85 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] véritable dépendance sur tout le reste quel que soit d’ailleurs son pouvoir nominal (1). Mais enfin, supposons qu’égaré par l’ambition ou trompé par ses ministres, le souverain refusât une bonne loi, ce moment de crise passera, à la session suivante, ou si vous voulez, à la troisième, la loi sera reproposée et probablement admise. Mais ce retard, la perte même d’une bonne loi, sont bien au-dessous des malheurs qui naîtraient d'une Chambre unique de législation : et comme aucune institution humaine ne peut être parfaite, la véritable sagesse consiste à choisir celle qui offre moins de dangers. Le veto du Roi n’emporte donc point de grands inconvénients : au contraire, il est nécessaire pour assurer la Constitution contre les entreprises du pouvoir législatif trop indéfini. Les lois aussi en seront meilleures, car l’Assemblée nationale, sentant qu’elle peut être arrêtée par le souverain, soignera plus son travail que si rien ne devait s’opposer à ses résolutions. L’exemple de l’Angleterre justifie ces grandes vérités : le veto le plus absolu y appartient au roi. Combien de fois en a-t-il usé dans le cours de plus d’un siècle? une seule. Et ses lois valent bien les nôtres. Je remarque ici une progression effrayante dans les idées. Il y a un an, on ne parlait que d’exposer au Roi des abus et le supplier de les réformer. Bientôt on a dit que la nation seule pouvait consentir les impôts. Ensuite qu’elle seule devait proposer les lois pour être, dit le cahier de la banlieue de Paris, agréées ou refusées par le souverain. Aujourd’hui, on veut ôter au Roi le droit de sanction ou le réduire à rien, ce qui est la même chose. Demain, on voudra plus encore. Tel est l’effet du sentiment et de l’abus de ses forces, mais malheur à qui ne sait pas s’arrêter au point que la raison lui marque ! Eh I qui sommes-nous ici ? Les représentants du peuple. Mais g que pense donc le peuple sur cette sanction ? Lisez tous vos cahiers : partout on verra que nos commettants dans la simplicité de leurs cœurs, dans la droiture de leur conscience confèrent ce droit au Roi. Des cahiers, dit-on, ne sont pas des lois, mais seulement des instructions ! Peut-être ; mais enfin ils annoncent que le vœu de toute la France est en faveür de ce veto et nous, les représentants du peuple, nous devons d’autant plus respecter ce cri universel que c’est le seul moyen d’assurer la Constitution et le salut de l’Etat. Craignons que ce souverain qu’on cherche à rendre nul, ne s’arme enfin lui-même de son désespoir; et qu’abusant alors à son tour de la force des circonstances, il ne s’élève plus haut même qu’il ne veut être aujourd’hui. Le despotisme actuel delaSuèden’estdû qu’à l’abaissement où le Sénat voulut plonger son Roi. La monarchie est le seul état qui convienne à un grand peuple ; mais en créant un chef suprême, il faut l’investir d’une autorité proportionnée à (1) Ce moyen est trop dangereux pour que jamais l’Assemblée dût en faire usage, et si je le rappelle ici, c’est uniquement pour faire sentir ce que le souverain pourrait craindre d’un instant de désespoir et combien il a de raisons de ne jamais cesser d’être juste. l’éclat de son rang, à l'étendue des devoirs qu’il lui impose, sans cela la majesté du Trône est flétrie; le respect du peuple tombe ; la force exécutrice s’affaiblit; les lois sont violées; l’administration languit ; une anarchie funeste en est la suite ; car tout se tient dans ce grand ensemble. Loin d’ici de pareils malheurs. Nous sommes Français, c’est-à-dire un peuple fidèle et bon, dont le caractère distinctif est l’amour de son Roi, non pas d’un roi imaginaire, d’un simple exécuteur de volonté, d’une machine (passez-moi le terme) qui ne tournerait qu'au gré de l’Assemblée ; mais d’un magistrat suprême, le chef, l’ami, le père de ses sujets, dont la volonté concourt avec la leur pour assurer le bonheur public, dont la puissance égale l’étendue des devoirs qu’il doit remplir et dont la majesté représente noblement le peuple qu’il a l’honneur de commander. Aimons notre liberté; sans elle, il n’est point de dignité, ni de bonheur; mais songeons qu’elle ne peut exister que dans l’équilibre des pouvoirs publics. Ainsi gardons-nous de cet élan impétueux qui nous jetterait hors des bornes que la raison nous marque. Le veto du souverain peut seul empêcher l’abus qu’une Chambre unique de législature pourrait faire de sa puissance. Rallions-nous donc auprès du Trône pour le défendre contre nous-mêmes, et donnons à i’univers étonné un spectacle bien rare, celui d’une grande force réunie à une sagesse plus grande encore. M. Desèase, député de Bordeaux (1 ).Opinion sur la sanction royale (2). Messieurs, jamais plus importante question ne fut soumise à votre examen. Ce n’est plus le moment de ces discussions rapides qui donnent tant de poids à l’éloquence et tant d’avantages à l’erreur. Une loi constitutionnelle aussi intéressante aura nécessairement une influence marquée sur la destinée de ce beau royaume et lui présage une longue suite de prospérité ou de nouvelles et peut-être d’interminables convulsions : elle exige donc de sérieuses méditations et des débats approfondis. On