SÉANCE DU 3 BRUMAIRE AN III (24 OCTOBRE 1794) - N08 15-16 31 surveillance ou révolutionnaire de la commune de Ès-Plains-sur-Mer cy-devant Saint-Riquier-Es-Plains. Le comité de surveillance ou révolutionnaire d’Est Plains-sur-Mer cy-devant St-Riquier, en conformité de la loy du 19e de brumaire l’an II de la République qui invite les citoyens a faire des offrandes à la patrie aurait arrête dan sa çeances du 29 nivôse qu’il tiendrait un registre ouvert pour inscrire les nons et offrandes des citoyens quil voudrait en faire en faveur de la patrie, et pour cet effet aurait délibéré que tout les samedy, vieux stille il tien-droit leur registre ouvert depui quatre heures après midy jusque au soir et que une invitation serait faittes dans toute l’étendue de leur communes a son de tambour, et quil serait pareillemen mis une invitation a l’arbre de la liberté de la ditte communes afin que aucun citoyens nen ignore. Etat des citoyens ainssy que des dons fais par eux don le contenu est ce qui suit : article 1er : Le 13 pluviôse le citoyen Pierre Briere peres a déposé sur le bureau du comité une paire de petite boucle d’argent qui fait don pour la République. article 2e : Dans la mesme seance Ch. Bertin a déposé sur le bureau une pièces d’argent de la valeur de douze sols qui fait don pour la République. article 3e : Le ving neuf pluviôse Marie-Anne Affagard femme de Ch. Baray a déposé sur le bureau un asignat de la valeurs de dix sols quelle fait don pour les deffenseurs de la patrie. article 4e : Le 19 ventôse le citoyen Nie. Grisel adéposé une piece en argent de la valeur de six sols que fait don pour les enfans de la patrie. article 5e : Le mesme jours Pierre Thimoté Baray a déposé une pièces d’argent de la valeur de six sols qui fait don a la République et désire quil puisse estre employé a acheter un sabre qui puisse servir a faire tomber la teste à l’in-fame Pit. article 6e : Le quatorze fructidor le citoyen Guilaume Le Blanc a déposé sur le bureau un asignat de la valeur de quinze sols qui fait don pour la République. article 7e : Le mesme jour le cit. Pierre Masson a déposé sur le bureau un asignat de la valeur de quinze sols qui fait don pour la République. article 8e : Le mesme jour le cit. François Pammid a déposé sur le bureau un asignat de la valeur de quinze sols qui fait don pour la République. article 9e : Dans la séance du dix huit le citoyen Nie. J. Bap. Bucaille a déposé sur le bureau un asignat de la valeur de quinze sols qui fait don à la République et son ardent désir serait quil puisse estre employé a avoir un sabre qui puisse servir à faire tomber la teste du dernier des tirans. article 10e : Le mesme jour Amand Sainville a déposé sur le bureau un asignat de la valeur de dix sols qui fait don pour la République et qu’il désire quil puisse servir a avoir un sabre quil puisse estre employé a faire tomber la teste du dernier des tirans. i Les administrateurs du district de Montlieu, département de la Charente-Inférieure, annoncent qu’ils envoient, par la messagerie, une boîte contenant divers bijoux d’or et d’argent ; ils joignent le bordereau et le nom des citoyens qui en ont fait don (75). j Le citoyen Dunau, de Toulouse [Haute-Garonne], fait remettre, par un membre de la Convention, une somme de 400 L, dont il fait don à la patrie (76). La Convention décrète la mention honorable de tous ces dons et offrandes, et l’insertion au bulletin et renvoie les adresses au comité des Finances (77). 15 Un secrétaire donne une seconde lecture des décrets rendus en la séance d’hier; la rédaction en est adoptée (78). 16 Un membre [LAKANAL] fait un rapport et présente un projet de décret au nom du comité d’instruction publique, sur l’établissement des écoles normales ; la Convention en décrète l’impression et l’ajournement (79). Lakanal fait un rapport sur l’établissement des écoles normales (80). Citoyens représentans. Je viens, au nom de votre comité d’instruction publique, vous présenter un plan d’organisation pour les écoles normales que vous avez décrétées. A ce nom seul d’organisation des écoles, un grand intérêt et une grande attente se réveillent dans la (75) P.