SÉANCE DU 3e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (VENDREDI 19 SEPTEMBRE 1794) - N°B 15-17 287 commission d’agriculture et des arts à la place du citoyen Brunet, dans les termes qui suivent : La Convention nationale, sur la présentation qui lui a été faite par le comité d’Agriculture et des Arts, nomme le citoyen Berthollet, commissaire de la commission d’agriculture et des arts, à la place du citoyen Brunet (32). 15 Plusieurs membres font des observations et des propositions au sujet des scellés sur le mobilier des détenus, et pour assurer la subsistance des enfans des détenus. La Convention nationale en décrète le renvoi aux comités de Législation et des Finances, avec la proposition faite par un autre membre, que l’on propose une disposition dans laquelle on assurera aux enfans et aux femmes des détenus les moyens de subsister (33). [Motion de Forestier au sujet des biens des détenus, 3e jour sans-culottide an II] (34) Un membre fait la motion que désormais on ne puisse mettre en arrestation et apposer les scellés sur le mobilier des détenus qu’il n’en ait été fait un inventaire sommaire et descriptif en présence de la personne arrêtée ou de tel fonctionnaire public ou ami qu’il indiquera et qu’il chargera de pouvoir à cet effet ; il demande que le comité des Finances soit chargé de présenter dans vingt-quatre heures un projet de décret sur sa proposition. Adopté. Forestier. Renvoi aux comités de Législation et des Finances avec la proposition faite par un autre membre (35) que l’on propose une disposition dans laquelle on assurera aux enfans et aux femmes des détenus les moyens de subsister. [Dubois-Crancé dit que les familles des détenus sont plus malheureuses que celles des guillotinés. Celles des guillotinés partagent avec la République et les autres meurent de faim. Le comité de Législation présentera sous trois jours un projet de décret pour prévenir ces abus.] (36) (32 ) P.-V, XLV, 338. C 318, pi. 1287, p. 31. Décret n° 10 950bis. Minute de la main de Roux. Rapporteur anonyme selon C* II 20, p. 305. (33) P.-V., XL V, 338. Décret n° 10 947. Rapporteur : Forestier. (34) C 318, pl. 1287, p. 33. Seule la motion est de la main de Forestier.Dé bats, n° 729, 552 ; M. U., XLIII, 554-555 ; J. Perlet, n° 727 ; F. de la Républ., n° 440. J. Fr., n° 726, attribue la motion de Forestier à Roger Ducos. (35) Le nom de Dubois-Crancé a été raturé. (36) F. de la Républ., n° 440. Débats, n° 729, 552 ; J. Perlet, n° 727. 16 Un membre propose de renvoyer au comité de Législation et à celui d’Agriculture, réunis, la question de savoir s’il ne seroit pas convenable d’exclure du partage des communaux ceux qui possèdent une certaine quantité de propriétés foncières. Cette proposition est décrétée (37). 17 Un membre [Dubois-Crancé] fait une motion d’ordre et lit un discours sur les obstacles qui s’opposent au rétablissement du bon ordre, du commerce, de l’industrie et de la confiance publique, et propose un projet de décret. La Convention nationale en ordonne l’impression et l’ajournement (38). GARNIER (de Saintes) (39) : J’ai demandé la parole pour appeler les regards et l’attention de tous les députés, qui aiment sincèrement la patrie, sur tous les objets qui nous environnent. Depuis huit jours je vois dans Paris des hommes qui lèvent une tête audacieuse. Il y avait hier au Palais-Egalité, qui redevient le Palais-Royal, des êtres insolents qui outrageaient impunément les patriotes, et surtout ceux qu’ils pouvaient soupçonner d’être Jacobins. Plusieurs de nos collègues y sont allés pour juger ce mouvement ; ils ont reconnu qu’il était contre-révolutionnaire et royaliste. Les