[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 janvier 1791.] 193 M. de Clermont d’Esclaihes demande un congé de quinze jours qui lui est accordé par l’Assemblée. M. Ramel-üogaret. Le district de Montpellier a commencé l'adjudication des biens nationaux ; en voici l’état : Un domaine estimé 4,000 livres adjugé 10,000 livres; un autre estimé 38,000 livres vendu 55,000 livres ; un autre estimé 38,000 livres adjugé 54,000 livres; un autre estimé 52,000 livres adjugé 132,000 livres; un autre estimé 16,000 livres adjugé 33,000 livres ; un autre estimé 28,000 livres adjugé 45,000 livres; un autre estimé 29,000 livres adjugé 50,000 livres. (On applaudit.) Vous voyez que nos espérances ne sont point frustrées. La foule est immense; les uns se présentent pour acquérir, les autres pour applaudir ceux qui acquièrent. De cette manière nous verrons bientôt attaché à la Révolution ce qui n’est pas digne de lui appartenir par des moyens plus purs. M. Bégouen. Je demande à l’Assemblée qu’elle veuille bien accorderquelquesminutes d’audience ce soir à la barre aux officiers marins invalides. Je sais que c’est une exception à votre décret qui défend de recevoir de telles députations; mais cet exemple sera sans danger : personne ne pourra vous présenter des titres semblables à ceux de ces vieux serviteurs mutilés au service de la patrie. (Cette motion est adoptée.) . L’ordre du jour est un rapport du comité de marine sur V organisation de la marine militaire. M. deChampagny, rapporteur (1). Messieurs, le comité de la marine me charge de vous présenter le plan qu’il a tracé de l’organisation militaire de la marine. Plein de l’importance de ce sujet, et placé entre la nécessité de développer avec une certaine clarté des vues absolument neuves, et l’obligation de ménager votre temps, toujours si précieux, je ne me jeterai point dans les épisodes brillants auxquels le sujet semble m’inviter; je ne vous ferai point l’historique de la marine française; je ne vous dirai point ce que sont actuellement les autres marines de l’Europe. Dans tous ses travaux, l’Assemblée nationale a moins cherché ce qui a été que ce qui doit être. Pénétré de ces principes, le comité de la marine a suivi son exemple. Il a cherché d’abord quelle serait la meilleure composition d’une marine militaire; il en a tracé le plan, sans égard à son état actuel, et abstraction faite des difficultés de l’exécution. C’est ce plan que je suis chargé de vous présenter; les moyens d’exécution à employer pour y ramener la marine actuelle seront l’objet d’un autre rapport qui vous sera incessamment présenté. Nécessité d'une marine militaire . La nécessité d’une marine militaire est généralement reconnue. Jusqu’à l’époque, malheureusement très reculée encore, où les peuples de l’Europe, revenus de ce féroce amour de la guerre, qui semble être une maladie de l’espèce humaine, auront reconnu que la guerre est le plus grand des maux, même pour le pays à qui elle semble procurer le plus d’avantages, et qu’ils seront convenus de terminer de tout autre manière (!) Ce-rapport n’a pas été iui>ore au Moniteur. lre Sékie, T. XXII. leurs querelles, sans cesse renaissantes; jusqu’à ce moment, dis-je, il faudra à des nations maritimes et commerçantes une armée de mer pour protéger leurs côtes, défendre leurs colonies et leur commerce, sources de richesse et d’industrie. Des vaisseaux, et des hommes pour les mouvoir, voilà ce qui compose une marine. Les vaisseaux destinés à servir pendant la guerre doivent être construits et entretenus pendant la paix. Le commerce forme les hommes que la guerre doit employer : il fait des matelots, il fait aussi des officiers. Mais cette pépinière d’officiers dispense-t-elle d’avoir, même pendant la paix, un corps permanent d’officiers militaires destinés principalement à servir pendant la guerre ? Yoilà la seule question sur laquelle on pourrait élever des doutes ; ils seront bientôt résolus. Nécessité d'un corps d'officiers militaires constamment entretenu. Si le service de la marine du commerce et celui de la marine militaire étaient absolument semblables, sans doute que les hommes qui remplissent le premier avec succès seraient également propres à l’autre; mais cette -similitude est loin d’exister. Il est sans doute des choses communes entre ces deux services. Dans l’un et dans l’autre un édifice flottant, frêle production de l’industrie humaine, doit parcourir les mers, lutter contre les tempêtes, éviter les écueils semés sous ses pas; dans l’un et dans l’autre il faut savoir apprécier avec une sorte de certitude une route toujours incertaine, interroger le ciel pour savoir sur quel lieu de la terre on est placé, chercher sous les eaux les indices des terres dont on redoute ou dont on désire le voisinage. Tout est semblable lorsqu’il ne faut que partir, arriver, voyager. A cela en effet se réduit la véritable destination du bâtiment de commerce; mais cela même n’est que l’accessoire de la mission destinée au vaisseau de guerre. Il est armé pour combattre; il traverse les mers pour chercher l’ennemi. C’est dans ces rencontres que se déploie un art nouveau, un art terrible, dont la navigation ordinaire n’offre pas même l’image. La nécessité de combiner ensemble les mouvements toujours irréguliers d’un grand nombre de vaisseaux, de les diriger vers un but commun, de donner à une armée navale, et la force d’un ensemble bien uni, et cette légèreté qui tient à la mobilité des parties qui la composent, a produit la tactique navale, véritable science de la guerre maritime, et qui exige, pour sa parfaite exécution, toutes les ressources de la manœuvre, comme elle suppose, dans celui qui en prescrit les mouvements, ce coup d’œil du génie que la nature prépare, mais qui n’acquiert sa perfection que d’une longue habitude. La guerre maritime est donc un art, et un art différent de celui de la navigation. Une théorie peu difficile en apprend les principes; l’expérience en développe le talent. Il faut donc former des élèves pour cet art malheureusement trop nécessaire ; il faut former pendant la paix ceux qui doivent agir pendant la guerre ; il faut donc un corps militaire entretenu pendant la paix comme pendant la guerre. Mais ce corps doit être peu nombreux pendant la paix, pour être sans cesse exercé; l’objet de son institution sera rempli s’il peut fournir pendant la guerre ceux qui doivent en diriger les opérations, le ■'•iL.