a attaqué la sanction royale, je ne dirai pas avec courage, ce serait un abus du mot, car il est trop évident que le courage n’est maintenant que dans la modération, mais on l’a attaqué avec force ; et en effet je conçois que, quand on n’est frappé que des fautes des erreurs et des attentats d’un gouvernement sans règle, on l’a bientôt jugée quoique cependant ces attentats n’aient eu pour cause que l’exercice du droit de faire des lois et non de les sanctionner. Mais les longs ressentiments d’un peuple qui a brisé ses fers, doivent être oubliés au moment où il se crée une Constitution: cen’estplusde ses passions qu’il doit emprunter ses lumières, et sa haine du despotisme ne doit pas nuire à son amour de la liberté. Or, c’est cet amourmême de la liberté qui nous presse aujourd’hui d’affermir la puissance royale sur le fondement inébranlable de la loi. Cette puissance n’était depuis longtemps si hardie, que parce qu’elle était faible, le despotisme l’affaiblissait lui-même : il la dévorait par ses excès, et l’esclavage du monarque avait précédé celui des sujets. Rendons-lui sa force, en lui rendant ses limites, (1) L’opinion de M. Desèze n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Cette opinion devait être lue dans la séance du 4 septembre. ( Note de Vauteur.) «R [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMÈNÏAlRÉS. [21 septembre 1789.] courbons-la sous le joug de la régie qu’elle ne connaissla.it plus et tous les obstacles s’aplaniront devant elle? mais en même temps que vous rendrez le monarque fort, il faut le rendre juste, il faut que sa volonté soit la volonté de tous, pour vaincre les résistances que tous peuvent lui opposer ; il faut donc pour que le monarque soit puissant que la nation soit libre* Lorsque la nation française, lasse du joug aristocratique qui rayilissâit depuis RPUf siècles, plus lasse encore du joua ministériel qui opprimait ses volontés et qui dépravait ses affections, n’ayant pour dernière barrière contre ie pouvoir arbitraire, que des mœurs qui en provoquaient la licence, a senti que l’excès de sa corruption en marquait naturellement le terme* lorsqu’après s’étre enfoncée dans la servitude, jusqu’à en aimer le repos, sortant enfin de son sommeil de mort, elle a prononcé, consacré formellement ces deux importants principes qu’elle n’obéirait plus qu’aux lois qu’elle aurait faites, qu’elle ne payerait plus que les impôts qu’elle aurait copsentis : elle a élevé les remparts éternels de sa liberté, il n’y a plus maintenant qu’elle-mème qui puisse l’attaquer, en dédaignant d’en poser les bornes. Il n’est pas nécessaire, en effet, pour qu’un peuple soit libre, qu’il soit seul sou législateur, mais que les lois qui le gouvernent ne se fassent pas sans son concours, qu’il n’obéisse jamais qu’à la volonté générale, qu’il ne reconnaisse l’expression de cette volonté générale .qu’aux caractères déterminés d’avance par IqL Qu peuple jouira de toute la plénitude de sà liberté politique toutes les fois qu’il ne s’exécutera aucune loi dans l’empife qui ne soif son vpeu ou celui de ses représentants : il jouira de toute la plénitudede sa liberté civile lorsqu’aupune volonté ne pourra contraindre le citoyen $ des actes que n’aura pas commandés la loi. Ainsi, coopérer à la formation de la loi, pour avoir le droit dé n’qbéir qu’à lui-même, voilà la véritable liberté du peuple. Exercer seul le droit législatif, l’exercer sans obstacle, c’est plus que liberté, c’est puissance, et sans doute si un peuple était peu nombreux, s’il pouvait être alternativement souverain en assemblée générale, sujet en assemblée partielle, si la masse de sa population n’était pua un obstacle invincible à cet exercice personnel de ses droits, il ne devrait jamais les aliéner, soit en fayeur de plusieurs, soit en faveur d’un seul. Mais du moment que, dans un vaste royaume, les citoyens sont pbligés de charger d’autres citoyens du droit de vouloir pour eux, n’exerçant plus personnellement leur portion de puissance législative, ils doivent chercher les meilleurs moyens de la confier sans risque pour leur liberté. La position d’un peuple qui veut par lui-même ou d’un peuple qui veut par représentants est doue bien différente et gb changement de position complique déjà le systèpie de son gouvernement et n’en permet plus la simplicité ! Quoi qu’en aient dit ceux qui ont attaqué la sanction royale, l'Assemblée des représentants de la nation n’est pas la nation, et cette erreur, dans laquelle on tombe s�us cesse, n’est qu’une suite de l’illusion qu’on aime à se faire sur l’étendue de sa puissance : parce que toute souveraineté réside dans la nation, jl ne s’ensuit pas que toute souveraineté réside dans le Corps législatif qu’elle crée pour faire ses lois. Elle peut mettre des limites aux droits de l’Assemblée de ses délégués particuliers, de ses délégués passagers, comme elle peut en mettre aux droits du monarque qui est son premier délégué, son délégué permanent. Elle a tous les pouvoirs, comme elle a toutes les forces -, ainsi el le peut modifier le pouvoir du Corps législatif qu’elle organise comme elle peüt restreindre le pouvoir exécutif qu’élle confie, elle le peut, et je vais démontrer qu’elle le doit. Si la nation faisait elle-même ses fois, elle les ferait conformes à l’intérêt général, parce que du concours de tous les intérêts particuliers se forme l’intérêt public ; mais choisissant un nombre déterminé de représentants, elle confie dès lors le dépôt de ses volontés à des intérêts qui peuvent n’être pas lps siens; quelque bien qu’elle choisisse, elle peut s’égarer dans ses choix et, formât-elle une Assemblée de sages, on y trouverait toujours les passions, la faiblesse oii l’erreur. Un Qorps législatif qui fera la loi et qui la fera sans obstacle, se plaira bientôt à ces actes de sa puissance. Il peut les multiplier contre les intérêts de la najLjon et contre les intérêts du prince dont il enviera le pouvoir. 