[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1790.] @69 quelle il a été arrêté de demander l’admission, pour cette commune, à acquérir les biens nationaux situés dans le district dont la ville de Mantes est le chef-lieu. Délibération du conseil général de la ville de Privas, du 16 de ce mois, contenant improbation de la prétendue délibération des citoyens catholiques de Nîmes. Adresse des officiers municipaux d’Ornano en Corse, à laquelle sont jointes d’autres pièces, et qui est datée de Sainte-Marie d’Ornano, de 22 mars. Adresse de l’assemblée primaire du canton d’Yvias, district de Sontrieux, département des Côtes-du-Nord, contenant adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale, et notamment à celui du 13 avril dernier. Adresse du conseil municipal de la ville d’Abbeville, relative à une délibération du 19 de ce mois, qui y est jointe, et dans laquelle est manifesté le vœu d’acheter des biens nationaux à concurrence de six millions. Une députation des électeurs de Seine-et-Oise, assemblés à Versailles, est annoncée, agréée par l’Assemblée, et admise. Elle fait lecture et remission sur le bureau d’une délibération datée d’hier, contenant rétractation de la pétition qui avait été présentée, le 21 de ce mois, de la part des mêmes électeurs, et dont l’objet était d’obtenir une indemnité pécuniaire. L’Assemblée applaudit à la nouvelle délibération, et ordonne qu’elle sera insérée dans son procès-verbal; elle est conçue dans les termes ci-après : « L’Assemblée électorale a arrêté qu’il ne sera donné aucune suite à la pétition présentée à l’Assemblée nationale le 21 de ce mois, et que neuf électeurs, nommés, à cet effet, se transporteront sur-le-champ auprès de l’Assemblée nationale, pour la retirer. « Et alors se sont présentés, « MM. Adam, curé de Ghevreuse; l’abbé Arnal, Hocmelle, auxquels a été remis le présent. « A Versailles , le 24 mai 1790. » M. le comte de üfarsanne, député du Dauphiné, fait demander un cone,é qui lui est nécessaire pour aller prendre les eaux ; l’Assemblée le lui accorde. M. le Président donne connaissance à l’Assemblée d’une note de M. le garde des sceaux, qui annonce que le roi a sanctionné les décrets suivants : « 1° Le décret de l’Assemblée nationale, du 20 de ce mois, qui autorise la municipalité de Joigny à pi élever la somme de 8,000 livres sur le produit de l’imposition supplétive des six derniers mois de 1789, et à vendre une coupe ordinaire de soixante arpents de bois. « 2° Le décret du même jour, pour le rétablissement de la police et du bon ordre sur les marchés de Lagny. « 3° Le décret du 21, portant que les droits ci-devant établis dans la ville de Cambrai et le Cambiesis, continueront d’ètre perçus sans aucune exemption personnelle pour les ci-devant privilégiés. « 4° Le décret du même jour portant que le corps administratif du département de l’Oise résidera alternativement dans les villes de Beauvais et de Gompiègne. « 5° Le décret du même jour, qui autorise les officiers municipaux de Marseille a faire un emprunt de 1,500,090 livres. « 6Q Le décret du même jour, concernant la-distribulion des bois communaux. « Sa Majesté a en même temps donné ses ordres et pris les mesures convenables pour l’exécution ; « 1° Du décret du 18 de ce mois, concernant les poids et mesures. « 2° Du décret du même jour, relatif aux métaux monayés. « 3° Du décret du 19, portant que les pensions ci-devant accordées sur les économats seront payées provisoirement, pou ries arrérages de 1789, jusqu’à concurrence de 600 livres. 4° Enfin, du décret du 20, portant qu’à l’avenir il ne sera reçu dans les galères de France aucune personne condamnée par des jugements étrangers. « Signé : CHAMPION DE GlCÉ, Archev. de Bordeaux. » M. l’abbé Longpré dit que l’Assemblée a renvoyé à son comité des finances, dans une de ses précédentes séances, la rédaction d’un décret relatif aux impositions. Il présente cette rédaction qui est agréée et adoptée en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète, « 1° Que les municipalités et autres asséeurs chargés de la confection des rôles, qui n’ont pas encore procédé à la répartition des impositions ordinaires de 1790, seront tenus de la terminer dans le délai de 15 jours, à compter de la publication du présent décret, et que les officiers qui ont dû jusqu’à présent en faire la vérification et les rendre exécutoires, ou ceux qui, à leur défaut, ou en cas de refus, ont été autorisés, par le décret du 25 avril, à les vérifier, seront tenus de les rendre exécutoires sansretard; faute de quoi les-dits officiers municipaux chargés de la confection, ou autres officiers chargés de la vérification, demeureront garants responsables du retard qui résulterait dans le recouvrement des impositions de chaque communauté. « 2° Aussitôt que les assemblées administratives seront établies, les départements veilleront à ce que, dans chaque district, il soit nommé des commissaires à l’effet de vérifier les plaintes qui leur seraient adressées sur les inégalités, erreurs ou doubles emplois qui auraient été commis dans la répartition entre les différentes municipalités : lesdits commissaires en dresseront leur procès-verbal, et en feront leur rapport au directoire du district, qui le portera devant le directoire du département, et y joindra son avis, pour, par le directoire du département, en rendre compte au Corps législatif, et lui proposer les moyens qu’ils croiront les plus convenables pour réparer lesdites surtaxes, erreurs ou doubles emplois. » M. le Président annonce que, par le résultat du scrutin pour la nomination des secrétaires , les trois membres qui ont réuni le plus de voix sont : MM. le baron de Jessé, Prieur et l’abbé Royer. Les nouveaux secrétaires remplacent MM. Pa-lasne de Champeaux, de La Réveiilère de Lé-peaux et le comte de Grillon. L'ordre du jour est la suite de la discussion sur la question de savoir si les juges du tribunal de