75 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i janvier 4790.] Article 4. 1 de la partie des décrets du 4 du môme mois, qui était relative à l’abolition des dîmes et au rem-« Il ne sera payé, même provisoirement, aucunes pensions, dons, gratifications, ni anciens traitements et appointements attribués à quelques fonctions publiques, aux Français habituellement domiciliés dans le royaume, et actuellement absents sans mission expresse du gouvernement antérieure à ce jour. » M. le Président lève la séance à sept heures du soir, et l’indique à demain mardi, neuf heures et demie du matin . PREMIÈRE ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 4 janvier 1790. Développement de la motion de M. Camus, relativement à l'Ordre de Malte (1). (Imprimé par ordre de l’Assemblée.) Les déterminations que l’Assemblée nationale prendra sur l’Ordre de Malte, sont extrêmement importantes. D’une part, on ne doit ni manquer à la justice due à un ordre qu’un grand nombre de guerriers célèbres ont illustré, ni porter atteinte au commerce du Levant, commerce très-avantageux à la France. D’autre part, il est impossible, lorsque la nation se donne une nouvelle constitution, de laisser subsister des usages, des lois ou des privilèges essentiellement contraires à la constitution. Tous les particuliers, tous les établissements, tous les corps qui existeront dans la nouvelle confusion, doivent être d’une nature homogène. Une différence, admise dans le moment présent, serait, pour l’avenir, un germe de constitution, de désordre et de destruction. L’Assemblée nationale sera en état de statuer sur les établissements de l’Ordre de Malte, lorsqu’on lui aura rappelé ce qui s’est déjà passé dans ses séances par rapport à cet ordre; qu’on lui aura présenté un tableau fidèle de l’étal de l’Ordre de Malte et de ses établissements en France ; qu’on lui aura mis sous les yeux le résultat des titres qui forment la constitution de l’Ordre de Malte et de ses établissements; qu’on aura balancé les avantages que l’Ordre procure à la France avec les oppositions qui peuvent se trouver entre sa constitution et la constitution française. 11 ne restera alors qu’à chercher les moyens de concilier les intérêts du royaume avec les principes de sa constitution. article 1er. Récit abrégé de ce qui s’est passé dans l'Assemblée, relativement à l’Ordre de Malte. Plusieurs provinces et bailliages, dans leurs assemblées particulières, avaient réclamé contre les privilèges de l’Ordre de Malte (1). Cet Ordre a été nommé pour la première fois dans l’Assemblée nationale, le 11 août 1789, lors de la rédaction (1) La motion de M. Camus n'a pas été insérée au Moniteur. (2) Cahiers du clergé de Nemours, du clergé de Sézanne, du clergé de Rbodez, etc. boursement des rentes foncières. On avait décidé d’abolir les dîmes appartenantes aux corps ecclésiastiques séculiers et réguliers, et d’autoriser le rachat des rentes qui leur étaient dues. Il fut question de savoir si ces dispositions seraient appliquées aux dîmes et aux rentes appartenantes à l’Ordre de Malte. L’Assemblée décréta que les dîmes possédées par les corps séculiers et réguliers... même par l'Ordre de Malte et autres ordres religieux et militaires, étaient abolies. File décréta que toutes les rentes foncières, à quelques personnes qu’elles fussent dues, même à l'Ordre de Malte, seraient rachetables. Le Roi a ordonné la publication de ces articles le 22 septembre; le 3 novembre il en a ordonné l’envoi à tous les tribunaux. La mention expresse de l’Ordre de Malte, dans le décret de l’abolition des dîmes, avait occasionné quelques réflexions sur son état et sur ses privilèges. Le 17 août, M. le vicomte de Mirabeau présenta à l’Assemblée, des Considérations pour l'Ordre de Malte, dans lesquelles, après avoir relevé les avantages que la France tire de cet Ordre, il avertit que « l’Ordre était sollicité depuis longtemps de faire la cession de son île à une puissance ennemie de nos anciens alliés, et jalouse de posséder cet établissement (pag. 5 et 6.) ». Il ajouta que a cet abandon était la seule manière dont l’Ordre pût se récupérer de la perte énorme qu’on lui faisait éprouver par la suppression des dîmes (pag. 6) ». M. le vicomte s’étend ensuite, dans le même écrit, sur la protection que la marine maltaise donne à notre commerce; sur les avantages que son hôpital nous procure. Il expose le droit que chaque Français a sur les biens de l’Ordre de Malte; le noble, en entrant parmi les chevaliers ; le bourgeois, parmi les servants d’armes ; celui qui se destine à l’état ecclésiastique, parmi les Diacos; il rend compte des avances d’argent indispensables pour parvenir aux commanderies , et il en conclut qu’après ces avances faites, on a un droit réel qui ne saurait être enlevé à ceux qui l’ont acquis. Le 21 août, M. le comte de Montmorin, ministre des affaires étrangères, fit parvenir, par M. le garde des sceaux, à l’Assemblée nationale, un mémoire de M. Bailli de la Ërillanne, ambassadeur de Malte (1). L’Ordre y déclare d'avance , qu'il se soumet entièrement à tout ce que les Etats généraux décideront , après qu’ils auront bien voulu approfondir sa constitution. Ce mémoire contient des détails sur la constitution de l’ordre, ses revenus, ses privilèges. On y insiste (pag. 19) sur le concours de * la possession la plus entière et la plus authentique, avec les titres les plus solennels d’une franchise absolue de toutes imposition réelles et foncières. » On soutient (pag. 54) « qu’on ne peut diminuer les revenus de la r eligion dont les dîmes sont la plus grande partie, qu’elle ne devienne à charge aux autres puissances chrétiennes, et singulièrement à la France » . On y demande (pag. 28) que l’Ordre soit maintenu, relativ ement aux impositions, dans ses formes, au moyen d’un abonnement compatible avec les besoins actuels de l’Etat et les charges particulières que supportent les commandeurs. )ans un supplément à son mémoire, M. l'ambassadeur propose quelques réllexions sur ce (1) Il est intitulé Mémoire de l’Ordre de Malte, 35 pages. 76 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] qu’un des membres de l’Assemblée avait dit qu’il I existait des abus dans l’Ordre; et il se propose, en particulier, de justifier l’usage de la pluralité des commanderies sur une même tête. La lettre du ministre du Roi, qui accompagnait le mémoire de l’ambassadeur, invite l’Assemblée à considérer les questions relatives à l’Ordre de Malte, sous le point de vue essentiel de l’avantage du commerce. Il observe que si l’Ordre se trouvait privé d’une portion considérable de son revenu, il serait dans l’impossibilité défaire face aux dépenses que la défense de ses possessions exige; qu’alors les chevaliers, « ou remettraient de gré à gré leur île au Roi de Naples, qui en est le suzerain ; ou, pour en tirer plus de parti, la céderaient à une autre puissance qui deviendrait, en quelque sorte, maîtresse de la Méditerranée. » Dans le même temps encore (le 26 août), M. le bailli de Flachslanden, grand turcopolier de Malte, député des communes de Hagueneau à l’Assemblée nationale, adressa à M. le président de l’Assemblée, des observations où il représente l’ordre de Malte comme « une confédération de toutes les puissances catholiques, représentée par la noblesse, le clergé et les communes de ces mêmes puissances, ayant essentiellement pour but aujourd’hui la protection du commerce contre les pirates. » M. le bailli donne quelques détails sur ce qui n’avait été qu’indiqué d’une manière générale dans le mémoire de l’ambassadeur, par rapport au désir que les puissances rivales de la France auraient de traiter avec l’ordre de Malte; et sur les pertes que la France éprouverait, si les chevaliers faisaient l’abandon de leur île, même à l’Espagne. Si le décret de l’Assemblée concernant tes dîmes, devait subsister relativement à l’Ordre de Malte, il est certain (c’est l’expression de M. le bailli) que l’Ordre ne pourrait plus subvenir aux dépenses de l’île qui lui a été confiée. La chambre du commerce de Marseille s’est intéressée dans cette affaire; et, en répondant à différentes questions qui lui ont été proposées (on ne dit pas de quelle part) sur les avantages que la France retire de l’Ordre de Malte, elle a représenté que le commerce du Levant était extrêmement important pour la France; elle a déclaré que l’île de Malte et les vaisseaux entretenus par l’Ordre étaient d’un tel secours pour ce commerce, qu’on serait pent-être forcé à y renoncer, s’il cessait d’être protégé par les bâtiments de la religion. Le 13 novembre, lors du décret qui oblige les titulaires de bénéfices à fournir des déclarations de leurs biens, on proposa d’exprimer qu’il comprendrait les chevaliers des Ordres religieux et militaires; mais l’ajournement ayant été demandé sur cette motion, il a été prononcé. Le 30 novembre, il a été rendu compte à l’Assemblée d’une lettre écrite au Roi par le grand maître de Malte, le 17 septembre. La lettre contient des plaintes sur la suppression des dîmes de l’Ordre, comme étant la principale partie des revenus de ses commanderies. Le grand maître réclame contre l’arrêté de l’Assemblée, prononcé sans avoir entendu l’Ordre, qu’on n’a pu, dit-il, condamner qu’en le confondant avec le clergé, avec lequel il ne peut, ajoute-t-il, être assimilé sous aucun rapport. Le grand maître rappelle les services rendus par son ordre à la France, particulièrement au commerce; il expose « ta profonde douleur dans laquelle l’exécution de l’arrêté de l’Assemblée plongerait son Ordre, par l’impossibilité absolue où il le mettrait, non-seulement de continuer ses services reconnus utiles et nécessaires au royaume; mais de se maintenir même dans l’île qu’il possède ; il espère que le Roi daignera interposer sa puissante protection, pour que l’arrêté n’ait aucune suite. » La déclaration disertement exprimée d’une volonté formelle de ne pas se soumettre à l’arrêté de l’Assemblée nationale, concernant les dîmes, m’a fait penser que la seule manière de répondre à la déclaration du grand maître, était d’examiner s’il devait subsister en France des établissements de l’Ordre de Malte, des établissements dont les possesseurs prétendaient ne pas pouvoir se conformer aux décrets de l’Assemblée. J’ai fait la motion de leur suppression; j’ai demandé d’être entendu sur ce sujet; mais je suis surpris qu’on ait imaginé que je ne proposais rien moins que d’anéantir l’Ordre entier, et de détrôner le grand maître. N’y a-t-il donc aucune différence entre .bannir du royaume des établissements qui déclarent ne pouvoir pas se soumettre à ses lois; ou rompre avec une puissance amie, et attaquer ses droits? Quoi qu’il en soit, la motion relative aux établissements de l’Ordre de Malte, a donné lieu à un nouvel écrit de M. le bailli de Flachslanden, intitulé: Réflexions sommaires et impartiales sur l’utilité de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, et sur les dangers de sa suppression en France . Il a été bientôt suivi d’un autre mémoire, intitulé: A la nation et à ses représentants, pour le plus ancien et le plus utile de ses alliés : je n'en connais point l’auteur. M. de Gypierres, député de la ville de Marseille à l’Assemblée nationale, a fait imprimer des Observations sur les biens que l’Ordre de Malte a en France. Le but de ces trois écrits est le même : d’établir la nécessité d’avoir des égards pour l’Ordre de Malte; de montrer l’impossibilité de retrancher la moindre partie de ses revenus, comme il arrivait nécessairement par l’abolition de ses dîmes. Le 4 janvier, il a été annoncé, parmi les adresses, une pétition des habitants de la com-manderie de Sainte-Eulalie en Rouergue, qui se daignent de l’état de servitude personnelle sous equel ils gémissent; et de la rigueur avec aquelle les