qu’elles séparent quand elles se battent. De tous les malheurs qui affligent l’humanité, l’état de folie est cependant un de ceux qui appellent à plus de titre la pitié et le respect ; c’est à cet état que les soins doivent être plus abondamment prodigués : quand la guérison est sans espoir, que de moyens il reste encore de douceurs, de bons traitements qui peuvent procurer à ces malheureux au moins une existence supportable. Nous avons, à cet égard, de grandes leçons à recevoir de l’humanité éclairée des Anglais; leurs hôpitaux de fous réunissent tous les avantages, toutes les commodités, tous les moyens de guérison possibles à désirer et à prévoir; mais parmi tous les autres on distingue celui de Yorck, dirigé par le docteur Hunter, où le plus grand nombre de malades sont guéris, où les bous traitements, les moyens de confiance, les caresses sont si heureusement employés, que jamais les plus enragés ne sont attachés, ou que plutôt les accès de fureur et de rage y cèdent promptement et sans retour au régime de consolation et de douceur, constamment employé dans la maison. Le docteur Hunter dont la vie et la fortune ont été consacrées sans relâche à ces bienfaisantes fonctions, est de ces estimables philanthropes à qui sont dues la vénération et la reconnaissance de toutes les nations. La Salpêtrière a, pour les femmes, une maison de force ; c’est dans cette affreuse demeure que, sous l’ancien régime, la police de*Paris entassait dans une centaine de lits, sans pitié, sans secours, cinq à six cents � filles publiques. On y réunissait aussi celles qui, par des arrêts ou des ordres particuliers, étaient condamnées au renfermement. Depuis la Révolution, le nombre en est prodigieusement diminué; quatre-vingt-trois petits cabinets semblables aux cabanons deBicêtre, mais plus malsains sont occupés la nuit par une partie de ces prisonnières. Dans d’autres dortoirs sans air, et au milieu de la fange, sont encore aujourd’hui deux cent vingt-huit femmes; quatre-vingt quatorze sont condamnées pour la vie, elles couchent trois dans 4re Série. T. XVII. un même lit; cent trente quatre autres condamnées à une réclusion plus ou moins longue, la plupart flétries, attendent, dans les angoisses, la lin de leur châtiment; elles couchent deux et sont confondues, quelles que soient les causes de leur détention. Indépendamment des réflexions poignantes dont ce séjour d’horreur pénètre, une entre autres poursuit constamment. De quelle utilité peut-il donc être d'ajouter à la privation de la liberté, tout ce qui peut la rendre encore plus insoutenable? Pourquoi, par tousces traitements, augmenter encore le malheur de femmes déjà si malheureuses? Oh 1 que l’humanité est encore peu réfléchie; qu’elle est même encore inconnue dans les prisons françaises. Il semble qu’on en doive ni aux criminels, ni même au détenus coupables; comme si le malheur avait besoin, pour être plaint, pour être consolé, d’autre titre que le malheur lui-même. C’est particulièrement pour les prisonniers condamnés pour la vie que toutes les douceurs compatibles avec leur détention doivent êire réunies, c’est à eux qu’elles sont dues : ces malheureux n’ont plus d’espoir. Parmi les prisonnières de la Salpêtrière, beaucoup réclament la faveur du décret de l’Assemblée, favorables aux détenues. La prudenceen a suspendu l’effet dans cette maison, et l’économe assure qu’il pourrait y être exécuté sans inconvénient. Beaucoup de ces femmes sans doute, jadis coupables, aujourd’hui demandées ou parleurs maris, ou par leurs parents, ont expié leurs fautes par une longue et pénible détention, et donnent l’espoir d’un sincère repentir. Nous nous croyons permis de solliciter la liberté de celles que l’examen de leur faute et de leur conduite dans la maison, montrerait pouvoir en jouir sans danger pour la société. La Correction qui est le lieu de grande punition pour la maison, contenait, quand nous l’avons visité, quarante sept filles, la plupart très jeunes et plus inconsidérées que coupables. Quelques-unes sont des élèves de l’hôpital et renfermées par les ordres seuls de la supérieure. Des réponses hautaines faites à une officière ; des plaintes indirectes ; faut-il dire? du vin bu avec des hommes dans un cabaret entretenu dans la maison, et l’une des branches de son revenu, avaient provoqué ces châtiments qui duraient depuis six mois et un an. Aucun repos, aucune douceur, aucun exercice pendant tout