258 [Étals gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée d’Aix.] litige, ou qui pourront y être, entre les seigneurs et leurs vassaux, soit en corps, soit en particulier, seront discutés et jugés par des commissions éta-. blies ad hoc pur les Etats généraux, composées de juges qui ne seront ni seigneurs ni vassaux, et dont moitié sera choisie par les seigneurs, et moitié par le vassal ou les vassaux. Dans le cas d’une décision favorable aux seigneurs, il sera procédé au rachat desdits droits seigneuriaux, d’après les principes passés aux articles 30 et 31, Art. 34. Pendant la tenue des Etats généraux, on nommera, dans chaque province, des commissions intermédiaires un peu nombreuses, composées des députés des trois ordres, qui correspondront, d’un côté, avec les ordres et les municipalités, de l’autre, avec les députés aux Etats généraux; pour que les mandants et les mandataires puissent agir pendant la durée des Etats généraux, avec le plus de concert et la moindre perte de temps possible. Art. 35. Les députés demanderont dans les Etats généraux qu’il soit statué, par une loi précise : 1° qu’à l’avenir, les ministres du Roi seront comptables, à la nation, représentée par les Etals généraux, de toutes les dépenses et emplois des impôts, subsides et emprunts, de quelque nature qu’ils soient; 2° que les mêmes ministres du Roi, les administrateurs quelconques et les magistrats souverains, seront déclarés responsables de leur conduite , et qu’ils pourront être accusés , poursuivis et jugés dans l’assemblée nationale, selon les règles qui détermineront quels peuvent être les accusateurs et quels doivent être les juges. Art. 36. Avant la fin des Etats généraux, on enverra dans les municipalités et aux assemblées particulières des deux ordres privilégiés, dans les provinces, les articles délibérés, numérotés et séparés les uns des autres, le plus qu’on pourra, de fagon, cependant, que les objets y relatifs dont l’un ne saurait exister sans Eautre,‘se trouvent, s’il se peut, dans un même article. Les municipalités et les ordres privilégiés pourront, tout de suite, s’assembler par des députés dans les chefs-lieux de leur district ; et les districts pourront s’assembler dans le chef-lieu de chaque province, ou tout autre endroit de la province qu’ils auront choisi pour se concilier et s’éclairer réciproquement. Après quoi, et sous un terme limité, les députés retourneront dans leurs municipalités, et chaque ordre, ainsi que chaque municipalité dans chaque province enverra par députés aux Etats généraux qui représentent le district en la province, la ratification ou son désaveu pour chaque article absolument et en entier; ou on enverra la décision à la prochaine assemblée générale, en marquant précisément , relativement à chaque article, si le vœu de la municipalité ou de l’ordre a été unanime ou à quelle pluralité de suffrages il a été donné ; et la pluralité des ratifications en faveur d’une opinion lui donnera force de loi, en jugeant, comme de raison, cette pluralité du côté vers lequel se sera rangée la pluralité des habitants du royaume, considérés en total, qui auront voté dans les différentes municipalités, et les différentes assemblées des deux ordres privilégiés ; et le verbal qui constatera, en détail, cette pluralité, sera imprimé à la suite du cahier des Etats généraux. Tout homme, âgé de vingt-cinq ans et qui aura droit de voler dans les assemblées municipales qui se tiendront à cette occasion, s’en fera un devoir sacré, et sera mis à une amende commune, s’il vient à le négliger. On examinera s’il n’y a pas de matière dans laquelle il ne devrait point se faire d’innovation, sans une pluralité des deux tiers des suffrages. Thus les vingt ans, les Etats généraux nommeront des commissaires de toutes les provinces pour travailler à un dénombrement et à un af-fouagement général de toutes les provinces du royaume, et ils régleront la manière la plus juste de procéder à ces opérations d’après lesquelles se feront les différentes répartitions d’impôt, et les diverses estimations de l’inRuence respective des provinces, dans les délibérations aux assemblées nationales. Art. 37. Les députés aux Etats généraux ne pourront être gênés par leurs instructions, de façon à ne pouvoir profiter du bénéfice de la discussion, et des grandes lumières qu’on a