cassation seront sédentaires ou ambulants. M. ISoiigins de Roquefort. Le tribunal de cassation sera-t-il permanent ou se divisera-t-il en sections ambulantes? Telle est la question qui 070 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. £25 mai 1790/ nous est soumise, Mou opinion particulière m’entraîne vers la dernière proposition, Autrefois on allait au-devant de la justice, elle va venir au contraire établir son temple au milieu de nous. Pour mieux faire sentir la force des principes, j’entrerai dans des détails particuliers.' Que l’on interroge celui qui, sous l’ancien régime, venait former une demande en cassation ; il abandonnait ses affaires, sa femme, ses enfants ; et même en gagnant sa cause, son triomphe lui devenait funeste : qu7était-ee donc pour celui qui avait le malheur de succomber? L’ambulance remédiera à cet inconvénient. Combien ne sera-t-elle pas favorable pour le pauvre, qui, ne pouvant faire ni de longs voyages, ni de grandes dépenses, se trouve obligé de souffrir les vexations, les usurpations de l’homme opulent ! Si vous établissez des sections, les juges se transporteront sous les yeux des plaideurs, et ramèneront çes temps heureux des grandes assises, tant préconisées dans l'histoire. Il n’y aura plus de distinction de riches et de pauvres ; tous les intérêts seront mis dans la même balance. H me semble voir je peuple se prosterner sur le passage de ces hommes institués pour faire rendre à, chacun ce qui lui appartient, et les bénir comme des dieux. Quelques-uns des prêopinants ont prétendu que l’intérêt de la justice exige la permanence. J1 serait bien jm-politique de déclarer permanent un tribunal qui aura nécessairement beaucoup d’autorité-, çe serait vouloir faire renaître la cour piénière : mais, dit-on, la justice serait mal rendue , on ne parviendrait pas à trouver des juges, puisqu’ils seraient obligés de renoncer à leurs plus chères habitudes. Eh ! ne voyons-nous pas de braves militaires s’arracher du sein de leur famille, traverser les mers, pour servir leur patrie ? Pourquoi ne trouverions-nous pas des hommes pour un état bien moins périlleux ? Tous les bons citoyens s’empresseront de faire des sacrifices pour leur patrie, et ils examineront moins les incou-nicnts des places que le devoir de les remplir. D’après ces réflexions, je conclus que le tribunal doit être composé du sections ambulantes, M-de Hffi*»espier|*� (i). Messieurs, pour découvrir les règles de l'organisation du tribunal de cassation, il faut se formée une idée nette de sa nature et de son objet. Il n'est point destiné à appliquer les lois aux différends des particu-culjers, ni à prononcer sur le fond des procès, mais à défendre les formes et les principes de la Constitution et de la législation contre les atteintes que les tribunaux pourraient leur porter. Il n’est point le juge des citoyens, mais le protecteur des lois, le surveillant et te censeur des juges ; en un mot, il est placé hors de l’ordre judiciaire et au-dessus de lui, pour lu contenir dans les bornes et dans les règles où la Constitution le renferme. Ôr, maintenant que faut-il pour qu’il puisse remplir cet objet essentiel de son institution? il faut évidemment qu’il soit constitué de telle façon qu’il ne puisse adopter un esprit particulier, ni se faire un intérêt opposé à celui du législateur ou différent de cetui du législateur : car, alors., il emploierait son pouvoir pour faire dominer sa volonté particulière. ; et loin de maintenir les lois» il pourrait en favoriser la ruine, (1) Nous empruntons le discours de M, Bobespierre au journal le point du Jour (tome X, page 200), Cette version est plus complète que celle du Moniteur. en connivant aux entrepreneurs des tribunaux qu’il doit réprimer et pourrait devenir un dangereux instrument dont les autres pouvoirs, coalisés avec lui, pourraient se servir eontre le pouvoir législatif. Or, comment pourrez-vous prévenir ces inconvénients? Comment la cour de cassation sera-t-elle dans l’impuissance d’adopter un esprit de principes différents de ceux du législateur, si elle est un corps séparé, distinct du Corps législatif, et en même temps souverain et indépendant? D est dans la nature des choses qu’il cherche sans cesse à la faire dominer, lorsqu’il est revêtu d’uu grand pouvoir; toutes les fois que ce pouvoir n’est point soumis à une autorité supérieure qui le ramène sans cesse à la règle et à la loi. Ur, remarquez que votre cour de cassation doit-être nécessairement souveraine et indépendante ; puisque, si Jes jugements étaient soumis à une révision, ce serait à un corps chargé de les examiner qu’appartiendrait, en dernier ressort, lq droit de cassation : et ce que je dis du premier, pourrait s’appliquer à celui-ci. 11 sqit donc que s’il adopte des vues et une volonté différentes de celles du législateur, il pourra l’élever au-dessus du législateur lui-même : qu’il sera, en dernière analyse, l’arbitre de la législation, qu’il pourra altérer ou ébranler à son gré par rabus arbitraire qu’il fera de son autorité indépendante: et comme il est impossible de s’assurer que sa volonté sera toujours confondue avec la sienne, si son existence ne l’est pas, il est évident que nous sommes entraînés, par la nature même des choses, à adopter cette maxime, qui n’était point étrangère au droit public de Rome, et que notre ancien gouvernement môme avait adoptée : la législation romaine posait en principe que l'interprétation des lois appartenait à celui qui a fait la loi : ejus est interpretari legemx qui condidit legem. Oo a senti que si une autre autorité que celle du législateur pouvait interpréter les lois, elle finirait par tes altérer et par élever sa volonté au-dessus de la sienne; et il n’est pas besçin de dire que ce principe s’applique, à plus forte raison, à un cas où tes lois sont directement attaquées par les actes du pouvoir judiciaire qui les enfreint. Notre ancien régime avait