le temps de leur | détention, et toujours cette confusion d’âge, I toujours ce mélange choquant de jeunes filles ' légères avec des femmes invétérées dans le vice, | qui ne peuvent leur apprendre que l’art de la i corruption la plus effrénée. Il est temps de re-; connaître et d’enseigner partout qu’une punition i qui n’améliore pas est absurde, et que celle qui | peut corrompre est criminelle. Presque toutes les femmes de la Force, surtout les jeunes, travaillent au profit de la maison : on leur accorde, dit-on, quelques douceurs au delà ; du traitement ordinaire des pauvres, mais elles I ne leur parviennent que par la volonté des sœurs. ; On abandonne aux femmes qui ne savent que Hier i et tricoter, le produit de leur travail; mais il faut i faire vendre leur ouvrage, et le peu qu’elles en ! retirent est si modique, que malgré leur solitude | et leurs besoins, les meilleures ouvrières ne | gagnent pas au delà de dix sols par semaine. S Les prisonnières qui payent une pension sont nourries en conséquence ; celle qui se trouve | attaquée de maux vénériens est envoyée à Bicêtre ! pour y être traitée; celle qui est grosse est placée 9 130 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.] dans un lieu particulier destiné à cet usage ; enfin celle qui est malade est soignée dans l’infirmerie de la Force. Des cachots moins affreux que ceux de Bicêtre, mais bien horribles encore et bien sombres, étaient destinés aux prisonnières qui donnaient des mécontentements graves ; ils ne sont plus mis en usage. On ne peut imaginer comment des femmes ont pu destiner à d’autres femmes des lieux de punition dont l’aspect seul fait frissonner et où un être faible, malheureux, et fréquemment susceptible d’une frayeur excessive, trouvait toujours un supplice affreux, et souvent encore la source de beaucoup de maux pour le reste de la vie. Dans plusieurs dortoirs on trouve de petites infirmeries assez propres, mais uniquement destinées aux ofticières et à quelques privilégiées. Le pauvre est conduit à l’infirmerie générale; beaucoup de vieilles femmes languissent dans leur dortoir et meurent souvent sans qu’on ait eu le temps de les secourir. L’infirmerie générale, la seule qaà existe encore en activité dans toutes Jes maisons de l’hôpital général, ne manque pas absolument d’air et de propreté, mais les safies contiennent trop de lits; les lits sont trop chargés de bois et sont ainsi plus susceptibles de recevoir et de conserver des miasmes putrides. Les maladies sont confondues à peu près sans distinction dans ces .salles, les âges sont encore moins séparés. Le nombre des malades, est, au terme moyen, d’environ trois cents. Depuis que rinfirmerie est établie à la Salpêtrière, la mortalité n’est, dans la maison, que d’un peu moins d’un dixième. Le nombre des morts dans les grandes et petites infirmeries, dans les dortoirs, étant année commune de six cent vingt. Avant qu’elle fut établie, elle était de plus d’un sixième ; cinq cents malades mouraient à l’Hôte l-Dieu, et quatre-cent-cinquante dans les dortoirs, ou la probabilité de la mort était encore moins forte pour les plus malades sans aucun traitement, que par la chance du transport et du traitement de l’Hôtel-Dieu. L’expérience a ainsi activé la grande utilité des établissements de l’infirmerie, qui peut, cependant, dans ses détails, être beaucoup perfectionnée. Le sentiment des médecins et chirurgiens est que le mauvais air, la faim, la mauvaise qualité des aliments et les effets trop certains de la communication intime des jeunes personnes entre elles, engendrait l’épuisement, le marasme, le scorbut, la gale lépreuse, Jes lièvres putrides, maladies les plus communes dans Ja maison. On a établi un traitement pour la gale, mais les jeunes filles, comme nous l’avons dit, sans cesse ensemble, la donnent et reprennent continuellement; elles n’en guérissent jamais, et, pendant toute leur vie, ces créatures infortunées conservent des maladies de peau, qui, combinées avec toutes les autres infirmités qui leur surviennent, en font, nécessairement, les êtres les plus viciés de la nature. Qu’on ne croie pas que nous exagérions ; il n’est pas une jeune fille, il n’est pas de femmes, de quelque âge qu’elles soient, à la Salpêtrière, qui n’ait la gale, ou ne soit prête à la recevoir. L’insouciance habituelle est poussée au point qu’il n’y a pas deiieu particulier pour guérir les personnes âgées qui gagnent