11 faut donc que la nation ait des moyens de se préserver de ses entreprises : je dis des moyens légitimes, car il est bien évident que par une insurrection générale, elle peut reprendre �us les pouvoirs qu’elle a confiés; mais un peuple qui n’a que cette ressource pour défendre sa liberté est bientôt asservi. Il faut que ces moyens soient pris dans la Constitution même et je n’en connais que deux, le veto du Roi et le veto du peuple. Les inconvénients du veto populaire sont sensibles : il ne nuit pas à la formation de la loi, mais à son exécution, il nenUit pas à l’ exécution de la loi par la seule résistance de l'opinion, mais par la résistance de la volonté ; il amène avec la censure le mépris dp législateur, et par conséquent ie mépris de la loi, il plonge ainsi continuellement dans l’anarchie dont on a voulu sortir en se donnant une Constitution, et en soumettant la volonté générale des représentants à la volonté individuelle du citoyen, il heurte directement le principe de tout bon gouvernement, qui fait fléchir la volonté dp chacun sous la volonté de tous. . Le vélo du jfoi n’a pas les mêmes inconvénients, il peut sans doute mettre des obstacles à l’exercice drpit législatif; mais il n’arrête l’effet d’une volonté momentanée que pour conserver sa volonté permanente : il peut suspendre même un ipsiauf de bonnes lois, mais il n’en fera jamais faire de mauvaises, et ce n’eât pas la privation d’une bonne loi qui est dangereuse à la société puisqu’il n’en résulte pour Je citoyen la perte d’aucun droit, le maintien d’aucune obligation et que dans le silence dés lois, le citoyen est rendu à sa liberté naturelle. Par le droit de sanctionner la loi, je monarque n’acquiert pas je droij; de la faire ; il n’acquiert pas le droit d’imposer à la nation sa volonté particulière pour règle: la nation reste donc toujours sous l'empire des lois qu’elle a faites, elle n’obéit qu’à elle-même, elle est donc parfaitement libre. La nécessité de la sanction royale n’est donc qu’une précaution de vigilance “que la nation prend pour perfectionner l’œuvre de la loi, pour Sé garantir des surprises du législateur, de sa précipitation, de son ignorance, oiSotis plus, de Sa malveillance ; cette contradiction qu’elle élève entre les deux pouvoirs, en empêche la réunion, c’est une des ressources qu’emploie une liberté [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septémbrè Î789.] R7 ombrageuse et quand un peuple confie et son droit et sa force, il doit redouter les abus que l’on peut faire et de l’un et de l’autre. Ceux qui ont parlé contre la sanction n’ont considéré le mobarque que comme je dépositaire du pouvoir exécutif et, sous ce rapport, on l’a vu d*abord surbord onné à la loi, et ensuite subordonné au corps qui fait là foi : car il est clair que le pouvoir législatif commande et que le pouvoir exécutif obéit, Mais le Roi est de plus chef suprême de la nation, son représentant perpétuel et héréditaire et son mandataire spécial chargé de tous ses intérêts vis-à-vis des nations étrangères, et comme tel il exerce au-dehors toute la puissance cle la natiqn et en déploie toute la majesté ; ainsi revêtu de la plus éminente dignité du royaume, il ne doit exister aucun corps de citoyens auquel il puisse être subordonné; la nation peut seule lui être supérieure, mais elle n’est ni au-dessoüs pi au-dessus de lui, il est le chef, il est le père de là grande famille, elle n’est qu’une avec lui, voilà l'idée de la monarchie. Lorsque le Roi traite des droits, des intérêts, de tous les rapports de la société avec des puissances ennemies, quelle est la fonction publique qu’il exerce ? est-ce celle d’exécuteur de vos lois, de promüîgateur de vos lois ? N’est-ce pas celle de protecteur de la pro-riété commune et des propriétés particulières ? t sous ce second rapport peut-il être subordonné au Corps législatif ? JN’est il pas évident qu’il doit en être partie intégrante, pour l’intérêt de tous ? n’est-il pas évident que liant au-dehors la nation par des traités, décidant dè son sort par la gUerre ou la paix, de ses droits, de son influence politique par des négociations, il ne peut exercer la législation extérieure sans concourir à former la législation intérieure, dont elle n’est qu’due branche. Enfin, et c’est ici le troisième rapport Sous lequel il faut considérer le monarque, dépositaire de toutes les volontés des Assemblées nationales successives, il est gardien de la législation ancienne, il peut mieux