ïuo et les principaux officiers de chaque 13 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]13 janvier 1791.) vaisseau. Les estimables navigateurs du commerce, que la guerre laisse sans occupation, s’empresseront alors de recruter le corps militaire : de navigateurs ils deviendront guerriers, et la paix viendra les rendre à leur gré à leur première occupation, ou les laisser voués à l’art nouveau dont ils auront fait l’apprentissage et dont ils auront développé le progrès. Je pourrais, pour rendre plus sensible cette nécessité d’un corps militaire, je pourrais montrer combien d’autres connaissances, étrangères à la navigation, sont cependant nécessaires au guerrier marin ; celle de l’artillerie, par exemple, arme principale des vaisseaux ; la science plus difficile sans doute de conduire une grande multitude d’hommes, de les enflammer de l’amour de la gloire et de la passion de la guerre; la pratique de la discipline militaire, la tradition de tous les usages des vaisseaux de guerre qui en déterminent et en règlent le service; peut-être même aussi quelques connaissances de la guerre de terre, car le marin ne combat pas toujours sur son élément. Je parlerais aussi de la nécessité de diriger vers un but purement militaire les idées et les espérances de ceux que l’on destine à conduire d’autres hommes au combat, de les animer de l’esprit guerrier, de les attacher à cette profession par une préférence volontaire, une pratique continuelle et un abandon sans bornes. J’appellerais en témoignage de cette vérité l’opinion et l’exemple des nations de l’Europe, qui toutes entretiennent pendant la paix une marine militaire ; mais j’en ai dit assez en prouvant que l’art de la guerre de mer n’est pas le même que l’art de la navigation, et que dans l’un comme dans l’autre, pour avoir des maîtres, il faut commencer par former des élèves. Rapport et rapprochement de la marine militaire et de la marine du commerce. Mais si ces deux arts sont distincts, ils ont au moins entre eux une grande connexité. Le talent de l’un suppose la connaissance de l’autre. 11 faut d’abord être homme de mer pour devenir militaire marin. La marine du commerce forme des marins. Elle est donc, par cela même, l’école de la marine militaire, et la marine militaire doit être l’élite de la marine marchande : c’est cette double vue qui a tracé le plan que le comité a l’honneur de vous proposer. Il a pensé d’abord, et j’en ai dit assez pour le prouver, que le corps de la marine militaire à entretenir pendant la paix ne devait être composé que d’officiers et d’un petit nombre de principaux maîtres de chaque classe. Le matelot du vaisseau de guerre n’a pas besoin d’une pratique différente de celle du matelot du commerce. Il n’a donc pas besoin d’une école particulière. Le service du canon pourrait seul faire supposer la nécessité d’un apprentissage particulier; mais il n’est pour les matelots qu’un exercice manuel auquel leur agilité et leur adresse les rendent très propres et dont ils acquièrent facilement l’habitude par quelques jours de pratique. Les premiers mois d’une guerre suffisent pour donner au plus grand nombre d’entre eux cette utile connaissance. J’entre actuellement dans le détail du plan du comité. Composition du corps militaire. Grade d'enseigne donné à tous les capitaines du commerce. Motifs de cette institution. Des officiers généraux, des capitaines-lieutenants et enseignes, tels sont les grades qui composeront le corps de la marine militaire. Le titre d’enseigne sera donné à tous les capitaines du commerce. Assujettis par la conscription navale à un service militaire, il faut qu’ils sachent sous quels titres ils viendront le remplir. Il faut leur donner d’avance ce titre pour bien marquer l’utile alliance des deux marines, pour rendre au commerce la justice qui lui est due, pour réparer, par ce tardif hommage, les trop longs torts du gouvernement et de l'opinion publique envers cette utile profession. C’est une conséquence presque nécessaire de la Constitution nouvelle, dont la bienfaisante influence doit s’étendre aux citoyens de toutes les classes et de toutes les professions. C’est enfin un avertissement solennel à tous les Français qui se destinent à la marine militaire, que la marine marchande peut aussi en être l’école. Inconvénients de cette institution. Je dois cependant annoncer à l’Assemblée que cette disposition a trouvé dans le comité beaucoup de contradicteurs. Pourquoi, disaient-ils, ce mélange, cette confusion de deux états qui diffèrent essentiellement par le but, par les moyens, et surtout par l’esprit qui doit les animer ? Craignez de porter, dans la marine du commerce, l’esprit et les prétentions militaires si opposées à ses véritables intérêts, si opposées à cette simplicité modeste, à cette économie sévère qui doivent diriger toutes ses opérations, et qui seules peuvent en assurer le succès; craignez également d’affaiblir, par des idées et des spéculations mercantiles, l’esprit guerrier qui doit animer un corps militaire. Puisque la conscription s’étend aux capitaines de navires, bornez-vous à leur annoncer que lorsqu’ils seront appelés au service public, ce sera en qualité d’enseignes; qu’ils conservent ce grade lorsqu’ils en auront une seule fois rempli les fonctions; mais ne leur donnez pas d’avance un titre qui n’a aucun rapport avec leurs fonctions habituelles, qu’ils ne désirent pas tous, et qui, trop prodigué, perdra nécessairement le degré de considération que pour l’utilité publique il importe de lui attacher. La majorité du comité a répondu que tous ces inconvénients étaient prévenus par l’institution des enseignes entretenus, qui marquait, par une distinction utile, ceux qui voulaient se vouer uniquement à la carrière militaire. 