[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.) 405 de son institution sont développés dans les notes i l’Assemblée, lorsqu’il sera question d’une caisse d’un mémoire que je mettrai sous les yeux de | nationale. II. SUITE DU COMPTE RENDU Par M. DE CE ST IXE A SES COMMETTANTS De ses opinions dans les délibérations de l’Assemblée nationale, Le 12 septembre 1789. Sur la déclaration des Droits de l’homme. J’avais pris pour base de mes opinions, dans cette délibération, la déclaration des droits, faite par M. l’abbé Sieyès, qui renfermait une série de principes liés d’une manière irrésistible; quelques-uns cependant m’avaient paru susceptibles de rectification; je m’en étais occupé; d’autres m’avaient paru oubliés; je les avais ajoutés, en avais fait une édition nouvelle; mais le plan que l’Assemblée a adopté, pour s’occuper de cette déclaration, n’a pas permis de suivre cet enchaînement de principes que j’aurais désiré trouver dans cet ouvrage. Il est, dans le plan qu’elle a adopté, un article que j’ai vu à regret énoncé dans des termes aussi peu conformes aux opinions d’un siècle de tolérance. Cet article est celui qui prononce sur la liberté religieuse; mais la législation peut y apporter des modifications qui le rectifieront, et je me propose de faire connaître, dans le temps où on s’occupera de la formation de cette partie de la législation, un motif politique, qui doit se joinure à ceux de la liberté de l’homme dans ses opinions religieuses, pour décider l’Assemblée. Il est un droit, sacré pour tout Français, qui n’a point été énoncé dans cette déclaration, et qui aurait dû y trouver place, car elle ne traite pas des droits de l’homme dans l’état de nature, mais de ceux de l’homme dans l’état de société, et de société organisée, puisqu’elle rend tous les agents de la puissance publique 'responsables des abus qu’ils pourraient faire de leur autorité. Je me réserve de faire cette observation dans l’Assemblée, à l’instant où on discutera le dernier article du premier chapitre de la Constitution proposée par le comité. Sur le second emprunt \ proposé par le directeur général des finances. 11 est nécessaire, Messieurs, de faire précéder le compte que je vous dois de cette discussion, d’un raisonnement qui établisse l’effet momentané du discrédit qu’a amené sur les opérations de finances, la crise générale du royaume; elle ne peut manquer de produire la subversion totale du système d’emprunt établi, et, par conséquent, de nécessiter (ce qui serait le comble des maux) la cessation de tous payement� de rentes et d’arrérages de la créance publique. Il n’est qu’un seul moyen d’éviter cet événement, qui porterait les désordres au comble : c’est celui de nommer un comité, ainsi que l’a demandé le directeur général des finances, qui s’occupe avec lui de la conversion en impôts réels des impôts indirects, et de la répartition qui doit être faite de tous ces impôts à toutes les provinces, afin de présenter àl’Assembléenationaleleplan de cette répartition, pour qu’elle puisse l’adopter, et, après qu’il aura reçu la sanction royale, le faire parvenir dans les provinces, en même temps que la loi qui établira les assemblées provinciales, leurs assemblées secondaires et les municipalités. Sans cet ordre de choses, il serait impossible d’éviter ce que la nation devrait regarder comme le plus grand de ses malheurs, la cessation de tous payements. Il est aussi nécessaire de faire accompagner l’envoi qui sera fait de ces lois dans toutes les provinces, d’un mémoire raisonné, qui fasse connaître les motifs qui ont décidé l’adoption de ce nouvel ordre pour la répartition du payement des impôts; et que dans ce mémoire raisonné, se trouve le développement fait par M. l’évêque 406 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [. Annexes .] d’Àutun de sa motion, tendant à ne faire supporter aucune des charges publiques aux créanciers de l’Etat ; car, sans e s motifs réellement concluants, qu’effeclivement le crédit d’une nation fait ia richesse la plus solide; que ce crédit tient à n’altérer en rien ses engagements, qu’il conduit à la diminution de la créance publique, à celle du taux de l’argent, par conséquent au remboursement plus facile et plus tôt opéré de l’ancienne créance. Sans ce développement, dis-je, présenté d’une manière frappante, il sera difficile de persuader les provinces que tel est leur véritable intérêt. Il faut que le comité qui s’occupera du travail qui donnera les moyens d’arriver à une nouvelle répartition de l’impôt (travail qui doit se faire de concert avec le directeur général des linances) s’occupe en même temps de l’établissement d’une banque nationale (1), seul moyen par lequel on puisse espérer la liquidation de la créance publique, surtout lorsqu’on y ajoute le nouveau surcroît de créance de toutes les charges et emplois de magistrature et de municipalités qui ont été supprimés. Je dois présenter une réflexion relative à la suppression des charges de magistrature et de municipalité, que l’Assemblée nationale a jugé devoir décréter; elles avaient été achetées par beaucoup de titulaires actuels à un prix supérieur à celui de leur première finance, et je pense qu’à l’instant de leur suppression, non seulement il est juste de les rembourser sur le prix du dernier contrat d’acquisition, mais qu’il faut encore que l’Assemblée nationale règle une proportion d’indemnité qui sera accordée à chacun des titulaires actuels. Cette proposition paraît d’autant plus juste que, quoique étant vrai, le particulier doit le sacrifice de sa propriété à l’intérêt général, lorsqu’il la requiert, it ne l’est pas moins, que dans ce cas, il est dû à celui dont on prend la propriété, une indemnité de son sacrifice. La charge possédée par un magistrat ou un officier de municipalité, était incontestablement une propriété dans la main de celui qui en est titulaire ; en la lui ôtant, il faut donc l’indemniser; cette indemnité, je la réglerais cependant à un taux infé irur à celui qui serait dû à une propriété foncière : je ne la fixerai pas à plus du sixième en sus du prix du dernier contrat u’acquisition. Cette liquidation, faite sur ce taux, ne laisserait aux titulaires aucun prétexte pour se dire lésés ; mais comme l’Etat n’est point dans ce moment en possibilité de pourvoir au remboursement actuel de tous ces