que vous la comparer avec la nouvelle; placé au centre de tous les intérêts, il peut mieux les connaître ; protecteur de tous les droits, il peut mieux les défendre. Lorsque toutes les classes des citoyens auront confondu leurs intérêts en un, ils resteront encore divisés, il y aura des jalousies de pouvoirs, des jalousies de fortuné, des jalousies de fonctions; les salariés de l’État et les hommes qui salarient seront toujours en guerre. Un décret injuste de la législature peut attenter aux droits les plus sacrés des citoyens, quel sera leur asile contre l’injustice ? Si le Corps législatif est un, l’injustice prenant le caractère dè la loi, commande alors le respect ; elle commande au moins le silence : on a le droit de résister à l’acte violent d’une volonté privée, on n’a pas celui de résister à la violence de ce qu’on appelle la volonté publique. Il faut pourtant que lorsque vous avez ôté à un citoyen, l’emploi de sa force particulière pour repousser l’injustice, vous lui laissiez une force commune qui le protège et c’est en ce sens que le veto royal devient, selon la belle expression de M. de Mirabeau, le domaine du peuple. La nation peut donc l’établir, puisqu’elle délègue tous les pouvoirs, elle doit donc l’établir, puisque le chef du pouvoir exécutif ne peut garantir un citoyen de l’oppression de la loi, s’il est toujours obligé de faire exécuter la loi, et que la nation ne doit pas toujours se considérer en masse, mais aussi éparse et divisée. Et qu’on ne dise pas qqe le Corps législatif étant composé de représentants amovibles, prêts à rentrer dans le cercles dès citpyéps, et à être soüm,is à la loi, n’en fera Jamais dé mauvaises ; et n*y a-t-il pas des déchets qui n’affectent qu une classe de citoyens 1 Supposons que vous eussiez décrété 1 absolution dé là vénalité des charges sans remboursement, n’auriez-vous pas commis une éclatante injustice f Elle n’eut pourtant frappé que sur un petit nombre qui se fût trouvé supporter seul le jong de votre loi. J’ai supposé jusp’à présent que yçms étiez des envoyés d’une nation désorganisée, dissoute, rentrée dans son indépendance naturelle qui a repoussé loin d’elle jusqu’aux débris d’une ancienne Constitution qui ù’a pu la garantir de la mort, que vous n’aviez plus ni lois, ni mœurs, ni usages, plus d’annales qui pussent vous retracer ce que vous àviez été; et dans ce cas là même, j’ai établi que vous deviez à vos commettants cette loi tutélaire qui iie borne, votre puissance, que pour assurer leur repos et leur liberté.. Mais* s’il est vrai que vous n’êtes que les mandataires d’une nation qui ne veut reprendre que les droits qui ont été Usurpés sur elle, s’il est vrai que les monarques français ont toujours joui d’une part quelconque à la puissance législative, s’il n’est aucune époque de notre histoire où la nation l’ait exercée tout entière, s’il est vrai que le prince qui le premier vient d’abaisser son sceptre devant la nation s’est montré plus empressé de faire iè sacrifice de la puissance qu’il exerçait, que vous ne pouviez l’être à rentrer dans vos droits : craignez d’aller au delà des vœux de ceux qui vous ont envoyés, craignez de changer leur sagesse contre la vôtre, et de leur donner une liberté dont ils ne puissent supporter le poids. N’apprenez pas à l’Europe qui a vu votre courage àvec admiration et qui a envié vos succès, que toujours mobile et léger, le Français ne veut jamais moins la liberté que lorsqu’il s’élance vers elle; qu’à peine échappé au despotisme d’un seul* il se précipite en enfant sous la tyrannie de plusieurs, qu’il ne fait qiie se blesser avec les mêmes fers, qu’il a brisés, que dans un moment où une révolution inspirée donne à son génie tout son ressort, ses efforts n’aboutissent qu’à greffer quelqu’une des Constitutions américaines sur le trône antique de la monarchie française, que sans égard à la position de l’empire, à l’immensité de sa population, aüx lois physiques du sol qui sont pour iious le bras de fer de la destinée, nous avons la bonne foi de prendre ce placage artificiel pour un modèle de gouvernement et que dans l’ivresse de notre exaltation nous nous flattons d’asservir les autres peuples à notre bonheur comme nous les avons longtemps asservis à notre génie. Polir moi, je crois fermement et je croirai toute ma vie, que la France est, comme l’écrivait i’année dernière un de vos membres les plus célèbres, géographiquement monarchique ; je crois que le Roi n’est plus partie intégrante dü Corps législatif, qu’il n’y a plus de monarchie, qü’il n’y a plus qu’une république et un premier magistrat ; je crois que l’inviolabilité de la personne dü Roi tient essentiellement àü principe qu’il est membre du souverain, qu’il ne fait (jü’un avec le souverain, c’est-à-dire avec la nation; je crois que vous ne pouvez, sans la mission expresse de la nation et à plus forte raison contre sa mission expresse, dépouiller le monarque actuel de la plus belle prérogative de sa couronne, je crois que si par un acte 8g [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] de volonté vous lui ôtiez le droit de sanctionner la loi, que la nation entière lui a réservé, vous seriez injustes, vous seriez usurpateurs, vous