[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES; [31 mai 1791-1 069 courageusement la réforme de tous les abus, sans aucun regret pour ses antiques droits et pour ses jouissances personnelles ; qui, comme un rocher inébranlable, au milieu d’une mer orageuse, a résisté, pendant toutes les crises de la Révolution aux inductions dangereuses qui pouvaient compromettre le sort de l’Etat, et le détourner de l’accomplissement de ses vues bienfaisantes ; et qui enfin, par tant de sacrifices et par tous les efforts magnanimes de sa vertu, a mérité l’amour des Français, le respect des philosophes et les hommages de l’univers et de la postérité. Mais comme le dernier souffle de ma vie est à ma patrie et à mes concitoyens, je viens remplir un devoir sacré, en les invitant, pour leur bonheur, à l’oubli absolu des haines politiques, à la confiance envers les législateurs, au respect pour tous les pouvoirs constitutionnels, à l’exacte obéissance aux lois ; eu leur recommandant les sentiments d’humanité, sans lesquels nulle société ne peut exister, nul bonheur ne peut être durable ; et la tolérance paisible et respectueuse des opinions sur lesquelles le régime de la liberté ne peut exercer des persécutions sans se rendre coupable des crimes du despotisme; en les rappelant enfin à l’idée si consolante et régénératrice de toutes les vertus, qui offre sans cesse aux vœux de tous les mortels, la justice, la protection, la bienfaisance de l’être suprême qui veille sur les destinées des Empires, et qui seul peut assurer et perpétuer leur bonheur. Puissent mes concitoyens, dociles à la voix d’un vieil ami de la liberté, oublier les premiers égarements de son génie, pour ne se rappeler que ses dernières leçons ; et prophétisant aujourd’hui la prospérité immuable de ma patrie, comme j’ai osé annoncer la conquête de sa liberté, si, dans les derniers jours de ma vie, je vois sa félicité se réaliser, j’oserai me glorifier d’y avoir contribué, et, satisfait d’en jouir un instant, mes yeux se fermeront sans remords et sans regrets, en contemplant l’aurore de cette liberté qui va régner dans l’univers ; et j’entrerai dans la nuit de l’éternité, avec cette joie pure, la seule dont mon cœur puisse s’enivrer, qu’inspire le sentiment du vrai patriotisme, à la vue du bonheur à jamais durable de ses concitoyens. Telles auraient dû être, Raynal, vos dernières paroles. C’est par ces vérités réelles, toujours utiles, jamais abstraites, que vous auriez préparé les douces jouissances des bienfaits de la Constitution ; qu’usant avec sagesse de votre célébrité, vous auri' z pu inspirer des sentiments que la pure morale de la vertu et la politique des âmes honnêtes doivent sans cesse prêcher. Il vous eut resté encore assez de temps à vivre, pour voir naître les beaux jours de la régénération de votre patrie et en calculer l’immense durée ; et si Dieu, qui vous réservait peut-être une aussi douce jouissance, vous eut alors appelé dans le séjour de l’éternité, la reconnaissance de tous les Français vous y aurait accompagné et aurait accordé à vos cendres les honneurs immortels qui sont dus à votre génie, et qu’auraient encore mieux mérités votre patriotisme et ses bienfaits. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. MERLIN, EX-PRÉSIDENT. Séance du mardi 31 mai 1791, au soir (1). La séance est ouverte à six heures du soir. Les membres composant les six tribunaux criminels établis à Paris par la loi du 44 mars 1791, sont admis à la barre . Ce sont : MM. Cahouet, Cousin, Thirria, Le Maître, Gosnard Salladin, Eude, Petil, Roussel, Huran, d’Obsen, Aubert, Grandidier.Dugué, Boucher, de Plane, Boulanger, Lorrin, Brière, Pioche, Allou, Sellier, Robert, Sallé, Fouénet-üubourg, Pelletier, Pulleu, Marquis, Bidault, d’Herbetot, Gusnier, Piot, Moreau, Huilliard, Le Tavernier, Grangier, Legendre, Chalumeau, Silly, Poullin, Hua. L’un d’entre eux prend la parole et dit : « Messieurs, l’état effrayant des prisons de Paris vous a déterminés à demander des juges aux départements voisins. Convoqués par la loi du 14 mars, nous sommes venus pour donner à la justice une activité nécessaire, pour arrêter les désordres du crime par l’application prompte et rigoureuse des lois. Cependant les lois n’auront point repris leur vigueur, la justice n’aura pas recouvré son empire, si vous ne levez les obstacles