-V., XL VIII, 29. Ann. Patr., n° 666; M. U., XLV, 123 ; Bull., 5 brum. (suppl.). (76) P.-V., XL VIII, 29. (77) P.-V., XL VIII, 29. (78) P.-V., XL VIII, 29. (79) P.-V., XL VIII, 30. (80) Débats, n° 761, 480-488. C 322, pl. 1365, p. 42; Moniteur, XXII, 346-349; Bull., 11 brum. (suppl., 1 et 2); J. Mont., n° 11; Mentionné dans Rép., n° 34; Ann. Patr., n° 662 ; Ann. R. F., n° 33 ; C. Eg., n° 797 ; J. Perlet, n° 761 ; J. Fr., n° 759; Mess. Soir, n° 797; M. U., XLV, 57; Gazette Fr., n° 1026; J. Unie., n° 1793 et n° 1800; F. de la Républ., n° 34; J. Paris, n° 34. 32 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE nation et dans la Convention. Il y a quelques mois, des hommes qui avoient leurs motifs pour vouloir tout couvrir de ténèbres, étoient prêts de traiter de criminels ceux qui vous auroient parlé d’instruction et de lumières. C’est sur-tout des tyrans que vous avez renversés qu’il étoit vrai de dire qu’ils craignoient les hommes éclairés, comme les brigands et les assassins craignent les réverbères. Aujourd’hui la Convention gouverne seule la nation qu’elle représente, et le cri unanime de la France et de ses législateurs demande un nouveau système d’enseignement pour répandre sur tout un peuple des lumières toutes nouvelles. Il y a long-temps que nous nous sentions pressés de vous parler de cet objet qui doit à la fois terminer la révolution dans la République française, et en commencer une dans l’esprit humain; et nous avons espéré qu’en faveur d’un intérêt si grand, vous nous permettriez de vous en entretenir avec quelque étendue. On s’est étonné de ce que depuis cinq ans que la révolution est commencée, elle n’ait rien fait encore pour l’instruction ; et moi-même j’ai gémi souvent devant vous de ce long retard, comme s’il avoit occasionné des pertes irréparables, et comme s’il avoit été possible de donner plus tôt à la France un bon système d’éducation. De tels regrets annoncent que nous avons consulté l’impatience de nos désirs plus que la nature des choses, et nos voeux plus que nos moyens. Pour entreprendre avec succès d’établir un plan d’instruction publique sur lequel l’esprit humain puisse fonder des espérances qui soient grandes et qui soient légitimes, plusieurs conditions sont nécessaires. Il faut d’abord que les principes du gouvernement soient tels que, loin d’avoir rien à redouter des progrès de la raison, ils y puisent toujours une nouvelle force et une nouvelle autorité. Il faut ensuite que l’expérience, soit celle du temps, soit celle des malheurs, ait consolidé ce gouvernement bon par sa nature; qu’il soit plein de vie et de mouvement, mais qu’il ne soit plus tourmenté par des orages ; que la liberté n’ait plus aucune conquête à faire, et que le peuple tout entier ait senti que, pour repousser à jamais les attaques criminelles de la monarchie et de l’aristocratie, il faut soumettre la démocratie à la raison, il faut enfin que l’esprit humain ait fait assez de progrès pour être sûr de posséder les méthodes et les instrumens avec lesquels il est facile d’éclairer tous les esprits et de faire tous les progrès. Jusqu’à cette époque, peut-être jusqu’au moment où je vous parle, aucune de ces conditions n’a existé. De tous temps les philosophes qui ont eu quelque génie, ont connu ou soupçonné la puissance d’une bonne éducation nationale ; de tout temps ils ont deviné qu’elle pourroit améliorer toutes les facultés, et changer en bien toutes les destinées de l’espèce humaine ; et, avec cette simplicité de caractère qu’on nourrit dans la retraite et dans les profondes méditations, les philosophes ont proposé quelquefois leurs vues sur ce sujet à des rois... C’étoit leur proposer de mettre à bas leur trône. Mais les tyrans ont leur instinct comme les bêtes féroces ; sans beaucoup comprendre ce qu’on leur proposoit, ils le redoutoient beaucoup. Ils sentoient confusément que si les peuples apprenoient à penser, ils apprendroient à être libres, et que les monarchies, fondées sur tant de prestiges, perdraient toutes leurs bases, si les hommes per-doient leurs préjugés et leurs erreurs. Aussi ceux-là mêmes qui, sur les trônes ont compté les plaisirs de l’esprit parmi les jouissances dont ils se servoient