autoriseriez un monarque ambitieux à troubler sans cesse le royaume, pour remonter à sa place ; vous feriez ainsi le malheur de la génération présente et des générationsfutures ; vous briseriez ainsi de vos propres mains, les colonnes du temple que vous venez d’élever à la liberté. J’ai prouvé qu’il était utile, qu’il était nécessaire que le Corps législatif fut divisé, et par conséquent que le Roi sanctionnât la loi. Quelle sera l’étendue de la sanction royale? le droit de refuser sera-t-il absolu? sera-t-il suspensif? C’est ce que je vais examiner. Ai-je d’abord le droit de décider cette question d’après mon opinion personnelle? Ceux dont j’exerce ici le pouvoir m’ont remis leur vœu ainsi conçu : La loi sera faite par le vœu des représentants de la nation et le consentement du Roi. Les membres qui invoquent ici le vœu national our juge suprême du refus du monarque, ou-lient qu’ils violent le principe au moment qu’ils l’établissent; qu’ils n’accordent pas à leurs commettants pour le passé le même droit qu’ils leur réservent pour l’avenir, que chargés aujourd’hui d’un vœu formel qu’ils méconnaissent, ils ne promettent une fidélité religieuse que pour le moment qu’ils ne pourront plus la remplir. Cette contradiction entre le principe qu’on pose et la marche qu’on suit., n’a pour cause qu’un excès de lumière qui subtilise toutes nos idées depuis un temps et nous détournent de la marche simple et droite de la raison. Je vous demanderai d’abord si vous avez reçu toute la plénitude du pouvoir constituant, si ce pouvoir est dans vos mains, absolu ou limité. Si ce pouvoir est absolu, vous pouvez toucher aux droits essentiels du monarque, il en jouissait quand il vous a rassemblés, mais tout disparaît devant la souveraineté dont vous êtes investis. Si ce pouvoir est absolu, vous pouvez changer les principes les plus sacrés de la monarchie, rendre la couronne élective au lieu d’héréditaire, la transporter à une autre branche de la maison de Bourbon, car bien incontestablement une Convention nationale pourrait tout cela. Si ce pouvoir est absolu, vous pouvez créer un Sénat héréditaire, donner à lui seul le droit de faire des lois, et même de les appliquer, ce serait un gouvernement monstrueux : à la bonne heure, mais vous auriez eu le droit de le choisir. Croyez-vous que vos commettants vous aient permis d’aller jusqu’à sonder Y aristocratie ? Ce pouvoir constituant que vous exercez, n’est donc pas plein, entier, il a des bornes, et ces bornes, les voici : 1° D’abord les droits de la nation, que vous n’êtes pas les maîtres de sacrifier à votre gré; 2° les droits du Roi, que vous n’êtes pas les maîtres d’étendre ou de restreindre à votre gré; 3° les droits des citoyens dont vous n’êtes pas plus les maîtres de disposer à votre gré. Vos commettants qui voulaient des lois constitutives qui déterminassent enfin des droits si souvent contestés en France, ont dû d’abord s’expliquer sur ces droits , c’est-à-dire sur la délégation des pouvoirs, en caractériser l’étendue et la nature.Quant aux formes de la Constitution, c’est-à-dire aux meilleurs moyens d’assurer le plein et entier sacrifice de ces droits, ils ont dû nous laisser libres; ainsi l’organisation du Corps législatif, sa permanence, sa division en deux Chambres, sont des questions qui n’attaquant aucun droit légitime nous appartiennent évidemment. Mais pourquoi, dites-vous, n’accorderions-nous pas à nos commettants plus de liberté qu’ils n’en ont désiré ? Pourquoi ? parce que notre sagesse est peut-être trompeuse, parce que le présent ne manifeste pas toujours l’avenir, parce que dans le calme, mieux que dans l’effervescence, ils ont pu juger la nature du gouvernement qui convenait à l’esprit français, parce que ce ne sont pas les lumières qui ont hâté notre propre marche, mais les événements, parce que, ou les leçons de l’histoire nous trompent, ou la prospérité de la monarchie française n’est pas attaché à l’abaissement du Trône et au dépouillement d’un Roi dans le malheur. Que si mes commettants participant à cette exaltation d’esprit qui dans l’espérance confuse d’une liberté trop étendue, fait apercevoir un bonheur dont peut-être on ne jouira pas, avaient changé de volontés, ou si, plus éclairés, comme on dit, sur les droits de l’homme, ils avaient perfectionné leurs idées : quand ils ratifieront la Constitution (car il faudra-bien qu’ils la ratifient) ils effaceront cet article, si ce n’est plus leur vœu; mais alors, rentré dans ma condition primitive, je défendrai pour leurs intérêts, dans leurs assemblées élémentaires, la sanction royale, avec le même zèle et le même courage que je la défends ici. Que craindraient-ils du veto absolu pour leur liberté? 11 est, dit-on, infecté de trois vices principaux. 