reconnu lui-même la nécessité de çe principe, quoique le roi n’eut pas même alors le pouvoir d'appliquer les lois aux causes particulières du citoyen, il exerçait néanmoins celui de casser les juges contraires aux formes qu’efles avaient établies et qui tendaient à les attaquer ouvertement; et cette institution était raisonnable, dans un système où il exerçait la puissance législative. Le pouvoir législatif est faible ou nul, et toute sa force passe au pouvoir judiciaire, dès qu’il n’a pas, en lui-même, le droit et les moyens de repousser les atteintes que lui porte ce dernier : comme it n’établit que des règles générales, que les tribunaux seuls les appliquent, les lois deviendront de vaipes formutes dont l’autorité dépendrait absolument des juges 94 du corps chargé de revoir leurs jugements. Qu’on ne dise pas que je confonds ici les pouvoirs en réunissant dans (es, mêmea mains Jç pouvoir législatif et le pouyoir judiciaire. J’ai fait observer que ceux qui doivent surveiller les tribunaux et les ramener sans cesse aux principes de la législation ne sont pas une partie du pouvoir judiciaire, et que leurs fonctiuns sont u[)e dépendance et une convention nécessaires de la puissance législative, et qu’elle devait être exercée [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [“2 S mai 1790,] 671 par le législateur, à peine de renoncer à la stabilité, à la pureté, à l’umté des principes constitutionnels. J’observe, d’ailleurs, que cette division des pouvoirs judiciaires ne doit pas être observée avec superstition, puisqu’elle est subordonnée à la nécessité des moyens qu’exigent le maintien de la liberté pour laquelle elle a été instituée et qu’il est des points de contact où ils doivent se réunir. Jecçmciqs que c’est dans le sein du Corps législatif que doit être placé le tribunal de cassation. je propose, en conséquence, qu’un comité du Corps législatif, choisi par lui, soit chargé de proposer, d instruire et de rapporter les atïaires ui sont de son ressort et qu’elles soient déci-ées par des décrets de l’Assemblée. M, Tronche!. Tous les opinants n’ont en visagé la question que sous un rapport très peu étendu-Il faut examiner les fonctions du tribunal qui va être établi, pour lui donner un titre analogue. Je ne i’appelierqi ni tribunal de cassation, ni tribunal de révision, mais cour suprême. Cette cour doit-elle être ambulante ou sédentaire? L’ambulance 9, dans, ce cas, les mêmes inconvénients que pour les juges ordinaires. L’ambulance de la cour suprême occasionnera des frais considérables : cette cour ambulante ne pourra même remplir les fonctions qui lui seront confiées, et qui consistent dans les règlements de compétence, les demandes en évocation pour cause de parenté ou autres, les prises à partie des cours supérieures ou des juges, le rapport au roi des lettres de grâce, les révisions en matière criminelle, le jugement des contestations en contrariété d’arrêt. Il n’y a pas de raison pour attribuer à telle ou telle section le rapport des lettres de grâce, les règlements des juges, les demandes en contrariété d’arrêt, Quant aux autres fonctions, il se présente d’autres inconvénients; il faudrait que l’instruction et le jugement se fissent dans le même lieu, et par les mêmes défenseurs ; la cassation ne serait qu’un troisième degré de juridiction ; 2° Suspendrez-vous l’inslrucliou pendant l’ambulance des sections? ne seru-t-il pas nécessaire que les mêmes juges instruisent et rendent les jugements ? ne faudra-t-il pas toujours les mêmes formes et les mêmes délaisjundiques?Le peuple serait exposé à acheter bien cher le prétendu bienfait de lajustice, qui viendrait le chercher; 3° Comment le greffier pourrait-il, au moment de son départ, donner des expéditions des jugements ? 4° emportera-t-il les registres d’auberge en auberge ? 5° Si les récusations et les prises à partie se faut dans le même lieu, ne doit-on pas craindre (a corruption ? 6° Les juges éloignés de leur patrie, et n’étant pas retenus par l’opinion publique, ne se livreront-ils pas à leurs passions ? Enfin jamais un tribunal de ce genre ne pourra former un centre nécessaire pour conserver l’unité de principe. On dit que les sections se réuniront, qu’elles se communiqueront leurs opérations ; mais le mal sera fait, mais il se fera encore, parce queramaur-propredivisera ce tribunal. Tels sont les inconvénients insurmontables de l’ambulance du tribunal de cassation. J’ai cherché à prendre un parti qui réunît les avantages eties inconvénients : ce plan est établi sur ce principe, qu’une condition d’une bonne organisation judiciaire est l’uGcès facile de la justice. {I y a deux choses à observer, l’instruction et le jugement : c’est pour l’instruction que l’accès facile est nécessaire; pour le jugement, il est dangereux ; il faut empêcher l'accès a uprès de la personne dp juge; les sollicitations sont toujoursimportunes,etquelque-fois criminelles. Les Anglais interdisent à leurs jurés toute correspondance avec les parties. Il faudrait, pour ainsi dire, placer le juge sur un rocher escarpé, où il ne pût être aperçu que par le procès, et jamais par les parties. Voici le plan que je propose: La cour supérieure sera sédentaire; les juges seront divisés en deux classes ; la première forme-rale corps principal de ce tribunal, et s’appellera chambre yénêrale du jugement. La seconde classe sera divisée en plusieurs chambres, qui seront placées en différentes parties du royaume, et qui formeront les branches du corps centrai ; elles feront l’instruction; leeprps principal jugera. Uy aura unecorrespondanceperpétuelleentfe les chambres d’instruction et la chambre de jugement. Je vais faire quelques observatiqns générales: 1° il vous sera facile de multiplier les chambres d’instruction, parce que lesjuges sédentaires seront moins dispendieux que les juges ambulants; 2° la voie de la cassation est un remède extrême ; il ne faut pas la rendre trop