qui nous entravent, qui nous arrêtent à chaque pas. « Daignez nous entendre avec attention; car ce sont des motifs graves qui nous animent, et c’est sur le salut public que vous allez prononcer. « Nous avons à juger douze ou quinze cents procès, dont l’instruction est plus ou moins avancée. Vos décrets n’ont point été rigoureusement suivis ; ici, les adjoints ont signé l’information et chaque déposition de l’information, mais ils n’en ont pas exactement coté et signé toutes les pages ; là, il n’est pas dit que leurs signatures aient été données à l’instant même et sans désemparer ; tantôt on a omis de déclarer à l’adjoint les noms du plaignant et de l’accusé ; tantôt on ne l’a point averti de l’obligation dans laquelle il est de se récuser, au cas prévu par la loi. On a même constamment omis de nommer les adjoints qui ont signé l’ordonnance sur la plainte et les actes subséquents. Ges vices se reproduisent, ou dans la plainte, ou dans l’information, ou dans le décret. Enfin, il n’y a peut-être pas une procédure qui ne porte, pour ainsi dire, avec elle son germe de mort, sa nullité. « Dans cette position, que doivent faire des juges qui révèrent la loi, mais qui aiment le bien public, le but essentiel de toutes les lois ? Faut-il prononcer généralement toutes les nullités? C’est, en d’autres termes et dans la circonstance particulière où nous sommes, anéantir toutes les procédures qui existent depuis dix-huit mois, effacer les preuves de tous les crimes, entasser, refouler dans les prisons les malheureux dont elles regorgent et qu’elles peuvent à peine contenir ; c’est dire que, pendant six mois, il y aura des juges, mais point de justice, ou que la justice laborieusement occupée à recomposer ses formes, aura négligé pour longtemps le moyen de justifier, et perdu pour toujours le moyen de condamner et de punir. . (1) Cette séance est incomplète au Moniteur , 4370 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 mai 1791.1 « Nous ne parlons pas des dépenses énormes qu’il faudrait faire pour recommencerinutilement tant de procès. Cette considération n'est rien devant les principes. Le véritable intérêt de la nation, c’est l’intérêi de la loi. Mais remarquez qu’ici la loi irait directement contre le but qu’elle se propose. Remarquez que nous ne jugeons pas des prôcès qui naissent de jour en jour, que nous n’avons pas des nullités accidentelles à prononcer. Nous avons à juger une masse ancienne de procès toute viciée, touie infectée de nullités dès l’origine. Nous ne pouvons pas détruire une procédure, sans en détruire mille. Le même principe nous conduirait forcément au même résultat. « Les prisonniers sont dans une agitation qui tend à l’insubordination et à la révolte. Tourmentés par la captivité, par la douleur, par les maladies, par tous les genres de calamités qui se réunissent sur eux, et qui les pressent, les uns sont abattus et se consument lentement ; les autres s’irritent et seroidissent violemment contre leurs fers. « Et ne croyez pas, Messieurs, qu’il y ait ici aucune exagération. Nous avons vu, jusque dans nos audiences, des preuves marquées de désespoir. Récemment, une femme que Injustice n’a pas trouvée coupable, a été emmenée dans un de nos tribunaux. A l’instant même où son procès allait être rapporté, son conseil l’abandonna. On lui donne un autre conseil ; on lui dit que le lendemain elle sera jugée; il n’y avait qu’un jour à attendre; mais un jour est apparemment un siècle dans les prisons. L’infortunée fond en larmes; elle pousse des cris déchirants ; elle se frappe la tête contre le barreau, en maudissant ses juges; et le public, témoin de cette scène, la voit emporter par deux fusiliers. « Oui, les maux sont multipliés, ils sont constants, et jusqu’ici nous en avons inutilement cherché les remèdes. Nous nous sommes assemblés plusieurs fois, nous avons tenu des conférences, nous avons exposé au ministre de la justice nos difficultés; le ministre n’a pas cru pouvoir les résoudre. 