11 est contraire aux principes, c’est la volonté individuelle qui s’oppose à la volonté générale, c’est un homme qui ne veut pas ce que la nation veut; et moi je dis ce qu’on a répondu plusieurs fois sans avoir été réfuté: ce n’est pas un homme qui oppose sa volonté propre, mais celle d’une partie de la nation à celle d’une autre partie de la nation, qui oppose une volonté permanente à une volonté passagère ; c’est un chef auquel toutes les Assemblées législatives ont confié le dépôt de leurs lois, et qui les oppose à des changements ou injustes ou dangereux; c’est un roi que la nation a revêtu de belles prérogatives et d'une grande puissance et qui oppose la volonté nationale qui les lui a accordées à la volonté d’un corps qui voudrait les lui ravir. Ce n’est donc pas le veto d’un homme opposé à la volonté de 24 millions d’hommes, veto absurde, veto insignifiant, car comment l’établir contre la force de tous , qui appuiera toujours la volonté de tous ? Mais c’est le refus d’une loi qui n’est pas loi, qui n’en a pas le caractère. Je suppose que nous eussions décidé qu’ici même il fallût pour un décret les deux tiers des suffrages : un décret qui n’aurait eu que la simple majorité serait bien, sans doute, la volonté générale qui réside toujours dans la majorité, cependant ce décret serait rejeté, il n’aurait pas les caractères qui déterminent l’expression de la volonté générale. L’expression de la volonté générale est donc équivoque, on en a fait un abus continuel dans le cours de cette discussion, et ce sont ces erreurs de mots qui amènent les erreurs de principes. La nation, qui est souveraine, donne une portion de sa volonté au monarque, une autre à ses représentants, il est clair que nul de ces deux êtres collectifs ne peut attacher à sa volonté propre, le caractère de la volonté générale qui est la loi; leur veto mutuel n’est donc pas contraire au principe. Mais le veto absolu est dangereux dans ses effets : à la bonne heure, examinons ces effets. 11 paralyse le Corps législatif, il l’annihile, il empêche une bonne loi d’exister. C’est un inconvé- 89 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] nient sans doute, mais il est compensé par l’obstacle qu’il apporte à l’existence d’une mauvaise loi, toujours plus facile à faire. Mais quand toutes les lois protectrices de la liberté de la propriété, de la sûreté du citoyen, sont établies dans la Constitution, quand les lois politiques, judiciaires ou fiscales sont fixées ; quand les lois d’administration sont réglées, je demanderai quelles lois restent donc tant à faire sur lesquelles le refus du Roi soit si fort à redouter ? Je crois que le Souvoir législatif est essentiellement actif, qu’il oit toujours être prêt à agir, c’est là le motif our lequel je désire la permanence des Assem-lées nationales ; mais je ne crois pas qu’il soit toujours essentiel qu’il agisse, je pense que son repos vaut bien quelquefois son mouvement, et que, lorsque tous les vrais intérêts, tous les vrais rapports sont fixés, il résulterait peut-être plus de bonheur de laisser un peu aller la machine du gouvernement que de vouloir sans cesse y toucher. Nous avons vécu jusqu’ici sous une si énorme quantité de lois, que jœspère que tous nos efforts ne tendront qu’à les réduire et que la manie réglementaire passera. Au reste le temps et les mœurs publiques amènent sans doute des changements, des lois utiles à faire, mais le temps et les mœurs publiques les font : un bon roi ne les refusera pas, un mauvais roi même les sanctionnera. Où est l’intérêt du prince d’éveiller la discorde dans ses Etats, de soulever l’opinion qui, si elle est la plus puissante des impulsions, est aussi la plus forte des résistances ? Sera-ce pour des lois bonnes, justes et qui n’attaqueront pas ses vraies prérogatives, qu’il appellerai l’insurrection un peuple heureux, obéissant et tranquille ? Richelieu même ne le conseillerait pas. Mais des alarmes viennent se mêler à ces réflexions. Vous n’ignorez pas qu’avant peu vous n’aurez presque plus de bonnes lois à faire, que votre législation sur ses objets principaux sera finie. Mais des décrets importants, déjà rendus, auront, d’après mes principes, besoin d’être sanctionnés? Non, est-ce que l’égalité politique des citoyens, l’affranchissement général des terres, comme des personnes et l’anéantissement des privilèges ne sont pas des principes, des bases de notre Constitution? Est-ce que le sanctionnement de notre Constitution n’est pas un sanctionnement forcé ? Le Roi peut-il jouir contre elle d’un veto accordé par elle? S’il l’accepte, il la consent, s’il ne l’accepte pas, il n’a pas acquis le droit de la sanctionner. Le veto absolu, a-t-on dit, menace la liberté publique, c’est un moyen qui nous ramène au despotisme, et ce mot quand on le prononce, frappe l’imagination de tant de souvenirs effrayants, que l’esclave qui vient de briser ses fers, croit encore en entendre le bruit. Mais ne nous exagérons aucun de nos sentiments, pas même la terreur que ces souvenirs inspirent. L’histoire nous montre des peuples conduits à la servitude par la terreur de la servitude : plus qu’un autre peut-être j’abhorre le despotisme, comme un autre j’en tracerai ici de sinistres tableaux. Tacite meme n’a pu en épuiser les couleurs, il n’a peint que la sombre tyrannie de Tibère, il n’a pas mis à nu l’âme des tribuns de Rome, ou des démagogues d’Athènes; il n’a pas dit que le despotisme était partout, qu’il était dans le Prince, dans le Corps législatif, dans la magistrature, dans l’armée, dans le peuple; il n’a pas dit que le despotisme corrompait toutes les institutions politiques, qu’il corrompait même la liberté. Mais