11 a observé d’ailleurs que puisque dans tous les systèmes les capitaines des navires étaient appelés à servir comme enseignes, leur donner ou leur refuser ce grade, avant qu’ils en aient rempli les fonctions, n’était plus qu’une question de mots assez peu importante, et sur laquelle l’opinion d’une grande partie de la France avait déjà prononcé, en prescrivant le parti adopté par le comité, et dont je vous ai développé les motifs. Aspirants de la marine militaire. , Telle sera donc la route principale qui ouvrira * l’entrée aux grades militaires de la marine, le 195 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [13 janvier 1T91J service du commerce. Mais ce moyen de parvenir ne doit pas être exclusif. Il ne faut pas que celui qui aura fait son apprentissage dans la marine militaire soit exclus d’y exercer jamais le grade d’officier; il ne faut pas renvoyer du service de l’Etat celui qui n’aura jamais servi que l’Etat. Cette bizarre exclusion serait aussi impolitique qu’injuste. Que les élèves de la marine militaire entrent en concurrence avec les agents de la marine commerçante; qu’à raison même de l’apprentissage pénible auquel il convient de les assujettir, des sacrifices que l’on exigera d’eux, de l'utilité de leurs services toujours rendus à l’Etat, leur marche puisse être plus rapide: voilà sans doute ce que la justice prescrit, ce que l’intérêt de Entât exige. Mais en présentant ici deux genres de service ou plutôt d’apprentissage, tous les deux conduisant au même but, le comité n’entend pas séparer ceux qui s’y destinent. Les deux services pourront être remplis par les mêmes individus ; tour à tour employé sur les vaisseaux de l’Etat comme aspirant, sur les bâtiments du commerce sous un titre quelconque, le jeune navigateur, qui a déjà fait quelques preuves d’instruction, se livrera tantôt à l’un, tantôt à l’autre de ces services, suivant son goût, ses intérêts et les occasions qui s’offriront à lui. S’il se destine à la marine militaire, son intérêt sera sans doute d’être employé sur les vaisseaux de guerre ; mais au défaut de ceux-ci l’intérêt de son avancement sera encore de servir sur les bâtiments de commerce. L’Etat lui tiendra compte de tout, excepté du temps qu’il passera dans l’inaction. Ainsi donc la marine militaire aura ses élèves sous le titre d’aspirants; mais ces élèves ne feront point comme jadis une classe exclusive et privilégiée. Tous les jeunes navigateurs y seront admis, lorsque, par un premier examen, ils auront fait preuve d'une instruction peu difficile à acquérir. Le nombre des aspirants deviendra très grand sans doute, puisque l’effet de cette nouvelle institution est de rendre l’instruction générale ; et cependant ces élèves ne seront point à charge à l’Etat : il ne les payera que lorsqu’ils seront en activité de service ; et cependant la paix ne les exposera plus à une longue inaction, source de fautes et d’ignorance. La marine du commerce concourra avec la marine militaire pour leur fournir des occasions de service et par conséquent des moyens d’avancement. Aspirants de la première classe. Pour leur donner un double intérêt à joindre l’instruction à l’expérience, et exciter la plus utile émulation, le comité a pensé qu’il convenait de marquer, parmi les aspirants, une classe particulière à laquelle une instruction supérieure pourrait seule conduire , et de la borner à un nombre fixe, afin d’établir un véritable concours entre les prétendants, moyen infaillible d’enflammer leur zèle et de les forcer de développer les talents dont la nature leur a donné le germe par des efforts toujours mesurés à la difficulté, sans cesse croissante, d’atteindre le but qui en doit être la récompense. Tel est le motif de l’institution d’une première classe d’aspirants, à laquelle onaccordequelqueavantage : ceuxde la deuxième et de la troisième ne seront distingués que par le temps de navigation. Telles sont donc toutes les routes promptes, faciles, accessibles à tous les navigateurs, qui conduiront au grade d’eDseigne. D’une part, le titre d’aspirant avec un certain temps de navigation sur les bâtiments de l’Etat ou des particuliers, de l’autre le titre de capitaine de commerce. Ces enseignes titulaires seront sans doute très nombreux. Si tous ne peuvent être employés, même pendant la guerre la plus longue et la plus active, le nombre de ceux dout l’Etat réclamera les services pendant la paix, sera très peu considérable. Enseignes entretenus. Cependant il importe d’en employer un certain nombre pendant la paix pour les préparer au service que la guerre exige ; il importe surtout de destiner à ce nouvel apprentissage ceux qui annoncent plus de talents, ceux qu’une vocation plus décidée appelle de préférence au service militaire. De là, la nécessité de faire un choix, et ce choix sera juste lorsqu’il sera déterminé par le talent et l’instruction. Qu’il soit donc ouvert un concours où tous les enseignes, jaloux de servir l’Etat, puissent se présenter. Qu’ils soient examinés sur toutes les parties de l’art maritime et sur toutes les sciences qui en sont la théorie ; que la préférence soit donnée aux plus instruits. Mais pour que ce concours soit suivi, il faut y attacher quelque avantage. La certitude d’être attaché au service de l’Etat en est un très honorable sans doute ; mais cet honneur pourrait exiger un sacrifice de la part de marins voués à une profession plus lucrative, et le comité a cru qu’il fallait les en dédommager par une paye continuelle. Tels sont les motifs qui le déterminent à vous proposer d’entretenir constamment, même pendant la paix, un nombre peu considérable d’enseignes pour être particulièrement voués au service militaire, et qui seront choisis parmi tous les autres par un examen au concours. Après avoir déjà fait de la marine marchande l’école de la marine militaire, cette dernière institution vous assure que la marine militaire sera, ce qu’elle doit être, l’élite de la marine marchande. Jusqu’à présent je n’ai parlé que de l’admission au dernier grade de la marine : il me reste à développer les motifs d’avancement aux grades supérieurs. Dans le plau du comité le grade d’enseigne est le premier échelon de la marine militaire. C’est le terme où arrivent, soit les élèves de la marine miliiaire, soit les sujets formés par la marine du commerce; et comme tous y parviennent après un temps déterminé de navigation, propre à garantir leur expérience, et un examen qui constate leur instruction, le nombre des places d’enseignes titulaires ne peut être borné. Lieutenants. Celui de lieutenant, grade immédiatement supérieur, de ceux du moins que l’Etat doit entretenir, est limité; tous les enseignes peuvent prétendre à cet emploi. Mais dans ce nombre très considérable de concurrents, quel motif, quelle règle déterminera la préférence? L’ancienneté du titre ne peut établir de droit, lorsque Je titre n’a point nécessité de service qui en fût la suite nécessaire, et qu’entre des prétendants d’une égale ancienneté , il peut y avoir une extrême disproportion de service. 