offices, l’on pourrait régler létaux de l’intérêt jusqu’au remboursement, en raison de celui que doivent naturellement prendre les fonds publics, une fois le crédit assure; et ce taux doit être 3 0/0, sans aucune retenue. Si l’Assemblée nationale adoptait un semblable parti, elle concilierait, ce semble, et sur tous les points, l’intérêt public avec l’intérêt particulier; but qu’une grande nation doit toujours s’efforcer d’atteindre. Le Trésor public serait dédommagé par la diminution des intérêts, de l’augmentation des capitaux qu’il aurait un jour à rembourser. L’on réparerait, par cet ordre de choses, la diminution de l’intérêt de la créance publique, qui sera (1) J’ai remis à l’Assemblée nationale le plan d’uno banque que j’ai fait dans le cours de l’hiver dernier. amenée par le crédit, et la facilité qu’établira dans la circulation la sanction d’une caisse nationale. Revenons à l’emprunt. La nation, forcée de faire des emprunts pour satisfaire aux dépenses publiques, dans un instant de crise tel que celui où nous sommes, a été contrainte de recourir aux moyens les plus onéreux que puisse employer la France, lorsqu’elle garantit sa première créance. Ils ont cependant été ménagés avec adresse par la forme de l’emprunt ; et s’il est un moyen de décider les prêteurs, c’est certainement celui qui a été employé. Faire disparaître de la place 40 millions d’effets suspendus, qui y sont en circulation, c’est nécessairement en faire augmenter le prix, car il n’est personne qui ne sache, que moins il existe de marchandises sur un marché, plus elle s’y vend à haut prix ; d’ailleurs, le prêteur obtient une partie du bénéfice qu’il aurait trouvé à employer les fonds en acquisition de cea papiers, puisqu’il peut de suite les placer d’nne manière assurée, dans le premier emprunt que la nation sanctionne. Ce jeu des prêteurs s’aperçoit trop facilement pour avoir besoin d’un grand développement. L’imagination se le trace sans effort. Pour être forcé de recourir à ce moyen, il faut sans doute que le directeur général des finances ait trouvé la Caisse d’escompte énervée au point de ne pouvoir se livrer aux escomptes des lettres de change venant de l’étranger, ou que la crise en ait imposé assez aux banquiers des grandes places de commerce des pays voisins, pour qu’ils n’aient osé se compromettre. L’Assemblée nationale aurait dû proposer au clergé, lors du premier emprunt, de rendre ses biens responsables du fonds et des intérêts de cet emprunt, ainsi que je l’ai développé dans le compte que je vous ai rendu, Messieurs, de mes opinions sur l’emprunt de 30 millions ; mais pour cela, il ne fallait pas donner atteinte à la propriété du clergé. Cette responsabilité de sa part, du premier emprunt proposé, n’aurait point arrêté l’Assemblée nationale dans sa juste opération de ramener les biens du clergé à leur véritable destination; l’Assemblée n’aurait pas vu le premier emprunt sanctionné par elle, ne pouvoir se remplir ; ce qui pouvait cependant se prévoir dans l’état de convulsion toù se trouvaient les affaires publiques. Lorsque la proposition du second emprunt est arrivée à l’Assemblée, je demandai immédiatement après la lecture du mémoire du directeur général des Finances, de renvoyer la discussion de celte proposition dans les bureaux ; par là, on aurait évité le développement (que je crois avoir été prématuré) de la motion de Mffr. l’évêque d’Autun. L’on aurait aussi probablement ouvert dans les bureaux des avis qui auraient évité de laisser à la volonté arbitraire du gouvernement, un emprunt de 80 millions, au lieu d’un de 40, demandé. Je crois bien que le directeur général ne fera pas usage de cette facilité; mais il n’en est pas moins vrai qu’il le peut, et qu’il eût été plus sage de la part des représentants de la nation, d’opérer avec plus de justesse et de mesure. Lorsque j’ai vu présenter à l’Assamblée la motion de M§r. l'évêque d’Autun, après avoir entendu le développement qu’il en faisait, mes regrets de n’avoir pas vu accueillir par l’Assemblée le parti que j’avais proposé, n’ont pas été diminués ; mai j’ai senti en même temps que c’était, bien moins que jamais, le moment de développer le [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] motif de mon opinion ; que si la discussion des bureaux faisait rejeter la motion de Mffr. l’évêque d’Autun, alors on pourrait faire à l’Assemblée le reproche d’avoir fait manquer l’emprunt; que si. au contraire, la motion de l’évêque d’Àutun était adoptée, la discussion ne ferait que ralentir l’opération de la sanction donnée à l’emprunt; que par conséquent après la motion de Mffr l’évêque d’Autun connue, il n’y avait plus d’autre parti à prendre que celui du silence que j’ai observé dans le reste de cette discussion. Il est des positions cruelles pour celui qui est chargé des intérêts d’une portion considérable de ses concitoyens. Jene connais rien de plus fâeheuxque d’avoir, de pouvoir entendre.,de leur part le reproche par précipitation, sacrifié leurs intérêts, c’est cependant celui qui nous sera fait peut-être, si on fait usage de la possibilité que l’on a incontestablement, de remettre en circulation les 40 millions d’effets suspendus, qui feront partie des 80 millions de l’emprunt. Je compterai pour rien dans tous les temps les sacrifices de l’amour-propre; ils me paraîtront moins encore, lorsqu’il s’agira de l’intérêt de mes commettants. Dans cette circonstance, il aurait été bien humilié, cet amour-propre, si j’eusse été susceptible de cette passion des âmes pusillanimes; car indépendamment des huées que j’ai éprouvées, lorsque j’ai énoncé mon avis, j’ai encore dû laisser croire au public qu’il avait été énoncé sans motif; cependant j’avais celui d’éviter par la discussion des bureaux, que l’on laissât la possibilité à l’administration d’emprunter 80 millions, quand on n’en accordait que 40 Si j’avais énoncé cette crainte dans l’Assemblée, elle eût été connue du public; cette connaissance aurait pu faire manquer l’emprunt, en donnant à croire que l’Assemblée manquait de confiance dans l’administration. Sur la liberté du commerce des grains. Dans cet intervalle a été apporté à l’Assemblée nationale le travail d’un comité, nommé pour lui présenter une loi sur le commerce des grains ; sur cet objet, j’ai cru devoir, d’après le rapport du comité, mettre sous les