cette maladie, et que trois ou quatre baignoires absolument insuffisantes, pour ce genre de service, sont encore mises à l’écart et hors d’usage depuis longtemps. Cependant, cent dix-huit lits où l’on entasse des galeuses de toute espèce, sans air, sans propreté, sans soins, figurent sur les états que l’on fournit à l’administration, et un dortoir particulier passe pour l’infirmerie où l’on traite les maladies de peau. La salle la plus horrible que l’on puisse présenter aux yeux de celui qui conserve quelque respect pour l’humanité, est celle où près de deux cents filles jeunes et vieilles, attaquées de la gale, des écrouelles et de la teigne, couchent pêle-mêle, quatre et cinq dans un lit, se communiquant, se compliquant tous les maux que la fréquentation peut donner. Combien de fois, en parcourant tous ces lieux de misère, ne se dit-on pas avec horreur qu’il serait presque moins cruel de laisser périr l’espèce humaine que delà conserver avec aussi peu de ménagements! Un médecin dont les forces ne peuvent suffire à tant de malades, une apothicair.erie fastueusement montée parce qu’on en tire des objets de consommation utiles, des chirurgiens très mal payés, indécemment logés, parce qu’ils ne peuvent offrir que du talent, tel est ce qui complète le service de santé de la Salpêtrière. La comptabilité y est, comme dans toutes les autres maisons de l’hôpital, faite par l’économe ; la recette, composée de toutes les ventes dont il serait juste de détruire l’usage, se monte à 87,600 livres, et la dépense faite par l’économe à 110,000 livres. Le nombre des employés de toutes classes dans cette maison estde douze cent trente-quatre, dont trois cent quatre-vingt-cinq hommes et huit cent quarante-neuf femmes, ce qui, pour six mille sept cents, donne la proportion d’un employé pour un peu plus de cinq pauvres. En terminant cette longue énumération d’abus, dont nous avons supprimé beaucoup de détails, qu’il nous soit permis de rapprocher le tableau de Bicêtre et de la Salpêtrière, tel que leur comparaison nous le fait voir. Dans la première de ces maisons, le despotisme des subalternes estplus calme, plus voilé; ce sont des hommes qui commandent. Dans la seconde, il est plus actif, plus tracassier, plus dûr même ; des femmes ont l’empire. La fainéantise, le vice et la scélératesse sont réfugiés à Bicêtre, l’aigreur, l’envie et la corruption sont sans cesse en action à la Salpêtrière. L'oisiveté énerve les hommes à Bicêtre, le travail forcé tue les enfants à la Salpêtrière. La malpropreté est partout la même, mais elle est une bien plus dangereuse conséquence pour la santé des femmes; enfin, l’aspect de Bicêtre est plus horrible, celui de la Salpêtrière plus dégoûtant. Dans ces deux maisons, le nombre des employés n’est dans aucune proportion avec la nécessité du service; ils appauvrissent, si l’on peut parler ainsi, les pauvres mêmes, et l’administration, qui ne voit en eux que des protégés, les conserve, et par bienfaisance et par habitude. Nous finirons comme nous avons commencé : une maison de charité qui doit entretenir journellement sept mille individus de tout âge et de toute espèce, ne peut être bien administrée. Une prévoyance plus grande, une humanité mieux entendue, une activité plus surveillante, adouciraient, à Bicêtre et à la Salpêtrière, le sort des pauvres, rendraient l’ordre des choses beaucoup moins mauvais, mais ne pourraient jamais le rendre bon. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. MONT-DE-PIÉTÉ. Le Mont-de-Piété, compris dans les maisonsqui forment le grand établissement de l’Hôpital général, n’y a été réuni, en 1779, lors de sa création, que pour augmenter le revenu des pauvres, et donner ainsi une intention sainte à cet établissement qui, pour quelques malheurs qu’il sert et qu’il prévient, est la source et le moyen d’un beaucoup plus grand nombre qui n’existeraient pas sans lui. Six des administrateurs de l’Hôpital général régissaient, sous l’inspection supérieure du Parlement, ce vaste établissement. L’argent prêté à deux deniers pour livre par mois, compose le revenu de cette maison. Celui qu’elle emprunte pour satisfaire à ces prêts, consomme la moitié de ce produit. Pans les 5 0/0 de bénéfice restant, les frais d’administration sont payés : le reste rentre dans les coffres de l’Hôpital général ; mais, comme il a dû supporter les frais do l’établissement, il résulte que depuis la création, à 300,000 