facile, sinon le tribunal de cassation serait bientôt regardé comme un tribunal d'appel ; 3° si le peuple perd quelques avantages du côté de la distance, ces avantages seront compensés par une justice toujours en activité, au lieu que les sections ambulantes ne donneraient qu’une justice lente et souvent paralysée. Donnez des juges intègres au peuple et vous aurez tout fait pour lui, Ou pourra.it ajouter que précaution : ce serait de décider que le tribunal jugera sur l’instruction et sur les pièces que les chambres d’instruction lui enverront, et qu’après le jugement de clôture d’instruction, il ne pourra être reçu nulle enquête et nul mémoire, Ainsi le pauvre sera sûr que l’affaiifj sera jugée dans l’état où elle aura été instruite., M. Barère de (t). Messieurs, en vous occupant d’établir des jugés pour casser le jugement contre le voeu littéral Ue te loi et contre les formes prescrites, vous agitez un des plus grands intérêts de la Constitution, vous devez être, sur cet objet, politiques autant que législateurs, car celte cour est à tous les tribunaux ce que l’Assemblée nationale est à tous les pouvoirs, et vous devez aviser aujourd’hui, autant au maintien de la Constitution' qu’à l’intérêt de chaque citoyen. Plusieurs opinions vous qnt été présentées. M, de Robespierre a énoncé de grands principes lorsqu’il a dit que ceux qui prononcent sur les demandes en cassation ne sont pas des juges, que cette cour ne fait pas partie de l’ordre judiciaire; qu’elle est placée hors de cet ordre et au-dessus pour le juger et le contenir dans ses limites; mais vous avez aperçu aussitôt les dangers, pour la Constitution du comité, dans Je Corps législatif, qu’il vous a proposé; que deviendra le comité investi d’un pouvoir aussi énorme, s’il te possède entièrement? n’avez-vous pas rejeté toute idée de Sénat? mais le comité qui jugera les justices, qui veillera sur les magistrats, qui surveillera les violations des lois nationales, ne serait-il pas bientôt un véritable S.énat ? si ce coiptié partage le pouvoir avec te Corps, législatif, qetui-ci ne prendra-t-il pas une partie du pouvoir judiciaire, ce qui est contraire à f esprit et au principe de te Constitution décrétée? D’autres vous ont proposé une cour sédentaire ; (1) Nous reproduisons le discours de M. Barère d;o Vieuaae, d’après le journal te Point du Jour (tome X, page 213). Çette version est beaucoup pim complété que celle du Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 125 mai 1790.] 67"2 [Assemblée nationale.] c’est ici que les inconvénients se présentent en foule: 1° De transporter les justiciables à deux cents lieues de leurs foyers et de leurs intérêts domestiques. Mais vous avez promis une justice rapprochée des justiciables. Le despotisme avait souvent bercé les peuples de cet espoir, c’est à vous qu’il appartient de le réaliser. 2° De nécessiter, autour d’une cour sédentaire, une athmosphère dévorante des travaux judiciaires et des officiers ministériels, dispendieux; mais vous avez promis la justice la plus grande possible. 3° D’augmenter les frais de l’instruction sur la cassation au point de la rendre plus ruineuse qu’un nouveau degré d’appel; mais vous avez promis qu’il n’y aurait que deux degrés à parcourir dans la carrière judiciaire. 4° De créer une justice de recours, exposée à la corruption et à la sollicitation des plaideurs, car en les appelant auprès d’une cour pour y exposer leurs plaintes, vous leur donnez la tentation injurieuse de solliciter ces juges et de corrompre la justice par toutes les influences qui peuvent agir sur ses ministres; mais vous avez promis une justice impartialie. 5° De rendre la voie de cassation mpraticable pour le plaideur peu fortuné, car en plaçant une cour au centre du royaume ou auprès de la législature, vous ne faites" de la révision qu’un fléau pour le pauvre, et une arme dangereuse dans les mains du riche. Mais vous avez assuré l'égalité des droits aux yeux de la loi et l’égalité de protection qui en est la suite. Où serait donc, cette égalité politique tant vantée pour les provinces, qui ont si généreusement renoncé à leurs privilèges etpour tous les citoyens qui ont autant de droits aux pieds des Pyrénées qu’au sein de cette capitale? J’invoque le témoignage des provinces éloignées. Combien de fois leurs commettants ne se sont-ils pas plaint de l’éloignement ruineux du conseit des parties ou de cassation ? Voilà les inconvénients judiciaires. Que serait-ce si je vous présentais les inconvénients politiques d’une grande cour, nombreuse, puissante de la confiance du peuple, dominante sur toutes les parties du royaume, régnant sur tous les tribunaux, formant un point de l’unité monarchique, et chargée de conserver l’empire des lois constitutionnelles. Concevez -vous ce qu’une pareille Cour pourrait faire par elle-même, dans un pays où l’on a longtemps discuté la nécessité d’une seconde Chambre nationale ? Concevez-vous ce qu’elle pourrait faire dans les mains d’un ministre habile ou d’un roi ambitieux; dans un empire où l’on ne verra plus que des corps partiels, des administrations limitées, des tribunaux circonscrits, et des petits pouvoirs dis;-éminés sans aucune correspondance mutuelle ? Cette cour, entièrement sédentaire, serait donc un grand danger politique. Ce conseil de nos rois devenu sédentaire sous Philipe-le-Bel, n’était-il pas parvenu à se dire la nation pour opprimer la nation? Il y avait cependant des Etats généraux et le pouvoir de cette cour était circonscrit à juger certaines causes dans une partie du royaume. Les inconvénients d’une cour entièrement ambulante, ne sont pas moins nombreux. D’abord, par un apeçu général sur les tribunaux ambulants, tous les publicistes qui ont écrit sur notre histoire et sur nos lois ont regardé comme un progrès, dans la civilisation et la perfection judi ciaire, l’opération qui a rendu les tribunaux sédentaires ; le ministère de d’Amboise