yeux de l’Assemblée un mémoire qui peut prouver que le régime le plus convenable sera toujours celui qui établira ia liberté de ce commerce, seul moyen d’obtenir le niveau du prix de cette denrée, Vous pouvez le juger, Messieurs ; ce mémoire suit. Il est incontestable que la libre circulation du blé dans le royaume, et sans aucune restriction ni limitation dans aucun temps, ne soit indispensable à sanctionner par une loi, ainsi que le propose le comité des subsistances; que toute défense de circulation de province à province, ainsi que tout bon esprit le sentira, toute loi prohibitive sur ce point, ne produisent d’autre effet que celui de laisser un excédent dans une partie, pour faire ressentir la pénurie dans l’autre : une vérité de cette évidence n’a pas besoin d’être démontrée. Mais cette liberté ne veut-elle pas être poussée plus loin encore? et la libre importation et exportation ne doit-elle pas être permise dans tous les temps et sans aucune réserve? C’est ce que je me propose d’examiner : pour se convaincre de la sagesse d’un règlement qui établirait cette liberté, il faut d’abord jeter un coup d’œil sur les pays qui environnent la France, et voir quel est le prix ordinaire des blés dans leurs marchés. Commençons par la frontière, depuis Dunkerque jusqu’à la Suisse; la France, dans cette partie, est bornée par la Flandre, le Brabant autrichien, le pays de Liège, le Luxembourg, l’évêché de Trêves, le Palatinat, le pays de Baden et le Bris-gaw : dans les différentes” provinces de France qui bordent ces Etats, le blé y est habituellement à un prix au-dessus de celui où il est dans ces différentes provinces étrangères; il n’est donc que la frontière bordée parles Suisses, qui puisse trouver un moyen d’exportation avantageux pour ses grains; car la frontière bordée par l’Italie n’en exporte sûrement pas; les blés de Barbarie arrivent à la France par la Méditerranée; et toute exportation de grain par les ports du royaume placés sur cette mer, ne pourrait jamais fournir des spéculations avantageuses aux négociants. La frontière d’Espagne n’en fournirait certainement pas de plus heureuses; il ne resterait donc plus que le commerce de l’Océan qui pourrait donner le moyen d’exporter avec avantage? où porterait-on ce blé? dans nos colonies? Elles font partie du royaume, et il n’y va qu’en farines : en Hollande? ces provinces en tirent du Nord, à un bien plus bas prix que nous ne pourrions leur en fournir. Que doit-on conclure de cet exposé? 11 me semble que c’est la libre exportation, comme la libre importation des grains permise dans tous les temps : il ne doit y avoir nulle exception à cette règle, car il est trop utile au royaume de donner aux provinces qui avoisinent la Suisse, des moyens de maintenir le blé à un prix avantageux aux cultivateurs, pour ne pas s’occuper à perpétuer dans ces provinces l’habitude qu’ils ont de se livrer à cette espèce de culture; habitude qu’ils perdraient bientôt pour s’adonner à celles qui leur fourniraient les matières premières, qu’emploieraient les manufactures, qui prospéreraient dans ces provinces sous le régime de la liberté; et cependant, si la France a la guerre sur ses frontières, il lui est avantageux d’avoir, près des pays où séjourneront ses armées, des provinces abondantes en blé, qui puissent lui fournir les moyens de les nourrir, sans exporter ses fonds hors du royaume. Il ne se présente à mes yeux qu’une seule objection, qui, selon moi, soit un problème à résoudre; et ce problème, je vais le soumettre à la décision de l’Assemblée nationale : c’est si, dans tous les temps, l’importation du grain depuis Bâle jusqu’à Lyon, c’est-à-dire sur toute la frontière de la Suisse qui n’en produit point, ne devrait pas être défendue, parce qu’en effet, il est évident que cette importation ne pourrait être que le résultat des spéculations faites par des négociants en Suisse, qui auraient acheté dans des années abondantes, et où l’exportation serait nécessaire en France, des grains pour les faire rentrer dans le royaume, dans les instants de pénurie. Si l’on jugeait cette précaution nécessaire, il faudrait alors prononcer par la loi qui établirait dans tous les temps la libre exportation, qu’il ne pourrait y avoir dans aucun cas aucune importation par cette partie du royaume : ce pourrait être un moyen d’obvier à ces spéculations. A l’appui de ces raisonnements, viennent les calculs que donnent les plus légères notions du commerce : sa liberté indéfinie ne peut manquer de produire le niveau de la denrée qui jouit de l’avantage de ce régime, puisque le commerce sans cesse occupé de son intérêt, portera du blé partout où son prix deviendra supérieur et que, 408 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] par là même, il ne pourra plus se former d’accaparements, surtout si le gouvernement ne se mêle jamais de ce commerce ; car qui voudra faire un approvisionnement considérable de blé pour en faire hausser le prix, quand l’on aura à craindre qu’une spéculation n’en fasse importer assez pour le faire baisser? En général, excepté en Hollande et en Angleterre, le prix du pain n’est jamais plus haut en aucun pays qu’il ne l’est communément en France; et dans ces deux pays même, le prix n’en excède guère, le prix moyen de ce comestible en France. Aquoi faut-il dont attribuer ces hausses momentanées que prend dans le royaume le prix du ffé ? A la vacillation des administrateurs qui, sans cesse flottant dans leurs opinions, ne peuvent jamais les arrêter, parce qu’elles n’ont pour base aucun principe. Examinons si l’on peut trouver une preuve de cette assertion dans la crise où nous sommes encore. Un administrateur, frappé de terreur de voir le royaume manquer de grain, promulgue au mois de décembre dernier (en annonçant cependant de la confiance) que la sagesse exige d’interdire l’exportation des grains: cette précaution était au moins superflue, puisque, dans tous les Etats qui nous environnent, l’abondance des récoltes avait mis les grains à un bien plus bas prix qu’ils ne l’étaient en France. Peu après, il ne croit pas que cette précaution soit encore suffisante : il y ajoute d’offrir des primes à quiconque apporterait du grain de l’étranger, pour encourager l’importation du nié ; mais c’est encore trop peu de prévoyance: il y ajoute celle de tirer des grains de tout