420 ] Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790.] Un matelot, un militaire disposé à calculer son ; obéissance ! Le corps législatif en sentira certainement tout le danger; il sait qu’une autorité partagée est sans force, qu’une subordination affaiblie déjà n’existe plus. Et si le matelot, en effet, allait, sur un vaisseau, invoquer la liberté, l’égalité, et parler de ses droits? Si, à son tour et à l’instant d'un combat, il comptait qu’il est, vis-à-vis de ses officiers, dans une proportion non pas seulement de vingt-trois contre un, mais dans celle de cinquante à cent contre un? 9° Il semblerait, à la-sorte de besoin que l’on montre d’innover, à ce désir de se fortifier du pouvoir civil, que les classes sont soulevées et dans un état de plainte contre leurs chefs ; cependant jamais, sur nos côtes de l’océan, matelot commandé ne murmura et ne désobéit, ou du moins les exemples en sont si rares qu’ils ne doivent point être comptés. 11 a la justice de sentir que sa corvée est un mal nécessaire, que celui qui a le bénéfice doit avoir les charges ; il connaît les moyens des autres nations, et il préfère eucore sa lâche; il sait que sur un vaisseau de guerre on lui rendra la vie aussi douce qu’il est possible, et il se résigne en voyant d’autres hommes nés pour plus d’aisance que lui s’intéresser à son sort et partager ses périls et sa fortune. De quelque manière que l’on s’y prenne, l’état d’un matelot embarqué sur un vaisseau de ligne, sera toujours un état de contrainte; mais chaque officier, chaque administrateur s’est attaché à améliorer son sort, à adoucir pour lui l’aspérité du régime des classes. L’ordonnance de 1784 est le résultat de cet intérêt. C’est à sa douceur que l’on attribue généralement l’augmentation sensible du nombre des hommes classés, et qui s’élevait, au 1er Septembre 1789, à 73,388 hommes, non compris les mousses, dont 14,152 officiers mariniers, 50,784 matelots, et 8,452 novices. Les vices du gouvernement français, il faut en convenir, étaient portés à l’excès, mais ce serait un autre excès d’imaginer qu’il n’existait rien de bien. L’expérience nous donne droit de le dire : jamais on ne fera mieux sur les classes que ce qui est prescrit par l’ordonnance de 1784. Dans les réclamations qui vous sont parvenues de la part des maîtres, officiers mariniers et matelots, ils invoquent expressément l’exécution de plusieurs des articles de cette ordonnance. Cet établissement, en effet, semble avoir été porté au plus haut degré de liberté qu’il soit possible de donner sans compromettre la discipline. On en reste persuadé en voyant cet excellent esprit, ces excellentes qualités des matelots. Gardons-nous donc d’y toucher; c’est ici que l’on doit se rappeler que le mieux est l’ennemi du bien, et que tout mouvementinutile est nuisible. Dans le moral on ne peut prévoir l’effetde l’action la plus simple; le moindre poids rompt l’équilibre, peut détruire des dispositions favorables et tout renverser. Ajoutez une dernière considération : ces matelots, doués de toutes les vertus militaires, ces hommes précieux dont le courage et les travaux enrichissent les nations, jouissent de l’avantage de n’inspirer ni craintes, ni inquiétudes, et jamais ils ne peuvent être suspects de devenir un moyen d’oppression contre la liberté publique. 10° L’idée que l’on va exposer est simple : que le matelot, hors de son tour de service, soit à terre homme civil, qu’il jouisse de tous les droits de citoyens, et que ses relations avec son commissaire et son officier ne puissent avoir pour objet que sa protection et son bien-être, mais que dès l’instant qu’il sera nommé par ceux-ci pour le service, il soit considéré comme militaire, sujet à la police des ordonnances militaires, de la même manière que le soldat ; qu’il ne puisse se pourvoir à aucun tribunal civil contre sa nomination, parce que l’on ne peut supposer la possibilité qu’un commissaire et un officier violent gratuitement toute équité à-son sujet; parce que le pouvoir exécutif doit être entier et plein pour être respecté, et que l’officier et le commissaire qui auraient abusé seraient dans un état de responsabilité d’autant plus réel , qu’il n’est plus à craindre, d’après l’organisation même des municipalités, que la voix du faible puisse être étouffée. C’est d’après ces considérations, Messieurs, que nous proposons le décret suivant : « L’Assemblée « nationale, attentive à concilier les droits parti-« culiers des citoyens avec le service qui est dû à « la chose publique, a déclaré et déclare, ordonne « et décrète : « 1° Que les gens de mer et ceux qui exercent des professions relatives à la marine, continueront à être classés, pour servir, à tour de rôle et suivant les besoins de l’Etat, sur les vaisseaux de guerre ou dans les arsenaux; « 2° Que la discipline des classes, la quantité et la qualité des agents nécessaires à cette administration, continueront à appartenir au pouvoir exécutif, sous les réserves prescrites par l’Assemblée nationale sur le fait de l’économie et sur la responsabilité des ministres ; « 3° Que les dispositions concernant les classes, contenues dans l’ordonnance du 31 octobre 1784, n’oQt rien de contraire aux principes de la constitution, ni d’attentatoire à la juste liberté des citoyens. » 3e ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 19 avril 1790. Rapport fait à l'Assemblée nationale sur les dépenses et le régime économique de la marine , par M. Malouet, membre du comité de la marine (1). (Imprimé par ordre de l’Assemblée). NOTE PRÉLIMINAIRE. L’Assemblée nationale, en ajournant le décret sur les classes, a voulu connaître le plan général du comité sur l'organisation de la marine; et un honorable membre a dit, à cette occasion, qu’il était d’autaut plus nécessaire d’attendre, auon était divisé d'opinion dans le comité. , Puisqu’on a divulgué notre secret, il ny a plus rien à dissimuler. Il est certain que nous cherchons tous la vérité de bonne foi, mais que nous ne sommes pas d’accord, sur son signalement. Chargé du travail relatif aux dépenses et à l’administration, j’en ai fait, Ie rapport : cest après des discussions multipliées que j ai desire de rendre un avis commun, sans pouvoir y parvenir. Mon travail n’a point obtenu lappro-(1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. ,19 avril 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. *21 bation de la pluralité des membres du comité ; et si l’adhésion de la minorité ne m’autorisait pas à le présenter comme rapport, ce serait mon opinion personnelle que je soumettrais à l’Assemblée nationale. Cependant, si j’avais dû parler en mon nom, je n’aurais présenté ni les observations, ni les faits dans l’ordre auquel je me suis astreint, en croyant suivre ou prévenir les intentions du comité. Peut-être aurais-je osé présenter un plan d’administration plus précis; mais on en trouvera dans le rapport et le projet de décret les principes et les bases. Il pourrait même se faire qu’on me demandât pourquoi j’ai lié à des détails économiques, des principes constitutifs. Pourquoi? parce que tout ce qui compose l’armée navale étant objet de dépense, il faut bien dire ou au moins indiquer sa meilleure