a été célébré pour avoir fixé l’échiquier de Rouen, qui n’était qu’une justice souveraine ambulatoire. En second lieu, avec l’ambulance, point d’unité dans les opérations, point d’ensemble dans les principes, point d’uniformité dans la jurisprudence. Cependant, avec de nombreux tribunaux, il peut y avoir plusieurs manières de juger, d’exécuter la même loi et les mêm»'s formalités judiciaires. Que feront ces sections ambulantes si elles jugent ? Elles porteront dans les diverses parties du royaume l’esprit particulier inséparable de toutes les corporations. Ces fractions judiciaires ne peuvent traduire que des opéra-tionsincohérentes, des décisions opposées, desprincipes versatiles; cependant la cour de cassation doit prononcer aujourd’hui comme elle prononça hier, parce que la loi est une, parce que les formalités sont les mêmes, et qu’elle ne doit prononcer que sur la violation des lois et des formes. En troisième lieu, l’ambulance ne donnera à chaque section jugeante qu’un petit nombre de magistrats. Vous ferez donc casser, par quatre ou six juges le jugement, rendu pir quatorze ou quinze autres. Il faut cependant que ce soit la majorité qui juge la minorité, et c’est contre la raison de soumettre le jugement de douze à celui de six. En quatrième lieu, des sections jugeantes sev ront exposées aux sollicitations locales, aux influences de la ville où seront les juges dont les arrêts seront attaqués. La justice qui devrait être la moins influencée, parce qu’elle fait renaître les procès des lieux où ils devraient finir, sera, par l’ambulance, livrée à la corruption. En cinquième lieu, l’ambulance est peu propre à asseoir l’esprit du juge. Les opérations de la cour de cassation demandent l’application de la vie sédentaire. Quelle serait, d’ailleurs, la dignité et la forme de travail d’une cour aussi importante ? Au milieu de ces inconvénients qui résultent de ces deux formes, entièrement sédentaires ou entièrement ambulantes, il faut se décider à une forme mixte, qui porte, dans toutes les villes de département, la facilité de l’instruction, qui est le grand bienfait que vous devez aux peuples, et auprès de la législature le jugement impartial des demandes en cassation. La partie sédentaire formant un tribunal sera le lien politique des divers tribunaux, les ralliera à un même esprit et entretiendra également en eux le maintien des formalités judiciaires et de la constitution. Il faut, d’ailleurs, un tribunal qui juge constamment et promptement les attaques portées à la chose jugée. Il faut que chaque année voie terminer les contestations de l’année précédente, suivant leur rang et leur date. Les sections ambulantes produiront deux grands biens: celui d’éloigner lesdemandes évidemment mal fondées; celui de préparer sur les lieux l’instruction pure, impartiale et éclairée des demandes admises. La présomption est toujours en faveur des jugements rendus en dernier ressort. Etre sévère pour l’admission des demandes en cassation, c’est mettre un terme à la carrière des procès, c’est raffermir la confiance due et nécessaire aux tribunaux, c’est augmenter surtout la force de la chose jugée. Voici un aperçu de mon plan : La cour de cassation sera composée de quatre-vingt-trois membres, un par département. Elle 673 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1790.] se divisera, ensuite, en deux parties : la première de vingt-huit membres, sera sédentaire auprès de la législature et jugera les demandes en cassation admises et instruites devant les sections ; la deuxième partie de quarante-cinq membres, sera divisée en neuf sections, qui se partageront les départements, et iront chaque année, dans les chef-lieux, recevoir les/requêtes en cassation, juger leur admissibilité (comme fait le bureau de cassation du conseil des parties), et recevoir ensuite les mémoires des parties, avec les motifs des tribunaux. M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre (1). Messieurs, s’il est incontestable que la création d’un système judiciaire complet présente des difficultés nombreuses, il n’est peut-être pas moins certain que la nécessité d’articuler successivement un vœu sur des propositions isolées, dont la réunion doit, dit-on, eusuite former un système, ne présente pas de moindres difficultés. Forcéde priver chacune de mes idées de l’appui que lui prêteraient les idées correspondantes; obligé, par chaque décision, à me placer dans un nouvel ordre de choses, si je ne puis plus assujettir ma raison à suivre des principes constants, je dois du moins alors m’attacher uniquement à ce qui paraît le plus utile et présenter les résultats les plus avantageux que permettent les données auxquelles je me trouve soumis. J’ai cru, Messieurs, devoir faire cette première réflexion avant de traiter la question qui vous occupe aujourd’hui, et qui consiste à déterminer si le tribunal de cassation sera sédentaire ou ambulant. Pour la résoudre, j’ai dû chercher d’abord à me faire une idée nette de ce que c’est qu’un tribunal de cassation. La Constitution doit au peuple une justice complète, et dégagée de toutes les imperfections qu’il est possible ou d’éviter ou de réparer. C’est par ce motif, sans doute, que l’on peut appuyer l’adoption des tribunaux d’appel. C’est sûrement ce motif qui détermine à créer un tribunal de cassation ; sa destination est de décider uniquement si dans un jugement contesté le juge s’est écarté du texte de la loi et des formes qu’elle prescrit. Dans ce cas, il prononce qu’il n’y a point eu de jugement, et les parties sont renvoyées devant un autre tribunal. Toute autre fonction lui est étrangère, tout jugement sur le fond lui est interdit; et ces monstrueuses évocations nées de l’oubli des principes, et qui souillaient même l’ancien ordre de choses, doivent être décidément abolies. Jusqu’ici nous sommes d’accord, et personne ne désire sans doute donner aux fonctions de ce tribunal une extension qui, quelque faible qu’on la supposât dans le principe, le conduirait infailliblement à une sorte de dictature judiciaire. Partant donc de cette donnée, je me demande quel caractère doit surtout avoir le tribunal de cassation? Il doit être constant dans sa doctrine, ses membres doivent posséder une profonde connaissance des lois; il doit être entièrement étranger à la personne des justiciables, dont les intérêts ne lui sont soumis que dans un seul point, le rapport de l’arrêt rendu avec la loi qui l’a dû dicter. Développons ces trois idées. 