704 ; [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j eSbretwa' Ici la scène change, les tambours font en¬ tendre leurs lugubres roulements, des accents plaintifs percent la voûte des cieux, une épaisse fumée obscurcit l’atmosphère, le jour est rem¬ placé par les ténèbres au milieu desquelles on aperçoit à peine la lueur pâle et sinistre de quatre torches allumées. Mais bientôt le jour rend sa lumière, l’air découvre les deux bustes chéris entourés des corps constitués, de chantres et de cantatrices célébrant l’apothéose des deux héros. L’obser¬ vateur philosophe remarque le ci-devant curé fidèle à sa mission, soigneusement occupé à entretenir le feu sacré qui brûle dans les quatre urnes placées aux quatre coins de l’autel civique, et prodiguant aux mânes des deux martyrs l’encens qu’il donnait autrefois à la superstition et à l’erreur. Au même instant, le citoyen Deteure, maire de la commune, jeune homme dont le patrio¬ tisme et les talents reconnus prouvent qu’au milieu des campagnes, il se trouve aussi des hommes vraiment à la hauteur des principes, adresse à ses concitoyens le discours suivant : « Braves sans -culottes, « Vous voyez devant vous les bustes de ces hommes célèbres qui sont tombés sous les coups du royalisme et du fédéralisme. Une faction liberticide gangrenée de modérantisme, faction impie agitant partout les flambeaux de la discorde, provoquant partout la force dépar¬ tementale contre Paris, le centre de réunion de tous les bons citoyens, et contre les représentants restés fidèles à la bonne cause, avait voué à l’exécration le vertueux Marat, l’incorruptible ami du peuple-! Mais à la lueur du flambeau de la raison, le masque est tombé, Marat et Lepeletier nous ont tracé le véritable chemin de la liberté. C’est avec leurs principes que nous écrasons aujourd’hui le fier Anglais, le farouche Autrichien, le Prussien jusqu’ici indomptable, et tous les vils satellites des despotes coalisés contre nous; c’est en suivant la doctrine du prophète Marat, le vrai défenseur des sans-culottes, que nous purgeons aujourd’hui le sol de la liberté de toute cette vermine d’aris¬ tocrates, de malveillants, de modérés, de fana¬ tiques, d’accapareurs, en un mot de tous les méchants de toutes les espèces et de toutes les couleurs. « Chers amis, réunissons -nous donc autour de ces deux martyrs de la liberté, rendons à leur mémoire les hommages que leur ont méri¬ tés leurs vertus et, en répandant des fleurs sur leurs tombeaux, jurons tous haine aux mal¬ veillants, haine aux fanatiques et aux super¬ stitieux, haine à l’aristocratie mercantile qui lève encore une tête audacieuse. Liberté, égalité, fraternité, unité, indivisibilité de la République, que ce soient là nos cris de ralliement, plutôt nous ensevelir sous les ruines de notre patrie que de jamais composer avec les principes, plutôt la mort que de jamais souffrir qu’on porte la moindre atteinte à cette liberté pré¬ cieuse que nos braves frères d’armes cimentent tous les jours de leur sang. » Ce discours, prononcé avec toute l’énergie qui caractérise un vrai républicain, remplit toutes les âmes d’un saint enthousiasme, les bonnets et les chapeaux s’agitent une seconde fois dans les airs, les cris de Vive la nation! vive la République! vive la Montagne! se font entendre de toutes parts. Tous protestent que l’orateur a été l’interprète fidèle des sentiments qui les animent tous et, à l’instant, l’hymne patriotique s’entonne et se chante à grand chœur. Au dernier refrain, le maire saisit brus¬ quement la perche surmontée des attributs de la ci-devant royauté, il les brise sous ses pieds, les jeunes garçons yident leur panier rempli d’armoiries et de signes féodaux, les quatre torches mettent le feu au bûcher et tous ces restes impurs, réduits en cendres, sont offerts en holocauste aux mânes des deux héros. Le sacrifice achevé, le cortège reporte avec pompe les deux bustes dans la ci-devant église, lieu des séances de la Société populaire; un pre¬ mier mouvement avait porté à les placer, l’un dans la salle du ci-devant curé; l’autre dans la stalle du ci-devant vicaire, comme les prédi¬ cateurs du nouvel évangile : la Constitution républicaine, mais une nouvelle réflexion les fit déposer sur le ci-devant autel, comme les divinités tutélaires des Français régénérés. Ainsi se termina cette fête que l’on peut véritablement appeler la fête du triomphe de la raison, surtout dans les campagnes où l’igno¬ rance et la superstition avaient depuis si long¬ temps invariablement établi leur principal do¬ maine. Elle fut couronnée par un banquet fra¬ ternel de cent couverts, servi simplement, mais cependant auquel rien ne manquait, tous y étaient admis indistinctement en cotisant sui¬ vant leurs moyens : l’assignat de cinquante livres offert par le riche ne lui donnait pas plus de droits que le petit billet de dix sols offert par le pauvre. Ce qui en faisait le mérite, c’était ce mélange confus de ce qu’on appelait autrefois états, conditions. Ce qui en faisait le principal assaisonnement, c’était cette gaîté franche et naïve qui caractérise spécialement les bons habitants des campagnes; beaucoup d’hymnes patriotiques en l’honneur de la sainte Montagne, des vœux ardents pour le succès des armes françaises, et la prompte arrivée de la paix; des remerciements votés au citoyen Page, donateur des bustes et à la municipalité ordonnatrice de la fête. Point de rixe, point de querelle, nul excès dans le manger, point d’ivresse, ce qui prouve qu’au milieu même des convulsions violentes qui accompagnent les grandes révolutions, la morale n’a pas laissé que de faire des progrès sensibles, et qu’avec de l’instruction les hommes qu’on appelait paysans deviendront bientôt les plus excellents et les plus Vertueux républicains. Pour copie conforme au procès-verbal transcrit sur le registre du conseil général de la commune, vingt-six brumaire de Van II de la République française, une et indivisible. Deteure, maire; Pigeard, secrétaire greffier de la municipalité de Montgeron. La séance est levée à 4 heures (1). Signé, Romme, Président; Reverchon, Phi¬ lippe aux, Frecine, Merlin (de Thion-ville), Roger Ducos, Richard, secrétaires. (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 26, p. 64.