composition, pour en régler l’administration qui comprend également les hommes et les choses, qui atteint à tout par les dépenses; parce qu’enfin le meilleur ordre économique se lie naturellement au meilleur ordre politique. Je veux prévenir, puisque j’y suis, une autre observation. Quoique j’aie réuni à la ün du rapport tous les états énonciatifs des diverses dépenses, avec des notes sur quelques erreurs du premier rapport du comité des finances, on trouvera peut-être que je n’ai point assez détaillé chaque partie; et assurément j’aurais pu, à peu de frais, faire un volume d’explications sur les approvisionnements et les consommations des ports. Mais, outre que ce rapport est déjà assez long pour que j'eusse de la peine à le lire à haute voix dans la tribune, j’ai pensé que ce serait inutilement fatiguer l’attention de l’Assemblée, qui ordonne, quand elle le juge à propos, l’examen et la vérification des détails, mais qui ne peut entendre que des observations et des résultats. Je n’ignore pas que j’aurai des contradicteurs dans l’Assemblée et hors de l’Assemblée; mais, quand mes opinions ne seraient pas appuyées par celles de plusieurs membres du comité, je crois que je n’en serais pas moins obligé de les produire: ainsi, quel que soit le succès de mon zèle, j’aurai rempli mon devoir. rapport. > Messieurs, le rapport publié par le comité des finances vous expose dans le plus grand détail toutes les dépenses de la marine et des colonies ; ce travail, dont nous relevons quelques inexactitudes, vous fait connaître les différents objets de dépenses qui s’élèvent pour la marine à 31,236,366 livres, pendant l’année 1789, non compris les dépenses extraordinaires, et pour les colonies à 10,484,416 livres, non compris celle de 7,173,333 provenant des impôts perçus dans les colonies. Nous pensons donc qu’il convient de commencer notre rapport là où finit celui du comité des finances, et comme il ne vous a rendu compte que des dépenses estimées de l’année courante telles qu’elles ont été réduites par le ministre actuel, au commencement de l’année, nous avons dû rechercher d’abord à combien s’élevait, dans les années antérieures, cette masse de dépenses, et ce qui reste dû par le département de la marine. A partir du premier janvier 1784, époque adoptée par le comité des finances, pour distinguer celles de la paix, celles occasionnées par la guerre, jusqu'au premier septembre 1789, nous trouvons que la marine a dépensé 380,683,136 livres; ce qui donne une année commune de 63,447,172 livres Nous apercevons que, dans celte. somme, les colonies ont annuellement absorbé seize à vingt millions (1), et la marine quarante à quarante-six, et qu’il restait dû au premier septembre dernier, par le département, la somme de 73,008,665 livres. — Mais cette dette, par le paiement fait jusqu’au premier janvier 1790, se trou-vaitréduite,àcetteépoque, à 49,923,315 livres. Ces résultats n’ont d’autre authenticité que celle des bordereaux et des états qui nous ont été communiqués par l’administration, car les comptes sont arriérés de onze années. D’après ce premier aperçu, nous qyons dû entrer plus avant dans les*détails économiques de cette administration, en examiner la forme et les principes, comparer le passé au présent, et vous mettre en état de prononcer sur l’avenir. Le plan de notre travail se trouve donc déterminé par l’ordre naturel des objets que nous avons à traiter, lesquels se divisent en deux parties. La première présentera la situation de la marine actuelle et de son administration; dans la seconde, nous indiquerons les changements et les améliorations dont elle nous a paru susceptible. L’état des forces navales doit être en proportion avec les moyens naturels qui peuvent y fournir. Le premier de ces moyens n’est pas l'argent* c’est le nombre des hommes de mer, qui consistent en soixante mille effectifs (2), dont moitié; ne sont pas constamment occupés à la pêche ek à la navigation marchande. On peut donc compter pour une année de* guerre trente-cinq mille hommes disponibles pour l'armée navale, auxquels associant vingt cinq; mille recrues ou novices engagés et la garnisoa des vaisseaux, on peut armer soixante-dix à, quatre-vingt vaisseaux de ligne, soixante frégates», et autant de corvettes et flûtes. Tel est l’état relatif des forces navales que la France peut entretenir pendant la guerre, sans anéantir la course et la navigation marchande. Cette somme de force peut être accrue par ua effort momentané, mais nous ne devons déterminer ici que des bases fixes et non des combinaisons accidentelles dont les rapports et les proportions nous sont inconnus. — Il n’y a que; l’extension de la pêche et de la navigation marchande qui puisse produire un accroissement progressif de la force navale. Les mesures que je viens d’indiquer ont été celles de nos opérations pendant la dernière guerre. Depuis la paix nous n’avons pas eu constamment soixante vaisseaux de ligne en état de tenir la mer; ils y sont maintenant, il y en a même soixante-trois, et douze sur les chantiers, ce qui excède la proportion de vaisseaux qu’il convient d’entretenir à flot pendant la paix. Le comité a cru devoir la fixer à soixante, et le nombre des bâtiments inférieurs dans cette proportion ; mais il est nécessaire d’avoir en sus les bois travaillés, et tous les approvisionnements relatifs à une augmentation subite de vingt vaisseaux au moment de la guerre (3). (1) On n’a pu obtenir des états distincts de la dépens© des colonies par chaque année. (2) L’état général des classes présente 73,000 hommes classés, y compris les novices. (3) Cette mesure est d’une grande importance pour le succès, surtout des premières campagnes ; car la France 122 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ 19 avril 1790.] Or, en fixant ainsi l’état de paix à soixante vaisseaux de ligne, en entretenant le nombre actuellement existant de bâtiments à trois ponts de quatre-vingts et soixante-quatorze canons, et les bâtiments inférieurs dans cette proportion, en mettant chaque année en activité trois vaisseaux de ligne, trente frégates ou corvettes, la somme de dépense qu’exige le département de la marine, sans y comprendre les colonies, ne doit pas s’élever à plus de trente millions (1). Cependant il a été dépensé, année commune, depuis 1784, de 40 à 46 millions, sans y comprendre les colonies; et l’on avait fait chaque année des projets de dépense et des demandes de fonds qui annonçaient une moindre dépense: il faut donc se préserver pour l’avenir de sem-blabes erreurs de calculs, et chercher : 1° pourquoi la dépense effective a toujours excédé les projets et la proportion qu’elle devait avoir avec les forces navales entretenues; 2° comment la dépense peut être invariablement ramenée à de plus justes proportions, sans nuire à la force navale qu’il convient d’entretenir, et au service qu’elle doit remplir; 3° pourquoi la comptabilité de ce département est aussi arriérée, et comment elle peut être soumise à l’ordre et à l’exactitude désirable. 