livres près, il n’a encore bénéficié de rien. Il faudrait être entré dans tous les détails des besoins de cette maison et de ses dépenses pour pouvoir prononcer si l’administration a été aussi économique que doit être celle qui régit le bien des pauvres. Nous nous sommes bornés à reconnaître que les frais d’établissement ont monté jusqu’à présent à 1,700,000 livres, et exigent encore environ 100,000 livres, si toutefois on ue construit pas un pavillou considérable compris dans le plan qui n’est pas encore commencé, et qui occasionnerait une grande augmentation de dépenses. On ne peut trop admirer, dans cette maison, l’ordre de Ja comptabilité qui, composée de plusieurs natures de recettes et de dépenses, et de la multitude la plus compliquée de détails différents, est simple, bien ordonnée, claire, etdonne vraiment l’idée de la perfection. Le revenu du Mont-de-Piété dépendant absolument des nantissements qu’il reçoit, ne peut être évalué avec précision. Si l’intérêt du prêt pouvait être diminué, cette maison présenterait plus d’utilité et moins de dangers. Il serait bien heureux que des caisses nationales ou municipales pussent remplacer cet établissement, moins nuisible, moins dangereux, sans doute, que les repaires d’usuriers qui, sans loi, affranchis de toute inspection, ruineraient plus certainement et plus promptement les malheureux obligés d’y recourir. Mais une administration paternelle et surveillante, assez divisée pour n’avoir pas toujours l’inquiétude d’être trompée, et pour bien connaître les besoins, sauverait bien des fortunes, préviendrait bien des dérangements, bien des vols; enfin, serait aussi moralement qu’économique-ment utile; et la Constitution actuelle nous doit faire espérer d’en voir l’établissement dans les grandes villes et les départements. Ecarter des citoyens le plus grand nombre d’écueils, leur présenter la possibilité du plus grand nombre d’avantages : voilà le devoir et le bonheur d’une bonneadmiüislration résultant d’une Constitution libre et sage. RÉSUMÉ GÉNÉRAL. En considérant l’ensemble de l’Hôpital général, la réunion dos secours de toute espèce qu’il H � juillet 1790,] donne, la masse de revenus dont il jouit, on ne peut se refuser à rendre hommage aux vues grandes et bienfaisantes qui ont rassemblé dans ce centre commun tant de moyens d’assister la misère et de consoler le malheur, Aucun autre lieu du monde ne donne l’exemple d’un établissement charitable d’une aussi grande étendue, et qui, dans l’intention de sa fondation, doive pourvoir aussi complètement aux besoins de ceux qu’il assiste. En effet, l’Hôpital général doit, par la lettre même des fondations particulières, des dons royaux, des lois qui règlent son institution, ses devoirs et ses ressources, élever les enfants pauvres ou abandonnés dès leur naissance, pourvoir à leur nourriture, veiller à leur santé, a leur éducation, les former au travail, les mettre en état d’exercer un métier, les surveiller dans leur apprentissage, les suivre dans les premiers temps de leur jeunesse, marier les filles ou les placer, recueillir et soigner toutes les infirmités, accueillir la vieillesse pauvre, la consoler, répandre enfin des secours et des adoucissements sur toutes les infortunes. Jamais, dans aucun des titres qui ont fondé ou réuni à l’Hôpital général les différentes maisons dont il est composé, il n’est parlé de pension, de rentes d’aucune espèce, de secours mis à prix d’argent ; ils doivent être tous gratuitement donnés aux pauvres, et l’économie de l’administration y est toujours expressément ordonnée, Ainsi cet immense établissement a été formé dans les vues les plus positivement exprimées de bienfaisance, de prévoyance et de charité ; mais il portait dans son étendue, dans la nature et les formes de son administration, le germe de tous les abus qui s’y sont introduits et qui ne pouvaient point n’en pas détériorer bientôt les intentions. L’administration supérieure ôtait, comme nous l’avons dit, composée de l'archevêque de Paris, des premiers présidents des cours souveraines, du procureur général du parlement de Paris, du lieutenant de police, du prévôt des marchands, de toute personne enfin qui ne pouvant, par l’étendue de leurs occupations personnelles, se livrer à des examens partiels, ne connaissaient que des résultats de comptes, n’étaient appelés à prononcer que sur les affaires majeures; et leurs décisions, toujours préparées, et