commandeurs usent de droits féodaux exorbitants. J’ai rappelé à ce sujet ma motion du 30 novembre concernant l’Ordre de Malte; et sur ma demande, l’Assemblée a ordonné l’impression du développement de cette motion. Le lendemain 5, le décret de l’Assemblée, relatif aux titulaires de bénéfices qui sont retirés en pays étranger, a encore été l’occasion d’un mot sur l’Ordre de Malte. Je pensais qu’on pouvait prononcer contre les commandeurs absents, pour autre cause que leur service, de la même manière que contre les bénéficiers absents. La proposition a été combattue par M. Regnaud ; et, pour ne pas écarter l’Assemblée de l’objet principal de sa discussion, je n’ai pas insisté sur ma proposition. Ces questions, fréquemment élevées relativement à l’Ordre de Malte, montrent qu’il est indispensable de prendre un parti définitif à l’égard de ses établissements en France. Je dois ajouter que j’ai eu communication d’un acte passé devant Gibé et Martinon, notaires à Paris, le 31 décembre dernier, par lequel le chevalier d’Estourmel, chargé, par intérim, des fonctions de l'ambassade extraordinaire, et dûment autorisé par le grand maître, s’oblige, au nom de l’Ordre, à payer, pour la contribution patrio- 77 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] tique du quart sur les biens de l’Ordre, Ja somme de 879,391 livres. Enfin, j’observe que la réponse, envoyée par le Roi à l’Assemblée le 18 septembre, au sujet de la sanction demandée sur les articles rédigés en suite de la séance du 4 août, contient des réflexions spéciales sur les dîmes appartenant à l’Ordre de Malte. Sa Majesté y présente une considération particulière, savoir : « qu’une partie des revenus de l’Ordre étant composée des redevances que les commanderies envoient à Malte, iJ est des motifs politiques qui doivent être mis en ligne de compte avant d’adopter les dispositions qui réduiraient trop sensiblement le produit de ces sortes de biens, et les ressources d’une puissance à qui le commerce du royaume doit chaque jour de la reconnaissance». L’Assemblée, délibérant sur cette réponse le 19 septembre, a supplié le Roi d’ordonner incessamment la promulgation des arrêtés des 4 août et jours suivants, « assurant à Sa Majesté que l’Assemblée nationale, lorsqu’elle s’occuperait des lois de détail, prendrait dans la plus grande et la plus respectueuse considération, les réflexions et observations que le Roi a bien voulu lui communiquer. » Les faits dont je viens de faire le récit avaient pour objet principal et direct, de mettre l’Assemblée en état de statuer sur une connaissance exacte de tout ce qui lui a été dit pour et contre l’Ordre de Malte ; mais ils seront en même temps une preuve de la bonne foi avec laquelle je soutiens mon opinion, en ne laissant ignorer aucun des écrits qui peuvent appuyer l’opinion contraire. Je continuerai de m’expliquer avec la même loyauté, en citant exactement les sources où j’ai puisé ce que je dirai dans l’article qui va suivre, sur l’état de l’Ordre de Malte et de ses possessions dans le royaume. Article 2. Etat de l'Ordre de Malte et de ses possessions en France. L’Ordre de Malte est né dans un siècle où les esprits étaient violemment agités par des idées de religion et de chevalerie. Des combats et des actes de dévotion partageaient la vie de tous ceux auxquels un génie ardent donnait quelque activité. Du rapprochement et de la contusion de ces idées, qui ne portent pas toujours sur les mêmes principes et qui ne tendent pas toujours au même but, il est résulté quelquefois des combinaisons fort singulières. Un hospice formé à Jérusalem, sous l’invocation de Saint-Jean, a été le berceau de l’Ordre que nous appelons aujourd’hui l’Ordre de Malte. On doit regarder comme la véritale époque de son établissement, une bulle de Paschai II, de l’année 1113. Une bulle d’Honorius II, de l’année 1124, énonce l’obligation précise des trois vœux que l’on appelle communément les vœux de relimon : voici la formule de ces vœux, telle qu’elle est écrite dans les statuts de l’Ordre. « Moi... fais vœu et promets à Dieu tout-puissant, à la bienheureuse vierge Marie sa mère et à Saint-Jean-fiaptiste, de rendre toujours, avec l’assistance divine, une vraie obéissance au supérieur qui me sera donné de Dieu et de notre Ordre, comme aussi de vivre sans rien posséder en propre, et d’observer la chasteté ». Le supérieur, qui reçoit les vœux, répond à celui qui vient de les prononcer : « Nous te reconnaissons pour serviteur des seigneurs pauvres malades, et pour être dédié à la défense de la foi catholique ». Le nouveau profès dit : « Et moi, je me déclare aussi pour tel, et le reconnais (1) ». Le couvent dans lequel l’hospice était établi, se trouvait desservi comme tous les autres couvents et monastères à la même époque, par des frères clercs et par des frères laïcs. On ne voit point d’autre distinction dans les statuts recueillis par Raimond du Puy, qui fut à la tête de l’Ordre depuis 1121 jusqu’en 1158. La distinction des chevaliers d’armes et des servants d’armes est postérieure (2). L’Ordre des hospitaliers de Saint-Jean comprit des personnes des deux sexes; et il subsiste encore de nos jours, en France, des religieuses de l’Ordre de Malte (3). Cette fondation nouvelle eut des progrès rapides. Dès l’année 1214, l’Ordre possédait 19,000 manoirs dans la chrétienté. En 1310, Foulque de Villaret, grand-maître, lit, à l’aide d'une croisade, la conquête de l’île de Rhodes. En 1312, on lui donna les biens des templiers (4). Quatre années auparavant, le pape Clément V lui avait uni les biens de l’Ordre de Saint-Samson de Constantinople et de Corinthe (5). Les religieux de Saint-Jean perdirent Rhodes le 22 décembre 1522. Ils errèrent pendant huit années sans demeure fixe. L’empereur Charles V leur concéda l’île de Malte, à la sollicitation du pape, le 24 mars 1530. L’acte de concession n’est oas pur et simple; il porte plusieurs conditions. �empereur leur transporte toute propriété et seigneurie utile de l’île de Malte, juridiction, appartenances, privilèges, tous revenus royaux, à titre de fief, à la charge d’un épervier ou faucon qui sera présenté chaque année, au jour de Toussaint, au vice-roi de Naples ; à la charge de passer reconnaissance du fief à chaque mutation de seigneur ; à la charge que le grand maître fera, en son nom et au nom delà religion, serment de ne porter aucun préjudice aux royaume et terres de l’empereur; que le patronage de l’évêché de Malte restera au royaume de Naples; qu’en cas que la religion changeât de résidence, elle pourra aliéner les terres inféodées, sans le consentement des rois de Naples, auxquels, autrement, ces terres retourneront. Cette donation ayant été acceptée le 25 avril 1530, deux des principaux officiers furent envoyés à Messine; « et là, dit l’historien de l'Ordre, comme procureurs et ambassadeurs du grand maître et de tout le couvent, suffisamment fondés, personnellement et les genoux à terre, tirent le serment de fidélité des mains et de la bouche, au pouvoir de Dom Hector Pigna-tel, duc de Monteleon, vice-roi de Sicile, qui le reçut sous la forme et les conditions contenues en un écrit, dont fut fait lecture conforme à la donation et acceptation susdites (6) ». La condition (1) Statuts de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem , publiés par de Naberat en 1643, page 7. La même formule se lit en laiin dans les Statuts recueillis et donnés par le grand maître Pierre d’Aubusson, en 1493, édition de 1496, parte prima, de Receptione fratrum. (2) Art de vérifier les dates, t. I, p. 514. (3) Art de vérifier les dates, t. I, p. 513. Histoire des Ordres religieux, par le P. Hélyot, t. III, p. 121. Les établissements de ces religieuses, en France, sont dans le Querci et auprès de Toulouse. (4) Art de vérifier les dates, t. I, p. 517 et suiv. (5) Hélyot, t. 111, p. 81. La bulle de Clément Y, en date du 8 août 1308, est citée par Naberat, sommaire des privilèges de l’Ordre, p. 50). (6) Histoire de l’Ordre de Saint-J ean-de-J érusalem, publiée par Naberat, liv. 10, chap. 10, p. 300. [4 janvier 1790.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 78 [Assemblée nationale.] du renouvellement de l’investiture, en cas de mutation, autrefois du Roi d’Espagne, aujourd’hui du Roi des Deux-Siciles, s’exécute telle qu’elle a été stipulée (1). L’ordre de Malte a joint, en 1777, à ses anciennes possessions en France, les Liens de l’Ordre de Saint-Antoine, qui lui ont été unis par deux bulles du pape Pie VI, des 17 décembre 1776 et 7 mai 1777, sous plusieurs conditions, notamment sous celle-ci : Que l’Ordre de Malte s’oblige d’exercer l’hospitalité telle qu’elle est prescrite par les statuts de l’Ordre de Saint-Antoine. La condition avait été stipulée en ces termes, dans le concordat préparatoire de l'union, passé entre les deux ordres, te 15 avril 1775. Le pape insiste d’une manière spéciale, dans sa bulle du 17 décembre 1776, sur ce que l’hospitalité promise ne doit pas être exercée comme elle se pratiquaitdans les derniers temps, mais conformément à l’institution primitive de l'Ordre de Saint-Antoine et à perpétuité. Le chef-lieu de l’Ordre est à Malte. Ses dépendances dans les différentes régions catholiques de l’Europe sont appelées prieurés, bailliages et commanderies. Elles sont distribuées par langues, expression synonyme à celle de provinces, employée dans la distribution des dépendances des autres Ordres religieux. L’Ordre a ses revenus communs; le grand maître a ses revenus particuliers; les prieurs, baillis et commandeurs, ont des revenus dont ils jouissent pareillement en particulier. Les sources principales des revenus communs, sont : 1° une imposition établie sur toutes les commanderies ; elle porte le nom de responsion. Le possesseur de la commanderie est obligé de la faire passer annuellement à Malte. On fait monter la somme des responsions établies sur les commanderies de France, à 534,221 livres (2) ; 2° le produit des mortuaires et vacant , qui consiste dans la totalité du revenu de chaque dignité et commanderie, depuis le jour de la mort du prieur, bailli ou commandeur, jusqu’au 1er mai suivant, et pendant une année au delà, à compter de ce jour 1er mai (3). La principale partie des revenus dugrand maître consiste dans le produit d’une commanderie prise dans chaque prieuré, et annexée à la dignité de grand maître (4); plus, dans l’annate des commanderies de grâce, dont je donnerai bientôt la définition (5). Les revenus des prieurs, baillis et commandeurs, consistent dans le produit des domaines, des droits féodaux et des dîmes. Indépendamment des responsions, la plupart des commanderies sont grévées de pensions, qui absorbent jusqu’au cinquième de leurs revenus. Ces pensions sont établies par le grand maître, au profit des novices de l’Ordre (6); elles sont un reste de l’obligation dans laquelle étaient autrefois les commandeurs, de nourrir plusieurs chevaliers, qui vivaient en commun avec eux. La destination des revenus du commun trésor est, après la dépense de l’entretien des fortifica-(1) Voyez-en un exemple dans Y Histoire universelle, t. XXVII, p. 189. (2) Contribution patriotique, p. 4. (3) Statuts de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, tilre V, p. 36. (4) Hélyot, t. 111, p. 100. Mémoire de l'Ordre de Malte, p. 33. (5) Mémoire de l’Ordre de Malte, ubi modo. (6) Mémoire de l’Ordre de Malte, p. 26. lions de l’île, de fournir aux dépenses de la guerre continuelle que l’Ordre fait aux musulmans. Ses forces de mer consistaient, au rapport de M. Brydone, en 1770, en quatre galères, trois galiotes, quatre vaisseaux de 60 pièces de canon, et une frégate de 36, outre un grand nombre de petits bâtiments légers (1). La destination du revenu des grands maîtres est de les mettre en état de soutenir