11 convient d’abord de vous présenter une idée nette de l’administration de la marine, de son objet, de ses moyens et de ses formes. La préparation et l’entretien des forces navales, le gouvernement des hommes et des choses qui y contribuent, leur conservation, leur réparation dans les ports et ravitaillement à la mer, voilà en quoi consiste l’administration de la marine. L’ordre, la clarté, l’économie, la responsabilité des agents d’un tel régime, voilà ce qu’on doit en attendre. Colbert le détermina d’après ces principes, qui lui ont survécu plus d’un siècle. Il crut devoir éloigner les consommateurs de la direction des consommations; il institua un ordonnateur civil dans chaque port pour diriger les approvisionnements et les dépenses; et les officiers de port, les constructeurs, les chefs des travaux étaient responsables à ce premier agent, qui l’était lui-même de toutes les opérations. L’armée navale, et tout ce qui la compose, n’étaient en action et en service qu’à la mer. La police, le régime et la comptabilité des ports furent absolument séparés, par l’ordonnance de 1689, du service, des pouvoirs et des fonctions militaires. Tels sont les principes de l’administration de la marine en Angleterre, de celles de la Hollande, de toutes les compagnies des Indes, de tous les armateurs particuliers. Cette opinion a souffert de grandes contradictions dans les ports et dans votre comité, et quels que soient, dans une telle controverse, les préjugés d’état, les intérêts personnels, on ne doit pas croire facilement que les hommes appelés à distirant du dehors la majeure partie des munitions navales , on conçoit qu’au moment d’une déclaration de guerre, si nos approvisionnements étaient interceptés, nous serions dans l’impossibilité de pourvoir tout à la fois à la défense des côtes et des colonies, de protéger le commerce et de déterminer aucune des opérations offensives et défensives qui exigent, sinon la supériorité, au moins l’égalité des forces combinées* (1) C’est le terme auquel on se réduit aujourd’hui ; mais les dépenses extraordinaires sont encore en dehors, et il faudrait les ramener en dedans, sauf les accidents imprévus. cuter les grands principes de l’administration, défendraient obstinément ceux que leur conscience réprouve ; on ne doit pas douter que des officiers, distingués par leur expérience et par leurs lumières, ne parlent d’après leur propre conviction, en soutenant qu’il faut être homme de mer pour diriger les travaux des ports, qu’ils n’ont jamais été mieux conduits que depuis qu’ils en ont été chargés ;quel’anciennne administration, dont on cite les fautes et les abus, dépensait peu, parce que la marine était sans emploi; que s’il est vrai que le corps militaire de la marine anglaise n’est chargé d’aucun service dans les ports, c’est presque toujours un officier de ce corps qui est le principal administrateur; que les marines d’Espagne, de Suède, de Danemark et de Russie ont à peu près le régime que nous avons substitué à celui de 1689; qu’en éloignant, ainsi que les Anglais, nos officiers de toute espèce de service dans les arsenaux, c’est les priver d’un grand moyen d’instruction, remplacé en Angleterre par une navigation plus active, plus continue, et par le spectacle habituel de tous les travaux, de tous les intérêts maritimes qui composent les occupations principales des Anglais. Les partisans de l’ordonnance de 1689, parmi lesquels il se trouve aussi des militaires estimés, répondent que la comparaison d’un régime à un autre ne peut se faire que par celle des principes et des effets. La comparaison des principes est de tous les temps; celle des effets exige des circonstances et des époques analogues : ainsi il ne faut pas opposer le système de Colbert, dans le long intervalle où la marine a été abandonnée en France, au système de M. de Sartine, à l’époque où les projets de guerre en Amérique ont dirigé tous nos efforts vers le rétablissement de l’armée navale. Dans les temps d’inertie, les bonnes lois sont, comme les forces physiques, sans action et sans développement. Dans les temps d’activité, les passions, les intérêts peuvent faire, à quelques égards, l’office des bonnes lois, dont on ne reconnaît l’empire et la nécessité que lorsqu’il s’agit de comparer, non pas le mouvement au mouvement, mais l’ordre au chaos, le le produit à la dépense. En revenant maintenant à la comparaison des deux époques du grand éclat de notre marine, nous trouvons que la première embrasse un intervalle de vingt-sept ans, depuis 1679 jusqu’en 1697, et la seconde ne date que de la dernière guerre. C’est dans cette première époque que tout a été créé, les ports, les arsenaux, les magasins, l’armée navale et ses succès. On sait que d’autres dépenses beaucoup moins utiles surpassèrent celles-là, et cependant Colbert, en mourant, ne laissa point les finances dans l’état d’épuisement où elles se trouvèrent dans la guerre de la Succession. La seconde époque ne nous présente en administration que des vaisseaux réparés et construits, des campagnes glorieuses, et jusqu’à nos revers attestant le zèle et la valeur de notre armée navale, mais le Trésor public épuisé par cette guerre maritime, dont il est aussi difficile d’apurer que déclasser les dépenses. Quant aux principes des deux régimes, Colbert et nos plus illustres marins, consultés pour la rédaction de l’ordonnance de 1689: Les Duquesne, les d’Estrée, les Château-Renaud, pensèrent, comme Colbert, qu’il fallait séparer l’administration économique de l’action militaire. Il est en effet très probable que la direction continue d’une multitude de détails mécaniques, [19 avril 1790.] 123 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. de travaux sédentaires, exige des hommes permanents dans le même lieu, qui n'aient d’intérêt éminent de distinction possible que par le succès de l’administration qui leur est confiée. Qu’au contraire, on charge de travaux économiques des hommes dont toutes les espérances et les vœux se dirigent sur les opérations et les succès militaires, il est naturel que leur zèle et leurs ta-ie ns se déploient là où iis peuvent avoir le plus d’éclat, et qu’ils mettent moins de suite et d’importance à des occupations obscures et paisibles. Enfin, la destination d’un officier de la marine étant ou les fatigues de la mer, ou le repos qui doit leur succéder, il y a une sorte d’inconséquence à leur assigner dans les ports un service permanent, qui paraît incompatible avec leur service ambulatoire. Cependant l’administration des ports ne pouvant s’exécuter sans une autorité active d’inspection et de police de la part des ordonnateurs, celte juridiction des officiers civils devint de plus en plus désagréable aux officiers de marine résidant dans les ports. A mesure que les prétentions des corps privilégiés se développaient avec plus de force et d’avantage, l’influence de toute autorité qui leur était étrangère, s’effacait sensiblement, et le ministère du duc de Choiseul fut la première époque de cette révolutiun, dont les progrès rapides n’ont pas peu contribué à celle qui s’opère aujourd’hui. L’état militaire avait toujours eu en France une prééminence d’opinion, il acquit alors une prépondérance effective; et ce que Louis XIV, le plus absolu de nos rois, avait soigneusement évité, ce que la noblesse de son temps aurait peut-être dédaigné, l’invasion de