maîtrisées en quelque sorte par les détails dont ils n’étaient pas instruits, se trouvaient dictées toujours aussi d’avance par ceux-mêmes qui les provoquaient. Les administrateurs gérants eux-mêmes, chargés souvent, comme nous l’avons dit, de fonctions publiques, occupés de leurs affaires particulières, ne pouvaient donner une attention de tous les instants à une administration aussi immense, aussi compliquée, qui demande et des soins au dehors, et unè coutinuefie surveillance intérieure. La partie des subsistances, des approvisionnements, régie par les administrateurs, en occupe elle seule plusieurs qui s’y consacrent presqu’en-tièrement. Sans doute, on peut dire, et il nous a semblé à nous-mêmes que ce mode d’administration, le plus embarrassé de détails, le plus com pliqué, le plus nécessaire à surveiller sans cesse et par conséquent le plus susceptible de gaspillage et d’abus de toute espèce, 'n’était pas môme le plus économique, qu’il ne convenait pas surtout à l’approvisionnement d’un aussi grand nombre de maisons considérables; mais il existe, et ces détails, encore une fois immenses, exigent une correspondance, des soins, une prévoyance continuelle, et servent à prouver que l’administration active de toutes les parties de l’Hôpital 132 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790. J général est au-dessus des moyens d’hommes qui, s’y livrant gratuitement, doivent conserver quelques moments à leurs intérêts particuliers et à leurs autres devoirs. De là, il est arrivé qu’ils ont dû donner leur confiance entière aux économes et supérieures des différentes maisons; que plus ils ont apporté, dans leurs fonctions, d’amour du bien, de bienfaisance et de charité, plus ils ont dû être facilement séduits par ceux qui leur en faisaient entendre le langage. De là, on voit comment, séduits par l’opinion du mérite, des personnes dans lesquelles ils avaient placé leur confiance, les représentations, les plaintes, la vérité pouvaient difficilement leur parvenir ; comment la proposition d’une dépense, d’un changement, d’un règlement nouveau qui leur était présenté avec l’apparence d’une amélioration dans le sort d’une classe de pauvres ou de quelques individus, ne trouvant pas de contradicteurs, devait être promptement consentie par eux, et comment ainsi, avec les intentions les plus pures, ils autorisaient souvent un abus en croyant ordonner une institution secourable. Nous sommes loin de vouloir faire entendre que les personnes dirigeant aujourd’hui ces grandes maisons, nous aient paru remplir imparfait ement leurs fonctions ; plusieurs même nous ont semblé très occupées des soins des pauvres, très pénétrées de leurs devoirs; nous avons seulement voulu faire connaître combien, par la nature des choses, les administrateurs les mieux intentionnés trouvent d’obstacles à faire de bons choix. Cette confiance, nécessairement aveugle, des administrateurs pour ceux qui sont en première ligne au-dessous d’eux, a dû encore entourer ceux-ci de séduction, d’hypocrisie, et produire ainsi un mauvais choix de seconds employés; car les âmes honnêtes sont généralement fières et se prêtent peu aux moyens si familiers à l’intrigue, qui se retrouvent partout où il y a à obtenir, et d’autant plus dangereusement pour celui qui distribue les faveurs que toujours ils prennent ses couleurs. De là l’énorme disproportion d’employés avec les pauvres à assister, elle est de plus d’un sur cinq; de là le traitement plus considérable de ces employés, l’abondance de leurs commodités, d’une sorte de luxe qui contraste douloureusement avec l’insuffisance du secours des pauvres ; de là le choix souvent mauvais des gouvernantes qui, prises dans les élèves de la maison et n’en connaissant que les usages, en enseignent et en perpétuent nécessairement l’ignorance et les abus ; ae là cette charité peu réfléchie qui, entourant dans les maisons un beaucoup plus grand nombre de pauvres qu’elles n’en peuvent contenir, nuit à la santé, au bien-être de tous et augmente, à un point considérable, la chance des mortalités ; de là, enfin, cette indifférence pour les malheureux, vice véritablement capital de cette grande administration, et par lequel, aucune classe n’étant encouragée au travail, les pauvres y végètent malheureux et les enfants y prennent le germe de tous les vices qui prédestinent en quelque sorte le reste de leur vie au malheur, à la misère et au crime. Les mêmes