196 [Assombiée nationale.] AUClilVES I’AKLEMENÏAIUES. 113 janvier 17'al.] Grade acquis seulement par des services militaires. Au lieu de suivre cette règle qui ne peut être applicable à ce nouvel ordre de choses , le comité en a suivi l’esprit; il a écouté la justice et la politique qui prescrivent de récompenser par des préférences ceux qui ont déjà servi l’Etat, et il croit avoir satisfait à leur vœu en appelant au grade de lieutenant ceux des enseignes qui auront fait en cette qualité le plus de navigation sur les vaisseaux de l’Etat. Mais le comité a cru devoir consulter encore l’intérêt de l'Etat qui ordonne, sous peine des plus fâcheux revers, de n’admettre à ce grade de lieutenant que des hommes assez jeunes encore pour parvenir aux autres grades de la marine avant le moment où la veillesse, toujours précoce pour les hommes de mer, après avoir épuisé toutes leurs forces physiques et morales, ne leur laisse plus que du courage et de la bonne volonté; et tel est le motif de cette disposition qui exclut du grade de lieutenant, de lieutenant entretenu par l’Etat, ceux des enseignes qui auront passé l’âge de 40 ans. Cette disposition, très nouvelle et cependant très nécessaire, exige plus de développements. Nécessité de parvenir jeune dans la marine. Voulez-vous avoir une bonne marine militaire? 11 ne suffit pas que ceux que vous y appelez ne soient entrés dans cette carrière que pourvus de ces connaissances mathématiques qui doublent le produit des leçons de l’expérience, nécessaires aux marins, utiles à tous les hommes auxquels elles donnent et la justesse de l’esprit et l’habitude de la réflexion; il ne suffit pas qu’à ces lumières acquises ils s’empressent de joindre une pratique d’autant plus sûre qu’elle sera plus éclairée; il ne suffit pas qu’ils passent par tous les grades ; mais il faut qu’ils les parcourent rapidement; il faut que le talent puisse leur donner des ailes pour parvenir aux grades supérieurs. 11 faut que dans tous les temps de leur vie ils soient jeunes, relativement à leur emploi, je dirais presque relativement à leur âge. On ne peut trop le répéter : pour bien faire cette profession, il faut surtout les qualités de la jeunesse, son infatigable activité qui lui fait courir les aventures et chercher les dangers, son audace et cette heureuse confiance qui lui montrent des succès là où les autres ne voient que des revers, et par-dessus tout cette opiniâtreté invincible qui se raidit contre les obstacles et surmonte toutes les résistances. Dans la guerre de mer, celui qui ose le plus est celui qui fait le plus. Pour un homme de cette profession, les défauts de la bouillante jeunesse sont presque des vertus. Mais la sage vieillesse qui réfléchit sans cesse, qui calcule les dangers, pèse les inconvénients et prévoit toutes les chances auxquelles elle s’expose, n’est pas ropre à un état où tout est danger, où les dif-cultés naissent à chaque pas, où l’on n’a que le choix des inconvénients, et dont les hasards sont aussi incalculables que les vicissitudes des éléments contre lesquels il faut sans cesse combattre. Gomment en effet celui qui ne soupire qu’après le repos pourrait-il être propre à ce mouvement perpétuel, à cette succession rapide de situations critiques, qui obligent à déployer et toute la force du caractère et toutes les ressources du talent? Comment pourrait-il lutter avec succès contre la nature, et le marin est sans cesse aux prises avec elle, celui à qui elle a déjà fait éprouver tant de pertes, à qui elle n’a plus laissé que la force de vivre ? Pour cet état pénible et contre nature, il faut toute la plénitude de la vie, il faut, au moral comme au physique, une surabondance de forces, pour qu’etles ne soient pas bientôt épuisées par des épreuves sans cesse renaissantes. Je sais que l’habitude, que l’on a appelée avec raison une seconde nature, peut nous rendre ce que celle-ci nous ôte ; je sais que l’on fait bien à 60 ans ce que l’on a bien fait à 40, ce que l’on a fait toute sa vie. Mais à 60 ans il est trop tard pour faire un nouvel apprentissage, pour faire le plus difficile de tous les apprentissages, celui de général. Et tel était le plus grand des vices de notre constitution maritime : à l’âge auquel on oublie tout, il fallait tout apprendre. On devenait général lorsque l’on cessait d’être capable de commander un vaisseau. L’emploi le plus difficile pouvait être dans les mains les plus faibles. Ce vieillard, apprenti général, s’épouvantera d’autant plus des difficultés de son poste, qu’elles lui sont moins connues. L’expérience, ce guide unique de la vieillesse, lui refuse son secours. C’est un aveugle qui n’a plus son bâton conducteur. Sa prudence enchaîne son courage ; et les forces dont il est dépositaire languiront dans une longue inaction, vain objet d’une dispendieuse parade qui prolonge la guerre en aggravant son fardeau sur le peuple qui en supporte les frais. Ayez donc des généraux à l’âge où l’on peut encore apprendre ; qu’ils puissent être exercés à cet art difficile du commandement, que l’on n’apprend pas dans des postes subalternes ; qu’ils puissent s’instruire même par leurs fautes, et gardez-vous d’amener à ce poste des hommes dont la vie presque entière écoulée dans des emplois subalternes ne les rend plus propres qu’à ceux qu’ils ont toujours remplis. Si je me suis bien étendu sur cette nécessité de parvenir jeune dans la marine, c’est qu’elle doit être sans cesse présente à ceux qui tracent la constitution d’une marine militaire. G’est par cette nécessité bien sentie que le comité vous propose de fixer, pour chaque grade, un âge passé lequel l’ancienneté ne sera plus un titre pour y être promu. Cette disposition, utile partout, est surtout nécessaire dans notre organisation qui, appelant aux grades militaires tous les navigateurs de la marine marchande, c’est-à-dire un très grand nombre de concurrents pour un fort petit nombre de places, réduirait le corps militaire à n’être plus que l’asile et la retraite de tous les navigateurs surannés de la France. Lieutenan ts surnuméraires. Mais l’âge a toujours des droits à des égards, lors