tous les pouvoirs, de toutes les places d’administration et magistratures supérieures, et ensuite de tous les emplois militaires, s’est exécutée de nos jours, et était devenue le partage d’une seule classe de citoyens. L’ordonnance de 1765 fut, pour le corps militaire de la marine, l’exorde du nouveau système qui devait changer l’administration des ports. A cette époque, le commandant et les officiers militaires devinrent coopérateurs des officiers civils ; de ce mélange de fonctions, de toutes les prétentions respectives et de l’inexpérience de la marche incertaine des ministres, naquirent les conflits d’autorité, la confusion, les embarras, qui s’accrurent par les nouvelles ordonnances de 1772, mais qui devait s’accroître encore par celle de 1776, laquelle a subi de nouveaux changements en 1786- Le corps militaire de la marine était parvenu, depuis plusieurs années, à un degré d’instruction et de connaissances qui présageait le zèle et l’éclat de ses services dans la guerre d’Amérique, et si les places d’administration devaient être le prix d’une grande supériorité dans les sciences exactes, dans les talents militaires, les officiers de la marine méritaient sans doute toute préférence; mais l’obscurité même de ces détails, l’assiduité qu’ils exigent, les occupations de bureau, les habitudes d’ordre et de ménage auxquelles il faut se soumettre pour les remplir avec succès, contrarient une perspective plus brillante, et semblent dès lors réclamer d’autres conditions. On ne peut revenir sur les temps antérieurs, sur cette mobilité de principes et de formes, sans se rappeler que nos ministres étaient des vice-rois, dont le pouvoir était tfès étendu; mais, avec la facilité de nos mœurs, il n’y a rien de si vacillant, rien de moins imposant que l’autorité arbitraire; rarement nous l’avons vue ferme et conséquente. ün ministre pouvait, à son gré, bouleverser son département, augmenter les dépenses, faire de nouvelles lois, accorder de nouvelles prérogatives; mais il était moins puissant pour maintenir l’ordre, l’économie, la discipline; car, à mesure que le gouvernement s’éloigne des bons principes, le bien ne se fait que par exception, et l’influence de tous les désordres s’accroît de toute la puissance publique qui les favorise. L’ordonnance de 1776 détruisit toutes les bases de celle de 1689, et, par des principes inverses, établit une hiérarchie militaire d’administration, à laquelle fut transférée la direction des travaux et conséquemment des dépenses de la marine; mais les ordonnateurs et les directeurs de ces travaux n’en furent point comptables, et pour conserver les formes de l’ancienne comptabilité, on laissa subsister les administrateurs civils, avec le droit apparent de concourir à toutes les dépenses sans aucuns moyens de les modérer. Les motifs de cette ordonnance sont que la meilleure éducation des officiers de la marine, leurs études obligées des sciences exactes, s’unissant à la pratique de la mer, les rendent infiniment plus propres que toute autre classe d’hommes à la direction des travaux des arsenaux. Il est en effet de toute impossibilité que les travaux s’exécutent sans le concours des hommes versés dans les sciences mathématiques, des officiers et des maîtres exercés à la manœuvre des vaisseaux, et au mouvement des ports et des artistes les plus distingués dans leur art: mais l’intervention des ingénieurs, des officiers de port, des officiers d’artillerie et des maîtres les plus experts des divers ateliers, a toujours été nécessaire dans les arsenaux, et l’ordonnance de 1689 les avait institués. Il s’agit de savoir si l’agence de ces différents chefs d’ouvrage doit avoir pour point de réunion et de direction un administrateur général des dépenses et des approvisionnements, qui surveille et réponde des consommations, des magasins et des ateliers, ou un commandant militaire qui n’entre dans l’administration que pour ordonner les consommations, et qui s’en sépare lorsqu’il s’agit delà comptabilité. Ou pourrait concevoir l’inspection de l’officier commandant sur l’administration comptable, mais celle du comptable sur l’administrateur commandant ne peut être que fictive et dérisoire : aussi la surveillance réciproque des deux autorités, établie par l’ordonnance de 1776, n’est-eile considérée aujourd’hui par les partisans de ce système, que comme une disposition incomplète qui se perfectionnerait en faisant disparaître tout à fait le partage de l’autorité, en la concentrant dans un seul administrateur militaire, qui aurait sous ses ordres un comptable. Mais il est, je crois, démontré que, dans toute administration, celui qui ordonne une dépense doit en rendre compte et eu répondre, car la comptabilité ne peut être que l’exposé, le résultat et les motifs de cette action. Il résulta donc du système de 1776 une multiplication d’agents et une complication de formes sans responsabilité. Le pouvoir d’administration devint une prérogative pour les officiers militaires, et l’obiigation de rendre compte une vaine formule pour les officiers civils. Un prince qui veut être absolu peut, avec quelques succès, rendre son administration militaire; et s’il est éclairé dans ses choix, sévère dans ses principes, les habitudes et le mœurs des 124 [19 avril 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. gens de guerre, rendent les formules du commandement et de l’obéissance plus actives et plus imposantes. L’ordre et l’économie sont très compatibles avec une telle administration, il ne s’agit que de faire compter et de rendre responsables ceux qui dirigent. Ainsi, la seule considération, dans une monarchie, qui doive empêcher l’influence de l’autorité militaire sur une police et un régime éco-mique,est de ne point associer l’armée au gouvernement. Mais ce qui contrarie tous les principes politiques et tous les intérêts publics, c’est de séparer, dans une administration quelconque, la responsabilité de l’influence et de l’action immédiate sur les dépenses, d’instituer des officiers administrant sans comptabilité et les officiers comptables saus responsabilité. J’observe ici que je n’appelle pas comptabilité les monceaux de papiers, de registres et d’états que l’on trouve partout, et dans lesquels on inscrit des chiffres et des valeurs : comme on ne devrait point appeler chambre des comptes le dépôt de toutes ces pièces, dans lequel se vérifie des calculs toujours justes quand on les présente à l’exainen. Ce n’est là qu’un exposé des sommes dépensées bien ou mal à propos. La comptabilité exigible de tout administrateur consiste en deux points essentiels : 1° la comparaison authentique des fonds assignés à chaque nature de dépense, et la justification de leur emploi ; 2° l’indication des motifs de tout excès de dépense sur les fonds assignés, et la preuve de leur nécessité. Une telle comptabilité n’existe point encore en France, et c’est ainsi que la nation doit près de quatre milliards sans pouvoir mettre en jugement aucun comptable, aucun administrateur, quoiqu’une telle masse de dette n’ait pût s’élever sans un gaspillage affreux ou sans déprédation. La marine a donc participé au désordre général des finances. Mais, d’une part, on avance qu’elle