causes influent aussi impérieusement sur la nature des dépenses. Le revenu de l’Hôpital général s’élève a environ 3,600,000 livres, sans compter celui des Enfants trouvés, qui se monte annuellement à près d’un million et dont l’administration est distincte : il doit faire face à la dépense des maisons de la Salpêtrière, de Bicêtre, de ia Pitié, du Saint-Esprit, de Scipion ; il ne fournit que les comestibles aux trois maisons des Enfants trouvés, et il n’en fait que l’avance à Sainte-Pélagie. Les comestibles de ces maisons sont estimés environ 110,000 livres, le reste n’a donc pour objet que mille neuf cent soixante-neuf individus secourus, dans les quatre maisuns où ils sont admis. Nous prenons pour nombre absolu le nombre actuel, quoique les circonstances le rendent plus considérable qu’il ne l’est ordinairement, et nous distrayons de la totalité des individus trouvés dans la maison, les employés supérieurs des deux sexes qui ne peuvent être compris dans la classe des pauvres, où nous laissons les employés subalternes ; et nous trouvons ainsi, que la partie de la dépense affectée particulièrement aux pauvres, c’i st-à-dire la nourriture et l’habillement, ne s’élève qu’à 1,055,000 livres, sur 3,600,000 livres ; les frais d’administration, engagements rentes à payer (et il y en a pour environ 100,000 livres), et particulièrement les réparations et les bâtiments consomment tout le reste (1). Gette disproportion est effrayante, cette dépense énorme pour des objets étrangers au véritable objet des revenus, au soulagement direct des pauvres, est encore un vice inhérent, en quelque sorte, à un établissement aussi considérable. Peut être eût-on pu mettre dans les bâtiments moins de magnificence, n’en pas faire construire en aussi grand nombre, y employer plus d’économie : comme nous ne sommes entres dans aucuns de ces détails, nous ne pouvons avoir, à cet égard, un avis bien arrêté. Mais toujours est-il vrai qu’il fallait des infirmeries, des salles, des cuisines; qu’un hôpital qui a près de 4 mil lions de livres de revenus,n’apporte nécessairement pas dans l’emploi des fonds la même économie qu’une maison dont les revenus et l’administration sont bornés ; que les mêmes administrateurs, remplis de vues sages et de bonnes intentions, mettent cependant dans la dépense qu’ils ordonnent supérieurement, une sorte de (1) Dépenses des maisons dépendant de V Hôpital général. à 73 1. 15 s. 3d. Nourriture de 5,913 individus, à la Salpétrière .................................. 436,157 I. 13 s. 3d. 79 11 » Nourriture de 3,540 individus, à Bicêtre ... . 281,607 « » 70 17 2 Nourriture de 1,396 individus, à la Pilié. .. . 98,918 4 8 129 6 11 Nourriture de 120 individus, au Saint-Esprit. 15,521 10 » 832,204 1. 7 s, 11 d. à 75 1. 17 s. 10 7 L’un portant l’autre, 10,966 individus, coûtent pour leur nourriture. 832,204 7 11 Leur habillement coûte ......................................... 223,300 » » Le total de leur dépense réelle est donc de 1,055,504 1. 7 s. lld* [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juillet 1790.] 433 faiblesse et de complaisance, quand les comptes ne sont rendus qu’à un bureau qui n’a pas le loisir d’en vérifier les éléments, que s’ils devaient être rendus publics et soumis à l’approbation et à la censure de tous leurs concitoyens, et qu’enfin la grandeur vraiment monstrueuse de cet établissement se trouve presque toujours la première cause, la cause presque nécessaire des abus. N’étant pas chargé par l’Assemblée de présenter des vues d’améliorations sur les maisons de charité de Paris, nous nous bornerons seulement à dire que si le système des secours à domicile prévalait, système qui présente, entre autres avantages précieux, celui de répandre les bienfaits sur toute la famille du secouru, de le laisser entouré de tout ce qui lui est cher, et de resserrer ainsi, par l’assistance publique, les liens et les affections naturelles, l’économie qui en résulterait serait très considérable, puisqu’une somme beaucoup moins considérable que la moitié de celle que coûte aujourd’hui le pauvre de l’hôpital soutiendrait suffisamment l’individu secouru chez lui, et que, sur près de onze mille pauvres, ce mode de secours pourrait avoir lieu pour plus de huit mille, c’est-à-dire pour les enfants et les personnes des deux sexes qui ne sont pas prisonniers, insensés, ou sans familles : le reste des individus qui ne pourraient être assistés que