leur dignité. Leurs épargnes ont été souvent employées à construire des édifices utiles à l’entretien et à la défense de l’île. Par rapport aux revenus des commanderies, on observe qu’autrefois on n’envoyait pas les chevaliers seuls dans les commanderies. Us y vivaient en communauté avec d'autres chevaliers et quelques prêtres de l’Ordre (2). Ils y exerçaient l’hospitalité; elle leur est fortement recommandée par les statuts de leur ordre, pour être exercée non pas seulement dans l’hôpital de Malte, mais aussi dans les hôpitaux de l’Ordre, répandus par tout le monde; ce sont les termes des anciens statuts. Inter Ordinis noslri xenodochia per uni-versum orbem constituta, et eleemosynas quæ ab eo paguntur, honoretur Rhodium xenodochium. Stat. part. 2, de Hospit. n. 1. Cet article a été affaibli dans la collection et la traduction de Naberat : il n’y est parlé que de l’hôpital de Malte, et seulement des aumônes qu’on doit faire dans les commanderies (p. 7); mais on a vu, de nos jours, des commandeurs remplir ce devoir pour se rapprocher de leurs obligations primitives. On m’a cité M. de Montazet qui possède la commanderie du Nom-Dieu. Les établissements de l’Ordre de Malte en France, consistent en douze dignités (prieurés, bailliages) et deux cent trente quatre commanderies (3). Le total de leur revenu est évalué à 4,284,651 livres (4). Lesbiens provenant de l’Ordre de Saint-Antoine ne sont pas compris dans cette évaluation ; ils montent, déduction faite de toutes charges locales et impositions, à 195,600 livres (5) ; et les fonds qui les produisent sont distribués en commanderies, de la même manière que les biens de l’Ordre de Malte. En évaluant les biens dont l’Ordre de Malte jouit en France, sur le pied du dernier 25, ils présentent un capital de 112,006,250 livres. Si on les évaluait au denier 30, le capital serait de 134,407,530 livres. Du détail des biens de l’Ordre de Malte, je passe à l’examen des personnes qui le composent, de la manière dont elles entrent dans l’ordre, de celle dont elles sont gouvernées, et des avantages dont elles jouissent. Les personnes attachées à l’Ordre de Malte sont les profès de l’Ordre et les novices. Ceux-ci ont, en qualité de novice, l’avantage particulier qu’on n’a pas dans les autres Ordres, de participer à plusieurs des privilèges accordés à l’Ordre. Les profès sont les' personnes qui composent véritablement l’Ordre. 11 y a deux classes de profès : les chevaliers et les frères servants : ces derniers se subdivisent eo deux classes ; frères servants d’armes, et frères servants d’église. Les novices sont pareille-(1) Voyage en Sicile et à Malte, traduit de l’anglais de Brydone, par M. Démeunier, t. I, p. 393. (2) Histoire du P. Hélyot, t. III, p. 99 et 100. (3) Mémoire de l'Ordre de Malte, p. 4. (4) Contribution patriotique, p. 9. (5) Contribution patriotique, p. 5. , (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] 79 ment ou novices chevaliers, ou novices servants. Les novices pour le service d’église, portent le nom de Diacos . Les profès forment, comme je l’ai dit, le corps de l’Ordre; c’est parmi eux que l’on choisit le grand-maître qui les gouverne, les membres du conseil, les officiers des galères et des troupes ; c’est entre eux que les bailliages, prieurés et com-manderies se distribuent. Le plus grand nombre des dignités et commanderies sont affectées aux chevaliers profès ; quelques-unes sont destinées aux frères servants. Les dignités et les commanderies de chaque langue, sont affectées aux profès de la langue. Le noviciat fut autrefois, dans l’Ordre de Malte, ne qu’il est dans tous les Ordres réguliers, une épreuve qui précédait immédiatement la profession ; elle différait seulement dans les exercices du noviciat. Ils consistent à porter les armes contre les musulmans, et à faire, sur les galères de l’Ordre, des courses que l’on nomme caravanes. Mais la manière dont les commanderies se distribuent, a introduit dans l’Ordre de Malte des usages particuliers pour le noviciat. Les commanderies sont appelées, les unes de Justice , les autres de Grâce. Les premières se donnent à raison de l’ancienneté de réception dans l'Ordre ; les secondes sont données librement par le grand maître, souvent en raison des services que l’on a rendus à l’Ordre. Le grand maître a le droit de disposer de cette manière, d’une commanderie dans chaque prieuré, tous les cinq ans. Ainsi, il est devenu très intéressant d’être admis fort jeune dans l’Ordre de Malte, afin que l’époque, à partir de laquelle l’ancienneté de la réception se compte et se compare, commençant plus tôt, on puisse être plus tôt pourvu d’une com-manderie. Dans cette vue, on a imaginé de recevoir, non pas seulement de très jeunes gens, mais des enfants à la mamelle. On paye, lors de la réception, un droit qu’on nomme passage : il est de 3,000 livres pour ceux qui sont reçus à l’âge prescrit par les statuts; il monte à 7,050 livres pour ceux qui sont reçus de minorité, c’est-à-dire au-dessous de l’âge prescrit. L’augmentation du droit de passage en, ce cas résulte des dispenses qui préparent l’admission et la rendent possible. Après l’admission, il faut, à de nouvelles époques et successivement, de nouvelles dispenses pour n’être pas obligé d’aller à Malte dans le temps où les statuts le prescrivent ; de faire profession dans le délai que les statuts ordonnent, et pour différer son engagement irrévocable jusqu’au moment le plus commode. Il faut joindre à cette dépense celle des preuves qu’on évalue à 3,000 livres. Ces frais sont moins considérables pour les prêtres et les servants d’armes (1). L’admission dans l’Ordre de Malte suffit pour jouir de plusieurs privilèges accordés à cet Ordre. Par exemple, si l’on joint à la croix de Malte la tonsure, on devient apte à posséder toutes sortes de bénéfices séculiers et réguliers, et l’on peut être en même temps abbé, prieur et capitaine de dragons, ou de tel autre régiment : les exemples n’en sont pas rares. Le chevalier de Malte qui se propose d’être placé un jour, ou se contente de faire ses caravanes (quatre, de six mois chacune), et trois années de résidence à Malte, pour attendre tranquillement ensuite une commanderie de justice, (1) Mémoire intitulé : A la nation, p. 7. ou bien, s’il est entre un peu tard dans l’Ordre, et si sa fortune le lui permet, il tient galère ; c’est le moyen d’arriver à une commanderie de grâce. Tenir galère , est commander pendant deux ans une des quatre galères qui croisent dans la Méditerranée, nourrir à ses frais les chevaliers qui la montent et toute la chiourme. Cette dépense est actuellement, pour les deux années, de 80 à 100,000 livres. Le novice, qui a rempli son temps d’épreuve, ne prononce point ses vœax à l’expiration de ce temps d’épreuve; il spécule sur le nombre de personnes qui le précèdent. Quand il voit son tour approcher pour être pourvu d’une commanderie, alors seulement il cède aux saintes impulsions qui le pressent de vouer, à la face des autels, désappropriation, chasteté et obéissance. Les premières commanderies dont on est pourvu sont ordinairement d’un revenu modique; mais. lorsqu’on eu a géré les revenus, conformément aux règles qui sont établies dans l’Ordre, on obtient, à titre d’améliorissement, une commanderie d’un revenu plus considérable (1). L’Auteur du mémoire intitulé : A la Nation, nous apprend, page 10, « qu’il n’est pas rare de voir des Chevaliers pourvus de deux commanderies ; que quelques-uns en ont trois; et que d’autres, mais en très petit nombre, en obtiennent jusqu’à quatre. Qu’on ne qualifie pas d’abus, ajoute-t-il, une des plus sages dispositions du régime de l’Ordre. Dans cette prodigalité apparente se trouve le germe de la plus grande émulation et de la plus heureuse économie. Ces grâces sont réservées à des chevaliers qui, par de très grosses dépenses, soulagent d’autant les coflres de l’Ordre, en joignant à leurs services personnels le sacrifice de leur patrimoine et de leurs épargnes. » Les dignités (excepté certains cas où on les donne par grâce) sont affectées aux plus anciens commandeurs. Ils n’y parviennent quùprès avoir tenu à Malte l’auberge de leur langue : c’est-à-dire, après avoir nourri à leurs frais les novices et les profès non pourvus de leur langue, qui résident à Malte (2). Le Trésor fournit, à ce qu’il paraît, quelque somme pour cet objet, et on évalue de 20 à 25,000 livres par année la dépense de celui qui tient auberge (3). Quand la dignité de grand-maître est vacante, on y pourvoit par élection : elle se fait à Malte, par“le conseil complet de l’Ordre (4), et selon des formes particulières prescrites par les statuts (5). Elle est ensuite confirmée par le pape. Voici les titres du grand maître, tels qu’on les lit dans l’acte du 16 novembre 1789, par lequel il a approuvé la contribution patriotique proposée par l’Ordre sur ses revenus en France : Frère Emmanuel de Rohan, par la grâce de Dieu, humble maître de. la sacrée maison et hôpital de l’Ordre militaire de saint-Jean de Jérusalem, du saint-Sépulcre, et de l’Ordre de saint-Antoine de Viennois, gardien des pauvres de Jésus-Christ. » Ces titres sont d’un style très ancien; on y a seulement ajouté, dans ces derniers temps, la qualité de maître de l’Ordre de saint-Antoine de Viennois. Parmi les grands maîtres de l’Ordre de Malte, (1) Mémoire de l'Ordre de Malte, p. 32. (2) Mémoire de l'Ordre de Malle, p. 32. (3) Mémoire intitulé : A la nation, p. 7. (4) Voyez les Statuts, titre XIII. (5) La composition du conseil complet est expliqué© au livre 7 des Statuts. qq [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] deux ont été élevés à la dignité la plus sublime que Rome connaisse dans l’Eglise après la papauté, le cardinalat; savoir, Pierre d’Aubusson, en 1489, et Loboux de Verdalle en 1587 (1). On remarque que le grand-maître Emmanuel Pinto, mort en 1773, est le premier qui ait porté la couronne fermée (2). J’ai fait connaître les avantages dont on jouit dans l’Ordre de Malte, quant aux revenus temporels, en parlant des commanderies. Ses autres avantages consistent dans la participation à des priviélges considérables de tous les genres. Les privilèges accordés à l’Ordre de Malte sont en très grand nombre et presque sans bornes. On en peut voir la liste effrayante dans plusieurs recueils faits sous les yeux de l’Ordre, et qui remplissent des volumes in-folio. Les membres de cet Ordre, leurs commanderies, leurs églises, leurs terres sont exemples des lois communes et de la juridiction de tous les juges ordinaires, soit séculiers, soit ecclésiastiques. Les statuts de l’Ordre les biilles qui lui ont été accordées, sont les seules lois auxquelles l’Ordre de Malte se soumette. Le conseil de Malte et la personne du pape sont les seuls juges qu’il reconnaisse; ses biens surtout sont exempts d’impositions quelconques (3). En France même, où l’on sait que les privilèges sont généralement plus restreints; l’Ordre de Malte est presque toujours soustrait à la loi commune. Il est entièrement exempt de la juridiction ecclésiastique des évêques; il perçoit la dîme, mais il ne la paye pas : lorsque des lois toujours trop avares dans leurs dispositions, toujours trop favorables aux décimateurs contre les curés, ont fixé à une somme modique la portion congrue des curés, des lois plus favorables encore aux commandeurs de l’Ordre, plus contraires aux curés, ont réduit le sort de ceux qui dépendaient de l’Ordre de Malte à des sommes plus modiques, sous le prétexte de l’exemption de droits dont le montant est fort au-dessous de la diminution qu’on leur fait éprouver. Si, dans l’ordre civil, on a quelque action à intenter contre l’Ordre de Malte, il faut, des extrémités les plus reculées du royaume, venirl’attaquer dans un tribunal unique, qui siège ordinairement