pays, au compte du gouvernement, pour prévenir le malheur de la disette dont était menacé le royaume. Votre comité vous a présenté, Messieurs”, l’hommage de la reconnaissance qu’il croyait dû à tant de sagesse, à tant de prévoyance: quel devait en être l’effet? Que la première disposition a averti le royaume, que la nécessité de ne plus exporter de grain devait naturellement annoncer l’augmentation du prix de cette denrée, par sa rareté, et par là seul, l’a fait enrichir ; que les compagnies souveraines ont calculé que la seule manière de garantir leur ressort de la famine, était de renfermer dans chaque province le grain qui s’y trouvait, qu’arrêt est intervenu de presque tous les parlements, de concentrer dans leurs provinces ce qui y existait de cette denrée : dès lors abondance et prix ordinaire dans quelques parties; pénurie et disette dans le reste du royaume. L’effet naturel de la seconde devait être de faire faire des accaparements dans les provinces frontières, et de rendre ingénieux ceux qui les auraient faits, à trouver les moyens de frauder, pour augmenter la quantité de grains venant de l’étranger, afin de jouir de la prime sur une plus grande quantité importée. Par une semblable disposition, pouvait-on décider le commerçant à faire des spéculations franches, pour tirer du grain de l’étranger, surtout lorsqu’il savait que le gouvernement, de son côté, faisait faire des achats dont il ignorait la qualité, le prix auquel il était acheté, et celui auquel il serait vendu ? Non, sans doute, ce ne sont que les capitalistes qui voulaient se livrer au monopole du commerce des grains, qui, avertis par la défense de leur sortie, l’invitation faite au commerce, de l’importation, ont été tranquilles sur le succès de leurs spéculations, et ont pu commencer leurs accaparements. Que devait-il arriver de la dernière disposition? Ce qui a eu lieu en effet, ce que l’on verra dans tous les temps, lorsque le gouvernement se livrera à un commerce ; des acquisitions mal faites, des blés achetés à trop haut prix, des blés avariés, une perte de fonds immense ; et cela, pour tirer de l’étranger 585,000 muids de blé, c’est-à-dire de quoi nourrir le royaume environ 3 jours. Certes, cet effet ne paraît répondre aux soins qu’on s’est donnés pour le produire. Examinons un instant si la libre et illimitée circulation que je propose, tant au dedans qu’au dehors du royaume, n’aurait pas produit, même dans cette année de disette, un effet plus utile que les précautions et acquisitions employées. Le prix de tous les marchés qui environnent la France, malgré la prohibition de l’exportation, démontre sûrement pue ces lois et précautions auraient pu être différées, ou même suppriniées, sans inconvénient, puisque partout, le grain a été moins cher qu’en France. Le commerce attentif aux moyens de faire des grains, n’ayant point de craintes d’une baisse de prix produite par l’effet des précautions du gouvernement, aurait procuré des grains tirés de l’étranger, aux provinces qui auraient pu en manquer; une libre circulation intérieure établie, aurait fait trouver à cette denrée son niveau dans le royaume: c’était là la loi que devait faire porter l’administration ; et alors, quand même le royaume n’aurait pas reçu de quoi se nourrir pendant 3 jours (résultat de ses soins), on aurait trouvé des ressources suffisantes dans la France même, qui auraient permis une tranquillité que l’on a ravie bien inutilement au meilleur des rois; le trésor de l’Etat aurait aujourd’hui 30 millions dont on l’a privé, on aurait évité une exportation de fonds hors du royaume (1) à laquelle ont forcé des alarmes mal fondées, qui ne peuvent être pue le résultat du peu de justesse que l’on a mis à ces opérations. Le poids le plus grand des impôts doit porter désormais sur les fonds; et vu l’énormité de leur quotité, comment les fonds pourront-ils les payer, si le prix de la denrée qui doit en fournir les moyens, est sans cesse exposé à la variation du prix, que ne manquera pas d’amener la liberté d’ouvrir ou de fermer l’exportation? Ce n’est qu’une grande égalité dans le régime de la circulation des grains, qui puisse établir l’égalité dans ies prix et dans les versements de cette denrée de nécessité première à l’existence des hommes. Mais, dira-t-on, l’Angleterre a une règle pour fermer l’exportation ; cette loi propre à l’Angleterre, n’est d’abord que rarement employée; elle n’a pas été portée en Angleterre que par des motifs qui n’existent point en France ; cette île fermée de toutes parts de ports commodes, percée de rivières et de canaux qui facilitent infiniment les transports intérieurs, a des facilités d’exportation, qui n’existent pas dans le royaume sur plus des deux tiers de sa frontière, et que l’on ne trouve certainement pas dans son intérieur. L’Angleterre a d’immenses colonies à approvisionner ; elles ne sont nullement en proportion a yêE le royaume britannique; une partie de l’An-fl) On attribue à cette exportation de fonds, devenue nécessaire, la perte énorme du change qu’éprouve la France dans cet instant, dans toutes les places de commerce de l’Europe. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ Annexes . 409 gleterre est couverte de communes, qui nourrissent de nombreux troupeaux ; de pâtures que l’humidité de l’air rend presque toute l’année susceptibles du même usage ; enfin cette Angleterre, dans les années de la plus grande abondance, récolte à peine de quoi nourrir ses habitants pendant une année et demie. Ce tableau est facile à comparer à celui de la France, qui, indépendamment du grain que lui donnent ses cultures, de la difficulté d’exportation sur une grande partie de ses frontière), a, par ses ports sur la Méditerranée, la facilité de tirer des granis de Barbarie et de Sicile. Quand on veut se proposer pour modèle ce qui se fait dans un autre pays, il faut aussi examiner les relations ou les différences de position de ces pays, avec ceux auxquels on veut appliquer les mêmes lois. Une loi qui défendrait ce commerce, ou le limiterait, ramènerait au régime des prohibitions, qu’il faut, autant qu’il est possible, éviter, puisque ces prohibitions que l’appât du gain fait toujours enfreindre, sont l’école la plus immorale qui puisse être ouverte à une nation (1). Venons à présent, à la manière dont la loi est libellée. Pour