1° L’uniformité dans la doctrine est le premier caractère distinctif du tribunal régulateur, qui, (1) Le discours de M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre est incomplet au Moniteur. lre SÉRIE. T. XV. sans cesse auprès de la loi, en rapproche constamment chaque décision contestée, et déclare, au nom de cette même loi, si son vœu a été suivi. Quelle confiance auraient les justiciables dans ce tribunal suprême? comment la Constitution aurait-elle payé sa dette au peuple, si, même à l’extrémité de l’échelle judiciaire, deux décisions contradictoires dans un cas semblable présentaient pour dernier résultat l’incertitude et l’erreur? Telle est, Messieurs, la faiblesse de la sagesse humaine, que l’on ne peut en exiger ni la raison ni la vérité absolue ; mais du moins on peut lui demander dans ses décisions une confiance, une uniformité rassurantes; on peut le soumettre à un juge qui, ayant pris toutes les précautions humaines pour avoir raison, s’assujettit ensuite aux mêmes principes dans tous ses arrêts. Je suis donc fondé à demander que le tribunal soit organisé de manière à rendre cette uniformité facile. 2° Le tribunal de cassation doit avoir une profonde connaissance des lois. Vous ne les avez pas encore simplifiées; j’ose vous prédire, d’après l’ordre judiciaire que vous donnez, que vous ne les simplifierez pas encore. Vos juges temporaires, moins initiés que les anciens dans cette science mystérieuse, fourniront d’abord une foule d’arrêts à revoir au tribunal dont il s’agit, n’ayant plus cette jurisprudence des arrêts, cet esprit de corps, qui, à côté de plusieurs inconvénients majeurs, présentaient cependant Davantage de remédier à l’ignorance; les juges temporaires, quel que soit leur zèle et leur amour de leurs devoirs, s’égareront souvent dans leur pénible carrière; et de leurs erreurs ou réelles ou présumées, naîtront une foule de demandes en cassation, pour le jugement desquels on est en droit de demander à ce tribunal un grand concours de lumières et un redoublement de zèle. 3° Enfin, les justiciables n’ayant aucun moyen de fond à présenter à ce tribunal, l’arrêt seul, le rapprochement seul de l’arrêt avec la loi devant faire la matière du jugement, il est de la plus grande importance et extrêmement facile d’interdire les approches du tribunal, la sollicitation et la plaidoirie à tous les intérêts particuliers. Il est de la plus grande importance d’isoler tellement ce tribunal, que ses membres, qui n’outau fait qu’une confrontation à faire entre l’arrêt rendu et la loi, ne connaissent, ne voient, ne consultent que la loi et l’arrêt attaqué; j’espère que personne ne me niera ces vérités, et que tout le mondeconviendra sanspeinequel’uniformitédans les jugements, la connaissance approfondie des lois et l’isolement absolu des intérêts et des passions, sont des caractères inséparables du tribunal qui se voue à la fonction si aride dans ses détails, mais si respectable dans son but, de confronter sans cesse des formes à des textes, et de maintenir l’unité, l’uniformité dans toutes les décisions judiciaires. Voyons maintenant, Messieurs, si ces caractères sont conciliables avec le système d'ambulance que l’on prétend faire adopter ; il me parait, quant à moi, que Funiformité est tellement difficile à obtenir des hommes, que l’on ne peut trop cumuler les circonstances qui doivent la pruduire; ce n’est pas trop, pour avoir un jugement uniforme, que de le faire rendre dans un même lieu, par les mêmes hommes, et avec la faculté constante de consulter les mêmes notions, et de comparer successivement les jugements à rendre avec les jugements rendus. Or, je vous demande, Messieurs, si vous pourrez obtenir ce résultat avecl’ambulancedes juges? Rappelez-vous 43 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1790.] 674 tout ce qu’on vous a dit contre ce système d’ambulance, lorsque nous vous le présentions pour les juges en première instance dans un ordre de choses différent de celui que vous avez adopté, et appuyé de motifs qui sont tous inapplicables au tribunal dont il s’agit. M. Troncliet, cet estimable jurisconsulte, dont j’avoue que les lumières et l’expérience ne détruisaient point à mes yeux la bonté du système qu'il a combattu, mais dont les lumières et l’expérience ont repris toute leur force dans le système que vous avez préféré, M. Troncbet vous a dit combien il était impossible que des juges ambulants, privés de cette bibliothèque nombreuse qu’ils seront condamnés à consulter souvent, puissent prononcer des décisions uniformes sur la multitude d’affaires qui se succèdent dans des assises; et certainement l’on conviendra que cet argument n’est point affaibli quand il s’applique à des juges chargés uniquement d’examiner les formes; ces formes, arides nombreuses, compliquées, qu’il est difficile à un bon esprit de retenir, parce qu’il ne les aurait pas imaginées, et contre l’oubli desquelles il est nécessaire de s’armer d’une nombreuse bibliothèque. Ajoutez à cela que, dans tout bon système de tribunal de cassation, il faut proscrire les requêtes multipliées, les développements de moyens contradictoires, réduire le plus possible le juge à ne prononcerque sur l’arrêt, la procédureet la loi, et que, dans de telles circonstances, la difficulté d’avoir des décisions uniformes est nécessairement augmentée. On a cru, Messieurs, parvenir