à Paris, le grand conseil. Là, l’Ordre de Malte est entouré de tous ses ofliciers et de ses défenseurs habituels; là, il trouve le dépôt de tous ses privilèges complaisamment enregistrés par le grand conseil ; là, il tient un Gode de chartes antiques, armes toujours puissantes entre ses mains, parce qu’il se prétend exempt de toute prescription même centenaire; là, enfin il prend dans le commun trésor, des fonds au besoin, pour frayer aux dépenses du plus volumineux procès. Faut-il tant d’avantages-pour être assuré de vaincre, ou des particuliers, ou de pauvres communautés d’habitants qui auraient eu la témérité de résister aux prétentions d’un commandeur de Malte ? S’agit-ii de la perception des impôts? l’ordre (1) Art de vérifier les dates, t. I, p. 525 et 527. (2) Art de vérifier les dates, p. 528. (3) Naberat s'exprime en ces termes, lorsqu’il vante l’utilité de la compilation qu’il a faite des privilèges de l’Ordre : « Là se trouvent toutes sortes d’exemptions pour ledit Ordre, de ne payer aucunes dîmes et novales de ses biens stables, décimes, gabelles, douanes, péages, ports, ponts, passages, leydes, subventions, tailles, même pour leurs métayers et fermiers, subsides, francs-fiefs, nouveaux acquêts, contributions, fortifications de murailles et autres. » oppose aux receveurs des impositions ecclésiastiques, que ses biens sont privilégiés, et qu’ayant une destination plus favorable que les biens du clergé, ils ne doivent pas être soumis aux mêmes taxes que ceux du clergé. Une somme de 28,000 livres par an, connue sous le nom de composition des Rhodiens , les affranchit de la contribution aux impositions ecclésiastiques. Les percepteurs des impôts sur les laïcs se présentent-ils? l’Ordre de Malte leur oppose également ses privi-vilèges ; et moyennant deux sommes abandonnées, l’une de 120,000 livres pour les vingtièmes, l’autre de 39,600 livres pour la capitation (1), il s’affranchit de toutes les taxes civiles. Ainsi, moyennant trois sommes, qui montent ensemble à 187,600 livres, l’Ordre de Malte jouit paisiblement en France de biens, dont il convient que le revenu monte, en deux parties à 4,480,251 livres (2), et dont le dixième excédérait 480,000 livres. Article 3. Résultat des titres qui forment la constitution de l’Ordre de Malte et de ses établissements en France; considération des avantages qu'il procure a la France , et de l'opposition de sa constitution à la constitution française. L’Ordre de Malte est un corps de religieux. Cette vérité est incontestable ; elle est démontrée par le seul fait de la prononciation des vœux solennels de religion, qui ouvre l’entrée dans l’Ordre, et qui forme le lien de réunion entre ceux qui le composent. Ses statuts sont une véritable règle; ils en portent le nom, et à chaque ligne, on y trouve répété le nom de religieux (3). Les religieux de l’Ordre de Malte ne sont pas, à la vérité, des reclus qui vivent dans une retraite continuelle; ils ont deux obligations particulières, celle d’exercer l’hospitalité et celle de faire la guerre pour la défense de la foi catholique (4) ; ils sont religieux militaires ; mais cette seconde qualité ajoutée à la première, ne détruit par celle-ci. L’église de Saint-Jean est appelée église conventuelle, et il est, sans cesse question, dans les histoires de Malte, du Collachio, dénomination particulière du cloître où étaient les logements des religieux, et où ils devraient être encore, si les ordonnances du chapitre de l’Ordre, pour la construction du Collachio, avaient été exécutées avec autant de soin qu’on en a eu à en réitérer la promulgation lors de la tenue des chapitres. Les chevaliers ne portent pas l’habit long qui est propre aux religieux, et qui les gênerait dans les exercices militaires ; mais les propres défenseurs de l’Ordre observent que « là croix et le ruban, dont ses membres sont revêtus, sont bien moins une décoration, qu’un habit régulier, institué dès leur origine, comme un signe extérieur des engagements par eux contractés aux pieds des autels (5). (1) Compte général des revenus et dépenses fixes, p. 15. (2) Contribution patriotique de l’Ordre de Malte, p. 3. (3) Nos ejusce Ordinis Religiosorumque honori consulere cupùntes, Exord. in Stabil. Les premiers titres du recueil sont : de origine Religionis, de Régula. (4) Peculiare certè et proprium est Chrisli militum non poslpositis sacræ Hospitalitatis sanctis operibus, pro Christi nomine, pro cultu divino , pro fide catho-licâ pugnare. De Regulà, n° 3. (5) Mémoire intitulé : A la nation, p. 22. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] 81 Personne, tant soit peu instruit, ne s’est mépris sur cette qualité de religieux, qui appartient aux chevaliers profès de l’Ordre de Malte. Je me contente de renvoyer à ce que l’abbé Fleury en a dit dans ses Institutions au droit ecclésiastique, tome 1, page 278. Dès qu’il est constant que l’Ordre de Malte est composé de véritables religieux, peut-on mettre en doute si cet Ordre est une portion du corps que l’on appelait le corps du clergé? Il ne faut, pour résoudre ce doute, ou plutôt pour le prévenir, que se rappeler ce qu’on entendait par le corps du clergé. C’était la réunion des personnes attachées spécialement au service de la religion dans les différents ministères, nécessaires ou utiles à sa conservation. Le clergé n’était pas seulement composé de pasteurs et de ministres actifs; les moines et solitaires en faisaient incontestablement partie. Le clergé n’était pas seulement formé de personnes engagées dans les Ordres ; car les moines, qui autrefois n’entraient pas, au moins ordinairement, dans les ordres, les frères con-vers, les religieuses ont toujours été regardés comme des portions du corps du clergé ; et les biens qui leur appartenaient ont été considérés et régis comme des biens ecclésiastiques. L’Ordre de Malte ne serait pas une portion du clergé ? Gomment donc plusieurs de ses chefs seraient-ils parvenus au cardinalat, dignité certainement ecclésiastique, qu’ils ont possédée sans changer d’état, sans avoir besoin de se faire inscrire dans le corps ecclésiastique, parce qu’ils s’y trouvaient inscrits au moment de la prononciation de leurs vœux? Gomment les membres de l’Ordre de Malte pourraient-ils posséder des bénéfices s’ils n’étaient pas ecclésiastiques? Une abbaye, un prieuré peuvent-ils , sans abus , reposer sur la tête d’un autre que d'un ecclésiastique ? Gomment l’Ordre de Malte, s’il n’était pas une portion de l’ordre ecclésiastique, se trouverait-il immédiatement soumis au pape, dont les bulles établissent souverainement la police de cet Ordre, dont les jugements terminent sans appel toutes les difficultés qui s’élèvent dans l’Ordre (1)? Gomment surtout, les biens de l’Ordre de Malte ne se trouveraient-ils pas compris dans le décret du 2 novembre dernier, qui porte que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation? Les biens de l’Ordre de Malte sont à la disposition de la nation parce qu’ils sont biens ecclésiastiques, et que le décret prononce sur tous les biens ecclésiastiques. Mais, en supposant que le décret du 2 novembre n’eût pas jugé, à l’égard des établissements de l’Ordre de Malte, en France, qu’ils sont à la disposition de la nation, il faudrait le juger aujourd’hui d’après les principes qui ont déterminé le décret. On doit se rappeler que les principes exposés parM. Thouret, et dont le décret du 2 novembre a exprimé la conséquence, s’appliquent à tous les biens attachés à des établissements publics. Parmi ces sortes de biens, les principes de M. Thouret s’appliquent plus spécialement encore aux biens destinés à l’entretien de l’hospitalité. Le soulagement des pauvres et des malades, auquel les hôpitaux sont destinés, est une charge de l’Etat : c’est de cette sorte d’établissements qu’il est strictement vrai de dire que leur fondation est faite à la décharge de l’Etat, et que l’Etat doit en avoir continuellement la disposition dans la main, soit pour que leur destination soit remplie, soit même pour changer cette destination, en appliquant le produit des biens à des objets d’une grande utilité. On prétend que, si les membres qui composent l’Ordre de Malte sont liés par un vœu solennel de religion, il y a cette différence entre leur vœu et les vœux monastiques, que c’est l’Ordre même qui reçoit le vœu et non l’Eglise et les ministres supérieurs ecclésiastiques. Cette objection est proposée dans des observations qui précèdent Le mémoire de M. de la Brillanne {page 3); mais elle n’est pas réfléchie. L’Eglise reçoit les vœux qui sont prononcés solennellement pour s’engager à la pratique de ce qu’on appelle les trois vœux de religion; jamais cependant, dans aucun lieu, l’église ne s’est assemblée pour recevoir la profession d’un religieux. Elle reçoit l’engagement du nou veau profès par les mains du supérieur délégué à cet effet, et dont le titre de délégation est dans la nature même de son office. L’église reçoit les vœux d’un bénédictin parles mains du supérieur bénédictin, en présence duquel ils sont prononcés; et elle reçoit pareillement les vœux du religieux de Malte, par les mains dujgrand-maître de l’Ordre, ou de son délégué, le grand-maître ayant le pouvoir à cet effet dans le titre même de sa dignité et on ne doit pas oublier que le grand-maître est élevé à sa dignité par l’élection de ses confrères religieux du même Ordre, confirmée par le pape, de la même manière que l’abbé d’un monastère de l’Ordre de Saint-Benoît est élu'canoniquement par les religieux de son monastère, et confirmé par le pape, lorsque le monastère est exempt de la juridiction de l’ordinaire. Il n’y a pas la plus légère différence quant à la prononciation des vœux et à la réception, entre le nouveau profès de l'Ordre de Malte, et le nouveau profès de tout autre ordre religieux. On prétend, en second lieu, que les biens de l’Ordre de Malte ne sauraient être confondus avec les autres biens du clergé, parce qu’ils ne sont pas compris dans les rôles de l’imposition des biens du clergé de France. On cite plusieurs lettres-patentes d’exemption, accordées par Henrill et ses successeurs ; on insiste en particulier, sur ce que l’on appelle le traité passé entre le Roi, le clergé et l’ambassadeur de Malte, le 22 mai 1606 (1), On transcrit ces paroles que « lesdits de Saint-« Jean de Jérusalem, tant en général qu’en par-« ticulier, ne seront compris, ni imposés dans les « départements ou états d’aucunes décimes, etc., « et seront et demeureront séparés dudit clergé, « ensemble de leur juridiction, suivant lesdits « privilèges, exemptions et arrêts sur ce inter-c venus. » D’abord, je ne sais sur quel fondement on fait intervenir le Roi au traité de 1606; le traité est rapporté dans plusieurs recueils (2), et nulle part je n’aperçois que le Roi y ait paru ou l’ait confirmé. Je réponds ensuite aux arguments qu’on tire du traité et des expressions : 1° que quand on n’est point compris dans un corps, on n’a pas besoin de privilège et d’ exemption, pour être affranchi des chargés imposées sur le corps; 2° que quand on n’est point sujet à une charge par le droit commun, on ne paye pas une somme pour en (1) Voyez des exemples dans Y Histoire universelle, t. XXVII, p. 37, Iti5, 175, etc. lre SÉRIE, T. XI. (I) Mémoire de l’Ordre de Malte, p. 18. (2) Recueil d’ordonnances, par Fontanon, t. p, 1113; Mémoires du clergé, t. VIII, p. 1349. 