imprimer horreur du crime énoncé dans une loi, crime de lèse-nation, il faut, en effet, que le délit contre lequel un semblable anathème est lancé, donne atteinte aux droits de cette nation ; ce ne sont pas de vains mots qui impriment le respect, mais la grandeur et la vérité de l’idée qu’ils présentent : je ne crois pas que ce soit ici le trait caractéristique de l’application du crime de lèse-nation; car cet anathème serait lancé contre l’infraction à une loi que l’on pourrait dire au moins peu réfléchie, et je craindrais que la nation ne fût bien plus lésée par la sanction donnée à la loi, que par son infraction. Je pense que l’Assemblée nationale ne doit porter de lois que des lois définitives, et jamais de lois provisoires; et dans cette hypothèse, elle devrait se contenter de prononcer la circulation des grains jamais interrompue dans l’intérieur du royaume, et laisser à l’administration, instruite delà situation des récoltes de cette année, la police de l’exportation, attendant à prononcer définitivement sur cet objet, à connaître d’une manière précise la situation du royaume dans tous les temps, et encore sa position actuelle relativement à cette denrée de nécessité première, et dont il faut que le prix soit à un taux auquel l’artisan puisse vivre, et le cultivateur et le propriétaire payer les énormes impôts auxquels ils sont assujettis, que l’abandon des privilèges pécuniaires, fait par ceux qui en jouissaient, ne permettra pas de diminuer, à raison de la conversion des impôts indirects en impôts directs. Sur la sanction royale . J’avais motivé, dans le plus grand détail, mon (1) Cette vérité est démontrée pour quiconque a voyagé en observateur : les crimes atroces ne sont connus que dans tes pays de prohibition ; cependant, dans ces pays, le caractère naturel des habitants est peut-être plus doux qu’en aucun autre ; quelle est donc la raison d’une vérité si affligeante? Elle est sans doute que, dans ces pays, les prohibitions y sont l’école des grands crimes ; j’ai souvent consulté des magistrats qui avaient été longtemps à la Tournelle, et je tiens d’eux que presque tous les scélérats ont commencé par être contrebandiers. opinion sur la sanction royale; mais plusieurs préopinants s’étant servis des mêmes moyens que moi pour l’appuyer, je me suis abstenu de l’énoncer. Mon avis é'tait codçu en ces termes : La sanction royale sera-t-elle nécessaire à l’admission delaloi? Cette question ne peut être problématique que pour un petit nombre de personnes dans cette Assemblée, puisque, n’élantrien que par la volonté de nos commettants, que leur volonté exprimée dans la plupart des cahiers, ne nous laisse aucune équivoque sur ce point de notre Constitution, je ne doute pas que lorsque l’on appellera les voix sur cette proposition, une grande majorité ne se déclare que pour la sanction royale. Mais quelle sera la nature de cette sanction? sera-t-elle absolue? ne sera-t-elle que suspensive ? La Constitution du pouvoir législatif, sa permanence ou sa périodicité peut-elle influer sur la nature de la sanction royale? C’est ce que je crois facile à résoudre, en réfléchissant un instant jusqu’où il est possible à un seul homme de résister à la volonté de 25 millions d’individus, qui l’entourent ; car soit qu’il y ait deux Chambres, soit que les Etats soient périodiques ou permanents, la loi que la nation proposera au roi de sanctionner, sera, ou la volonté de la nation exprimée, ou celle des individus composant l’Assemblée nationale, présumée par eux devoir être la volonté de leurs commettants. Si la loi présentée à la sanction est la volonté de la nation exprimée par les mandats, peut-on penser qu’un roi aussi méchant même que celui qui gouverne est bon, aussi mal intentionné que celui qui règne l’est bien, pût tenter de résister à la volonté générale? Le moment actuel n’est-il pas une preuve convaincante de ce que deviendrait la puissance d’un tel souverain? Puisque, malgré la pureté connue des Intentions de ce roi, après une aussi longue habitude de l’obéissance, la seule crainte de la résistance a pu produire de tels effets que ceux que nous voyons, peut-il rester des craintes à cet égard? Examinons à présent l’effet de cette sanction royale, sur une loi proposée, dont l’existence ne serait pas démontrée nécessaire, par le vœu de la plupart de nos commettants: le roi alors dirait à l’Assemblée nationale, à l’instant de la présentation de la loi, qu’il en refuse la sanction; ou, si vous l’aimez mieux, j’examinerai ; parce qu’eu effet, ce refus est un examen de la loi, dont il a cru devoir refuser la sanction : si, la loi examinée, l’intérêt du peuple par sa rejection est lésé, ce peuple se plaindra, le roi pourra-t-il persister dans son refus? Quel pourrait être son intérêt? 11 est lui-même au-dessus des lois. La nation craindrait-elle qu’il ne se laissât aller aux conseils des ageDts de l'autorité, auxquels ces lois mettraient un frein? Ces agents ne sont-ils pas responsables du conseil qu’ils donneraient de la refuser? A l’appui de ces réflexions, vient l’expérience que nous venons d’avoir récemment, du peu d’effet que peut, produire la malveillance des ministres, et ce que nous voyons chez une nation que nous avons sous les yeux, ou la sanction sans limite n’a jamais produit aucun effet fâcheux ; ses bornes, c’est la nature des choses qui les place; un seul homme ne résiste pas à la volonté de tous. Les ministres ne seront plus désormais à redouter, puisqu’ils sont responsables de leurs conseils. Ceux actuels, ajuste titre, sur leurs bonnes intentions, ont votre confiance: des raisons si puissantes doivent faire évanouir toutes les craintes et vous décider à prononcer, ainsi que vous le propose votre comité de Cons- 410 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] titution : Que les lois doivent avoir la sanction | royale pour être obligatoires. C’est, selon moi, le parti auquel doit s’arrêter une nation qui vient j de faire si récemment l’épreuve de l’empire imprescriptible de l’opinion, de la justice et de l’amour de la liberté: quelle force cette opinion ne recevra-t-elle pas par la liberté de la presse? Avec tant de garants de la liberté nationale, ne pourrait-on pas imputer à la faiblesse de marquer encore des craintes? Ces vaines précautions donneraient des moyens d’abus d’autorité bien