pour se consoler de l’ennui de leur puissance, se sont-ils bien gardés d’établir dans leur empire ces plans d’éducation propres à révéler au peuple et les secrets de sa raison, et les secrets de sa grandeur. D’Alembert a été auprès de Frédéric, et Diderot a été auprès de Catherine. Et la Russie est restée peuplée de barbares, et la Prusse est restée peuplée d’esclaves. En France, avant la révolution, L’Emile parut un roman plus encore que L’Héloïse ; et tandis que nos livres semoient dans toute l’Europe le goût de la bonne instruction et les sentimens généreux de la nature et de la liberté, l’intelligence et l’âme naissante de nos enfans étoient comprimées, et étouffées dans les sombres écoles de cette université, qui ne rougissoit pas de s’appeler la fille aînée des rois. A la révolution de 1789, amenée par les lumières répandues sur une petite partie de la nation, l’espérance la plus brillante, l’attente la plus universelle étoient celles d’un nouveau plan d’éducation qui mettroit la nation toute entière en état d’exercer dignement cette souveraineté qui lui étoit rendue. On étoit impatient de voir remplir par des principes le vide immense que laissoient dans les esprits tant de préjugés anéantis. Mais l’Assemblée constituante, enorgueillie tout-à-la-fois et fatiguée de toutes ces destructions, étoit arrivée sans force et sans courage au moment des grandes créations ; en rassemblant et en révisant à la hâte les parties éparses de sa constitution, elle les avoit comme flétries par les regards et par la foiblesse de ses derniers momens; elle avoit voulu concilier deux choses inconciliables de leur nature : la royauté et la liberté. Elle ne pouvoit plus savoir quel génie il falloit donner à la nation, puisqu’elle avoit uni deux génies opposés et ennemis dans ses lois; et lorsqu’on vint proposer à sa tribune un plan d’instruction publique , travaillé avec soin, elle en écouta la lecture comme si elle n’eût été qu’une académie, et comme si l’ouvrage n’eût été qu’un discours philosophique ; et ce qui, dans la régénération d’un peuple, est incontestablement la partie la plus importante après que la souveraineté est reconnue, et les pouvoirs dans lesquels on en divise l’exercice, déterminés, l’instruction publique fut renvoyée à l’Assemblée législative. Ceux qui avoient quelque pénétration d’esprit et quelque étendue de jugement, prévirent dès-lors qu’une Assemblée législative ne donnerait pas une nouvelle éducation nationale à SÉANCE DU 3 BRUMAIRE AN III (24 OCTOBRE 1794) - N° 16 33 la France. L’éducation en effet tient si essentiellement aux premières institutions sociales d’un peuple ; la constitution doit être tellement faite pour l’éducation, et l’éducation pour la constitution, que toutes les deux sont manquées si elles ne sont pas l’ouvrage des mêmes esprits, du même génie ; si elles ne sont pas en quelque sorte des parties corrélatives d’une seule et même conception. L’Assemblée législative, qui n’étoit pas fâchée peut-être d’une mission qui la forçoit à se ressaisir d’une portion de pouvoir constituant, ordonna un grand travail. Il fut préparé sur des vues très vastes. Un esprit véritablement philosophique co-ordonna toutes les connoissances humaines dans un plan d’enseignement public. Tous les foyers de toutes les lumières étoient tracés; mais à qui pouvoit-on confier le soin de faire jaillir la lumière de ces foyers? A un roi qui avoit le plus grand intérêt de l’étouffer ou, à des corps administratifs que ce roi avoit mille moyens de faire entrer dans ses intérêts. Ou l’instruction auroit renversé le trône, ou le trône aurait corrompu l’instruction. Ce fut un spectacle curieux et instructif, mais affligeant pour les observateurs, de voir alors l’Assemblée législative cherchant de toutes parts, et des moyens d’écarter la puissance exécutive de la constitution, sans avoir l’air de la détruire, et des moyens de trouver un pouvoir exécutif de l’éducation, plus digne de sa confiance, sans avoir l’air de le créer. Le temps se consuma dans ces recherches dont le but étoit très louable, mais dont la finesse étoit peu digne de la majesté d’une représentation nationale; les événemens en