6 iv. $2 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] être affranchi par une exception. Or, le privilège des religieux de Malte n’est confirmé dans le traité de 1606 qu’au moyen de ce qu’ils payent une somme convenue: «sur leurs différends, transigent et accordent (ce sont les propres expressions au traité) que... l’Ordre payera ès-mains des receveurs du clergé 28,000 livres par an; à ce moyen... les parties sont mises hors de cour et de procès. » Je réponds en troisième lieu, que si l’on fait attention aux causes alléguées par l’Ordre de Malte pour obtenir le privilège qui lui est accordé, elles ne portent en aucune manière sur ce que cet Ordre n’aurait point appartenu au clergé en général, mais sur ce qu’il soutenait premièrement, n’être pas sujet à la juridiction du clergé de France, et à ce titre n’être pas imposable par l’assemblée du clergé; secondement, n’être imposable en aucune manière, mais devoir être affranchi de toute cotisation ou contribution commune aux nationaux (1), çarce qu’il faisait, sur ses revenus, de grandes dépenses pour la guerre contre les infidèles. L’Ordre de Malte a été exempté de contribuer aux impositions du clergé, comme les Jésuites en avaient été exemptés pour celles de leurs maisons auxquelles il n’y avait pas de bénéfices unis (2) ; comme les cardinaux en sont ordinairement exempts. Quant au fait de l’assujettissement à la contribution, il est certain en lui-même; il est la conséquence de principes incontestables (3). L’exemption n’est que passagère; elle est volontaire, le clergé s’étant toujours réservé la faculté de la faire cesser quand il le jugerait à propos(4), et ayant effectivement imposé plusieurs fois les biens de l’Ordre de Malte (5), parce que le traité de 1606 n’avait eu pour objet direct qu’une contribution qui était limitée à dix ans. 11 n’a été entretenu au delà de ce temps, que par le consentement du clergé. Enfin , si la question relative à la nature des biens que l’Ordre de Malte possède devait se décider uniquement par le fait de la contribution ou de la non-contribution aux décimes, l’Ordre de Malte ne pourrait pas se dispenser de reconnaître pour biens ecclésiastiques, quoique dans sa main, les biens qu’il a recueillis de la suppression et de l’union de l’Ordre de Saint-Antoine, biens qui sont, dans le fait, et d’après la reconnaissance formelle de l’Ordre de Malte, sujets aux décimes (6). (1) Mémoire de l'Ordre de Malte, p. 15. (2) Mémoires du clergé, VIII, t. p. 1389. (3) Voyez les Mémoires du clergé , t. VIII, p. 1349. (4) Dans tous les contrats et lettres patentes, relatifs à ce qu’on appelait don gratuit du clergé, on lit la clause suivante : « Ne seront compris dans les déparements (pour la contribution au don gratuit) les grands prieurés et commanderies de l’Ordre de Malte, en considération des grandes dépenses que les chevaliers et commandeurs sont obligés de faire pour la défense de la chrétienté, sans préjudice toutefois de les imposer lorsque le clergé la jugera à propos, suivant le traité fait avec eux. a (6) Voyez des exemples de ces contributions dans les mémoires du clergé, t. VI, p. 1354. (6) L’assujettissement à cette imposition est reconnue par le traité préalable à l’union des deux ordres : voici les expressions de l’article 13. « Tous les biens et droits provenant de l’Ordre de Saint-Antoine, en conséquence de la réunion dont il s’agit, demeureront sujets à l’avenir aux impositions du clergé, comme ils ont été jusqu’à présent dans chacun des diocèses où ils ont été respectivement situés. » Peut-être voudra-t-on fonder une objection sur ce que l’Ordre de Malte est souverain, et qu’il répugne aux idées naturelles qu’un souverain soit sujet aux lois d’un autre souverain. Je n’examinerai pas si l’on est souverain lorsqu’on ne possède sa terre qu’à titre de üef, sous la condition d’un hommage, rendu le genou en terre; je ne ferai pas le dénombrement des différences existantes entre la véritable souveraineté et le simple usage de ce qu’on appelle les droits régaliens; mais j’obsetverai que l’Ordre de Malte ne possède rien en France, que par la permission du Roi, qui exerçait alors, et pour la concession de pareilles-permissions, le droit de la nation (1). Je dirai avec M. le bailli de Flachslanden ; Les établissements de l’Ordre de Malte ne sont point un Etat dans VEtat; souverains à Malte, les membres de ces Ordres sont sujets en France (2). Voilà le mot décisif : les membres de l’Ordre de Malte sont sujets en France. 11 faut donc qu’ils se soumettent aux lois du royaume, et il est inconcevable qu’après cet aveu on veuille soustraire les établissements et les membres de cet Ordre aux lois du royaume; ils y sont assujettis comme tous les autres citoyens et tous les autres établissements français : c’est un principe que rien ne peut renverser. Les lois du royaume sont la règle d’après laquelle seront déterminés pour l’avenir l'Etat et les droits de l’Ordre de Malte en France. Il faut donc avoir présentes à l’esprit les lois du royaume, et considérer en quels points les usages, les privilèges ou les prétentions de l’Ordre de Malte contrariant ces lois, avant d’examiner jusqu’à quelle mesure les avantages que l’ordre procure à la France, exigent qu’on s’écarte de la loi commune, pour favoriser les membres de l’Ordre. L’Assemblée nationale a établi la Constitution et les lois du royaume sur les droits de l’homme, parce qu’ils sont une base inaltérable. L’Assemblée a déclaré les droits de l’homme, et elle a dit (art. 6) : « Tous les citoyens étant égaux aux yeux de la loi, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents. » Dans les articles de Constitution, l’Assemblée nationale a déclaré « que tous les pouvoirs émanent essentiellement de la nation, et ne peuvent émaner que d’elle » (art. 1); « qu’aucun impôt ou contribution en nature ou en argent ne peut être levé que par un décret exprès des représentants de la nation » (art. 15). L’Assemblée nationale a détruit entièrement, par un de ses décrets du 4 août, le régime féodal; aboli, sans indemnité, les droits qui tiennent à la servitude personnelle; déclaré les autres droits sujets au rachat (art. 1) ; aboli les [dîmes, même dans la main de l’Ordre de Malte (art. 5) ; aboli les privilèges pécuniaires, personnels ou réels, en matière de subsides (art. 9). L’Assemblée nationale a décrété, le 26 septembre, qu’à commencer du 1er janvier 1790, tous les abonnements sur les vingtièmes seront révoqués, et que tous les ci-devant privilégiés seront imposés comme les non-privilégiés. Le 28 octobre, elle a décrété que, par provision, l’émission des vœux (1) Les lettres de permission se trouvent dans tous les recueils de privilèges de l’Ordre de Malte. Voyez entre autres celles qui furent accordées par Philippe» le-Bel au mois d’août 1304. (2) Réflexions sommaires et impartiales, p. 6. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] serait suspendue dans tous les monastères de l’un et de l’autre sexe; le 2 novembre, qu’aucun curé ne pourrait avoir moins de 1200 livres de traitement par année, non compris le logement et les jardins en dépendant ; le 5 novembre, qu’il n’y avait plus en France aucune distinction d’ordre ; le 28 novembre, que les ci-devant privilégiés seraient tous imposés pour les six derniers mois de 1789, et pour l’année 1790. Il suffît d’avoir exposé ces lois de la nation : les détails dans lesquels je suis entré sur l’état de l’Ordre de Malte, sur les privilèges et les prétentions de ses établissements en France ne peuvent pas être déjà oubliés, et il n’est personne qui ne sente en combien d’articles essentiels ces privilèges et ces prétentions de l’Ordre de Malle sont opposés aux lois du royaume. Les avantages que l’existence de l’Ordre de Malte procure à la France méritent des égards; cela est vrai : ils méritent à l’Ordre d’autant plus d’égards, de grâces et de faveurs-qu’ils sont plus considérables; cela est vrai encore : mais reconnaissons aussi qu’il y a des points sur lesquels il est impossible de se départir de la loi commune, parce que ce serait détruire la Constitution, au moment où elle vient d’être arrêtée. Ce n’est donc que par rapport aux lois d’une classe secondaire qu’on peut consentir à des exceptions, et ce n’est qu’alors qu’il est possible de se laisser toucher par les avantages que l’Ordre de Malte nous procure. Ainsi, dans tous les cas, dans toutes les circonstances; il sera impossible d’admettre qu’il existe dans le royaume des établissements qui ne puissent être possédés que par une certaine classe d’hommes; qui soient attribués aux membres de l’ordre de la Noblesse dans un royaume où il n’y a plus de distinction d’ordres ; des établissements dont les biens ne supportent pas les mêmes taxes et les mêmes impositions que les autres fonds; des biens et des personnes qui ne soient pas soumises à la juridiction des tribunaux ordinaires. J’observerai, à ce sujet, que la conduite que tient en ce moment même l’Ordre de .Malte est un avertissement de nous tenir sur nos gardes contre ses prétentions. Le décret du 26 septembre, concernant la contribution des ci-devant privilégiés, est, sans contredit, un de ceux que la justice due à ceux de nos concitoyens qui supportaient seuls la partie la plus pesante des impôts, nous pressait de prononcer; c’est un de ceux dont l’équité frappe tous les esprits ; cependant l’Ordre de Malte ne s’y soumet pas. Il m’a été assuré par des députés de Provence, que des lettres écrites de Tarascon leur annonçaient que M. Forestier, procureur général de l’Ordre, résidant à Marseille, avait signifié un acte portant opposition à l’exécution du décret du 26 septembre. Le commandeur du Nom-Dieu, receveur de l’Ordre de Malte en Guyenne, menace dans ce moment des poursuites les plus rigoureuses les habitants des commanderies de Golfech et de Gimbred en Age-nois, pour les obliger de payer ce qu’ils doivent à l’Ordre, nonobstant les oppositions que les receveurs des impositions publiques ont formées pour sûreté du payement de la contribution des ci-devant privilégiés. Si les agents de l’Ordre de Malte peuvent se porter à de pareils actes; s’ils ont la faculté de suspendre l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale, sanctionnés par le Roi, les membres de l’Ordre ne sont ni nos concitoyens, ni les sujets de l’Etat. Les décrets essentiels à notre Constitution étant mis en sûreté par la soumission absolue que les sa membres de l'Ordre de Malte en France, et ses établissements, leur rendront, il restera deux objets sur lesquels il ne sera pas impossible de faire plier la règle en faveur des avantages que l’Ordre de Malte procure à notre commerce. Le premier sera la dérogation aux lois générales qui défendent d’accorder à des étrangers une portion des revenus des terres du royaume. Le second sera la facilité d’avoir de justes égards à la destination générale des biens de l’Ordre de Malte, dans la disposition que la nation a le droit de faire de ces biens. J’expliquerai, dans le dernier article de cet écrit, mes vues particulières sur ces deux objets ; ici je conviens que l’Ordre de Malte mérite de la considération de notre part, à raison des avantages qu’il nous procure pour le commerce du Levant. La chambre du commerce de Marseille atteste ces avantages, c’est assez pour me convaincre qu’ils sont réels : sans me faire oublier néanmoins qu’il a été dit, dans l’Assemblée, qu’il pourrait sortir de nos ports de la Méditerranée des forces aussi puissantes que celles de l’Ordre de Malte, pour protéger les convois du Levant, et et que, selon les députés de l’île de Corse, leur île n’est pas située moins avantageusement que celle de Malte, pour purger la Méditerranée des brigands qui l’infestent. Mais en même temps que j’avoue qu’il n’est pas indifférent à notre commerce d’avoir le grand maître de Malte pour ami, je déclare que je ne saurais être touché des menaces que l’on fait en son nom, que si les établissements de l’Ordre en France éprouvent la moindre diminution dans leurs revenus, il cédera son île à quelqu’une des puissances du Nord. D’abord ce ne fut jamais par des menaces qu’on parvint à déterminer les Français; et s’il est un moment où, plus que