plus redoutables pour la liberté publique, que ceux de la puissance royale ; je veux parler du pouvoir aristocratique, que pourrait usurper un jour l’Assemblée nationale : voilà le pouvoir dont il faut que vous défendiez les peuples; c’est de la tyrannie de 900 représentants qu’il faut les préserver; elle deviendrait d’autant plus redoutable, qu’elle serait exercée au nom de la loi. Une Assemblée peut un jour être tentée d’abuser de ses pouvoirs, formés par l’intrigue, mettre en danger la liberté publique; et à mes yeux, le seul obstacle à lui opposer, c’est l’effet de la sanction royale, appliquée à une loi qui attaquerait cette liberté publique, et qui, par la fermentation que ne manquerait pas de produire la sanction refusée, tirerait la nation de la léthargie où elle serait ; maladie qui qutdquefois attaque les corps politiques, et dont le remède ne peut être que dans une commotion que produirait nécessairement le refus de la sanction. Ce moyen d’obvier aux égarements du Corps législatif est précisément le point de perfection sur toute autre constitution du gouvernement monarchique; pour l’obtenir, il fallait détruire les privilèges des ordres, des corp3 et des provinces, afin que la luitedes intérèis particuliers ne puisse jamais prévaloir sur l’intérêt général ; et vous en êtes arrivés à ce point désirable. Que l’on ne donne pas pour raison, que le roi revêtu de l’autorité exécutive, aura toutes les autorités, s’il a, dans la législation, le pouvoir de sanctionner les lois. S’il devient assez maître de son militaire pour pouvoir lui commander à son gré, il saura bien se donner le veto absolu, quand la nation ne lui aurait accordé qu’un pouvoir suspensif; il ne faut donc pas lui faire naître le désir de l’usurper en le limitant. N’ayant point énoncé cette opinion dans l’Assemblée, lors de la discussion isolée de la sanction royale, je me suis contenté d’en former le résumé, lorsqu’il s’est agi de traiter les trois questions réunies, de la permanence de l’Assemblée ou de sa périodicité, de son unité ou de sa division en plusieurs Chambres, réunies à la sanction royale. Sur la proposition faite par le comité de Constitution, de la permanence de l’Assemblée , de l'établissement d’un Sénat et de la sanction royale. La nécessité de la permanence des Assemblées nationales ne paraît plus un problème; au moins je crois qu’il a été trop démontré par une foule de préopinants, à quel point cette permanence était devenue nécessaire, pour ne pas espérer de la voir prononcer dans cette Assemblée. Je ne répéterai aucune des raisons qui ont été données pour appuyer cette opinion (1). (1) J’ai surtout été frappé d’une raison donnée par un des préopinants. La France aurait-elle besoin de Je mécontenterai donc de raisonner dans cette hypothèse, et alors je dirai que la sanction royale n’est pas une concession que la nation fait au roi, mais un droit qu’elle le charge d’exercer pour la conservation de sa liberté, et pour empêcher le pouvoir législatif de dépasser les bornes des pouvoirs qu’il tient de la nation, la garantir des lois qui ne seraient que le résultat de l’effervescence des passions qui pourraient agiter un jour ses représentants, et la faire gémir pendant de longues années, d’avoir négligé d’opposer cette digue à leurs entreprises. Ce moyen aurait l’avantage de rendre l’Assemblée nationale circonspecte dans la formation de ses lois, et attentive à n’en jamais former qui donnent atteinte à la prérogative royale conservée par la Constitution. Dans la supposition du partage égal des voix dans l’Assemblée, mon opinion particulière est que la loi doit être rejetée si le roi la refuse, et admise s’il l’accepte, parce que je compte pour quelque chose i’opinion du chef de la nation. Avant la convocation des Etats généraux, il existait une noblesse en France, qui tenait son origine de l’époque de la seconde race de nos rois; cette distinction était devenue héréditaire depuis plus de 10 siècles; il est même plusieurs familles existantes eneore, dont les histoires ou fables généalogiques, comme il plaira au public de les appeler, font remonter l’origine au delà de cette époque. Cette prérogative avait été longtemps attachée à des possessions que l’on appelait fiefs, dont le nom même un jour sera oublié; cet ordre de choses, vicieux sans doute, avait formé un gouvernement plus vicieux encore, que l’on appelait aristocratique. Dans un tel gouvernement, le pouvoir était entre les mains des nobles; ils étaient les tyrans de leurs vassaux, et les despotes des rois. "Saint Louis porta le premier coup à ce gouvernement monstreux ; les rois, les sucesseurs, se sont sans cesse occupés à abattre la puissance de cette noblesse, qui avait tenu pendant longtemps ses prétendus maîtres en tutelle : ce qui en restait le jour de l’ouverture des Etats généraux, ne pouvait plus se dire que l’ombre de celle qui avait causé de si grands maux; quelques individus de ce corps formèrent peut-être le projet de le relever; ce plan imaginaire s’est évanoui comme une chimère : si ce plan fut jamais formé, il en était une en effet. Sortis d’un état de choses qui avait causé de si grands maux à la France, faut-il, par l’établissement d’un sénat, ramener un gouvernement que l’on a été 500 ans à détruire ? Quoi ! tel serait le délire de l’esprit humain, que quelques hommes, peut-être conduits par l’ambition de dominer, voudraient faire naître un nouvel ordre de choses, plus vicieux que celui d’où nous sortons, pour obtenir de vaines distinctions. Une nation assemblée s’abandonnerait-elle à ces rêves d’imaginations exaltées? penserait-elle qu’il ait fallu détruire un ancien ordre qu’on pouvait rectifier, pour en établir un dont les inconvénients sont si faciles à prévoir, plus de 300 millions d’impôts aujourd’hui, si les Assemblées nationales avaient eu lieu depuis 40 ans ? Elles couleront 3 millions par an; j’ajouterai qu’elles éviteront plus de dépense qu’elles ne coûteront, puisqu’elles éviteront les frais de révision de compte àla chambre des comptes; leurs révisions s’élèvent chaque année à de plus grandes sommes. [Annexes.] [Assemblée nationale.] et devraient être plus grands mille fois que ceux que nous venons de détruire? Quoi! serait-il donné à l’esprit humain de se précipiter d’erreur en erreur, sans pouvoir s’arrêter un instant à des