à l’uniformité des décisions en faisant parcourir l’étendue du ressort par des sections tellement composées qu’il y eût toujours, dans chacune d’elles, un ou plusieurs juges qui eussent la connaissance des jugements rendus par les autres sections ; mais on n’a pas paré par ce moyen à un inconvénient auquel il n’est pas de réponse dans le système de l’ambulance. Il est possible qu’un procès semblable naisse dans le même temps, et soit jugé dans le même temps à Marseille et è Strasbourg. Il est possible qu’il y ait demande en cassation contre les deux jugements, qu’elle soit portée dans le même temps dans une assise tenue à Marseille et dans une assise tenue à Strasbourg. Il est possible que l’assise de Marseille et l’assise de Strasbourg rendent des décisions différentes; alors où est l’uniformité des decisions? Il n’y a qu’un moyen de répondre à cela, c’est de faire voyager le tribunal tout entier sans le partager par sections; et à cela je ne vois qu’un avantage, c’est de lui faire perdre toute sa dignité, et le réduire à juger trois procès pendant qu’il en jugerait trente. L’ambulance est évidemment destructive de toute espèce d’uniformités dans les décisions du tribunal. J’ai déjà remarqué, Messieurs, que des juges occupés à des voyages continuels ne pourront, si je puis parler ainsi, nourrir leur science de bonnes études, delà lecture assidue des lois, et même de celle de commentateurs dont j’ai un instautespéré que les nombreux ouvrages seraient bientôt inutiles; mais qui, dans le système judiciaire adopté, seront encore longtemps nécessaires à l’intelligence de nos lois. Gette méditation, cette lecture, ne peuvent être compatibles avec le projet défaire parcourir les départements par les juges de cassation. Ces inconvénients graves ne sont pas les seuls inséparables de ce projet, et j’en trouverai même dans le motif dont on a prétendu l’appuyer. On vous a dit que l’ambulance rapprochait le tribunal du pauvre justiciable. J’ai mûrement réfléchi cette idée, et je crqis que c’est un funeste présent à faire aux habitants des campagnes que de leur rendre trop faciles les moyens de parcourir tous les degrés judiciaires. Quelque gratuite que soit lajustice,lajusticegratuiteestencore énormément chère. Il est impossible d’enchaîner l’avidité des praticiens de campagne, de ces hommes qui ont mis un cruel impôt sur les passions et l’ignorance du pauvre; qui ne plaident jamais pour lui, mais toujours pour eux; qui, dans une affaire de 6 francs de principal, savent faire pour cent écus de frais ; qui, en môme temps, procureurs, avocats, notaires et presque huissiers, conseillent, stipulent et passent eux-mêmes des actes ruineux pour leur client; dévorent ainsi la propriété ou le fruit de son travail, et qui échappent, à force d’astuce, à toute la surveillance de la justice. Si, après avoir plaidé en première instance un mauvais procès, ces praticiens peuvent encore montrer à l’homme ignorant et entêté l’espérance de trouver le succès à dix-huit lieues de sa résidence; si, vaincu dans ce second combat, il peut encore se flatter d’obtenir une victoire à la prochaine assise, et sans s’éloigner davantage de ses foyers, il est évident, pour tous ceux qui connaissent les hommes, que la ruine du pauvre justiciable sera le seul terme de sa plaidoirie et du zèle de son avide défenseur. Lorsque les lois de tous les peuples, lorsque celles que nous suivons encore, ont établi comme principes que les jugements seraient souverains jusqu'à une certaine somme, système sur lequel était en partie fondé l’établissement des présidiaux, certes les auteurs de ces lois n’ont jamais pensé que ia propriété du pauvre fût moins chère à la justice, à 1 humanité, à la loi, que la propriété du riche; ils savaient que les meubles simples du cultivateur lui sont plus précieux sans doute que ne le sont pour l’homme opulent les richesses dont il est environné. Mais ils savaient aussi que le véritable intérêt du pauvre était le calme, la paix et l’éloignement des procès; ils savaient qu’une décision sommaire prononcée par un homme intègre suffisait pour terminer les contestations qui s’élèvent entre des cultivateurs dont la bonne foi est le caractère fondamental; ils savaient que ce n’était ni leur intérêt, ni leur volonté propre qui les traînaient de tribunaux en tribunaux, mais que cette funeste route leur serait bientôt enseignée par des intérêts étrangers, par des hommes qui fonderaient leur existence sur la passion qu’ils s’efforceraient de fomenter. Et ces réflexions, Messieurs, et cette connaissance des hommes et des choses, ont décidé les auteurs des anciennes lois à écarter, autant qu’il a été possible, ou pauvre justiciable, le bienfait empoisonné des appels et des cassations. Et vous, Messieurs, vous dont la raison et l’humanité sont les gardes avouées, vous qui n’avez pu voir sans indignation les vices de l’ancien ordre judiciaire, on vous propose de replacer dans le nouveau la plus funeste institution. On vous propose de corn damner l’habitant paisible de la campagne à d’éternelles plaidoiries, de le familiariser avec l’hydre de ia chicane, de lui donner la facilité de se décider toujours par autrui; car, observez que, si l’on peut soutenir de bonne foi et d’après soi-même un procès quelconque, ce n’est jamais que d’après un conseil que l’on soutiendra la demande en cassation fondée sur des moyens de forme; et observez encore que celui par qui vous voulez que le laboureur se décide sera encore celte espèce de praticien avide et igno- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 mai 1790.] 