droit d’attendre de l’assemblée nationale. La ratification finale ou le désaveu des municipalités, demandés en l’article précédent, semblent laisser aux députés aux Etats généraux, guidés d’ailleurs sur les choses les plus importantes par les instructions préliminaires, toute la liberté convenable, sans compromettre celle des municipalités, c’est-à-dire de la nation. Art. 38. On donnera à la tolérance réciproque, en fait d’opinions religieuses, tout ce que les circonstances permettront à la prudence et à la raison. Les députés aux Etals généraux demanderont qu’il y soit avisé aux moyens de secouer la dépendance pécuniaire dans laquelle le royaume se trouve de la cour de Rome, sans toucher en rien à l’autorité spirituelle qu’elle exerce par son chef sur la religion. Art. 39. On nommera une commission des gens de lettres pour travailler à des livres classiques, servant à la commune instruction, et pour faire un règlement relatif à la meilleure éducation nationale pour toutes les classes de citoyens, règlement qui aura force de loi, sanctionné qu’il sera par les Etats généraux. L’on abrogera les lois ou usages qui excluent tyranniquement des hautes places, dans l’épée et dans l’église, les membres du tiers-état, lesquels seront déclarés aptes à y parvenir, lorsque la naissance seule fondera la concurrence. Art. 40. Les députés aux Etats généraux seront autorisés à consentir tout ce qui ne choquera pas formellement ou améliorera évidemment les articles ci-dessus énoncés, toujours avec la clause de ratification en la forme exprimée en l’article 36. Signé Artaud; Reynaud; Naud, Reynaud; Allemand; J. Reynaud; Tuaire; Artaud; Allemand; Artaud; Reynaud; J. Reynaud; Allemand; Laurent, greffier, et Boutons, lieutenant de juge, viguier. Coté et paraphé ne varietur par nous, viguier et lieutenant de juge, à Aurons, dans la salle de l’hôtel de ville, le 29 mars 1789. Signé Boutons , viguier et lieutenant de juge. CAHIER Des doléances de la communauté de la Bastidonne , ou bastide du Prévôt (1). Messieurs les députés de la communauté de la (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l'Empire. 259 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. Bastidoime sont priés de faire valoir, dans l’assemblée du bailliage d’Aix, les plaintes et doléances qui suivent : Art. Ier. Abolition, de toute nobilité de terre qui, dans la suite, pourrait servir à l’exemption des impôts ; sinon abolie, qu’elle ne soit qu’ honorifique comme la noblesse personnelle, et une obligation de payer le tribut avec plus de générosité. Art. 2. Que Sa Majesté , pour que toute idée d’exemption ne revive pluss soit suppliée de n’en plus accorder , même en en tenant compte aux communautés ou provinces. Art. 3. Qu’il n’y ait qu’une seule et môme forme de lever l’impôt sur toutes les terres de la province, crainte que le moindre reste de distinction amène insensiblement à l’exemption abusive. Art. 4. Gomme toute juridiction tient à la puissance exécutrice qui appartient exclusivement à l’Etat, anéantissement de la propriété de la juridiction féodale. Art. 5. Abolition de toute levée publique, soit en grains ou en argent, autres que celles consenties par la nation, pour les besoins. Art. 6. La d'une, qui n’est pas une propriété de l’Eglise , mais une espèce d’imposition pour la nourriture de ceux qui administrent les sacrements, sera abolie; les communautés chargées de nommer leurs pasteurs; sinon supprimée, que la manière de la lever , et sa quotité réduite à un taux relatif à la seule nourriture et entretien des ministres nécessaires, soient égales pour toute la province. Art. 7. La nourriture étant une charge des communautés , que les administrateurs des hôpitaux soient élus par le conseil de ville, et le compte du trésorier entendu par des auditeurs nommés dans le même conseil. Art. 8. Le code civil et criminel réformé. Art. 9. Tous les tribunaux inutiles et onéreux réformés et même supprimés. Art. 10. Attribution à ceux des arrondissements de souveraineté jusqu’au concurrent d’une somme déterminée. Art. 11. Abrogation de toutes lettres attentatoires à la liberté des citoyens , et la faculté à ceux-ci , de quelque ordre qu’ils soient, de concourir pour tous les emplois militaires , bénéfices et charges attributives de noblesse, et d’y réclamer surtout contre la vénalité des offices. Art. 