aurait pu s’y soustraire si on avait conservé les formes anciennes, ou si les formes nouvelles, au lieu de détendre tous les ressorts économiques, les avaient resserrés; si enfin un système de prérogatives et de pouvoirs indépendants n’avait prévalu, au commencement de la dernière guerre, sur la nécessité et les moyens de la plus sévère économie. D’une autre part, les défenseurs du régime actuel n’imputent qu’aux accidents et aux circonstances de la guerre l’épuisement du Trésor public. Les convois pris par l’ennemi; les approvisionnements renouvelés à des prix excessifs dans l’Amérique ou dans l’inde, la longue station de nos escadres dans les parages éloignés ; les morts, les désertions, les changements d’équipage d’un vaisseau à l'autre, et la difficulté de tenir les notes exactes dans un mouvement continuel en présence de l’ennemi; voilà, disent-ils, les causes du désordre dont ou se plaint. Quoi qu’il en soit, les dépenses de cette guerre ont été énormes : on en dit autant de celles de l’Angleterre ; mais celte puissance a eu pendant plusieurs campagnes jusqu’à huit cents bâtiments de guerre ou de transports, et deux cent mille hommes à sa solde en Amérique. Ce développement de forces à une telle distance de la métropole est sans exemple dans l'histoire du monde, et les Anglais ont réglé tous leurs comptes: les nôtres ne peuvent l’êire que par ta dispenseet l’impossibilité d’en rendre d’exacts; car les dépenses des escadres, étant faites par les officiers, il n’était ni facile ni juste de soumettre à toutes les précautions, à toutes les formules d’économie, des hommes que toutes les fatigues et tous les périls assaillaient à la fois. Cette considération a fait rétablir à la paix les commissaires d’escadres, mais ce n’est point par des mesures partielles que se répare une administration désorganisée dans ses principes et dans ses formes : et, comme depuis douze ans les dépenses delà marine ont excédé toutes les proportions qu’elles doivent avoir avec leur objet, il faut rétablir les bases sur lesquelles elles doivent être invariablement déterminées. J’observe donc d’abord que la force de l’armée navale doit être la mesure de la dépense annuellement nécessaire à son entretien, sous quelque dénomination de dépenses fixe ou variable qu’on considère l’emploi des fonds. On conçoit en effet que, dans l’administration des ports, tout est relatif aux vaisseaux : lasomme des approvisionnements nécessaires pour les entretenir et les armer, le nombre des officiers, des ouvriers, des administrateurs, l’entretien des magasins, des ateliers, des employés de toute espèce, les vivres, les hôpitaux, tout doit être en proportion avec le nombre des vaisseaux et le service auquel il sont destinés ; ou, si cette proportion est violée, si les frais surpassent les. produits, il est constant qu’il y a faute de combinaison et de régime. Or, en calculant la valeur totale des vaisseaux, frégates et bâtiments de guerre actuellement existants dans nos ports, on l’estime à 102 millions. Et comme la durée moyenne d’un vaisseau est estimée à dix années (1) et celle des frégates à quinze, l’entretien de l’armée navale, en construction et radoub, peut être déterminé à un dixième de sa valeur, c’est-à-dire de 10 à 11 millions. Le service actif de la marine pendant la paix se réduisant à la protection des colonies dans l’Océan, et du commerce dans la Méditerranée, on peut en estimer la dépense sur le pied qui a été réglé pour l’année 1789 à 4,800,000 livres : et les dépenses fixes qui comprennent le corps militaire , l’administration, les chiourmes, vivres, hôpitaux, consulats, les bâtiments civils, tous les entrenus n’excédant pas 13 millions (2), la dépense totale de ce département ne paraît pas devoir passer 30 millions, en ne supposant aucun approvisionnement mis en réserve chaque année, pour le temps de la guerre. Cependant, depuis 1784, la dépense a été annuellement de 40 à 46 millions, sans y comprendre les colonies portées aujourd’hui dans l’état pour (3) 10, 500, 000 livres, ce qui forme en total une somme de 40,500,000 livres; et nous voyons dans les états remis au comité, qu’en 1784, le département a dépensé 63,724,996 liv. En 1785 .................... 62,911,620 En 1786.... ................ 52,726,829 En 1787 .................... 69,272,980 En 1788 .................. 82,525,475 En 1789 .................... 49,287,186 Si l’on considère que sur toutes ces sommes, il (1) Des vaisseaux construits avec des bois de bonne qualité, et bien entretenus, doivent durer vingt ans. (2) On considère ici ces évaluations dans toute leur latitude, que l’on croit susceptible de réduction, comme on le verra ci-après. (3) il paraît que l’excès des dépenses a eu lieu principalement aux colonies, et surtout dans celles de l’Inde. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790.) n’v a rien à imputer aux dettes arriérées de la dernière guerre, et que, dans ces six années, il n’v a eu qu’un moment de préparatifs hostiles en 1787, pour lesquels on a fait un fonds extraordinaire de 14 millions, on sera, sans doute, étonné de cette masse de dépense que dirigeait cependant un ministre intègre et vigilant. Il est juste d’observer que, si l’armée navale était à la paix à peu près dans l’état où elle se trouve aujourd’hui quant au nombre des bâtiments, les magasins étaient dépourvus, les vaisseaux avaient besoin d’être réparés, et ils sont tous en état maintenant d’être armés au premier .ordre. Il n’est pas moins essentiel de remarquer que jamais la marine, pendant la paix, n’avait été dansuneaussigrande activité quant au nombre des bâtiments en commission : ainsi les fonds assignés au département ont au moins produit un entretien effectif; il aurait pu sans doute s’effectuera moins de frais ; mais, lorsqu’on manque d’une mesure exacte et de moyens réprimants dans les détails économiques, dans les dispositions qui en résultent, l’ordre ne peut être maintenu, et des incidents multipliés déconcertent tous les calculs. 11 est indispensable de connaître tous les moyens, tous ies couloirs d’une grande dépense, pour être en étal d’en déterminer la fixation raisonnable; ainsi en en présentant la somme, je dois indiquer les causes de l’excès, pour arriver ensuite aux moyens de réduction. Il y a toujours excès dans les dépenses, lorsque l’administration locale n’est pas armée d’une autorité résistante, lorsque celui qui ordonne n’est pas celui qui compte, lorsque plusieurs ont influence sur une même chose et se reposent l’un sur l’autre du soin d’agir ou d’empêcher. C’est ainsi qu’on consomme plus de vivres, d’ustensiles, de marchandises et de munitions qu’une surveillance sévère n’aurait permis d’en consommer et qu’on paye plus d’agents de toute espèce qu’il n’est nécessaire : le prix des constructions, des munitions de toute espèce augmente, non seulement dans la proportion du cours du commerce, mais plus encore par l’inexactitude des paiements. J’ai vu fréquemment 10 et 15 0/0 de différence des paiements comptant au crédit, parce qu’un engagement contracté avec un fournisseur n’exprimait autre chose que la reconnaissance de son titre, et qu’il était obligé de solliciter, d’attendre comme une