675 rant qui, ne pouvant s’élever à la hauteur des véritables fonctions de l’avocat, se sont enfoncés dans les détouts de la chicane, et ont substitué l’art de ruiner et de s’enrichir à la science de défendre et de s’honorer. Je borne ici mes réflexions et je conclus à ce que le tribunal de cassation soit décidément sédentaire; si cependant vous voulez lui confier une surveillance directe sur les tribunaux de départements et de districts, vous pourriez rétablir l’espèce d’officiers ambulants, connue jadis sous le nom de missi dominid , et en attacher un certain nombre au tribunal de cassation, les charger de recueillir les plaintes, de compulser les greffes, de prendre des notes instructives et de faire ensuite leur rapport au tribunal. Mais alors ces officiers me paraissent devoir ne rendre aucune décision même arbitrale; ils ne doivent donner que des conclusions. Et ces précautions sont d’autant plus nécessaires qu’il ne faut pas oublier que c’est à la création des anciens missi dominici que vous devez les intendants; insensiblement ils devinrent juges et sédentaires, ils formèrent une justice à côté de la justice; ils opprimèrent, ils vexèrent, et cependant ils n’étaient, comme la plupart des abus, qu’un établissement sage dégénéré, parce qu’une surveillance exacte n’a point étouffé les germes de destruction qu’il contenait dans ses principes. M. l’abbé Royer, député d’Arles. Attaché par état au conseil du roi, je ne viens point cependant chercher à intéresser votre justice en faveur des magistrats sur le point de perdre leur état : quelque pénible qu’il soit pour eux de se voir dans l’impossibilité de remplir une carrière à laquelle ils avaient sacrifié leur fortune, ils savent trop ce qu’ils doivent à la Révolution, pour ne pas s’y résigner. Eloignez donc tout soupçon d’intérêt personnel : un sentiment plus digne de vous et de moi m’attire dans cette tribune. Je suis étonné de voir mettre en question s’il sera établi un tribunal de cassation, si les juges de ce tribunal seront permanents ou ambulants, puisque cette fonction a toujours été attribuée au pouvoir exécutif et qu’on ne peut lui ravir ce pouvoir, qui lui a été confié par la nation. Il est bien clair que ce tribunal ne doit être composé que de membres qui aient la confiance du roi. La demande en cassation n’est autre chose qu’un appel au prince : elle ne peut être inséparable de sa personne. Intimement convaincu que ce sont là les caractères qui doivent distinguer la cour plénière (On murmure... On applaudit), je veux dire cour suprême : j’entends répéter si souvent ce mot cour plénière autour de moi, qu’il m’a échappé. J’ai examiné si le Conseil d’Etat s’écarte tellement de ce mode d’organisation, qu’il ne puisse en tenir lieu. Tout ce qui est de matière contentieuse dans l’administration de la justice est de son ressort; il peut arrêter les provisions, reviser les jugements criminels. (On observe que ce n'est pas là l'ordre du jour). La formation du tribunal de cassation ne pourrait être séparée du roi sans altérer sa dignité. Vous l’avez établi pour veiller sur toutes les lois. Que deviendrait cette prérogative, s’il était permis de les enfreindre sans avoir rien à redouter de son autorité? Autrefois les rois rendaient la justice par eux-mêmes; l’étendue de leur empire les a obligés à déléguer ce droit; mais ils ne s’en sont pas totalement dépouillés, et vous-mêmes, pour rendre hommage à ce principe, vous avez décrété que le pouvoir exécutif suprême réside entre les mains du roi. (Il s'élève de nouveaux murmures.) Je ne sais pas pourquoi on refuse d’entendre le seul membre du conseil qui soit dans cette Assemblée, quand il ne demande qu’à faire connaître les règles usitées dans son tribunal. (On observe à l'orateur qu'il s'agit seulement de savoir si les juges du tribunal de cassation seront ambulants ou sédentaires.) C’est concentrer tous les pouvoirs dans le Corps législatif, que de s’arroger le droit de déterminer la manière dont sera composé le tribunal de cassation. Per-mettez-moi, Messieurs, de vous soumettre les règles constamment usitées au conseil. (On réclame l'ordre du jour de toutes les parties de la salle.) Comme membre du conseil, je croyais avoir qualité pour faire ces observations; mais puisque je trouve aussi peu d’indulgence dans cette Assemblée, je me retire. M. de Saint-Martin. Le tribunal de cassation a pour objet de protéger la liberté et d'assurer l’exécution de la loi. Si ce tribunal est sédentaire, il dévorera le pauvre, il ne favorisera que le riche, il ressuscitera le conseil, il sera exposé aux suggestions ministérielles. Il faudrait donc diviser ce tribunal en juges ambulants et en juges sédentaires, ainsi que l’a proposé M. Goupil de Préfeln. Mais ce moyen a encore des inconvénients et présente l’extrême difficulté de faire voyager des juges. Pourquoi donc n’établirait-on pas ce tribunal dans le sein du Corps législatif? Dans les principes, le droit de pronoucer contre la violation de la loi doit appartenir au pouvoir législatif. M. de Robespierre a développé cette idée : je m’arrête et je conclus à ce qu’il n’y ait pas d’autre cour suprême que la législature. (L’Assemblée se retire dans les bureaux pour procéder au second scrutin pour l’élection d’un président.) La séance est levée à 2 heures ci demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. THOURÈT. Séance du mercredi 26 mai 1790 (i). La séance est ouverte à onze heures du matin. M. Otabroud, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier qui est adopté. Il fait ensuite lecture des adresses suivantes : Adresse de la municipalité et des notables de Saint-Sulpice de l’Aigle, qui, jaloux de témoigner leur parfait dévouement à la patrie, déposent sur son autel une somme de 436 livres, produit total du rôle des six derniers mois des ci-devant privilégiés, et regrettent de ne pouvoir faire un plus généreux sacrifice. Autre, des citoyens actifs du canton de Louvres en Parisis, district de Gonesse, département de Versailles, qui expriment leur adhésion à tous les décrets de l’Assemblée, leur disposition à les soutenir de tout leur pouvoir, et de les défendre jusqu’à l’effusion de leur sang ; ils invitent l’Â3- (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.