si le despotisme est l’abus de la force, il ne vient pas d’un droit, et si le droit de s’opposer à la loi conduit au despotisme, celui de la faire y conduit par un plus rapide chemin. Qu’on ne cite donc pas à propos du droit constitutionnel du veto , Tibère ou Louis XI. Malheureusement pour leurs sujets, ils exerçaient un bien plus terrible droit que celui d’approuver ou de refuser la loi : Louis XI la faisait taire, et Tibère la faisait parler. Soyons justes, même envers les rois; on ne les flatte plus, disait M. de Lally, mais on commence à flatter la multitude ; le fier génie de la liberté s’élève contre les lettres de cachet qu’il ne craint plus et se prosterne devant l’ostracisme barbare qu’il commence à craindre ; on n’est hardi que parce qu’on est faible, on n’est exclusivement libre que parce qu’on est exclusivement esclave. Je Tai déjà dit, le veto n’est pas une arme, il est une barrière, et si nous ne l’élevons pas, si nous ne réarmons pas la puissance royale de toutes les forces de la loi , le temps nous apprendra notre genre de liberté. Quant au veto suspensif dont on a beaucoup parlé sans en expliquer le mode qui en est pourtant la partie principale, je vais dire ce que j’en pense. Je n’ai jamais conçu qu'il pût y avoir ni veto absolu, ni veto suspensif vis-à-vis d’une nation, j’ai toujours vu la volonté nationale irrésistible, la force nationale irrésistible, l’opinion même nationale irrésistible, et cela est ainsi même à Constantinople. J’avais pensé que les forces d’un veto injuste appliqué à une bonne loi viendraient se briser contre le besoin des subsides, la responsabilité des ministres, la liberté de la presse, non moins propre à transmettre le vœu national qu’aucun autre moyen et peut-être le plus doux pour l’interroger. ' J’avais pensé que cette immortelle déclaration des droits de l’homme, cette invocation à la raison de tous les hommes et de tous les siècles, maintiendraient à l’avenir les Français libres, à moins qu’ils ne fussent frappés en naissant de servitude. Certes, je me garderai bien de nier le principe qui fait remonter ainsi la législation à sa véritable source ; j’irai même plus loin que ceux qui l’ont posé ; car je crois que forcés de revenir au pouvoir déléguant, rentrant par conséquent dans toute la rigueur du droit, il n’y a pas un citoyen dans l’empire qui ne doive être interrogé, qui ne doive donner son vœu particulier, et de cette délibération universelle résulterait la loi. Cependant il faut convenir que les formes du gouvernement les plus rigoureuses dans leurs principes, ne sont pas les plus salutaires dans leurs effets; qu’un appel à la nation constate bien son droit, mais n’opère pas toujours son bonheur, et que si elle s’est dessaisie du droit législatif en faveur de ses représentants, c’est précisément pour ne pas délibérer tout entière, ün conviendra qu’un mouvement politique ainsi imprimé à 24 millions d’hommes, est peut-être incalculable dans ses dangers, que s’il y a un moyen de semer des germes éternels de discordes et de troubles et peut-être de dissolution et de mort dans l’Etat, c’est celui-là ; que cette espèce de Convention nationale ainsi créée pour être juge entre le monarque et les représentants, peut fort bien dépasser les bornes de son objet, qu’elle peut ébranler la Constitution elle-même, en agiter de nouveau toutes les questions, que c’est J’arme la plus dangereuse qu’on puisse 90 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] donner aqx passions ennemies de l’ordre établi ; que la tranquillité, qui n’est pas moins que la li* berté un (jes éléments essentiels du bonheur, ne peut subsister avec le retour supposé fréquent de ces appels à ta nation ; qu’il est même impossible que l'union intime de toutes les parties qe l’em-pire* puissent supporter sans se rompre, ces vives secousses que les membres qui ont proposé cet appel ont cru pourtant aussi possibles que légales. Il faqt donc que s’il existe* et c’est sur qnpi vous aurez à vous décider dans un autre endroit de la Constitution lorsque voqs qgijprez la question de savoir si les représentants une fois élus peuvent apporter des ordres de leurs commettants pour quelque loi positive, questipp qui; décidera elle-même la manière dont le vœu national sera interrogé, question liée à celle que nous traitons et qui prouve la nécessité de lier ensemble toutes les parties de l’édifice; si cet appel existe, dis-je, comme c’est un grand mal politique, il faut qu’il soit rare, il faut qu’il n’ait lieu que pour des intérêts bien pressants, pour des atteintes bien funestes portées par les représentants aux droits sacrés de la nation et du Roi, il faut donc qu’à l’instapt même qu’il s’exécute, un acte éclatant apprenne aux peuples que leurs volontés sont méconnues. Üne loi que le prinçe aura suspendue vis-à-vis d’une première législature, refusée vis-à-vis d’une seconde, n’est plps une loi d’erreur ou de précipitation ou d’ignprance ; c’est un attentat à quelque droit ou à quelque pouvoir légitime : il’ faut donc que la législature qui la reprpduit soit dissoute et qu’une nouvelle législature soit convoquée au même instant, il le faut et ce n’est pas pour cela que le prince moptre la colère