grâce, l’argent qui lui était dû. Les dépenses d’armement ont eu des variations plus étranges dans les colonies, et l'on conçoit que cela doit arriver si les approvisionnements de toute espèce dont les bâtiments sont munis pour un laps de temps déterminé, peuvent être remplacés à volonté avant terme, et si les achats se font dans les colonies à des prix toujours supérieurs à ceux d’Europe. Les dépenses d’armement augmentent, si les vivres et les munitions embarqués sont légèrement mis au rebut, si les rechanges d’agrêts et apparaux se renouvellent trop fréquemment, et si les aménagements et distributions intérieurs des bâtiments sont changés arbitrairement, si le séjour dans les rades se prolonge avant le départ et à l’arivée, si les frais de conduitese multiplient d’un département à l’autre. Toutes ces causes réunies, qui tiennent absolument au régime économique, peuvent facilement doubler la dépense des consommations. Quant aux individus soldés, il n’y a encorequ’unesageécono-miequi puisseendéterminerutilementlenombreet l’emploi. Ilestàremarquerquel’ordonnancede 1776 présente l’économie comme motif principal du 125 nouveau régime. On réformait, disait-on, une partie de l’administration civile comme trop dispendieuse; il y avait alors dans les ports et dans les classes 459 employés civils de tous grades : il y en a aujourd’hui 663, et on y a ajouté 74 administrateurs militaires. Les appointements de cette administration coûtaient, en 1776,749,530 livres; ils coûtent aujourd’hui 1,272,677 livres ; et tous les frais possibles augmentent dans celte proportion. On peut dire que ce n’est pas l’ordonnance de 1776 qui a produit l’augmentation des officiers civils, puisqu’elle tendait à les réduire; mais ici le fait a prévalu sur l’intention, parce que le doublement des agents supérieurs, ayant produit celui des registres, des écritures de toute espèce, a occasionné l’augmentation du nombre des subalternes. Enfin le défaut de fixité dans la mesure des fournitures de toute espèce, le défaut de résistance aux demandes exagérées, la facilité avec laquelle on a multiplié les places et les postes soldés, doivent être considérés comme les premières causes de l’accroissement successif des dépenses. — Mais ce ne sont pas les seules; le concours et l’influence d’un grand nombre d’agents sur ces dépenses font que chacun d’eux se livre plus facilement aux considérations de faveur, de protection et d’amitié qui peuvent le déterminer, tandis qu’aucun ne prend jamais sur son compte la force négative de tous. On remarquera toujours dans l’administration les traits caractéristiques des passions qui tiennent à ses vices : ainsi, de même qu’un homme désordonné dans ses affaires est tout à la fois avare et dissipateur, difficultueux et inconsidéré, s'embarrassant sans cesse de petits détails et perdant de vue ses intérêts majeurs, de même ledépartement de la marine est depuis longtemps un abîme de papiers, de bordereaux et d’états où l’on trouverait les plus grands détails pour les plus petites dépenses, sans principes et sans moyens pour en régler l’ensemble et pour en apprécier les résultats, parce qu’on a toujours dépensé à crédit, presque toujours acheté au moment du besoin; parce que les dépenses d’une année se mêlent à celles d’une autre; parce que la surabondance des formes produit une sécurité funeste sur les mouvements d’argent et de consommations; parce que des subalternes experts dans toutes les formes d’écriture et de langue financière en ont formé un code mystérieux, que les ministres et les administrateurs ont toujours respecté comme le palladium de l’économie. Exposer les causes de l’accroissement des dépenses, c’est indiquer les moyens d’une juste appréciation; mais, avant de m’y arrêter, je dois faire connaître en quel état se trouve la comptabilité de la marine, pourquoi elle est arriérée, et comment on parviendra à la mieux ordonner. La comptabilité, qu’on a si mal à propos compliquée, n’est autre chose que les pièces justificatives d’une dépense. Il faut que ces pièces soient authentiques, voilà ce que prescrit la raison : mais leur nombre, leurs formes, la multiplicité des états et des signatures au delà du nécessaire, voilà ce qui n’importe point au maintien de l’ordre, et ce qui y nuit le plus sûrement; car l’absence d’une signature très souvent inutile, le vice textuel d’un état qui n’ajoute rien à la preuve d’une dépense, retarde la reddition d’un compte; la trop grande pluralité des signatures qui se garantissent l’une l’autre, atténue la surveillance et la responsabilité de chacun. Ensuite la diversité des pièces nécessaires à la 126 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. décharge du trésorier, nuit à la prompte expédition des comptes. Il faut, pour tel genre de dépense, rapporter une décision du ministre, pour tel autre un ordre du roi : trois, quatre, cinq officiers différents doivent signer un état ; et cependant on paie provisoirement sur l’ordre de 1’ ordonnateur, de sorte que ce n’est qu’après la dépense faite qu’on y applique les formes, et qu’on y supplée par d’autres formes, par des ordres du roi, par des lettres ministérielles, quand il y a impossibilité de remplir les premières : ainsi, toute cette science se réduit à mettre une grande importance aux formes, mais à les violer quand on le juge à propos, et à multiplier des simulacres de preuves, lorsqu’il serait si raisonnable et si utile de s’en tenir à celles qui suffisent. La Chambre des comptes a adopté et consacré toutes ces formules : cette cour, qui devrait avoir, pour être utile, l’inspection effective des dépenses, et -juridiction sur les administrateurs qui les ordonnent, déploie toute son autorité, non pas sur la conduite des comptables, mais sur la forme nominale et arithmétique des pièces qu’ils produisent ; et tel compte de la marine qui coûte 100,000 francs d’épices pour la Chambre, et qui l’occupe pendant un an, ne produit pas quelquefois pour centécus de remarque et de radiation : car la Chambre ne peut ni vérifier, ni connaître un marché onéreux, une dépense exagérée, lorsque les pièces qui les justifient matériellement, sont revêtues des formes exigées. Ainsi, l’institution de la Chambre des comptes, sagement motivée dans son origine pour surveiller les négligences et les déprédations, a été tellement altérée, et se réduit aujourd’hui à des fonctions si dérisoires, qu’on aurait lieu de s’étonner qu’ellgs puissent convenir à des magistrats, si l’on n’avait compensé leur nullité par des distinctions, des prérogatives et des émoluments correspondants à la finance de ces charges. On conçoit parfaitement que l’administration supérieure, attirant tout à elle, et ne voulant être responsable qu’au monarque, avait autant de prétextes que de facilités pour annuler la surveillance de la Chambre des comptes; mais, quels que soient aujourd’hui les formes et les principes adoptés pour le régime économique des départements, et pour les tribunaux de justice, je crois cette juridiction très importante à rétablir dans toute son étendue. Il n'est pas moins essentiel de fixer la comptabilité, et de la rappeler à ses principes primitifs, qui doivent être l’authenticité, et, autant