idées justes? s’il fallait des distinctions, n’était-il pas plus simple de conserver les anciennes établies? on en connaissait les vices; il était facile de les extirper. On appuie la proposition d’un sénat qui devrait former partie intégrante de la législation, d’une foule de raisonnements dont il est facile de démontrer le peu de solidité. Ce sénat est impossible à mettre en parallèle avec ia Chambre des pairs britannique, formée des débris de la noblesse. C’est là l’origine des pairs d’Angleterre; partout où il y aura un corps composé comme l’est cette chambre des pairs, il soutiendra avec nerf l’autorité royale, puisque son existence politique est liée au maintien de cette autorité. En Angleterre, s’il n’y avait plus de roi, bientôt il n’y aurait plus dé pairie; le sénat que l’on se propose d’établir, ne remplira pas le même objet: s’il est élu par les peuples, il sera d’abord un moyen fourni à l’intrigue; l’homme riche et puissant par sa fortune s’occupera à acheter, à corrompre des voix, et par ce moyen, à s'élever à la dignité de sénateur. Si tels sont les principes du gouvernement que l’on veut donner à la France, que l’esprit d’intrigue, de vénalité et de corruption en soit la base, il était inutile de tant détruire pour y substituer un nouvel ordre aussi vicieux. Dira-t-on que dans un Etat où tous prennent part à l’administration, aux élections, ce sera le mérite et les talents qui porteront à ces distinctions? Le vrai mérite presque toujours est peu connu; l’homme orgueilleux, vain, présomptueux, enveloppant tous ces défauts de quelques dehors trompeurs, d’éloquence, de prétendus talents, joignant à ces moyens employés avec adresse, ceux de l’intrigue et de la vénalité, formera la classe d’hommes qui obtiendront les distinctions, les places de sénateurs. Si les assemblées provinciales sont chargées de nommer ceux qui rempliront ces places, elles deviendront plus dangereuses encore pour la liberté publique. Ces sénateurs formeront, vous a-t-on dit, le tribunal qui appliquera la loi aux crimes d’Etat : quelle monstrueuse aristocratie élèverait un semblable système de gouvernement 1 Comment une province mal administrée obtiendrait-elle ie redressement de ses griefs, lorsque ces administrateurs présenteraient ceux qui deviendraient les juges de ses réclamations, et qu’ils formeraient partie du corps judiciaire qui, dans tous les temps, devrait prononcer sur les griefs dont les provinces auraient à se plaindre? Quel pouvoir serait celui de ces sénateurs dans les provinces? Les administrations provinciales et secondaires auraient trop d’intérêt à les ménager, pour ne pas prédire que bientôt ces hommes deviendraient des souverains : quelles ressources resterait-il alors à un peuple qui porterait des chaînes aussi lourdes que seraient celles dont on l’aurait entravé? Le roi lui-même conserverait-il assez d’autorité pour défendre son peuple courbé sous jeur poids? Si l’élection de ce sénat était donnée à la puissance royale, quel moyen de corruption mis dans les mains du souverain! Il dirigerait bientôt les résolutions de ce corps; formant partie intégrante delà législation, lorsqu’un membre des communes voudrait être élevé à la dignité de sénateur, le plus sûr moyen d’y arriver serait de subvertir tout ordre, de se 411 montrer eu effréné dans le parti de l’opposition. Dans tous les cas, ces distinctions deviendraient bientôt héréditaires, si les assemblées présentaient à ces dignités, ou si le roi y nommait, et même si concurremment les assemblées et le roi contribuaient à ces élections ; les peuples, dans ce climat, cèdent si facilement à l’habitude de la domination d’une famille, que bientôt un père ferait passer sa place à sou fils. N’est-ce pas ainsi qu’est arrivée la distinction et l’hérédité de la noblesse? Si le roi nommait à ces places, combien plus facilement encore cette hérédité aurait-elle lieu? Il paraît incompréhensible que l’on puisse imaginer faire illusion à une nation éclairée. Deux Chambres ne peuvent jamais, si elles sont formées sans intrigues, produire d’autre effet qu’un choc de pouvoirs, qui briserait tous les liens du corps politique de l’Etat. Si l’intrigue et la corruption s’introduisent dans leur formation, elles vicieront la nation entière, au point d’amener la dissolution du gouvernement par la destruction du caractère moral de la nation : voilà l’inconvénient connu de la forme du gouvernement de l’Angleterre. Comment ce corps aristocrate (car c’est à ce sénat qu’à juste titre on pourrait donner ce nom) ne tremblerait-il pas pour son existence? Ne craindrait-il pas qu’avant qu’il eût produit tous les maux qu’il est facile de prévoir, il fût devenu la victime de la fureur d’une nation trop éclairée pour rester courbée sous un tel joug? Il y a aussi en'Suède et en Russie un sénat : dans ces deux pays quelle est son utilité? A Venise, il en existe un, en Danemark il existait; dans ce dernier royaume, il a forcé les peuples a lui préférer le joug d’un despotisme légal; en Angle-tere, la Chambre des pairs ne doit son existence qu’à sa nullité dans l’administration de la chose publique; serait-ce ce dernier rôle que l’on préparerait à ce sénat? Les âmes des Français sont trop actives pour s’y vouer; la subversion du gouvernement serait ia suite d’un semblable établissement. Une seule Assemblée nationale, au contraire, composée d’un assez grand nombre de représentants, pour qu’en effet les suffrages ne pussent être achetés (900 par exemple), renouvelée assez souvent pour ne point laisser le temps à l’ambition de jeter de profondes racines dans les âmes, formerait une puissance législative, bien plus imposante sans doute, que ne; peut être le parlement d'Angleterre, dont tous les inconvénients sont connus. L’intérêt de la nation est d’opposer au pouvoir d’une Assemblée législative aussi nombreuse, une sanction royale; ceux qui ont parlé contre cette sanction, ont sans cesse appuyé sur le danger de voir envahir la puissance législative par le pouvoir exécutif. Je trouve qu’il est bien plus dangereux de voir le pouvoir législatif envahir le pouvoir exécutif. Une partie de ce pouvoir va être confiée à la nation par les administrations provinciales, secondaires, et les municipalités. Elle participera aussi à l’élection des tribunaux judiciaires; comment, avec tant de moyens de tempérer l’autorité royale, peut-il rester des craintes de la voir envahir le pouvoir législatif? N’est-il pas facile de prévoir que, dans la sanction, la puissance royale ne sera plus qu’une ombre, qui bientôt s’effacera pour faire place à l’anarchie! Voilà le gouvernement que vous préparez à vos descendants, si vous n’adoptez purement et simplement la proposition de la sanction, ainsi que l’a proposé votre comité. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 412 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.) L’Assemblée nationale peut vouloir un jour envahir tous les pouvoirs; elle a plus de moyen pour y réussir qu’un seul homme, qui ne peut être à redouter dans UDe nation qui connaît ses droits, et capable de déployer autant d’énergie que la nation française. Mais déclarer que le roi a un veto, dire que ce veto est absolu, serait sans doute une absurdité. Déclarer que ce veto n’est que suspensif, serait dire qu’il n’existe pas ; il faut donc laisser à la sanction sa valeur réelle, qui dépendra toujours de l’opinion qu’une nation éclairée se formera de la sanction refusée; existera-t-il un roi qui puisse refuser une loi à la troisième assemblée qui la la demandera? Je reviens au Sénat. L’Assemblée nationale doit être organisée de manière à juger les crimes d’Etat, dit-on : le moyen de lui donner cette organisation, est un sénat. Il en est un autre très simple et qui n’a pas les dangers du sénat : dans chaque grande division dont la France sera composée, après le travail qui va avoir lieu à cet égard, les élus à l’Assemblée nationale se réuniront dans le chef-lieu delà province pour y élire dans les tribunaux un magistrat dont la fonction, pendant chaque session, sera d’appliquer la loi aux procédures faites par les jurés, et encore d’avoir voix consultative avant ia présentation des lois à la sanction pour énoncer dans l’assemblée les objections gui pourraient être faites sur ses lois à présenter à la sanction royale : ce serait un moyen utile, surtout chez une nation vive, et qui, par caractère, pourrait être entraînée. Les délibérations mûries n’en seraient que plus respectées. La fonction de ces légistes ne durerait qu’au-tant que la délégation des députés qui les auraient choisis : après ce temps écoulé, ils ne pourraient, comme eux, être rappelés à l’Assemblée nationale que par une nouvelle élection faite dans les mêmes formes, ils formeraient uu bureau judiciaire et consultatif; leurs avis motivés une fois donnés, leurs fonctions seraient terminées. J’énonce mon opinion avec cette liberté qui appartient à l’homme dont l’âme ne reconnaîtra jamais de pouvoir, que celui des principes, de la vérité et du devoir. proposition. Que par la Constitution, la sanction soit donnée au roi, dans les termes proposés par le comité de Constitution. Que quand il jugera nécessaire à l’intérêt de son peuple de réfuter cette sanction à une loi proposée, qu’alors après avoir fait connaître à l’Assemblée sa volonté en ces termes : j'examinerai , la loi ne puisse plus être présentée à la sanction dans le cours de la. session, à moins qu’il n’y ait été fait amendement, que si elle était encore refusée, l’Assemblée ne puisse plus la présenter dans la durée de la session. Que les assemblées nationales soient déclarées permanentes. Qu’elles soient assemblées chaque année au 1er de mars, pour 3 mois, et pour plus longtemps si les affaires l’exigent. Le roi alors prolongera la séance; l’Assemblée ne pourra demander plus de trois prolongations, d’un mois chacune. Que le nombre de représentants de la nation soit fixé à 900 au plus, réunis en une seule Assemblée; que ces représentants ne puissent être élus que pour 2 ans; que chaque année les représentants s’ajournent pour la session de l’année suivante. Qu’arrivée l’époque de leur dernière session, ils ne dissolvent l’Assemblée qu’après la réception, dans les bailliages, des lettres de convocation pour procéder à une nouvelle élection. Que l’élection des représentants de ia nation une fois faite dans chaque province, tous les élus de cette province, ou des grandes divisions dans lesquelles le royaume sera partagé, soient tenus de se réunir dans le chef-lieu de la province, 8 jours après leur nomination, pour procéder à celle d’un magistrat choisi par eux au scrutin, et à la majorité, dans le nombre des juges de la province, pour remplir à l’Assemblée nationale les fonctions de Grands-Juges. Ces Grands-Juges ne siégeront qu’aussi longtemps que l’Assemblée nationale, et seront renouvelés aussi souvent que les représentants de cette Assemblée, et toujours dans la même forme qui vient d’être dite. Les fonctions des ces Grands-Juges seront de former, après la discussion d’un changement dans les lois, ou d’une nouvelle loi mise en délibération, un résumé en forme de conclusion, qu’un d’eux sera chargé de présenter, et d'appuyer de motifs avant que l’Assemblée aille aux voix; cette fonction ne leur sera attribuée qu’en matière de législation, ces magistrats ne pourront jamais avoir voix lorsqu’on ira aux opinions; ils n’auront que voix consultative en matière de législation. Ces Grands-Juges formeront le tribunal qui appliquera la loi aux procédures faites par les jurés : lorsque l’Assemblée aura prononcé nécessaire de décréter et de poursuivre un accusé atteint d’un crime qui léserait les intérêts de la nation, leur place sera marquée au milieu du parquet de l’Assemblée. OBSERVATION. L’opinant qui s’est fait entendre après moi, aux talents duquel je rends un hommage si mérité, ainsi qu’à la force irrésistible, et à l’enchaînement de ses conclusions, a développé une opinion absolument contraire à celle que j’avais énoncée; mais qu’il me soit permis de lui observer qu’il est parti d’une supposition qui me paraît chimérique : c’est que la législature actuelle puisse empêcher celles qui lui succéderont, de réformer, avant une époque quelconque, la Constitution que nous formons. Qu’il me soit permis d’observer aussi qu’en matière de législation constitutive des Empires, les raisonnements métaphysiques, quelque fortement tissus qu’ils soient, sont quelquefois atténués par l’expérience, dont les effets contraires à ceux prévus par le raisonnement, ont une cause naturelle dans le caractère moral des hommes pour lesquels sont faites les Constitutions et les lois qui les établissent.