quelque sorte se soulevèrent contre ces limites constitutionnelles qui étoient des barrières élevées entre les lois du peuple français et ses pensées les plus sublimes et ses plus hautes destinées ; le trône brisé fit jeter un cri de joie à la France, et d’épouvante aux despotes de l’Europe; la Convention nationale parut, et le plan d’instruction de l’Assemblée législative, comme celui de l’Assemblée constituante, ne fut plus qu’une brochure. Née du milieu de tant d’événemens qui ébranloient le monde, incessamment agitée par de nouveaux événemens qui naissoient dans son sein et hors de son sein, et auxquels il falloit faire face, la Convention nationale n’a pas pu et n’a pas dû s’occuper en même temps du soin d’éclairer la France et du soin de la faire triompher. Elle a fait quelques essais pour l’instruction publique, et les a abandonnés, parce qu’elle a senti que le moment n’étoit pas venu encore où elle pourrait opérer avec toute la grandeur de ses vues, de ses intentions et de ses moyens. Ce n’est pas au moment où la tempête soulève tous les flots, que l’architecte naval jette les fondemens de l’ouvrage qui doit encaisser et contenir l’océan; il attend au moins les derniers sifflemens et les derniers murmures de l’orage. Lorsque du milieu de tant de crises, de tant d’expériences morales si nouvelles, il sortoit tous les jours de nouvelles vérités, comment songer à poser par l’instruction des principes immuables? Les hommes de l’âge le plus mûr, les législateurs eux-mêmes, devenus les disciples de cette foule d’événemens qui écla-toient à chaque instant comme des phénomènes, et qui, avec toutes les choses, changeoient toutes les idées ; les législateurs ne pouvoient pas se détourner de l’enseignement qu’ils rece-voient, pour en organiser un à l’enfance et à la jeunesse; ils auraient ressemblé à des astronomes qui, à l’instant où des comètes secouent leur chevelure étincelante sur la terre, se renfermeraient dans leur cabinet pour écrire la théorie des comètes. C’étoit une nécessité, c’étoit une sagesse d’attendre la fin de ce grand cours d’observations sociales que nos malheurs même avoient ouvert devant nous. Le temps qu’on a appelé le grand maître de l’homme, le temps devenu si fécond en leçons plus terribles et mieux écoutées, devoit être en quelque sorte le professeur unique et universel de la République. Tel a été l’état de la France; mais elle en sort... Les événemens qui ne s’arrêtent point, se calment. Au dehors, nous n’avons plus qu’un cours régulier de victoires ; au dedans, nous ne sommes plus agités que par le besoin de réparer les insultes faites à la justice, et de fermer les plaies faites à l’humanité. Toutes les crises ont rendu l’égalité des hommes plus parfaite, et tous les malheurs ont fait comprendre qu’il faut donner à la République une puissance exécutrice de ses lois, sous qui tout plie avec grandeur, et se nivelle avec fraternité. L’égalité n’est plus seulement un principe, mais un sentiment ; et le besoin de l’empire des lois n’est plus seulement une théorie, mais une passion, comme l’amour de la vie et l’horreur de la mort. L’Europe se soumet à la puissance de la République, la République se soumet à la puissance de la raison. C’est le moment où il faut préparer celui où la révolution s’arrêtera dans son accomplissement... c’est le moment où il faut rassembler dans un plan d’instruction publique digne de vous, digne de la France et du genre humain, les lumières accumulées par les siècles qui nous ont précédés et les germes des lumières que doivent acquérir les siècles qui nous suivront. Vous n’avez plus à craindre de rendre immuables, par l’enseignement, les principes de l’ordre social que vous professez. Ce n’est pas une vaine idolâtrie, ce n’est pas un aveugle enthousiasme pour nos dogmes nouveaux qui nous persuade qu’ils sont les meilleurs, qu’ils sont les seuls bons : c’est une démonstration aussi rigoureuse que celle des sciences les plus exactes. Plus la raison humaine fera de progrès, plus cette démonstration deviendra évidente; vous devez donc poser l’instruction sur cette base; elle est étemelle... D’une autre part l’esprit humain, tantôt si timide, tantôt