11 nous a dit que nous avions la loi sous les yeux, et que nous trouverions dans nos lumières et dans nos consciences les motifs de nos décisions. Certes, c’est toujours là que nous les avons cherchés, ces motifs : mais avec les mêmes intentions, nous sommes arrivés à des résultais différents. Les uns, attachés au texte de la loi, l’ont appliquée scrupuleusement dans tous les cas; les autres, croyant saisir l’esprit de la loi, sa volonté qui est le bien, ont craint de faire le mal en son nom; ils n’ont point prononcé les nullités, lorsqu’elles se tournent contre les accusés eux-mêmes, et que leurs conseils se gardent de les faire valoir. Ils ont distingué dans les nullités celles qui attaquent le corps des preuves, l’information, par exemple, ou plutôt les dépositions que contient l’information, et celles qui n’attaquent que les actes étrangers, isolés de l’information. « Cependant l’esprit des tribunaux n’étant pas le même, chacun suit le sien; l’un infirme ce que l’autre aurait confirmé; l’un fait languir un accusé pendant 6 mois, pour la plus grande perfection de la procédure, tandis que l’autre le fait sortir 6 mois plus tôt, pour le plus grand bien de la justice. Il faut un accord entre nous ; et puisque nous voulons tous l’utilité publique, il faut que nous y arrivions tous. « Vous pouvez, Messieurs, nous conduire à ce but également désiré. Vous pouvez nous autoriser à n’avoir égard aux nullités, qu’autant qu’elles attaquent le corps des preuves, et noua dispenserdeles prononcer, lorsquelles ne frappent que sur les actes de procédure et de simple instruction. « Nous attendrons, Messieurs, avec respect le décret que vous prononcerez dans votre sagesse. Des circonstances graves ont déterminé notre démarche; elles détermineront sans doute votre décision. Le temps presse, la justice souffre, les accusés languissent, les prisons regorgent : ces demeures souterraines qui recèlent dans leur sein les éléments de tous les.crimes, travaillées depuis longtemps d’une fermentation sourde, peuvent s’entr’ouvrir par une explosion subite et vomir sur Paris tous les désordres à la fois. » M. le Président. Messieurs, l’Assemblée nationale partage les sentiments d’bumanité qui vous animent et il est bien pénible pour elle que ces sentiments soient combattus par le respect qu’elle doit elle-même aux lois qui, par sou organe, ont proclamé la volonté nationale sur les formes de la procédure criminelle. L’Assemblée nationale, Messieurs, se fera rendre compte de votre pétition; elle en balancera dans sa sagesse les inconvénients; et ce sera pour elle une véritable jouissance si elle peut, en l’adoptant, couvrir du voile de l’humanité les défauts de forme que vous lui dénoncez, et dont les suites effraient justement votre sensibilité. (L’Assemblée décrète que la pétition des membres des tribunaux criminels de Paris sera renvoyée aux comités de législation criminelle et de Constitution, pour lui eu être rendu compte à la séance de jeudi matin, 2 juin, à l’heure de midi.) Une députation des graveurs de Paris est admise à la barre. Un d'entre eux prend la parole et fait connaître la pénible existence des artistes sous le règne du despotisme, se promettant que tout sera reconquis sous le règne de la liberté; et passant rapidement sur la défaveur que l’art de la gravure éprouve en France, il présente un mémoire et un projet de loi pour démontrer l’utilité de la gravure, l’importance de lu cultiver et les moyens d’encouragements qu’il convient de lui donner. Il termine ainsi : Comme artistes, nous n’avons pas besoin de lois : le génie n’en connaît pas d’autres que celles qu’il .s’impose à lui-même. Mais, comme membres de l'État, nous devons être protégés; car il s’enrichit de notre industrie. Nous venons solliciter une loi qui assure notre propriété, eu défendant les contrefaçons, seul moyeu de la conserver. M. le Président répond ; L’Assemblée nationale, Messieurs, connaît les rapports intimes qui lient les arts à la liberté publique. Ceux-là ont bien méconnu ou calomnié les vues du Corps législatif, qui ont craint ou feint de craindre de voir les arts oubliés ou tombés en décadence sous le gouvernement libre que la volonté souveraine de la nation vient d’élever sur les débris du despotisme. Les arts, sous le régime d’où nous sortons, n’étaient cultivés que par le désir qu’avaient les riches, de varier les jouissances du luxe et par le besoin de satisfaire leur caprice; sou-le régime de la liberté, au contraire, ils auront uraigui-lon, l’enthousiasme de la gloire, et pourprotecteur, l’amour de la patrie. Dans peu, les artistes français feront revivre, sous nos yeux, tous les chefs-d’œuvre qui ont illustré Athènes et Corinthe.