jamais, ils méprisent les menaces, c’est celui où, devenus libres, ils connaissent leurs forces. Ensuite, pour céder l’île de Malte, il faudrait que l’Ordre en fût propriétaire libre ; et le grand maître doit savoir que le titre de sa possession porte la condition expresse de ne pouvoir aliéner ce domaine sans le consentement de son seigneur suzerain, le Roi de Naples. Si le grand maître avait l’imprudence de demander un tel consentement, ou bien il serait indifférent à la France que le consentement fût accordé; ou bien le pacte de famille empêcherait que le Roi de Naples ne l’accordât. L’Ordre voudrait-il traiter avec les puissances du Nord pour défendre leur commerce et le protéger contre celui de la France? Il renoncerait alors aux • conditions essentielles et fondamentales de son existence; il sait quelles sont les nations qu’il doit protéger contre les musulmans; et s’il se permettait, au lieu d’être l’ami de la France, d’en devenir l’ennemi, il s’exposerait à être traité lui-même comme ennemi; il serait sujet à un droit de représailles, dont les conséquences seraient certainement plus funestes à l’Ordre de Malte qu’à la France. Qu’on cesse donc de nous importuner de vaines menaces : la crainte n’arrachera rien aux Français ; mais cette brave nation sait être juste et reconnaissante ; elle veut l’être envers l’Ordre de Malte: il ne s’agit que de lui présenter des moyens de satisfaire à ce double sentiment de justice et de reconnaissance, sans porter atteinte à ses lois. Art. 4. Dispositions à faire à l'égard de VOrdre de Malte, projet de décret. Les intérêts de l’Ordre de Malte doivent être, g4 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] pour le grand-maître et pour les établissements existants à Malte, de conserver l’intégrité des revenus qui passent de France à Malte ; pour les établissements situés en France, que les fonds des prieurés, bailliages et commanderies soient toujours destinés à soulager les pauvres, les malheureux, et à présenter à de braves guerriers une perspective qui excite leur courage et le récompense. Il est facile de statuer sur le premier objet. Le grand-maître et le commun trésor jouissent en France d’un certain nombre de commanderies ; d’une taxe, sous le nom de responsion, sur les autres commanderies; de droits qui se payent lors de l’admission dans l’Ordre ; et de droits casuels auxquels la mort des commandeurs et la vacance des commanderies donnent ouverture. On peut faire une année commune de ces différentes parties de revenus, et envoyer chaque année un présent au grand-maître, de la somme à laquelle elle montera, en reconnaissance des services qu’il rend à la France. Le présent sera libre, comme doit l’offrir une nation libre ; il sera assuré, parce que la reconnaissance est un sentiment qui ne s’éteint ni ne s’affaiblit jamais dans les âmes généreuses. Le surplus du produit des biens de l’Ordre de Malte en France sera employé à préparer des récompenses aux guerriers qui auront bien mérité de leur patrie. On peut conserver, pour cette destination, les fonds de plusieurs commanderies ou prieurés en nature. S’il est des domaines qu’il soit plus utile d’aliéner, le prix en sera employé à faire des fonds pour le même objet : s’il est des commanderies trop considérables parmi celles dont on conservera les fonds en nature, on les divisera. Dans tous les cas, on prélèvera sur ces fonds, et pour le soulagement des pauvres sur les lieux, des sommes suffisantes pour remplir un des principaux objets des fondateurs, l’hospitalité et l’aumône. On prendra également sur leur produit de quoi fournir à la subsistance des curés qui n’auraient pas dû être réduits à une mince portion congrue, comme des mercenaires, tandis qu’ils avaient droit d’être admis à une même table avec les commandeurs. La proposition que je fais, d’employer les fonds ou le produit des commanderies de l’Ordre de Malte à la récompense des guerriers, tient à un système général que j’ai conçu relativement à la destination des biens de tous ces Ordres qui donnent, avec la permission de porter un cordon noir, bleu, vert ou rouge, la faculté de percevoir des revenus ou pensions quelquefois considérables. D’une part, il est impossible, dans l’état actuel des choses, que ces Ordres soient conservés tels qu’ils existent, ouverts à une seule classe d’hommes, fermés à d’autres hommes, les égaux des premiers. Les récompenses doivent, à l’avenir, être personnelles, et rien ne saurait s’opposer à ce qu’on les accorde à toute personne qui les aura méritées. D’un autre côté, la pénurie du Trésor public, la misère des peuples, nous ont fait sentir combien il était dangereux de gréver le Trésor public de récompenses pécuniaires immenses ; combien il était injuste d’ôter à un citoyen son nécessaire pour procurer à un autre citoyen l'aisance. N’est-il donc pas possible de soulager le Trésor public et d’être juste, en n’accordant dorénavant qu’au mérite, ce qui était donné à la faveur ; aux services personnels, ce qui était donné à une généalogie ? Il sera vraisemblablement indispensable de déterminer, par un décret, le montant des ensions à une somme fixe ; il faudra grever le résor public de cette charge : mais la charge sera moindre pour le Trésor, et il sera possible d’assigner à nos guerriers des récompenses plus fortes, si l’on joint à la somme que le Trésor public sera en état de supporter, le fonds des Ordres de Malte, du Saint-Esprit, de Saint-Lazare, de Saint-Louis et du Mérite militaire. Ces vues générales demandent à être particularisées à l é-gard de chacun des Ordres que je viens dénommer, et je me propose de les développer, en exposant l’origine et l’état actuel de chacun d’eux. Quant à présent, je me renferme dans ce qui a rapport à l’Ordre de Malte. Le service des chevaliers de Malte étant particulièrement un service de mer, ce qu’ils appellent leur noviciat consistant particulièrement en caravanes sur les galères de l’Ordre, on pourrait affecter les biens de l’Ordre à la récompense des officiers de mer. M. de Suf-fren aurait-il été moins dignement récompensé, s’il eût tenu ses commanderies de la nation, que quand il les tenait du grand maître de Malte ? Les jeunes officiers de marine pourraient être envoyés à Malte pour s’y former ; leur éducation chez nos amis et nos alliés exciterait l’émulation des chefs de la marine française. Cette éducation, donnée à Malte, serait la reconnaissance des bienfaits annuels de la France envers le grand-maître et les chevaliers de l’Ordre de Malte ; elle établirait entre tous une fraternité d’armes, aussi respectable que celle qui peut résulter de la prononciation des vœux. Je conçois aussi qu’il serait juste de dédommager ceux qui ont été admis dans l’Ordre de Malte des dépenses qu’ils ont faites dans l’ancien état des choses, sur le fondement de l’assurance qui existait alors, de parvenir un jour aux dignités et aux commanderies de l’Ordre. On pourrait accorder aux Français actuellement reçus dans l’Ordre de Malte la priorité des récompenses, en remplissant d’ailleurs le service et les autres conditions nécessaires pour les mériter : on pourrait, si cela paraissait juste et indispensable, accorder des remboursements de ces dépenses, évalués en rentes viagères : mais, quelque parti que l’on prenne sur ces intérêts particuliers, ils ne doivent point empêcher l’exécution des plans généraux que le bien de l’Etat veut que l’on suive. 11 suffit, pour prévenir les plaintes particulières, de faire voir la possibilité de rendre à tous une justice exacte. D’après ces considérations, je propose à l’Assemblée de rendre le décret suivant: L’Assemblée nationale décrète que ses précédents décrets, notamment ceux des 26 septembre, 28 octobre, 2 et 28 novembre, seront exécutés par tous les Français aggrégés à l’Ordre de Malte, et sur tous les établissements de cet Ordre en France ; en conséquence, elle déclare que les biens de l’Ordre de Malte en France sont à la disposition de la nation, sous les réserves portées par le décret du 2 novembre, et sous la réserve particulière des arrangements qui pourront être pris avec le grand-maître de Malte et son conseil, ainsi qu’il sera dit ci-après; que ces biens doivent être imposés de la même manière que tous les autres biens du royaume; que les dîmes et droits féodaux qui dépendent des prieurés, bailliages et commanderies de l’Ordre en France, sont sujets à être, ou entièrement abolis, ou rachetés selon la distinction de leur nature, et conformément aux décrets de l’Assemblée ; que les curés dépendants de l’Ordre de Malte seront payés de la somme de 1,200 livres sur le revenu des commanderies, in- [4 janvier 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. dépendamment des presbytères et jardins en dépendants dont ils auront la libre jouissance ; fait provisoirement défenses à tous Français de s’engager dans l’Ordre de Malte par la prononciation de vœux solennels. L’Assemblée nationale charge son président, en remettant au Roi le présent décret pour être sanctionné, de prier Sa Majesté d'ordonner à ses ministres de s’entendre avec le grand-maître de l’Ordre de Malte pour aviser aux moyens de reconnaître les avantages que l’Ordre a procurés à la France, et d’en obtenir la continuation : se réservant, l’Assemblée, de délibérer sur les propositions qui seront faites à ce sujet. L’Assemblée nationale charge son comité de finances, de lui présenter incessamment le plan qui lui paraîtra le plus propre pour employer les fonds des prieurés, bailliages etcommanderies de l’Ordre de Malte en France, à la destination ordonnée par les fondateurs, notamment à l’entretien et à la récompense des guerriers qui auront bien et fidèlement servi leur patrie. L’Assemblée charge le même comité d’aviser aux moyens de dédommager les Français actuellement admis dans l’Ordre de Malte, et non encore pourvus de commanderies des dépenses que leur admission a exigées de leur part. Suite du développement delà motion de M. Camus, relativement à l'Ordre de Malte. — De l'Ordre de Saint-Lazare et de celui du Mont-Carmel (1). (imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) QuelquesOrdres religieux ont, comme les grands empires, leurs temps fabuleux. Une conformité de noms, une expression équivoque, ont souvent servi de base pour appuyer une origine très reculée : ainsi des auteurs ont affirmé sérieusement, que l’Ordre de Saint-Lazare avait existé dès les premières années de la religion chrétienne (2) ; ils lui ont donné pour instituteur le frère de Marthe et de Marie, parce qu’il avait plu à ceux qui l’avaient créé dans le xne siècle de ledénom-mer Ordre de Saint-Lazare. Cet ordre religieux et militaire est né, comme celui de Malte, dans la Terre-Sainte, et vers le même temps, aux approches du xir siècle. En 1104, l'empereur Baudouin confia la garde de la ville d’Àcre aux frères de Saint-Lazare ; mais cette commission n’était qu’accidentelle : la principale destination de l’Ordre était de secourir les lépreux, et d’accompagner les pèlerins (3). On a prétendu que ce fut alors une loi particulière de l’Ordre de nej choisir pour maître qu’un lépreux (4). Louis-le-Jeune, à son retour de Palestine, amena en France les frères de Saint-Lazare, déjà peut-être |connus sous le nom de chevaliers. 11 leur donna, par des lettres-patentes de 1154, la terre de Boigni pour chef-lieu de leurs établissements futurs (5) ; et comme l’Ordre était, ainsi que celui de Malte, destiné pour les deux sexes, Louis-le-Jeune fonda à la Saussaye, près Villejuif, un cou-(1) La motion de M. Camus n’a pas été insérée au Moniteur. (2) De Belloy, de l'origine de la chevalerie, chapitre îx, p. 126. (3) Histoire des Ordres de Saint-Lazare et du Mont-Carmel, par M. Gautier de Sibert. Paris, 1772, p. 33 et 37. (4) Helyot, Histoire des Ordres religieux, t. I, p.263. (5) De Sibert, p. 31. 