si audacieux dans sa marche, et plus écarté encore des vrais sentiers par son audace que par sa timidité ; l’esprit humain, conduit au hasard quand il se dirigeoit bien comme quand il erroit, a trouvé après tant de siècles d’égarement, la route qu’il devoit suivre, et la mesure des pas qu’il devoit faire. Bacon, Locke et leurs disciples, en approfondissant sa nature, y ont trouvé tous ses 34 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE moyens de direction ; un nouveau jour s’est répandu sur les sciences qui ont adopté cette méthode si sage et si féconde en miracles, cette analyse qui compte tous les pas qu’elle fait, mais qui n’en fait jamais un ni en arrière ni à côté ; elle peut porter la même simplicité de langage, la même clarté, dans tous les genres d’idées; car dans tous les genres, la formation de nos idées est la même; les objets seuls diffèrent; par cette méthode qui seule peut opérer ce que demandoient Bacon et Locke, qui seule peut recréer l’entendement humain, les sciences morales, si nécessaires aux peuples qui se gouvernent par leurs propres vertus, vont être soumises à des démonstrations aussi rigoureuses que les sciences exactes et physiques; par elle on répandra sur les principes de nos devoirs une lumière si vive, qu’elle ne pourra pas être obscurcie par le nuage même de nos passions ; par elle enfin, lorsque, dans un nouvel enseignement public, elle deviendra l’organe universel de toutes les connoissances humaines, et le langage de tous les professeurs, ces sciences qu’on appeloit hautes parce que ceux mêmes qui les enseignoient étoient trop au-dessous d’elles, seront mises à la portée de tous les hommes à qui la nature n’a pas refusé une intelligence commune. Tandis que la liberté politique et la liberté illimitée de l’industrie et du commerce détruiront les inégalités monstrueuses des richesses, l’analyse appliquée à tous les genres d’idées, dans toutes les écoles, détruira l’inégalité des lumières, plus fatale encore et plus humiliante. L’analyse est donc essentiellement un instrument indispensable dans une grande démocratie ; la lumière qu’elle répand a tant de facilité à pénétrer partout, que, comme tous les fluides, elle tend sans cesse à se mettre au niveau. Aucune objection raisonnable ne peut être opposée à ces idées et à ces espérances, tant qu’elles restent dans la spéculation et dans la théorie. Un grande difficulté se présentoit à l’entrée même de leur exécution, lorsqu’on vou-loit les réaliser. Où trouver un nombre suffisant d’hommes pour enseigner dans un si grand nombre d’écoles, des doctrines si nouvelles, avec une méthode si nouvelle elle-même? Il ne faut pas les chercher dans les instituteurs des écoles anciennes ; ils n’y seroient pas propres ; en général les universités étoient au dessous des académies; elles-mêmes étoient au-dessous des vues par lesquelles vous voulez opérer une révolution dans l’esprit humain. Existe-t-il en France, existe-t-il en Europe, existe-t-il sur la terre deux ou trois cents hommes (et il nous en faudroit davantage) en état d’enseigner les arts utiles et les connoissances nécessaires avec ces méthodes qui rendent les esprits plus pénétrans et les vérités plus claires; avec ces méthodes, qui en vous apprenant une chose, vous apprennent à bien raisonner sur toutes? Non : ce nombre d’hommes quelque petit qu’il paroisse, n’existe nulle part sur la terre. Il faut donc les former, et par ce cercle vicieux et fatal dans lequel semblent toujours rouler les destinées humaines, il semble que, pour les former, il faudroit déjà les avoir. C’est ici qu’il faut admirer le génie de la Convention nationale. La France n’avoit point encore les écoles où les enfans de six ans doivent apprendre à lire et à écrire, et vous avez décrété l’établissement des écoles normales, des écoles du degré le plus élevé de l’instruction publique. L’ignorance a pu croire qu’intervertissant l’ordre essentiel et naturel des choses, vous avez commencé ce grand édifice par le faîte ; et je ne crains pas de le dire, c’est à cette idée qui paroît si extraordinaire, qui s’est présentée si tard, que vous serez redevables du seul moyen avec lequel vous pouviez