même qu’il n’a plus de titres de service. Etre âgé n’est pas un tort, et on ne peut pas en être puni. Aussi en refusant d’admettre parmi les lieutenants entretenus les enseignes au-dessous de 40 ans, le comité a-t-il pensé que, s'ils étaient encore appelés au service, il fallait que ce fût en qualité de lieutenant, mais de lieutenant surnuméraire. Ils auront même raag, même autorité que les autres. Leur ancienneté sera réglée par leurs services. Mais cette ancienneté ne pourra 197 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 janvier 1791.] seule les conduire au grade de capitaine de vaisseau. Ils n’obtiendront ce titre que du choix du roi. Motifs et avantages de cette institution. Cette disposition est bonne en ce qu’elle concilie les égards dus à Cage avec l'avancement rapide que méritent des officiers plus jeunes, et distingués par une plus longue suite de services militaires; elle est bonne surtout parce qu’elle laisse au roi la faculté de faire les exceptions que prescrivent des talents, qui n’en sont pas moins réels pour s’être montrés tard, et qui semblent exiger une réparation d’autant plus éclatante qu’ils ont été plus longtemps méconnus. Ainsi donc, l’âge seul sera un titre d’avancement; mais cet avancement, acquis seulement par des années, ne nuira point à l’avancement plus rapide que méritent des talents plus jeunes et plus développés; de l’autre côté, l’âge même le plus avancé ne sera point un obstacle à cet avancement très rapide que réclament des talents reconnus. Tel est le principe et l’effet de cette disposition que vous présente le comité, de lieutenants entretenus, jeunes encore et uniquement dévoués au service public, attendant leur avancement et de leur ancienneté et du choix du roi, et de lieutenants surnuméraires, plus âgés, ne servant l’Etat que lorsque des circonstances extraordinaires l’exigent, et ne pouvant obtenir d’avancement que par le choix du roi. Le comité range aussi dans cette classe de lieutenants surnuméraires ceux des enseignes qui, appelés par leurs services au grade de lieutenant, préféreront le service du commerce. L’Etat ne peut rien devoir de plus que ce simple titre à ceux qui ne donnent pas à son service une entière et exclusive préférence. Inconvénients de cette institution. Cette création de lieutenants surnuméraires a été vivement combattue dans le comité, comme impolitique et injuste. Vous donnez ce titre, disait-on, ou à des enseignes qui, appelés par leurs services au grade de lieutenant, y renoncent volontairement pour se vouer à une profession qui leur offre de plus grands avantages, ou à des enseignes dont l’unique titre est d’avoir passé l’âge de 40 ans. Dans le premier cas, vous accordez une faveur à ceux à qui vous ne devez rien ; vous leur accordez un titre dont ils ont dédaigné les fonctions: cette inutile prodigalité vous rend injustes envers ceux qui se consacrent uniquement au service public, puisque vous faites entrer en partage des honneurs de leur grade ceux qui n’en partagent pas les devoirs. Dans le second cas, vous récompensez des hommes des années qu’ils ont acquises; vous n’exigez pas même qu’ils aient consacré une partie de ces années au service de leur patrie, et vous leur attribuez encore gratuitement un honneur qui devrait être la récompense des services rendus à l’Etat. Gomment ne sentez-vous pas qu’en prodiguant indistinctement des titres honorables, qui cessent alors d’être honorés, vous vous réduisez à la fâcheuse obligation de n’avoir à payer qu’avec de l’argent les services rendus à l'Etat? C’est surtout dans un pays libre qu’il faut attacher un grand prix à l’honneur de défendre la patrie. Ne donnez donc le titre de lieutenant de vaisseau qu’à ceux qui se voueront uniquement à l’état militaire; et gardez-vous d’imiter les pays du Nord, où le despotisme, qui confond tout, attache des rangs militaires à des fonctions civiles, comme si le terrible métier des armes fût le seul dont un citoyen pût s’honorer. Mais avec une Constitution qui a rendu l’homme à sa dignité primitive, il faut laisser chaque citoyen recueillir le degré de considération que sa profession doit lui donner, en partant de ce principe qu’il n’en est aucune qui ne doive paraître aussi honorable qu’elle est utile. Ces raisons, très précieuses, n’ont pas prévalu sur la disconvenance qu’il y aurait à appeler au service de l’Etat un homme distingué par son âge et par son expérience, pour le faire servir sous les ordres d’un officier plus jeune, qui aurait sur lui l’unique avantage d’avoir servi plus longtemps l’Etat; elles n’ont pas prévalu sur l’utilité que la marine militaire peut retirer de ce rapprochement de la marine du commerce, si propre à faire passer de l’une à l’autre les hommes de talent, dont l’Etat réclamerait les services. Capitaines de vaisseau. J’ai déjà parlé des capitaines de vaisseau, grade immédiatement supérieur à celui de lieutenant; j’ai déjà dit qu’ils seraient pris à l’ancienneté et au choix du roi. Il faut bien une espérance à ceux qui servent avec zèle la patrie; il faut des espérances plus prochaines à ceux qui la servent avec zèle et talent. Par cette double disposition l’ancienneté trouve sa récompense, et le talent, des encouragements. Le comité a pensé que le partage devait être égal entre eux, et que par conséquent les promotions devaient être faites, moitié à l’ancienneté, moitié au choix du roi. Sans doute, il est inutile de vous exposer pourquoi les choix sont laissés au roi seul, que vous avez nommé chef de l’armée navale : ce serait vous expliquer vos propres décrets. Tous les principes de cette disposition sont renfermés dans ce peu de mots : le choix des sujets, abandonné aux officiers supérieurs, serait un privilège dangereux; exercé par les inférieurs, il deviendrait un droit abusif, destructeur de toute discipline, produisant la molle complaisance des chefs et i’mdépendance des subordonnés. Que dans la Constitution les administrés choisissent leurs administrateurs : l’administration est faite pour le plus grand bien des administrés; elle n’a et ne peut avoir un autre objet. Mais une constitution militaire n’est pas faite pour le plus grand avantage de ceux qui y sont soumis; mais pour l’avantage de l’Etat et* la perfection du service qu’elle établit. En attribuant au roi seul le choix des sujets que leurs