qu’il se peut, l’évidence des recettes et des dépenses. Les paiements arriérés y nuisent infiniment; car c’est alors que les doubles emplois, les confusions de noms, les erreurs de dates, nécessitent les délais et les explications. Les paiements par acomptes ont aussi l’inconvénient de multiplier les écritures, et de favoriser les erreurs ; ainsi tout est lié, tout se tient dans un bon système d’économie. L’exactitude suit la simplicité; l’une et l’autre sont les compagnes de l’ordre, qui produit seul l’économie. Dans l’état actuel, il n’y a rien de tout cela ; les comptes sont arriérés de dix années. Ceux de la dernière guerre sont inextricables; on a dû, pendant cinq ou six ans, la solde des matelots; et les comptes d’armement, ceux de la régie des vivres, ne peuvent être définitivement arrêtés que par des ordres du roi, qui valident les pièces informes qui suppléent à celles qui manquent. Tout cet échafaudage est nécessaire pour que les comptables paraissent avec sécurité devant la Chambre des comptes. [ [19 avril 1790.] Le parti le plus sage à prendre pour l’avenir, est d’adopter les formes commerciales, qui sont les plus simples, les livres à parties doubles, certifiés par les comptables. Les extraits authentiques de ces livres doivent former le compte présenté à la Chambre, et cette cour, si elle est conservée, doit envoyer des commissaires dans les ports, quand elle le juge à propos, pour vérifier les marchés, les registres et les dépenses de toute espèce. Mais ces réflexions appartiennent à la seconde partie de ce travail; c’est en reprenant chacun des objets de dépense que nous apprécierons les changements et les améliorations dont les détails et l’ensemble de l’administration sont susceptibles. Le résumé de cet examen sera celui des principes constitutifs. SECONDE PARTIE. Le temps est arrivé où il faut convertir les paroles en effets, où des comptes rigoureux seront exigés des administrateurs, où l’on ne pourra plus se tromper impunément sur les principes et sur les conséquences, où enfin les ordonnances et les règlements d’administration seront plus immuables que les ministres. Plus de quarante ordonnances depuis trente ans, plus de six cents décisions qui les commentent ou qui y dérogent, composent aujourd’hui le code de la marine. L’ordonnance de 1776, qui en forme encore le cadre apparent, est presque effacé par les ordonnances de 1786. De cette multitude de systèmes et d’ordonnances divisés, une seule parviendra peut-être à la postérité comme elle est parvenue jusqu’à nous : c’est celle de 1689, dont toutes les nations maritimes ont extrait leur règlement; il se présente cependant, dans l’application de ces principes, des différences frappantes dans les formes d’administration adoptées en Angleterre et celles que nous suivons dans nos ports. Les Anglais n’ont ni corps, ni hiérarchie d’administration. L’amirauté, composée d’officiers de la marine et d’hommes étrangers à cette profession, emploie indifféremment dans ses arsenaux, ou d’anciens officiers qui deviennent dès lors des administrateurs civils, ou des hommes civils dont l’expérience et les lumières sont susceptibles de cette direction. Un très petit nombre de constructeurs, de maîtres d’ouvrages, de commissaires, d’officiers de ports et de commis, compose la liste des employés de chaque port. Il n’y a pas de noviciat, point de grades successifs dans cette administration ; elle est extrêmement simple et peu dispendieuse ; nous n’avons dans aucun temps, dans aucun système, atteint cette perfection. Voici les raisons qui s’y opposent : Deux cent mille matelots, vingt mille vaisseaux marchands, un nombre infini de manufactures, un commerce immense, tels sont les moyens et l’aliment de la navigation anglaise. Dans celle île célèbre, tous les travaux, tous les efforts, toutes les issues du travail et de l’industrie, aboutissent à la mer, et l’on y voit une si prodigieuse activité qu’aucun homme n’est sans emploi, et qu’un seul homme participe fréquemment aux ressources et aux occupations de plusieurs. Ainsi l’agriculteur est intéressé dans les fabriques, le frabricant dans les armements maritimes ; l’homme de guerre, les employés de l’administration ont des fonds placés dans le commerce. L’artisan, le citadin, le campagnard sont dans un mouvement continuel 127 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790.] de spéculations et d’entreprises ; l’administration trouve rarement des hommes libres de tout autre soin qui se dévouent exclusivement à celui-là. Une aisance générale dans toutes les classes du peuple annonce partout la facilité, l’habitude et la récompense du travail. Tels sont, Messieurs, les fruits de la liberté, telle est la perspective qui s’offre à nous; ah! quand on envisage le terme, quand on voit au bout de la carrière, la gloire, le bonheur, le repos, on oublie, sans doute, les fatigues et les périls de la route. Mais tous les effets d’un gouvernement vicieux subsistent encore parmi nous, et avant même les circonstances difficiles où nous nous trouvons, nous avions un sol riche et un peuple pauvre ; une industrie active, mais enchaînée; des manufactures languissantes, une multitude d’hommes manquant de travail, une navigation bornée et quatre mille vaisseaux marchands, dont la moitié encore est occupée par le commerce direct ou indirect des colonies. Ainsi les arts et les travaux productifs ne pouvant entrenir en France tous ceux qui ont besoin d’emploi pour subsister, ils s’attachent comme le lierre au tronc et aux branches du corps politique, ils affluent dans toutes les avenues de l’administration, et il faut bien, sous peine de plus grands maux, que les erreurs des gouvernements se réparent même par d’autres erreurs, et que lorsqu’ils ne savent pas protéger et multiplier les classes productives, ils occupent et fassent vivre les classes stériles. Cette considération générale serait applicable dans ses développements aux employés de tous les départements du royaume, et elle ne doit pas échapper, Messieurs, au moment d’un nouveau régime; les réformes qu’il sollicite dans toutes les parties ne sauraient être trop adoucies, trop combinées avec les ressources possibles à chaque classe d’employés. Les ressources vont se multiplier à l’infini pour la génération qui nous suit, parla seule action d’une libre industrie; mais celle qui s’avance avec nous vers la fin de sa carrière, faisons en sorte qu’elle bénisse la révolution qui s’opère ! 