voilà donc arrivés ces hommes impurs, pour recruter et défendre le parti de ceux qui disent vouloir sauver le peuple ! Sauver le peuple; c’est lui qui saura se sauver. Pour contribuer à son salut, il faut être sincèrement son ami ; mais ce ne sont pas ceux qui vont prendre des repas à 50 L par tête; non, ce ne sont pas là les vrais amis du peuple. Ces contre-révolutionnaires royalistes, qui n’attendent peut-être que le moment du rapport de vos trois comités pour agiter le peuple, sont des correspondants des brigands de la Vendée et des amis des aristocrates mis en liberté. Mais il y a dans la Convention et dans le peuple un courage énergique qu’on ne pourra vaincre. La Convention aussi saura ne se pas laisser surprendre par le prétendu mot d’ordre de vive la Convention. (On murmure.) Sans (37) P.-V., XLV, 338. C 318, pl. 1287, p. 34. Décret n° 10 952. Minute de la main de Boudin. Rapporteur anonyme selon C* II 20, p. 305. Rép., n° 274. (38) P.-V., XLV, 338. Décret n° 10 953. Rapporteur anonyme selon C* II 20, p. 305. (39) Moniteur, XXII, 4-7. Débats, n° 729, 545-549 ; Gazette Fr, n° 993 ; J. Perlet, n° 727 ; M.U., XLIII, 538 et XLIV, 28-30, 45-48 ; Ann. Patr., n° 627 ; F. de la Républ., n° 440 ; Ann. R. F., n° 291 et n° 1 ; C. Eg., n° 762 ; J. Fr., n° 725 ; J. Mont., n° 143 ; Mess. Soir, n° 762 ; Rép., n° 274 ; J. Univ., n° 1760 ; J. Paris, n° 628. 288 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE doute tous les bons patriotes doivent se rallier autour de la Convention. (On applaudit.) Sans doute nous sommes tous convaincus que sans la Convention la liberté est perdue. ( Nouveaux applaudissements.) Mais il ne faut pas que la Convention se laisse calomnier par ceux qui se couvrent de son nom. Je demande que le comité de Sûreté générale fasse un rapport sur cet objet. DUBOIS-CRANCÉ : Il est temps que la Convention se prononce, et qu’elle ne devienne pas le centre des fluctuations que quelques brigands, couverts de crimes, et qui ont pillé la République, cherchent à y exciter. (On applaudit.) Oui, sans doute, il y a deux partis dans Paris ; l’un est composé de tous ceux qui aiment la liberté, qui se rallient autour de la Convention; l’autre, de tous ces hommes pervers qui ont servi le despotisme de Robespierre, qui ont trempé leurs mains dans le sang, qui ont fouillé dans le sang. (On applaudit.) C’est particulièrement dans les anciens comités révolutionnaires que vous trouverez des conspirateurs contre la patrie. En vain se sont-ils couverts d’un masque de patriotisme; la Convention finira par le leur arracher. (Nouveaux applaudissements.) Toute la France vous a remerciés de la journée du 9 thermidor : la France entière vous dit : Soyez unis, et nous sommes sauvés. Le peuple veut la justice et non la terreur. Nous avons combattu longtemps avec toute l’énergie révolutionnaire, lorsqu’il a fallu abattre la monarchie, le fédéralisme et les factions. Aujourd’hui devons-nous être ce que nous étions? Oui, en principes; mais en action, non. Il faut de l’énergie pour conquérir la liberté : pour la conserver il faut de la sagesse. Ce n’est pas en portant le désespoir dans les familles; ce n’est pas en faisant, comme quelques hommes revêtus de la confiance des Robespierre et des Couthon, plus d’aristocrates en un jour que la révolution en cinq années de crises politiques, qu’on peut conserver la liberté. (On applaudit.) On parle de ce qui s’est passé hier au ci-devant Palais-Royal. Eh bien, je sais qu’il y avait dans ce lieu deux partis dont l’un criait : Vivent les Jacobins ! et l’autre Vive la Convention ! (Toute l’assemblée et les spectateurs se lèvent en criant : Vive