201 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1789.] M. le comte de Clermont-Tonnerre (1). Il y a longtemps, Messieurs, que les juifs domiciliés ..... si toutefois on peut appeler domiciliés des hommes qui ne sont pas citoyens, qui ne joue-sent pas même des droits de l’homme, et qui, tautôt soufferts, tantôt persécutés, n’ont qu'une existence et une habitation précaires ; il y a longtemps, dis-je, que les juifs d’Alsace, de Lorraine et des évêchés attendent le moment où vos occupations importantes vous permettront de les entendre. Ce moment n’est pas encore arrivé. Je n’anticiperai pas sur le développement des vérités que leur défenseur vous présentera. Il était réservé à ce siècle de tolérance et de raison de voir un respectable ministre des autels (2) élever sa voix dans cette tribune en faveur des malheureux restes d’Israël ; je n’usurperai pas l’œuvre sainte qu’il s’est réservée, je ne plaiderai pas cette cause dans laquelle on ne voit pas d’objections à combattre, dans laquelle on n’a que l’embarras du choix pour les vérités à établir, et qui se réduit en un mot à prouver qu’il suffit d’être homme et d’être homme civilisé pour jouir du droit de citoyen. Mais, Messieurs, ce qu’il ne m’est pas permis de différer c’est la demande positive de votre protection pour les juifs. Les plus grands dangers les environnent, la haine du peuple les poursuit; cette haine, ils l’ont méritée. Tel est l’effet de l’oppression et de l’opprobre: l’homme opprimé devient injuste, et l'homme avili devient vil. Le peuple ne peut suivre la série des vérités ; sa vue s’arrête à ce qui la blesse : il ne s’informe pas si l’homme dont il est la victime n’est pas lui-même victime des autres hommes et si la cause immédiate de ses maux n’est pas elle-même l’effet d’une autre cause, d’une cause éloignée et non moins impérieuse. Mais vous, Messieurs, dont la sagesse et la prudence ne méconnaîtront pas la véritable source des lorts que l’on impute aux juifs, vous ne voudrez pas qu’ils périssent pour avoir ressenti les effets du régime oppresseur sous lequel ils ont vécu parmi nous ; vous ne voudrez pas que le decret que vous prononcerez en leur faveur, qui devait en faire des citoyens, n’ai plus qu’à consoler leur mémoire. Déjà leurs maisons ont été pillées, leurs personnes exposées aux outrages et aux violences. La fête des expiations qui s’approche, en les réunissant dans leurs synagogues, les offre sans défense à la haine populaire, et le lieu de leurs prières peut devenir celui de leur mort. Je demande que M. le président soit autorisé à mander aux municipalités et aux officiers publics de la province d’Alsace que l’Assemblée nationale met la personne et les biens des juifs sous la protection de la loi, et je désire qu’il soit enfin reconnu qu’un homme, quand même il ne serait pas citoyen, ne doit pas être impunément égorgé. M. l’abbé Grégoire appuie cette demande avec son énergie ordinaire, en ajoutant qu’il fallait engager le pouvoir exécutif à employer toute sa force pour empêcher les horreurs dont on menaçait les juifs. L'Assemblée charge M. le président d’écrire aux officiers publics de l’Alsace, que les juifs sontsous la sauvegarde de la loi et de réclamer du Roi la protection dont ils ont besoin. L’ordre du jour appelle la discussion sur la motion de M. le baron de Jessé, relative à V argenterie des églises. Plusieurs membres du clergé demandent la question préalable. D'autres proposent l’ajournement. On a pris les voix pour savoir à laquelle de ces deux propositions incidentes on accorderait la priorité, et la priorité a été donnée à la question préalable ; mais l’heure étant très-avancée, et plusieurs personnes observant que l’Assemblée ne contenait peut-être pas alors deux cents membres, la question principale et les questions accessoires sont demeurées dans l’état qu’on vient d’indiquer. M. le Président a levé la séance qu’il a indiquée pour demain à l’heure ordinaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. MOUNIER. Séance du mardi 29 septembre 1789, au matin (1). M. le Président ouvre la séance en annonçant que désormais les séances ouvriront régulièrement à 9 heures du matin. M. l’abbé d’Eymar donne lecture du proces-verbal du 26 dont la rédaction avait été discutée hier. Il est adopté après quelques nouvelles observations. M. Démeunier fait lecture du procès-verbal du 28 septembre. M. de Bonnal, évêque de Clermont , demande la suppression de la phrase relative à l’offre des religieux de Saint-Marlin-des-Ghamps, ainsi conçue: « L’Assemblée a accueilli avec satisfaction cette « preuve de patriotisme. a M. de Bonnal observe que les religieux ne sont que des usufruitiers. que les biens ne leur appartiennent pas et que d’ailleurs il y a des formes établies par la loi qui doivent être suivies dans de pareilles circonstances. M. Démeunier reconnaît la justesse de cette observation. Un membre demande acte de la déclaration de l’évêque portant que si l’usufruit appartient aux religieux, la propriété appartient à la nation. On relit Je passage du procès-verbal qui porte que l’Assemblée a accueilli avec satisfaction l’acte de patriotisme des religieux de Saint-Martin. M. de Lafare, évêque de Nancy, observe que ce n’est pas là un acte de patriotisme. M. le comte de Virieu dit que des applaudissements parsemés dans la salle ne sont pas un témoignage certain de satisfaction. M. le cardinal de La BKochefoncauld ap-(1) Ce discours n’a pas été inséré au Moniteur. (2) M. l’abbé Grégoire. fl) Celte séance est incomplète au Moniteur. 202 [Aisemblée nationale.] prend à l’Assemblée que le grand vicaire de la maison, ainsi appelé par arrêt du grand conseil de 1705, est ici, et demande à entrer dans la salle pour rendre compte de tous les détails de cet événement. M. Camus s’élève aussi contre le mot satisfaction. 