dans les hôpitaux divisés dans plusieurs maisons, recevraient des secours plus entiers, une assistance plus personnelle, plus consolatrice. L’administration moins étendue serait plus susceptible de perfection, et les administrateurs bienfaisants et vertueux qui en seraient chargés, seraient plus complètement recompensés de leurs peines, par le spectacle du bonheur des pauvres confiés à leurs soins, et qui serait leur ouvrage. Avant de terminerce long rapport, nous croyons devoir fixer l’attention de l’Assemblée sur la diminution qu’éprouve l’hôpital générai dans ses revenus. La suppression des indemnités qui lui avaient été accordées par le gouvernement, en remplacement de la franchise des droits d’entrée, lui enlève 308,000 livres; la diminution de la recette des droits d’entrée perçus en sa faveur, est, pour les six premiers mois de cette année de 400,000 livres. Sans doute, cette perte, qui ne sera pas la même à l’avenir, ne peut pas être évaluée constamment à 800,000 livres, mais toujours sera-t-elle diminuée, et, pour cette année, elle l’est de cette somme. Les droits sur les spectacles sont réduits, pendant ces mêmes premiers six mois, de 30,000 livres. La destruction si légitime des privilèges pour l’impôt, coûtera à l’Hôpital, en vingtièmes et en taille pour ses biens de campagne qui en étaient exempts, plus de 40,000 livres. On peut donc estimer à 1,200,000 livres environ, la perte qu’éprouvera cette année l’Hôpital général dans ses revenus, et à 800,000 livres au moins la perte des années suivantes. Une administration plus éclairée et plus vigilante, un ordre de choses meilleures dans ce grand établissement, pourront probablement rendre à l’avenir ces revenus suffisants pour le nombre de pauvres qu’ils doivent assister et ils pourront encore en recevoir un meilleur et un plus heureux traitement, condition nécessaire ; mais il faut arriver à ce terme, et la position actuelle de cette branche de revenu des pauvres, sollicitera l’attention de l’Assemblée. La déclaration solennelle qu’elle a faite de mettre au rang de ses premiers devoirs les secours et la protection à donner à la classe malheureuse, doit ôter toute inquiétude à ceux auprès de qui les ennemis de la chose publique voudraient employer encore ce moyen d’alarme et de mécontentement. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. C.-F. DE BONNAY. Séance du vendredi 16 juillet 1790 (1). M. Regnaud ( de Saint-Jean d'Angely) lit le procès-verbal de la cérémonie du 14 juillet. La rédaction en est adoptée. M. Robespierre, secrétaire , donne lecture du procès-verbal des deux séances du jeudi 15 juillet, matin et soir. Il ne se produit aucune réclamation. M. le Président donne lecture d’une lettre de M. Jacques-Henri Moreton {ci-devant comte de), qui demande à être admis à la barre pour présenter une pétition qui intéresse son état et son honneur. {Voy. les pièces aux Annexes de la séance de ce jour , p. 139.) L’Assemblée renvoie cette affaire à son comité militaire, pour lui en rendre compte incessamment. M. le Président annonce une lettre de M. Ruffray, commandant des gardes nationales de Yeigné en Touraine, qui, ayant reçu les ordres trop tard, n’a pu se rendre à la fédération; il s’y unit de cœur et de sentiment. M. de lia Rochefoucauld, député de Paris, fait, au nom du comité d’aliénation, le rapport suivant sur les ventes des domaines nationaux aux municipalités. Messieurs, Le comité, que vous avez chargé de l’aliénation des domaines nationaux, après vous avoir successivement présenté les formes et les conditions des ventes à faire tant aux municipalités qu’aux particuliers, suit avec zèle l’exécution de vos décrets, et vous proposera bientôt l’accomplissement de plusieurs ventes; mais il vous doit le compte de l’état actuel des demandes qui vous ont été laites par les municipalités, afin que vous puissiez statuer sur les moyens d’accélérer et de terminer cette opération, sur laquelle repose la confiance publique dans les assignats-monnaie, dont les biens, que les municipalités doivent acquérir et revendre à des acquéreurs particuliers, sont la principale hypothèque. Plusieurs d’entr’elles ont rempli les conditions exigées par votre décret du 14 mai, et ont adressé des soumissions conformes au modèle qui a été annexé à votre instruction du 31 du même mois, avec la désignation spéciale des objets qu’elles (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.