organiser sur tous les points de la République, des écoles où présidera partout également cet esprit de raison et de vérité dont vous voulez faire l’esprit universel de la France. Qu’avez-vous voulu, en effet, en décrétant les écoles normales les premières, et que doivent être ces écoles? Vous avez voulu créer à l’avance pour le vaste plan d’instruction publique qui est aujourd’hui dans vos desseins et dans vos résolutions, un très grand nombre d’instituteurs capables d’être les exécuteurs d’un plan qui a pour but la régénération de l’entendement humain dans une République de 25 millions d’hommes que la démocratie rend tous égaux. Dans ces écoles, ce n’est donc pas les sciences qu’on enseigne, mais l’art de les enseigner; au sortir de ces écoles les disciples ne devront pas être seulement des hommes instruits, mais des hommes capables d’instruire. Pour la première fois sur la terre, la nature, la vérité, la raison et la philosophie vont donc aussi avoir un séminaire, pour la première fois les hommes les plus éminens en tout genre de science et de talens, les hommes qui, jusqu’à présent, n’ont été que les professeurs des nations et des siècles, les hommes de génie vont donc être les premiers maîtres d’école d’un peuple! car vous ne ferez entrer dans les chaires de ces écoles, que des hommes qui y sont appelés par l’éclat non contesté de leur renommée dans l’Europe; ici, ce ne sera pas le nombre qui servira, c’est la supériorité; il vaut mieux qu’ils soient peu, mais qu’ils soient tous les élus de la science et de la raison ; tous doivent paroître dignes d’être les collègues des Lagrange, des Daubenton, des Bertholet, dont les noms se présentent tout de suite lorsqu’on pense à ces écoles où doivent être formés les restaurateurs de l’esprit humain. Nous vous proposons d’appeler de toutes les parties de la République, autour de ces grands maîtres, des citoyens désignés par les autorités constituées, comme ceux que leurs talens et leur civisme ont le plus distingués. Déjà pleins d’amour pour la science qu’ils posséderont, enflammés d’une nouvelle ardeur par le choix honorable qu’on aura fait d’eux, ravis d’entendre parler de ce qu’ils aiment le plus, des hommes dont ils regardent la gloire comme le dernier terme de l’ambition humaine, leurs progrès dans l’art qu’ils étudieront, auront une rapidité qui ne peut être ni prévue ni calculée. Aussitôt que seront terminés, à Paris, ces cours de l’art d’enseigner les connoissances SÉANCE DU 3 BRUMAIRE AN III (24 OCTOBRE 1794) - N° 16 35 humaines, la jeunesse savante et philosophique qui, aura reçu ces grandes leçons, ira les répéter à son tour dans toutes les parties de la République d’où elle aura été appelée : elle ouvrira par-tout des écoles normales ; en repassant sur l’art qu’elle viendra d’apprendre, elle s’y fortifiera; et en l’enseignant à d’autres, la nécessité d’interroger leur propre génie agrandira leurs vues et leurs talens. Cette source de lumières si pure, si abondante, puisqu’elle partira des premiers hommes de la République en tout genre, épanchée de réservoir en réservoir, se répandra d’espace en espace dans toute la France, sans rien perdre de sa pureté dans son cours. Aux Pyrénées et aux Alpes, l’art d’enseigner sera le même qu’à Paris; et cet art sera celui de la nature et du génie. Les enfans nés dans les chaumières auront des précepteurs plus habiles que ceux qu’on pouvoit rassembler à grands frais, autour des enfans nés dans l’opulence. On ne verra plus dans l’intelligence d’une grande nation, de très petits espaces cultivés avec un soin extrême, et de vastes déserts en friche. La raison humaine, cultivée par-tout avec une industrie également éclairée, produira partout les mêmes résultats, et ces résultats seront la récréation de l’entendement chez un peuple qui va devenir l’exemple et le modèle du monde. Citoyens Représentans, tels sont les points de vue sous lesquels l’institution des écoles normales s’est présentée à votre comité d’instruction publique. Cette idée conçue par votre sagesse, est digne d’exciter votre enthousiasme. Revêtus d’un pouvoir sans bornes par la nature de votre mission comme Convention, vous vous