85 vent de religieuses attachées à la guérison des femmes attaquées de la lèpre (l). La règle de Saint-Augustin était la loi commune des frères et des sœurs de l’Ordre (2). Ils s’obligeaient à la professer par des vœux solennels, dont voici la formule, telle qu’on la lit dans la règle rédigée par le chevalier de Flatte, en 1314. «Moi, jN..., fais aujourd’hui mon vœu d’obéissance, et promets au Dieu tout-puissant, à la sainte Vierge Marie. et à notre monsieur saint-Lazare, aux chevaliers des malades de Jérusalem, et à vous mes frères N N. qui êtes ici à la place du grand-maître de cet Ordre et des malades, que je serai obéissant, chaste et renonçant aux biens du monde -, que je garderai fidèlement la règle de Saint-Augustin et les statuts, autant qu’il me sera possible, jusqu’à la mort (3). » On ne saurait douter, d’après la prononciation de pareils vœux, que les frères de Saint-Lazare ne formassent réellement un institut religieux (4) ; mais il était de ces instituts religieux qui sont en môme temps militaires : il était composé de trois classes : de prêtres pour les fonctions ecclésiastiques, de chevaliers pour aller à la guerre et de frères pour aider les chevaliers. On trouve, dans l’ordre de Saint-Lazare, les mêmes établissements qu’on voit chez les autres Ordres religieux militaires : ce sont les mômes dénominations, d'abord de préceptoreries, ensuite de commanderies (5) ; des redevances établies sous le nom de responsions(6) ; des drois de passage pour la (réception (7), etc. La maison de Boigni était la maison conventuelle (8). Les commanderies étaient accordées par le grand-maître ; il y en avait, commeà Malte, de grâce et de justice; et quelquefois un seul individu en réunissait plusieurs sur la tête (9). Si l’Ordre de Saint-Lazare avait été composé d’un aussi grand nombre de sujets que l’Ordre de Malte, s’il avait possédé des domaines aussi riches, sans doute il s’honorerait, comme l'Ordre de Malte, de grands exploits guerriers ; une suite de héros marquerait les différents âges de son histoire. L’Ordre de Saint-Lazare, plus pauvre et moins nombreux, ne conserve, à plusieurs époques d’autres traces de son existence que des chartes qui lui donnent des privilèges, ou qui confirment ceux qu’i l'avait obtenus. Dans un temps, il obtient l’exemption de la dîme ; dans un autre, il se fait déclarer immédiatement sujet du Saint-Siège (10)* Les biens de l’Ordre de Saint-Lazare, quoique modiques, tentèrent les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem (de Malte) ; ils en obtinrent l’union par une bulle du pape Innocent VIII-, en 1489(11); elle n’eut pas l’effet que l’on s’était proposé; mais elle donna lieu à diverses entreprises sur les biens de Saint-Lazare. La suite des grands maîtres de l’Ordre n’est souvent conservée, depuis cette époque, que par le récit de ce (1) De Sibert, p. 55. (2) De Sibert, p. 57. Bulle d’Alexandre IV, de l’an 1255, citée par le P. Helyot, t. I, p. 264.) (3) De Sibert, p. 123. (4) Voyez M. de Sibert, p. 112 et 113. (5) De Sibert, p. 123. (6) De Sibert, p. 184. (7) Page 442. (8) Épitaphe du frère P. Potier, rapportée par M. d® Sibert, p. 216. (9) De Sibert, p. 197 et 385. (10) De Sibert, p. 141 et 159. (Il) De Sibert, p. 242. 86 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790. [ qu’ils furent obligés de faire pour recouvrer leurs domaines, ou pour les défendre. Sous Henri IV, l’Ordre de Saint-Lazare obtint quelque éclat, par la création que fit ce prince de l’Ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel, auquel il unit l’Ordre de Saint-Lazare. 11 est à propos de faire connaître les motifs de la conduite de Henri. Il avait à récompenser de braves officiers qui ne l’avaient pas abandonné dans le cours de ses guerres longues et fatiguantes. L’état des finances de son royaume ne lui permettait pas de prendre les fonds pour les récompenses dans le Trésor public ; l’état de ses peuples ne permettait pas qu’il leur imposât la charge d’y fournir. La constitution de l’Ordre de Samt-Lazare lui présenta d’autres moyens de remplir ses vues. Les chevaliers de l’Ordre avaient la liberté de se marier, quoiqu’ils se trouvassent réellement engagés dans un Ordre religieux. Peut-être, dans le principe, elle n’avait été que l’effet du relâchement; mais elle se trouvait expressément confirmée par une bulle du pape Pie V, de l’année 1567 (1). On n’entendit plus alors parla chasteté, dont les chevaliers faisaient le vœu, que la chasteté conjugale. Le même pape Pie V avait autorisé, par sa bulle, les chevaliers mariés, comme les chevaliers célibataires. à posséder des pensions sur des bénéfices (2). Enfin il est à remarquer que le Roi nommait à la grande maîtrise de l’Ordre. Le pape confirmait seulement lanomination par une bulle(3) ; et Henri venait de donner, en 1604, la grande maîtrise à Philibert de Nerestang, comme la collation et provision lui appartenant de plein droit (4). 11 ne s’agissait donc que d’agréger les officiers que le Roi voulait récompenser à un Ordre dont les membres n’étaient point limités à un certain nombre, et avaient la faculté déposséder, quoique mariés des pensions sur des bénéfices. Mais Henri voulut relever l’éclat des récompenses qu’il destinait à ces officiers, en donnant un nouvel être à l’Ordre de Saint-Lazare, par l’union qu’il en ferait à un ordre de sa propre création (1). II commença par cette seconde opération. Il institua l’Ordre appelé de Notre-Dame du Mont-Carmel, et il en fi t confirmer l’institution par une bulle du pape Paul V, du 16 février 1607» Les conditions requises pour entrer dans l’Ordre sont la noblesse, le vœu de la chasteté conjugale et celui d’obéissance au grand-maître (6). Un de ses privilèges est la faculté, pour ses membres, déposséder des pensions sur bénéfices. Au mois d’avril 1603, le Roi unit, par des lettres patentes, l’Ordre de Saint-Lazare à celui du Mont-Carmel, et ils ont ainsi continué (1) De Sibert, p.127. (2) De Sibert, p. 304. (3) De Sibert, p. 261. (4) De Sibert, p. 356. (5) De Sibert, p. 360. (6) Voici la formule actuelle des vœux, que prononcent les chevaliers de Saint-Lazare et du Mont-Carmel, telle que le P. Helyot la rapporte, Histoire des ordres religieux, t. I, p. 398. « Moi, N;*\ promets et voue « à Dieu tout-puissant, à la vierge Marie, mère de a Dieu, à Saint-Lazare et à Monseigneur le Grand-« Maître, d’observer toute ma vie les commandements « de Dieu et ceux de la sainte Eglise catholique, apos-« tolique et romaine ; de servir d’un grand zèle à la « défense de la foi, lorsqu’il me sera commandé par « mes supérieurs ; d’exercer la charité et les œuvres de « miséricorde envers les pauvres, et particulièrement * les lépreux, selon mon pouvoir; de garder au Roi une a inviolable fidél ité ; et à Monseigneur le Grand-Maître, d’exister sous la dénomination propre à chacun, mais l'un inséparablement de l’autre (1). Les richesses momentanées que les Ordres de Saint-Lazare et du Mont-Carmel obtinrent à l’époque de ces opérations ne furent que précaires. Ils n’avaient presqu’aucuns fonds qui leur fussent propres et dont ils pussent distribuer les revenus à leurs membres. On s’y faisait agréger, pour obtenir, à titre de pension, des redevances annuelles sur des bénéfices dont une partie des produits n’était affectée que viagèrement aux membres des denx ordres et non aux ordres eux-mêmes. Louis XIV fit une tentative pour donner aux Ordres de Saint-Lazare et du Mont-Carmel plus de consistance, en leur assurant des fonds pour leur dotation. On lui avait persuadé que la première destination des chevaliers de Saint-Lazare ayant été de soigner les lépreux, toutes les fondations faites dans le royaume, pour retirer ou guérir les lépreux, toutes les léproseries et maladeries, qui ont été autrefois en très"grand nombre, devaient être des dépendances dei’Ordre de Saint-Lazare, et qu’il avait droit de les réclamer, d’y rentrer et d’en jouir, à défaut des lépreux. L’exécution des projets que ces vues avaient inspirés, fut préparée par nne déclaration du mois d’avril 1664, où sont rappelés les anciens bienfaits des rois de France envers l’Ordre de Saint-Lazare, et pe a de temps après, le marquis de Nerestang, alors grand maître des Ordres de Saint-Lazare et du Mont-Carmel, établit, pour la répartition des biens à venir, cinq grands prieurés qu’il divisa par langues (2). On commença ensuite l’opération par un grand exemple. On engagea M. le duc d’Orléans à céder l’administration et la jouissance des maladeries et commanderies de son appanage. Les possesseurs d’établissements du même genre durent être frappés de l’abandon fait par le prince ; mais peut-être iis ne surent pas que la cession n’avait été consentie que sous la condition d’une pension de 1,000 livres au profit de chacun dedouze chevaliers servant près le duc d’Orléans (3). Au mois de décembre 1672, parut un édit qui prononça, en faveur des Ordres de Saint-Lazare et dn Mont-Carmel, l’union de l’Ordre du Saint-Esprit de Montpellier, et de plusieurs autres ordres, dont les noms sont à peine connus aujourd’hui (4); et qui rétablit l’Ordre de Saint-Lazare dans la possession des biens des léproseries et des maladreries. L’intention ultérieure du Roi est expliquée dans l’édit même : il y est ordonné que de ces biens il sera formé des commanderies, desquelles Sa Majesté et les Rois ses successeurs, auront, en qualité de chefs souverains de l’Ordre, l’entière et pleine disposition en faveur des officiers qui seront reçus chevaliers de l’Ordre; que sur les commanderies on affectera des pensions pour gratifier d’autres officiers, et que l’ou y fera encore des retenues pour subvenir à l’entretien des hôpitaux des armées et places frontières (5). Ainsi toutes ces opérations n’avaient « de lui rendre une parfaite obéissance, et de garder « toute ma vie la chasteté libre et conjugale. Ainsi « Dieu très-bon, très-grand et très-puissant me soit en « aide, et les saints Evangiles par moi touchés. » (1) Les lettres patentes sont rapportées par le P. Helyot, t. I, p. 388. (2) De Sibert, p. 366. (3) De Sibert, p. p. 434, 452. (4) De Saint-Jacques de l’Epée, du Saint-Sépulcre, de Sainte-Christine de Somport, de Notre-Dame, dite Teu-tonique, de Saint-Jacques-du-Haut-Pas ou de Lucques, de Saint-Louis de Boucheraumont. (5) Helyot, t. I, p. 391. [4 janvier 1790. J [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 87 «évidemment d'autre but que’ de former un fonds de récompenses et de secours militaires, sans entamer le produit des contributions fournies par les peuples. L’édit portait l’établissement d’une commission de juges pour son exécution. L’activité que l’on mit dans cette exécution avait procuré, dès 1680, aux deux Ordres de Saint-Lazare et du Mont-Car-mel, 400,000 livres de revenus (1). Louis XIV, par ube déclaration du 28 décembre 1680, en forma 140 commanderies, distribuées sous six grands prieurés. Elles étaient partagées en deux classes : celles de la première portaient deux à trois mille livres de revenu (2). L’état de prospérité des deux Ordres de Saint-Lazare et du Mont-Garmel ne fut pas de longue durée. Il s’éleva» de toutes parts des réclamations contre l’union prononcée à leur profit, de tout établissement, sans distinction, où l’on alléguait qu’à une époque quelconque un lépreux s’était retiré. Le marquis de Louvois, qui avait procuré les unions de 1672, mourut au mois de juillet 1691, "et bientôt les affaires des deux Ordres changèrent de face. Deux déclarations , l’une du 15 avril, l’autre du 24 août 1693, rétractèrent ce qui avait été fait en 1672. Le défaut de moyens-pécuniaires pour les soutenir se trouva tel, au commencement du siècle, qu’on résolut d’y admettre les personnes d'honnêtes familles, qui donneraient 6,000 livres