la Convention ! La salle retentit d’applaudissements). Je suis allé hier me délasser à l’Opéra ; on y a chanté un couplet dans lequel on disait : Les Jacobins abattront le Marais, les Pitt et les Cobourg. Il a été redemandé, répété, et vivement applaudi par une troupe de brigands et de scélérats. Citoyens, ne vous endormez point... Il y a des hommes qui disent : Nous triompherons, et ce ne sera pas long. On entend partout des menaces atroces, partout on voit des serments de guerre civile. On rencontre des hommes qui ont reçu des cartes des comités révolutionnaires, ou qui ont fui leurs départements pour éviter la peine due à leurs crimes. Il est temps, encore une fois, que la Convention se prononce. Il y a huit jours que j’ai demandé la parole pour une motion d’ordre; si la Convention veut me l’accorder, je lui présenterai quelques vues qui pourront contribuer à l’éclairer sur les mesures à prendre pour soutenir à flot le vaisseau de la République, et l’empêcher d’être englouti par les orages soulevés par des brigands. La Convention accorde la parole à Dubois-Crancé. Il monte à la tribune. DUBOIS-CRANCÉ : Par décret du 28 fructidor (40) vous avez chargé tous les représentants du peuple de vous indiquer, autant qu’il serait en leur pouvoir, les meilleurs moyens de rétablir en France le commerce, l’agriculture et les arts ; déjà Isoré vous a présenté des vues utiles (41) ; il a calculé les entraves qu’opposaient au bien public l’aristocratie, l’égoïsme et la malveillance; il vous a proposé des moyens de réformer les abus qui en résultaient, mais il n’a pas touché au principal point de la question ; ce point c’est de commencer par rétablir en France l’harmonie, la confiance, la sûreté des opérations tendantes au bien public; ce point est la garantie bien déterminée de la sûreté des personnes et des propriétés, si longtemps violées par un régime de sang et de la plus féroce extravagance. Je viens essayer de remplir cette tâche ; je viens me lancer dans une carrière immense, et, si je ne fixe pas votre attention sur tous les objets qui la méritent, j’espère que d’autres personnes, la parcourant après moi, en rechercheront avec soin tous les détours. Je vais tâcher du moins de placer quelques points de reconnaissance, et d’attacher le fil qui doit nous guider dans ce labyrinthe. Je n’entrerai point dans des détails d’administration; je n’en parlerai que sous les rapports politiques ; je dirai franchement nos fautes, je les crois faciles à réparer, et il ne faut pas que nos ennemis triomphent un instant de nos incertitudes. Depuis l’époque où la cour, écrasée du poids de ses dilapidations, luttant d’autorité contre les parlements, ayant perdu toute son influence en Europe, ne vit plus de ressource que dans l’assemblée des Etats-Généraux, il est évident que la masse du peuple ne variant jamais dans ses principes, a toujours conduit dans le bon sentier le char de la révolution. Dans les trois Assemblées qui se sont succédé, quelques hommes habiles, tantôt ont soutenu les principes, tantôt en ont dévié; et si l’histoire de la révolution française est le tableau fidèle de tout ce qu’un peuple peut développer de vertus et d’énergie, elle est aussi dans ses détails le complément de tous les crimes. Depuis Marie-Antoinette jusqu’à Cornélie Copeau (42) ; depuis Louis XVI jusqu’à Robespierre, en cinq années de mouvements rapides (40) Voir ci-dessus Archiv. Parlement., 28 fruct., n° 41. (41) Voir ci-dessus Archiv. Parlement., 2e jour s.-c., n° 49. (42) Note du Moniteur, XXII, 5 : La fille Dupleix, le premier ministre de Robespierre ; on l’appelait ainsi, parce que Dupleix était menuisier.