féliciterez sans doute d’avoir en vos mains comme Gouvernement révolutionnaire, des moyens tout prêts de faire avec rapidité ce bien immense à la République et au genre humain. Un homme qu’il est permis de citer devant vous puisqu’il a honoré le nom d’homme par ses vertus et par ses talens, Turgot, for-moit souvent le voeu de posséder pendant un an un pouvoir absolu pour réaliser sans obstacle et sans lenteur, tout ce qu’il avoit conçu en faveur de la raison, de la liberté et de l’humanité; il ne vous manque rien de ce qu’avoit Turgot; et tout ce qu’il lui manquoit, vous l’avez. La résolution que vous allez prendre va être une époque dans l’histoire du monde. La Convention nationale, voulant accélérer l’époque où elle pourra faire répandre d’une manière uniforme, dans toute la République, l’instruction nécessaire à des citoyens français, décrète (81) : Article premier. - Il sera établi à Paris une école normale, où seront appelés, de toutes les parties de la République, des citoyens déjà instruits dans les sciences utiles, pour apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans tous les genres, l’art d’enseigner. Art. IL - L’administration de chaque district nommera à l’école normale trois citoyens de son arrondissement, qui unissent à des moeurs pures un patriotisme éprouvé, et les (81) Débats, n° 762, 496-498. dispositions nécessaires pour recevoir et répandre l’instruction. Art. III. - La commune de Paris, à raison de sa population fournira 48 élèves à cette école républicaine : ils seront désignés par l’administration du département, qui en présentera la liste à l’approbation du comité d’instruction publique. Art. IV. - Les élèves de l’école normale ne pourront être âgés de moins de 21 ans. Art. V. - Ils se rendront à Paris avant la fin de frimaire prochain; ils recevront pour ce voyage, et pendant la durée du cours normal, le traitement accordé aux élèves de l’école centrale des travaux publics. Art. VI. - Le comité d’instruction publique désignera les citoyens qu’il croira les plus propres à remplir les fonctions d’instituteur dans l’école normale : et en soumettra la liste à l’approbation de la Convention ; il fixera leur salaire de concert avec le comité des Finances. Art. VIL - Ces instituteurs donneront des leçons aux élèves sur l’art d’enseigner la morale et former le coeur des jeunes républicains à la pratique des vertus publiques et privées. Art. VIII. - Ils leur apprendront d’abord à appliquer à l’enseignement de la lecture, de l’écriture, des premiers élémens du calcul, de la géométrie pratique, de l’histoire, de la grammaire française, les méthodes tracées dans les livres élémentaires adoptés par la Convention nationale et publiés par ses ordres. Art. IX. - La durée du cours normal sera de quatre mois. Art. X. - Deux représentans du peuple désignés par la Convention nationale, se tiendront près l’école normale, et correspondront avec le comité d’instruction publique sur tous les objets qui pourront intéresser cet important établissement. Art. XI. - Les élèves formés à cette école républicaine rentreront, à la fin du cours, dans leurs districts respectifs : ils ouvriront dans les trois chefs-lieux de canton désignés par l’administration de district, une école normale, dont l’objet sera de transmettre aux citoyens et aux citoyennes qui voudront se vouer à l’instruction publique, la méthode d’enseignement qu’ils auront acquise dans l’école normale de Paris. Art. XII. - Ces nouveaux cours seront de quatre mois. Art. XIII. - Les écoles normales des dépar-temens seront sous la surveillance des autorités constituées. Art. XIV. - Le comité d’instruction publique est chargé de rédiger le plan de ces écoles nationales et de déterminer le mode d’enseignement qui devra y être suivi. Art. XV. — Chaque décade le comité d’instruction publique rendra compte à la Convention de l’état de situation de l 'école normale de Paris, et des écoles normales secondes qui seront établies, en exécution du présent décret, sur toute la surface de la République. L’Assemblée nationale, au milieu des applau-dissemens, a ordonné l’impression du rapport et du projet de décret, et a ajourné la discussion.