talents doivent porter aux grades supérieurs, vous avez pu, vous avez dû régler la condition de ce choix. Le comité vous propose d’établir qu’on ne puisse être élevé d’un gracie à un autre sans un temps déterminé de navigation dans le grade inférieur. Cette disposition n’a pas besoin d’être motivée. Ainsi donc vous n’aurez pour capitaines de vaisseau que des hommes sur la capacité desquels on ne pourra élever aucun doute. Ceux que leur ancienneté aura conduits à ce poste y apporteront des lumières et l’expérience, fruit de leurs longs services, et ils ne seront point d’un âge qui les rende incapables du service auquel ils sont appelés. Ceux que le choix du roi aura élevé à 198 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 113 janvier 1791.) ce grade auront pour eux une présomption de plus, celle du talent qui seul aura pu être le motif de cette distinction. Et qu’on ne craigne pas les abus de ces choix, souvent faits par les ministres au nom du roi. Lorsque tous les marins expérimentés de la France pourront y concourir, l’opinion publique désignera de loin au monarque ceux qui doivent y prétendre. Sa voix tonnante, qui sera plus que jamais l'organe des peuples et la leçon des rois, sera toujours plus écoutée que ces perfides insinuations des courtisans que le mérite blesse et qui, toujours livrés aux calculs de l’intérêt ou de la vanité, ne savent que récompenser la bassesse qui les flatte, et punir le talent qui les dédaigne. De tels conseillers fuiront loin d’un roi citoyen. Ses courtisans, si Fon peut encore se servir de ce titre, seront les amis de sa vertu et de sa gloire, et par conséquent les défenseurs des droits du peuple, et les protecteurs du mérite et des talents. Officiers généraux. C’est parmi ces capitaines de vaisseau, élite de tous les navigateurs de la France, que seront pris les officiers généraux. Ceux-là seuls ont prouvé qu’ils étaient propres à commander des escadres, qui ont servi dans des escadres en commandant des vaisseaux. Plus les fonctions auxquelles des militaires sont appelés sont difficiles et importantes, moins il faut laisser l’ancienneté, qui est une espèce de hasard, déterminer ceux qu’on y destine. C’est par ce motif que le comité vous propose de ne laisser à l’ancienneté que le tiers des places vacantes dans le dernier grade d’officier général, et les deux tiers au choix du roi. Le comité a adopté les dénominations d’officiers généraux demer, usitéeschez nosvoisins : amiral, vice-amiral et contre-amiral ; elles lui ont paru avoir plus d’analogie avec les fonctions qui y sont attachées. Ce n’est pas qu’il y ait une différence très marquée entre les fonctions attribuées aux vice-amiraux et aux contre-amiraux. Le comité en a tiré celte conséquence, que là où le service est le même, le changement de grade n’est plus qu’un changement de titre, et qu’il n’y a plus nécessité de faire un choix. L’ancienneté peut donc seule, sans inconvénients, déterminer le passage du grade de contre-amiral à celui de vice-amiral . Il n’en est pas de même du grade d’amiral. Le petit nombre de ceux qui seront revêtus de ce titre seront plus souvent appelés au commandement des armées navales. Ils auront entre leurs mains le destin de nos flottes, et souvent celui de la France. Frappé de l’importante nécessité d’élever à ce grade ceux qui y seront le plus propres, le comité vous propose de laisser toutes les places d’amiral au choix du roi, et pour donner plus de latitude à ce choix, de lui accorder la faculté de choisir entre les vice-amiraux et les contre-amiraux. Cette dernière disposition tient essentiellement à celle qui établit l’ancienneté, comme déterminant seule le passage du grade de contre-amiral à celui de vice-amiral. Par l’une, le talent vraiment supérieur est promptement appelé au commandement des armées, malgré la distance qui l’en sépare; par l’autre, des talents moins éclatants, mais qui ont pour eux l’appui d’une longue suite de services, trouvent, dans le grade de vice-amiral, une sûre et honorable récompense. Commandement. Les dernières dispositions du comité sont relatives au commandement des vaisseaux et escadres. La faculté de les accorder ne peut appar-lenir qu’au roi, ou bien il ne serait plus le chef suprême de l’armée navale, et ses ministres n’auraient plus à répondre de la conduite des opérations de la guerre. De la faculté attribuée au roi de donner les commandements dérive celle de les ôter à son gré, sans cause évidente, sans jugement préalable. Un commandement n’est que l’emploi du moment, et l’utilité publique peut exiger qu’il passe souvent et rapidement d’un individu à un autre. En cela, il diffère du grade, fruit durable des longs services d’un officier, devenu en quelque sorte son patrimoine et une partie de son existence, et qui, à moins de suppression de la place, ne peut lui être ôté, pour être transféré à un autre, que par un jugement d’une cour martiale. Ces principes sont consacrés dans le plan du comité. Avancement des matelots. Jusqu’à présent, Messieurs, je ne vous ai entretenus que des officiers de la marine, et je ne vous ai rien dit encore de cette classe précieuse d’hommes qui font la sûreté de la France, la richesse de son commerce, la force des armées navales ; je veux dire les matelots. Sans doute, je suis loin de méconnaître, par un injuste oubli, les droits de ces hommes dont j’ai été le compagnon d’armes, et dont j’ai si souvent vu avec admiration les services éclatants et les prétentions modestes. Une Constitution qui a rétabli l’égalité primitive et proscrit de vaines distinctions pour ne laisser subsister que la seule réelle, quoique souvent la plus méconnue, celle du mérite et des services, une telle Constitution m’impose sans doute le devoir de mettre au premier rang, en traitant de l’organisation de la marine, les hommes les plus nécessaires à son existence, ceux qui font à l’Etat les plus grands sacrifices, puisque sans espérance de profit et d’honneur ils lui donnent tout ce qu’ils possèdent, leurs bras et leur existence. Aussi la détermination de leur sort a-t-elle paru au comité devoir être l’objet d’un décret particulier que vous avez adopté; mais il a cru que c’est dans ce décret général que j’ai l’honneur de vous présenter, qu’il fallait poser les principes, énoncer quels sont envers eux les bienfaits de la Constitution nouvelle, quelle est la justice que vous leur préparez, et le dédommagement de tant de siècles d’oubli ou de rigueur. Le comité ne fera pas valoir, comme un avantage, la faculté accordée aux marins de toutes les classes d’être faits officiers dès le moment où ils ont fait preuve de connaissances nécessaires pour l’être; cette faveur n’est pas particulière aux matelots qui sont rarement dans le cas d’en profiter. Le comité vous propose d’autres dispositions qui leur sont plus directement utiles, et qui deviennent la récompense de leurs services rendus comme matelots. 