12. L’abolition de tous droits de circulation dans l’intérieur du royaume, et notamment le re-culement des bureaux de traite dans les frontières. Art. 13. La convocation générale des trois ordres de la province , pour former ou réformer la constitution du pays. Art. 14. Qu’il sera permis aux communes de se nommer un syndic avec entrée et voix délibérative aux Etats provinciaux. Art. 15. L’amovibilité de la présidence et de tous les membres ayant entrée auxdits Etats. Art. 16. Exclusion des magistrats et de tous officiers attachés au fisc, des Etats particuliers de la province. Art. 17. La désunion de la procure du pays, du consulat de la ville d’Aix. Art. 18. Admission des gentilshommes non possesseurs de fiefs et du clergé du second ordre. Art. 19. L’égalité des voix pour l’ordre du tiers contre celles des deux premiers ordres, tant dans les Etats que dans la commission intermédiaire , et surtout l’égalité des contributions pour toutes charges royales et locales, sans exemption aucune , et nonobstant toutes possessions ou privilèges quelconques. [Sénéchaussée d’Aix. j Art. 20. L’impression annuelle des comptes de la province, dont envoi sera fait dahs chaque communauté toutes les années; et que la répartition des secours que le Roi accorde au pays, ensemble de l’imposition de 15 livres par feu, affectée à la haute Provence, sera faite dans le sein des Etats et par eux arrêtée. Art. 21. Le conseil déclare se référer, pour tous les autres objets, soit généraux pour le royaume, soit particuliers pour cette pqpvinco, au cahier général qui sera dressé dans Rassemblée du bailliage, Signé BlaCâz, lieutenant de juge ; J. Vacher maire, et FauQUETTE, greffier . CAHIER Des doléances de la communauté de la Bastidonne de Sanerie , au diosèse d'Aïx en Provence (1). Sire, Le manants et habitants du lieu delà Bastidonne de Sanerie ont l’honneur d’exposer très-humble-ment à Votre Majesté qu’ils habitent le village le plus surchargé de Provence, et son territoire le plus mauvais. Les terres et les vignes sont, la majeure partie, soumises à un droit de taxe du huitième du produit, et l’autre partie à un cens annuel en blé. Les particuliers sont encore soumis au droit de corvée envers leur seigneur; et la communauté soumise depuis peu à payer un detni-lod de dix en dix ans des biens qu’elle possède. Les charges ne sont pas égales en Provence ; et elles se trouvent encore augmentées par des droits de lods que les particuliers payent à raison du sixième de la valeur des biens qu’ils achètent ; à l’entretien d’une fontaine qui exige les réparations les plus dispendieuses, et de laquelle le seigneur s’approprie les versures des eaux, quoiqu’il n’ait ni jardin ni domaine pour pouvoir les y conduire. Ce ne sont pas là, Sire, toutes les charges qui accablent vos fidèles sujets de la Bastidonne. Il en est qui ne sont ni moins fortes, ni moins pesantes. 11 n’existe, en Provence, aucun village qui n’ait des moulins à farine, et la Bastidonnen’en afpoint. Le seigneur oblige ses vassaux d’aller moudre leurs grains à ceux de la Tour-d’Aigues, lieu dis-sant d’une lieue : de façon que le misérable cultivateur, qui n’a d’autres secours que celui de sa bêche, est obligé de quitter son travail, d’aller, de venir, et de retourner parfois, plusieurs jours, pour pouvoir transporter son blé en farine. 11 n’y a qu’un four à cuire le pain : il appartient à la communauté par les titres les plus solennels; et le seigneur veut s’approprier le droit de fournage. Cette contestation est, depuis environ vingt années, pendante à notre parlement de Grenoble. Comme encore le droit de taxe sur tous les fruits qui se perçoivent-dans la partie du terroir qui n’est soumise qu’à une cense. De là, il arrive que n’y ayant point, en ce village, de boulanger, le misérable vassal qui n’a pu faire moudre son grain, pressé parla faim, est obligé d’aller chercher du pain aux endroits circonvoisins. Les gens du seigneur, ou les fermiers lui en trouvent en route, ils le lui prennent, et lui décernent une amende. De plus, il arrive très-souvent que, obligés de courir avec un fusil sur les bêtes fauves pour sauver leurs bestiaux, ils se voient décerner des décrets de prise au corps par les officiers du seigneur, qui est alors juge et partie dans un pays (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l'Empire.