11 prétend que Saint-Martin-des-Champs, en offrant les biens de son ordre, ressemble à un homme qui offrirait les maisons de son voisin. M. l’abbé Grégoire craint que les expressions vagues du procès-verbal ne préjugent la grande question de la propriété des biens ecclésiastiques. On demande à aller aux voix sur le procès-verbal. M. le Président pose ainsi la question : « retranchera-t-on la phrase du procès-verbal? » Une première épreuve est douteuse. M. de Tolney se plaint du tumulte de cette discussion. Messieurs, dit-il, tant que vous agiterez ainsi une question de cette nature, vous ne parviendrez jamais à votre but; elle doit se discuter franchement, et il est temps de cesser de la couvrir du voile mystérieux dont elle a toujours été enveloppée jusqu’ici. Il faut d’abord discuter la grande question de savoir à qui appartiennent les biens du clergé; il sera ensuite facile de discuter les droits des usufruitiers. M. le comte de Mirabeau. J’approuve la doctrine de M. de Volnev, mais je dis qu’il est hors de la question. Il s’agit ici de la certitude d’un fait, c’est que plus de huit cents personnes ont, par les applaudissements les plus bruyants, approuvé la lettre de messieurs de Saint-Martin-des-Champs; vouloir soutenir le contraire, c’est nier l’évidence. Je demande donc que la question soit ajournée et que l’on rentre dans l’ordre du jour, ou qu’on laisse dans le procès-verbal des termes qui sont vrais et que tout le monde doit approuver. M. le Président procède à une seconde épreuve; elle est très-douteuse. M. le président hésite de prononcer; cependant plusieurs membres lui ayant demandé son avis, il croit qu’elle est en faveur de la phrase énoncée dans le procès-verbal. Divers députés du clergé demandent l’appel nominal. M. l’abbé Grégoire dit que c’est faire un cercle vicieux. M. Target représente que la bonne foi des membres rendra justice à la majorité, et il demande qu’on aille aux voix par assis et levé pour savoir de quel côté est la majorité. M. le Président cite le règlement qui porte que l’on ira aux voix toutes les fois qu’il y aura du doute. On va aux voix pour savoir si ce doute existe. A l’exception du clergé, tous les membres se lèvent pour assurer que la majorité est en faveur de la rédaction du procès verbal. M.Thouret au nom du nouveau comité de constitution, fait à l’Assemblée nationale un rap-[29 septembre 1789.] port sur les bases de la représentation proportionnelle. Messieurs, le travail que votre nouveau comité a l’honneur de vous soumettre, tient, par un double rapport, à deux grandes parties de la Constitution. D’une part, vous organisez le gouvernement représentatif, le seul qui convienne à un peuple libre; mais sa justice et sa stabilité dépendent de l’établissement de l’égalité proportionnelle dans la représentation, et d’un ordre fixe et simple dans les élections. D’autre part, vous voulez fonder un nouveau système d’administration municipale et provinciale. Cette administration, également représentative exige de même, et la représentation proportionnelle, et un ordre pour les élections. Cette similitude entre les deux objets établit, par la nature de la chose môme, l’importance de fonder sur des bases communes le double édifice de la représentation nationale, et de l’administration municipale et provinciale. Cette vérité, si propre tout à la fois, à affermir les différentes parties de la Constitution, en les liant l’une à l’autre, et à faciliter pour toujours l’exécution en la simplifiant, est la première qui nous a frappés. En suivant le fil qu’elle présente, nous sommes arrivés à la conviction que l’organisation de chaque grand district du royaume doit être constituée de manière qu’elle serve en même temps et à la formation du Corps législatif, et à celle des diverses classes d’assemblées administratives. C’est ainsi que d’un ressort commun partiront tous les mouvements du corps politique ; par là, la conservation de ce ressort unique sera d’autant plus chère au peuple, qu’en le perdant il perdrait tous les avantages de sa Constitution ; par là, sa destruction deviendrait plus difficile à l'autorité, qui ne pourrait le rompre qu’en désorganisant entièrement l’Etat. Le comité a pensé que les bases delà représentation doivent être, autant qu’il est possible, en raison composée du territoire, de la population et des contributions. Avant de dire comment ces trois bases peuvent se combiner pour établir entre les divers districts électeurs la juste proportion de leurs députations, il est nécessaire de présenter, sur chacune des trois, quelques développements particuliers. Base territoriale . Le royaume est partagé en autant de divisions différentes qu’il y a de diverses espèces de régimes ou de pouvoirs : en diocèses, sous le rapport ecclésiastique; en gouvernements, sous le rappport militaire; en généralités, sous le rapport administratif; en bailliages, sous le rapport judiciaire. Aucune de ces divisions ne peut être ni utilement ni convenablement appliquée à l’ordre re-présensatif. Non-seulement il y a des disproportions trop fortes en étendue de territoire, mais ces antiques divisions, qu’aucune combinaison politique n’a déterminées, et que l’habitude seule peut rendre tolérables, sont vicieuses sous plusieurs rapports tant publics que locaux. Mais puisque l’ordre que la Constitution va établir est une chose nouvelle, pourquoi l’asservirions-nous à des imperfections anciennes qui en contrarient l’esprit, et qui en gêneraient lès effets, lorsque la raison et l’utilité publique commandent d’éviter ce double écueil? Le comité a donc pensé qu’il est devenu indispensable de par-ARCHIVES PARLEMENTAIRES.