1° Une augmentation graduelle et rapide de solde, proportionnée à la durée de leurs services sur les vaisseaux de l’Etat. Après les augmentations de solde, des avancements en grade, qui les mènent par échelons à [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 janvior 1791. j celui d’officier, auquel, faute d’une instruction suffisante, ils ne pouvaient prétendre. Enfin la certitude d’être constamment appointés dès le moment où ils sont faits officiers, et de poursuivre cette carrière nouvelle sans éprouver d’obstacles qui puissent arrêter ou suspendre leur marche. Comment ils deviendront officiers. C’est donc par le titre d’enseignes entretenus, que débuteront les matelots parvenus par leurs services au grade d’officier, après avoir passé successivement par tous les grades d’officiers mariniers, maîtres et maîtres entretenus. Le comité vous propose de leur attribuer le dixième des places vacantes. Cette fixation peut paraître modique. Elle est cependant considérable relativement au petit nombre des maîtres entretenus : on la trouvera plus considérable encore, si l’on veut observer que dans le service de terre les fonctions d’un sous-officier le plus élevé en grade se rapprochent beaucoup, par leur nature, de celles de l’officier du grade le plus subalterne, de manière que l’habitude d’une de ces places donne ou suppose le talent de l’autre. Dans le service de mer, au contraire, il y a, entre l’état d’un premier maître et celui d’un officier, même subalterne, une telle diversité de fonctions, que le même homme sera rarement propre à l’une et à l’autre. Sans doute, il ne faut pas indiscrètement prodiguer une faveur qui tend à changer de bons maîtres en officiers médiocres ; mais aussi il faut laisser une espérance à ceux qui ont le noble désir de servir la patrie, un but à leurs efforts, une récompense à leurs succès. Ici il faut se rappeler que c’est dans la parfaite justice qu’est la saine politique. Le comité croit avoir saisi le juste milieu que prescrivent ces considérations opposées. Plan du ministre de la marine. Ne diffère de celui du comité que sur deux articles essentiels. Tel est le plan du comité. Celui du ministre de la marine, M. de La Luzerne, s’en rapproche beaucoup, ou plutôt est parfaitement le même, tant sur le nombre et l’hiérarchie des grades, que sur le mode d’avancement fait, partie à l’ancienneté, partie au choix du roi. Mais il en diffère beaucoup sur deux articles essentiels. Le ministre a pensé qu’il pouvait être utile de conserver cette ancienne institution des gardes de la marine, qui, sous le nom d’élèves, a acquis dernièrement un nouveau degré de perfection. Ces élèves, il les fait entretenir par l’Etat, et leur assure l’entrée exclusive à tous les grades d’officiers de la marine. Motifs de cette différence. Le comité a pensé, au contraire, que, tandis que la marine marchande formait, sans aucune dépense pour l’Etat, une foule de navigateurs, source féconde d’officiers, d’où naissait la facilité de faire de bons choix, il était inconséquent de renoncer volontairement à une telle richesse; il était au moins inutile d’élever à grands frais une autre pépinière d’officiers. Que ceux qui se destineront à la marine aient intérêt à être bien élevés, et ils s’élèveront eux-mêmes. L’intérêt, 199 ce premier mobile de toutes les actions humaines, fera plus que la sagesse des lois et la puissance de la nation. Mais comme les élèves remplissent à bord des fonctions nécessaires, il a paru essentiel de les remplacer, non pas à terre où ils n’ont qu’à s’instruire, mais sur les vaisseaux, où ils servent avec utilité. C’est ce que fait le comité en créant des aspirants. Ce titre, donné, comme je l'ai déjà dit, à tous ceux qui auront subi un certain examen, pourra devenir très prodigué, et ce sera un grand bien, ou du moins l’annonce d’un grand bien, puisque cela prouvera que l’instruction est devenue de plus en plus commune parmi les navigateurs, et que ce germe d’émulation, jeté au milieu d’eux, a heureusement fructifié. Nous aurons donc des aspirants aussi instruits que pourraient l’être les élèves de la marine, avec cette différence que leur instruction, comme leur expérience, n’aura rien coûté à l’Etat. Après avoir renoncé à conserver une pépinière exclusive d’officiers militaires, il entrait dans les vues du comité d’appeler à servir l’Etat tous les navigateurs de la marine du commerce : dans son plan, les principaux agents de cette utile navigation ont tous un titre militaire. C’est parmi eux que les lieutenants sont nécessairement choisis; c’est au milieu d’eux que l’on peut même prendre des capitaines de vaisseau. Cette conséquence de principe, qui a dirigé le comité, était étrangère au plan du ministre, et c’est la seconde et la plus importante différence qui existe entre ce plan et celui qui vous est présenté par le comité. Le comité vous soumet son plan après de longues et de très longues discussions, après des révisions sans nombre, lorsque toutes les parties intéressées ont été appelées et entendues, lorsque le nouveau ministre de la marine, à qui le plan a été communiqué, a remis au comité les observations dont il lui paraissait susceptible, lorsqu’enfin son premier projet, modifié ou changé par cette foule d’observations dont aucune n’a été négligée, a paru mériter de vous être offert. Voici l’intention principale qui l’a fait naître. Vue générale du -plan du comité. Confondre les deux marines là où elles peuvent être réunies avec utilité, en leur donnant une origine commune; les distinguer dès le moment où des fonctions plus importantes exigent une plus grande réunion de talents et une expérience des opérations militaires, qui ne peut être le partage de tous ; faciliter dans tous les temps leur