pour fonder une commanderie en leur propre faveur. En 1720, on exigea pour ces fondations un capital de 20,000 livres ; il devait être porté à 30,000 livres, si l’on voulait avoir le droit de se nommer un successeur. Moyennant [40,000 livres, on établissait une commanderie qui devait se perpétuer dans la famille, tant que la ligne directe subsisterait (3). Tous ces moyens ne procuraient que des res-rources momentanées. La grande maîtrise avait été donnée à M. le duc de Chartres en 1720; elle ne devint vacante qu’en 1757. Alors ceux qui se flattaient de quelque espérance si les Ordres de Saint-Lazare et du Mont-Garmel pouvaient , en obtenant un peu plus d’éclat, acquérir aussi quelques richesses, engagèrent Louis XV à donner la maîtrise à son petit-fils le duc de Berri (aujourd’hui Louis XVI). Le duc de Berri étant devenu Dauphin en 1772, la dignité de grand maître des deux Ordres fut conférée à M. le comte de Provence, aujourd’hui Monsieur , qui la possède encore. C’est sous ces deux derniers grands maîtres qu’on a travaillé le plus efficacement à assurer l’état des ordres de Saint-Lazare et du Mont-Carmel, par des revenus certains et des réglements fixes. Quant aux revenus, on avait conçu un premier plan, qui consistait à unir aux Ordres de Saint-Lazare et du Mont-Carmel les biens de l'Ordre des chanoines réguliers de saint-Ruf, qu’on estimait de plus de cent mille écus de produit (4). Déjà il avait été passé, le 6 octobre 1760, devant Vanin, notaire au Châtelet de Paris, un concordat entre les chefs des Ordres, pour parvenir à l’union. Ons’était adressé au Pape; on avait obtenu de lui un bref (1) De Sibert, p. 473. (2) De Sibert, p. 473 et 479. (3) De Sibert, p. 501 et 502. (4) Voyez un état imprimé du produit des bénéfices de Saint-Ruf, mis en économat jusqu’en 1764. II fut publié par M. l’évêque de Valence. qui prononçait l’union. M. l’évêque d’Auxerre avait été nommé commissaire pour procéder à l’extinction de la congrégation de Saint-Ruf, à la sécularisation de ses membres et à l’union de ses biens à l’Ordre de Saint-Lazare (1). Les oppositions de M. l’évêque de Valence et celles du clergé firent échouer ce projet. Le clergé soutint que l’ordre de Saint-Lazare, dans son état actuel, ne devait pas être confondu avec l’ancien Ordre du même nom, qui avait existé en Palestine; que celui qui existait n’était pas un Ordre régulier, susceptible de recevoir l’union de biens ecclésiastiques. Le clergé renouvela encore à ce sujet des plaintes qu’il avait faites plus anciennement sur le privilège que les chevaliers de l’Ordre de Saint-Lazare et du Mont-Garmel exerçaient, de jouir, quoique mariés, de pensions sur bénéfices. La défense du clergé mettait les deux Ordres de Saint-Lazare et du Mont-Garmel en danger de perdre, avec leurs espérances sur les biens de Saint-Ruf, leurs privilèges anciens, de partager les fruits de quelques bénéfices. Le Roi fit connaître le désir qu’il avait que les prétentions opposées pussent se concilier (2), et en 1172, il fut passé un concordat, par lequel les deux Ordres renoncèrent à la faculté c!e posséder des pensions sur bénéfices; à l’espérance d’obtenir l’union des biens de Saint-Ruf; à toute demande et prétention contre des séminaires, hôpitaux, bénéfices, sous prétexte de restitution de biens dépendants anciennement de l’Ordre de Saint-Lazare. De son côté, le clergé s’engagea à payer annuellement une somme de 100,000 livres. L’Ordre de Malte se soumit, dans le même temps, à payer quelques sommes, pour éteindre des prétentions que l’Ordre de Saint-Lazare élevait sur des biens de Saint-Antoine. Par ces moyens, les Ordres de Saint-Lazare et du Mont-Carmel se sont trouvé une dotation d’environ 146,000 livres, la plus grande partie en rentes sur le clergé et sur le Roi. On en a formé douze commanderies de 3,000 livres chacune; une de 2,400 livres ; dix-huit de 2,000 livres ; quinze de 1,500 livres, et vingt-cinq de 1,000 livres. On distribue, entre vingt-quatre élèves de l’école militaire, 2,400 livres. Le surplus est employé tant aux dépenses d’administration de l’Ordre qu’en pensions, rentes et gratifications représentatives d’anciennes commanderies. Le temporel des deux Ordres étant ainsi assuré, Monsieur leur donna, en sa qualité de grand maître, des réglements. Un des principaux est celui du 31 décembre 1778. Monsieur expose dans le préambule, ses vues générales sur les Ordres dont il est le chef. « Considérant, dit-il, que les pieuses occupations auxquelles étaient consacrés les dignes chevaliers qui ont institué cet Ordre, tenaient à des circonstances qui n’existent plus ; mais que l’honneur et la vertu, qui en étaient Pâme, subsistent et distinguent particulièrement la noblesse française... Nous avons cru que la profession militaire exercée avec tant de zèle par la noblesse française, consacrée à la défense et à la gloire de la patrie, méritait de jouir exclusivement des avantages de cet Ordre, et qu’il serait utile de les combiner de manière qu’ils pussent être, dans les différents (1) Procès-verbal de l’assemblée du clergé, de 1772, p. 40. (2) Procès-verbal de t’assemblée du clergé, de 1772, p. 192 et passim. 88 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]4 janvier 1790.] grades, une récompense proportionnée aux services. » Je ne laisserai pas sans réflexions ce que cet énoncé renferme de propositions exclusives en faveur de la noblesse; mais ce n’est pas le moment de les présenter: je rends seulement compte iu règlement. L’article premier fixe le nombre des chevaliers profès à cent , y compris huit commandeurs ecclésiastiques. Les conditions pour être admis, exprimées dans les articles 2 et 3, sont d’être employé au service du Roi, au moins en qualité de capitaine en second ou d’enseigne de vaisseau. Les gentilshommes employés comme ministres dans les cours étrangères, sont mis au niveau de ceux qui ont le grade de colonel. Les commandeurs ecclésiastiques ne peuvent être choisis que parmi des gentilshommes ecclésiastiques, dont les pères aient servi. Tous doivent justifier de huit degrés de noblesse paternelle, sans anoblissement connu. Les chevaliers sont distribués en deux classes. Dans la première, sont ceux qui ont le grade de colonel, de capitaine de vaisseau ou autre grade supérieur. La seconde classe est composée de ceux qui n’ont qu’un grade inférieur à celui de colonel ou de capitaine de vaisseau. Cette distinction de classes n’en met aucune entre les chevaliers, sous les rapports que la qualité de chevaliers établit entre eux (articles 4 et 7). La retraite du service prive de la faculté d’aspirer à une commandene celui qui n’en est point encore pourvu, ou de parvenir à une meilleure com-manderie celui qui en possédait une au moment de sa retraite (art. 9). Parmi les novices de l’Ordre, des places ont été affectées aux élèves de l’école militaire; ils ne portent que la croix de l’ordre du Mont-Carmel, et non celle de Saint-Lazare. Un règlement du 21 janvier 1779 a déterminé plusieurs points particuliers, relatifs à l’entrée de ces élèves dans l’Ordre. Je remarque, dans le règlement, la disposition de l’article 4, qui ouvre l’entrée du noviciat à trois élèves choisis entre ceux qui se seront le plus distingués, sans qu’on les astreigne à la preuve des huit degrés de noblesse paternelle, et l’article 6, dont voici les expressions : « Si un de ces chevaliers (du Mont-Carmel] fait à la guerre une action de courage et d’intelligence, qui ait un grand éclat et de grands avantages, il... sera nommé sur-le-champ, et sans autre preuve, chevalier de Saint-Lazare, et la réunion des deux croix, qui n’aura lieu que dans ce seul cas, sera une attestation éternelle de sa gloire. » Il est donc un cas où la valeur supplée aux huit degrés de noblesse. Pourquoi ce cas est-il unique ? Doit-il être unique ? C’est ce que je vais examiner. L’Ordre de Saint-Lazare fut certainement, dans son origine, un Ordre religieux. H fut alors, et sous ce rapport, entièrement semblable à celui de Malte. Peut-on dire qu'il soit encore aujourd’hui religieux? J’avoue que j’y trouve beaucoup de difficultés. Je vois bien que Paul V, dans sa bulle de 1567, oblige les chevaliers de Saint-Lazare à faire des vœux (l); mais ces vœux ne sont pas les vœux de religion : il n’y a pas le renoncement aux propriétés, qui est l’essence de la vie religieuse. (1) Obedientice et castitatis conjugalis vota emitlere, Pièces justificatives de l’ Histoire de Saint-Lazare. p. 81. (Voyez la formule des vœux ci-dessus.) La vie religieuse est un engagement à la pratique des conseils évangéliques ; et certes, ce n’est pas un simple conseil que l’observation des commandements de Dieu, ni celle de la foi ou chasteté conjugale. Ainsi, malgré les efforts que fait l’historien de Saint-Lazare (1), pour établir que les chevaliers de Saint-Lazare sont véritablement religieux, je suis fort touché de ce que le clergé a dit pour établir le contraire (2) et je suis porté à ne regarder l’émission des vœux, ainsi que les autres actes de religion qui accompagnent la réception des chevaliers de Saint-Lazare, que comme des cérémonies qui se pratiquent à l’entrée dans une confrérie. L’Ordre de Saint-Lazare s’écarte donc aujourd’hui de l’Ordre de Malte, sous le rapport de l’état de régularité; et, sous ce point ae vue, plusieurs réflexions que j’ai faites, relativement aux droits de la nation sur les biens de l’Ordre de Malte, ne s'appliquent pasaux biens de l’Ordre de Saint-Lazare ; mais, sous un autre point de vue, celui de la destination présente et actuelle de l’Ordre de Saint-Lazare, il est évident que ce que j’ai proposé relativement à l’Ordre de Malte, non-seulement s’applique à l’Ordre de Saint-Lazare et du Mont-Carmel, mais même est d’une exécution extrêmement facile à l’égard de ces Ordres. Quel qu’ait été l’état originaire de l’Ordre de Saint-Lazare et la destination primitive de ses biens, il est manifeste, d’après les faits qui se sont passés depuis le règne de Henri IV dont j’ai rendu compte, que l’Ordre de Saint-Lazare est une société de braves militaires, auxquels les revenus de l’Ordre doivent fournir récompenses et secours. S’il est admis dans l’Ordre huit commandeurs ecclésiastiques, ils n’y sont regus qu’en considération des services militaires de leurs pères. Il n’y a donc rien à changer à la destination des biens de l’Ordre, pour les employer à l’usage que je propose de les faire servir à la récompense de ceux qui auront bien mérité de leur patrie dans la profession des armes. 11 ne faut, pour rendre l’établissement de l’Ordre de Saint-jazare véritablement utile, que rayer un article de ses règlements, celui qui porte que le récipiendaire sera tenu de justifier de huit degrés de noblesse paternelle. Il faut remplacer cet article en généralisant l’article 6 du règlement de 1779, et en disant de tous les citoyens, ce que le règlement a dit des seuls élèves "de l’école militaire : « Celui qui fera à la guerre une action de courage et d’intelligence, qui aura un grand éclat et de grands avantages, sera nommé sur-le-champ, et sans autre preuve, chevalier de Saint-Lazare.» Je ne crains pas de le demander à tout homme sensé: quel est celui des deux articles, celui que je propose de retrancher, ou celui que je propose de substituer, qui est le plus raisonnable ? La nouvelle Constitution vient appuyer la raison; elle force de supprimer l’article dont je demande le retranchement. Il ne restera alors, dans l’institution et les réglements de l’ordre de Saint-Lazare, que les dispositions qui assignent les fonds de cet Ordre à des récompenses militaires : c’est le seul emploi légitime; c’est l’emploi que la nation confirme, pour être exécuté d’après les règles qu’elle dictera. (1) Page 508. (*2) Procès-verbal de l’assemblée de 1772, p. 64 et suivants.