d'un despote , mais pour que cette dure nécessité soit une barrière de plus pour lui; il faut que la législature soit foudroyée pour que ce soit une barrière pour elle, et peux qui ont attaqué cette proposition de M, de Mirabeau, n’ont pas songé, qu’il lui avait donné la forme d’une loi pénale plutôt pour prévenir que pour punir et parce que le refus d’une lei, persèvéramment présentée, rompant toute harmonie et toute confiance entre le prince et les représentants ne peut plus laisser subsister leur rapprochement. Voilà ce que je pense du veto suspensif et ceux qui l’admettent et ceux qui admettent le veto absolu sont d’accord sur un point : c’est que la loi n’a le caractère dé loi, que par le vœu des représentants et je consentement du monarque. Sorfrefussfait de la loi, un projet sur lequel lui-même dqit désirer que la nation soit consultée ; qu’on lui demande ou sa volonté ou ses lumières, qu’on laisse pette puissance à l’opinion qui l’exercera peut-être mieux, ou qu’on demande et de nouveaux représentants et des mandats impératifs, c’est ce que vous pèserez dans votre sagesse. Je n’opine donc ni poqr le veto absolu, ni pour le veto suspensif, car je n’y vois qu’une question de mots et je dis tout simplement : La loi sera faite par les représentants de la nation et consentie par le Roi. M. Treîlhard (lj. Opinion sur le droit de sanction (2). Messieurs, je n’ai jamais conçu qu’on (1) L’opinion dé M. Treilhard ti’a pas été insérée au Moniteur. (2) Le compte inexact qui a été rendu de cette opinion dans plusieurs feuilles, m’a déterminé à faire imprimer ce résumé. (Noie de l’auteur.) put détruire le droit de sanction du Roi, sans altérer ie principe de la monarchie. 11 faut deux pouvoirs, mais il faut cjeux pouvoirs distincts, indépendants, c’est-à-dire, dont l’un ne puisse pas envahir l’autre arbitrairement et à son gré. Or, il est évident que si l’on ôte au pouvoir exécutif le droit de sanction, le Corps législatif pourra faire des lois qui enlèveront au pouvoir èxécutif toutes ses prérogatives, sans que ie pouvoir exécutif ait le droit de s’y opposer ; il pourra déclarer le pouvoir exécutif déchu de tops ses droits, le transporter dans d’autres mains, se l’attribuer même en totalité ou en partie ; et alors il n’v aura plus de monarchie, mais un gouvernement absolu, c’est-à-dire, le plus odieux et le plus détestable de tous les gouvernements. 11 est de la sagesse du Corps législatif de se prémunir contre les actes qu’un instant d’erreur, de surprise ou d’enthousiasme pourraient lui arracher : cela est nécessaire surtout, lorsque le Corps législatif réside dans une Assemblée unique (car je crois qu’il ne faut qu’une Chambré, et je me réserve d’appuyer mon opinion quand on traitera directement celte question� Cela est indispensable singulièrement chez une nation vive, impétueuse, dont les délibérations peuvent quelquefois se former plutôt par une espèce d’élan que par une longue et mûre réflexion. C’est dans jes précautions que prendront contre eux-mêmes les membres dû Corps législatif, que leur prudence et leqr courage se manifesteront avec le plus d’éclat, il ne faut pas une vertu bien rare pour se raidir pontre la résistance et contre l’oppression : il suffit pour cela de céder au sentiment que la nature a gravé dans le cœur de tous les hommes ; mais se défier des surprises de l’intérêt personnel, redouter l’effet de ses passions, se prémunir contre ses propres entreprises et contre l’abus du pouvoir qui nous est confié, voilà des actes de sagesse dignes d’un Corps législatif ; c’est à ces traits qu’on reconnaîtra les représentants du peuple le plus éclairé de l’univers. Personne ne peut désavouer que le Roi soit une partie intégrante de la nation : il faut donc qu’il concoure à la formation de la loi ; il ne peut y concourir que par le droit de sanction; il serait dérisoire de le réduire à la qualité d’un simple citoyen, de le restreindre au droit d'un député ordinaire ou de président de l’Assemblée: ce n’est pas là, comme l’a avancé un des préopinants, le droit qui lui était seulement réservé par notre ancien gouvernement: lex sit consensu po-puli et constitutione regiâ. La sanction royale était donc nécessaire. Le peuple consentait à la loi, et le Roi la sanctionnait, ou plutôt le Roi avait l’initiative. C’était lui qui proposait la loi ; mais il ne pouvait la faire sans le consentement de la nation. On est donc bien peu fondé à argumenter de cet ancien état, pour prétendre que le Roi ne doit pas avoir un droit de sanction. Eu vain dit-on que ce droit mettra le pouvoir législatif dans la dépendance du pouvoir exécutif, parce que le Roi pourra, à son gré, sanctionner ou ne pas sanctionner la loi qui sera proposée. Distinguons avec soin la Constitution de la législation. Une nation a sans contredit le droit de se donner une Constitution: c’est de cette Constitution que les pouvoirs tiennent ou sont ceüsés tenir tous les droits. L’acceptation de jeUr part est nécessaire, parce qu’elle forme le contrat entre eux et la nation ; mais il faut se donner de garde de confondre cette acceptation, qtii n*est qu’une assurance que les personnes chargées des différents pouvoirs en rempliront les fonctions