rapprochement de manière que l’une puisse toujours s’approprier les hommes de mérite que l’autre aura formés ; ne laisser à la charge de l’Etat pendant la paix qu’un corps peu nombreux d’officiers aussi instruits qu’exercés; inspirer à tous les navigateurs une noble émulation propre à élever notre marine commerçante à un rang distingué parmi les marines de l’Europe; rendre l’instruction commune et le talent utile, quelque part qu’il se trouve : telle est la base du plan du comité. Si ses vues sont remplies, une généreuse émulation animera les navigateurs de toutes les classes; cette profession utile acquerra en France la considération qu’elle mérite, et deviendra de plus en plus digne de cette considération. Le matelot sera encouragé par la perspective plus étendue qui lui est ouverte; l’officier marinier aura une 200 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. plus haute idée de la place qu’il occupe; tant d’estimables navigateurs, qui enrichissent l’Etatdu fruit de leurs sueurs, sauront également travailler pour la fortune et combattre pour la gloire; défenseurs nés des fortunes particulières dont ils sont les dépositaires, ils ne défendront pas avec moins de zèle la fortune publique, qu’elles augmentent et qui les conserve. Le corps actuel de la marine qui, malgré les vices de sa constitution, possède un si grand nombre d’officiers très précieux, que l’étude a instruits, que la guerre a formés par la plus pénible mais la plus utile de toutes les expériences, qui ont abordé avec courage et parcouru avec gloire une carrière plus rebutante encore, tant par la difficulté d’en atteindre le terme, que par les fatigues auxquelles elle expose ; ce corps, dis-je, trouvera, dans une marche plus rapide, un encouragement qu’il n’a que trop longtemps attendu : des talents distingués seront mis à la place où les appellent et l’opinion publique et l’intérêt de la patrie; de nouveaux talents s’empresseront d’éclore; dans un moment où tous les Français sont soldats, parce qu’ils sont citoyens, la patrie comptera autant de défenseurs que d’hommes de mer ; plus que jamais elle sera servie avec zèle et sans doute avec succès ; et le pavillon national, signe brillant de notre liberté, deviendra l’emblème d’une puissance qu’il faut craindre, d’une justice qu’il convient d’imiter. PROJET DE DÉCRET Sur l'organisation de la marine française et sur le mode d'admission et d’avancement. L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité de marine, décrète : Art. 1er. Tous les citoyens soumis à la conscription maritime sont compris dans la marine française. Mousses. Art. 2. Nul ne pourra être embarqué comme mousse sur les bâtiments de l’Etat, que de 10 à 16 ans. Novices. Art. 3. Tous ceux qui commenceront à naviguer après 16 ans, et qui n’auront pas satisfait à l’examen exigé par l’article 14, seront novices. Matelots. Art. 4. Ceux qui auront commencé à naviguer en qualité de novices pourront, après douze mois de navigation, être admis à l’état de matelot. Art. 5. Les matelots obtiendront, suivant le temps et la nature de leurs services, des augmentations de paye ; et à cet effet la paye des matelots sera graduée en plusieurs classes. Art. 6. Aucun matelot ne pourra être porté à la haute paye, sans avoir passé par les payes intermédiaires. Officiers mariniers. Art. 7. Il y aura des officiers mariniers ayant autorité sur les matelots; ils seront divisés eu plusieurs classes. Ce grade ne sera accordé qu’aux matelots ou ouvriers matelots parvenus à la plus haute paye, et seulement lorsqu’ils au-[13 janvier 1191.) ront les qualités nécessaires pour en bien remplir les fonctions. Art. 8. On ne pourra être fait officier marinier de manœuvre, sans avoir été employé pendant une année de navigation en qualité de gabier. Art. 9. Toutes les augmentations de�solde et avancements en grade pour les gens de l’équipage seront faits pour chaque vaisseau par son commandant, qui se conformera aux règles établies à cet égard. Pilotes côtiers. Art. 10. Nul ne pourra commander au petit cabotage, qu’il n’ait le temps de navigation, et satisfait à l’examen qui sera prescrit. Ces maîtres seront employés au moins comme timoniers. Art. 11. Nul ne sera embarqué comme pilote côtier, s’il ri’a commandé au moins trois ans en qualité de maître au petit cabotage, et satisfait à l’examen qui sera prescrit. Maîtres entretenus. Art. 12. Les officiers mariniers parvenus par leurs services au premier grade de leur classe pourront être constamment entretenus ; et le nombre des entretenus sera déterminé d’après les besoins des ports. Les deux tiers des places des maîtres entretenus, vacantes dans chaque département, seront donnés à l’ancienneté, et l’autre tiers au choix du roi. L’ancienneté des maîtres ne sera évaluée que par le temps de navigation fait sur les vaisseaux et frégates de l’Etat, avec le grade et en remplissant les fonctions de premier maître. Art. 13. Les maîtres entretenus de manœuvre et de canonnage deviendront officiers conformément aux règles ci-après énoncées, encore qu’ils eussent passé l’âge auquel l’admission aux différents grades d’officiers pourrait avoir lieu. Écoles publiques. Art. 14. Il y aura des écoles gratuites de navigation dans les principales villes maritimes, ainsi qu’il sera déterminé par un règlement particulier. Aspirants de la marine. Art. 15. Ceux qui se présenteront pour servir en qualité d’aspirants dans la marine ne pourront y être admis qu’après 15 ans d’âge accomplis, et seulement après avoir subi un examen public sur l’arithmétique, la géométrie, les éléments de la navigation et delà mécanique. Art. 16. Les aspirants seront divisés en trois classes. Dans la troisième seront compris fous ceux qui commenceront à naviguer. Ils feront sur les vaisseaux l’apprentissage et le service des matelots, et seront exercés aux fonctions de gabier et de timonier. Dans la deuxième on admettra tous ceux qui auront 18 mois de navigation. Ils feront le service de quartier-maître, et passeront successivement à tous les grades d’officiers mariniers, celui de maître et de second maître exceptés. Ils ne seront reçus dans la première classe qu’après deux ans et demi de navigation, et après avoir subi d’une manière satisfaisante un examen sur la théorie et la pratique de l’art maritime, suivant ce qui sera prescrit. Le temps de