3e reviens au rapprochement des deux administrations maritimes de France et d’Angleterre, et déjà vous concevez, Messieurs, avec quelle facilité on trouve tous les agents, tous les moyens, toutes les fournitures des arsenaux chez un peuple né au sein de l’océan, dont la capitale immense est un port de mer et le plus riche entrepôt de commerce qu’il y ait sur le globe. Là, des compagnies puissantes sont aux ordres de l’amirauté pour faire parvenir dans les ports les munitions et les denrées de toute espèce, et ce qui forme dans notre administration un des objets de correspondance et de sollicitude continuelle, s’exécute en Angleterre par de simples mandats, sur des fournisseurs attitrés qui traitent au prix courant toujours plus facile à vérifier. Les constructions s’exécutent par de riches entrepreneurs, qui se chargent de tous les frais, et dont le compte se règle par un seul arrêté. Rien de semblable n’existe parmi nous : on ne voit dans nos arsenaux que de pauvres charpentiers, hors d’état de faire l’avance de trois mois de solde à leurs ouvriers. Enfin l’aptitude qu’ont presque tous les Anglais pour le commerce et la navigation leur fait trouver, au moment du besoin, tous les suppléments nécessaires en des agents extraordinaires, soit pour les bureaux, soit pour les chantiers, ou pour Les flottes; et la cessation de ce service momentané rend les mêmes hommes à d’autres occupations et à d’autres salaires : il en est tout autrement parmi nous. Telles sont les raisons pour lesquelles il y a dans les arsenaux anglais un moindre nombre d’administrateurs, d’ingénieurs, de commiset de maîtres entretenus que dans les nôtres. Les mêmes causes, c’est-à-dire la diversité des moyens de lucre, font que celui qui accepte à Portsmouth un traitement modique, le considère comme un accessoire à son aisance, fondée sur d’autres genres d’industrie (1). Toutes ces différences de mœurs et de situation n’empêchent qu’il n’y ait dans nos ports un trop grand nombre d’agents, en ayant même égard à la nécessité où nous sommes d’en entretenir plus que les Anglais, et de les former pour le service auquel on les destine; mais en indiquant les principes d’une réduction convenable, nous espérons que l’Assemblée approuvera que la prudence et l’équité la dirigent par des opérations successives. On demande la somme de 30 millions assignée comme dans l'état joint aux dépenses fixes et variables de la marine (2). Les approvisionnements, les travaux et les armements, c’est-à-dire l’entretien et le service actif de la flotte, entrent dans cette somme de 30 millions, pour 16,718,254 livres, dont 4,873,776 livres pour les armements. Nous pensons que le calcul de cette dépense ayant été fait avec plus de soin et plus de recherches de toutes les parties qui la composent, que dans les années antécédentes, le service qu’elle représente est à peu près estimé à sa juste valeur. Dans ce calcul ne sont pas comprises les augmentations de paye qui sont accordées, et qui, dans le compte de l’année prochaine, feront un article de supplément. Les 11 ,844,478 livres demandées pour construction, radoub et entretien des bâtiments contenant le prix des matières et main-d’œuvre, ainsi que le remplacement de tous les objets dépéris, sont aussi calculés sur des états détaillés de chaque partie de dépense, et il serait téméraire d’en fixer précisément la moins-value, d’autant que le prix des marchandises et munitions, variant annuellement, dépend aussi de l’exactitude des payements, de la confiance qu’inspire l’administration, de son intelligence à choisir les époques d’approvisionnements, et à en déterminer les conditions. Mais, quand on considère que nous sommes réduits à employer dans les arsenaux, un sixième d’ouvriers inutiles, parce qu’ils ne trouveraient pas d’emploi ailleurs, on conçoit qu’une plus grande activité dans les chantiers et dans la navigation du commerce diminuerait déjà cet article de dépense des constructions. (1) J’oserais citer ici ce que j’ai vu dans un petit port d’Angleterre, à Veymoutli ; c’est peut-être un des exemples les plus marquants d’une aisance générale. Le domestique de l’auberge où je logeais était propriétaire d’une petite maison qu’il louait aux étrangers quatre louis par semaine, et il était en même temps propriétaire de deux bateaux pêcheurs. Son salaire comme domestique était peu de chose, mais ses relations avec les étrangers et le débit sur son poisson entraient dans ses calculs; et cet homme, à six louis de gage, gagnait au moins doux mille écus par an. (2) Nous devons remarquer d’abord que dès l’annce dernière les dépenses de la marine ont subi une forte réduction, et que toutes les dispositions d’approvisionnement, construction et armement pour l’armée courante sont actuellement arrêtées. 128 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790.J Si l’on ajoute que des fournitures de bois mieux assorties, des hangars plus spacieux pour les conserver, un plus grand nombre de bassins ou de demi-formes pour y remiser les vaisseaux à l’abri des injures de l’air, prolongeraient de moitié leur durée, on restera alors convaincu que la diminution des dépenses annuelles d’entretien dépend absolument de celles faites à propos pour l’établissement complet de l’armée navale, et d’un régime bien conçu pour son administration. On estime, au surplus, que les différentes évaluations des frais de construction pour chaque rang de bâtiments, exigent de nouvelles vérifications, et qu’il n’en a pas ôté fait depuis longtemps qui permettent une fixation précise et absolue. On n’a pas de données plus positives pour la dépense des radoubs, ordinairement divisés en grands et petits radoubs : indépendamment de l’entretien journalier, qui est compté pour 960,000 livres, les radoubs sont compris pour quinze à dix-huit cent millelivres; mais il semble que des soins assidus et des réparations répétées, aussitôt qu’elles sont nécessaires, préviendraient les grands radoubs, et en réduiraient la dépense à celle d’un entretien journalier, autrement calculé qu’il ne l’est dans nos ports ; car on n’y comprend que la peinture, le calfatage; le renouvellement des tentes, et autres menus frais. C'est aux soins journaliers qu’est attachée la conservation de la flotte ; c’est en réparant, en prévenant les plus petits dommages, qu’on empêche le dépérissement d’un vaisseau; car lorsqu’il a été négligé au point d’exiger un grand radoub, il est très souvent incertain s’il ne serait pas plus économique d’y renonceret de construire un vaisseau neuf, que d’entreprendre de grandes réparations. On peut en dire autant des petits radoubs des bâtiments à armer; car en supposant les vaisseaux entretenus dans le meilleur état, ils doivent être toujours prêts à mettre en mer (1). Enfin le renouvellement des agrès et apparaux compris dans cet article, est susceptible des mêmes réflexions, en indiquant ce qu’il en coûte pour chaque chose ; on ne saurait indiquer avec la même précision ce que l’on peut gagner par une plus grande surveillance. Dans le même chapitre se trouve compris l’entretien de 1,400 petits bâtiment? pour le service intérieur des ports, coûtant 600,000 livres ; nous pensons que cet objet peut et doit être réduit d’un cinquième. C’est ici le lieu de fixer l’attention de l’Assemblée sur deux objets d’une haute importance, soit pour l’entretien de la marine à moindres frais, soit pour la prospérité intérieure du royaume. Nous sommes, comme je l’ai déjà dit, dans Ja dépendance des étrangers, pour la majeure partie des approvisionnemeritsde la marine. Nous tirons de la Baltique, de la Méditerranée et même de la Mer Noire, une grande quantité de bois et de chanvre; les productions de l’Ukraine, de la Pologne, de l’Italie, de la Livonie, arrivent ù grands frais dans nos arsenaux. Le prix des mâtures est devenu excessif. Nous consommons des bois d’Italie et d’Albanie à 6 livres le pied cube; des chanvres de Russie à 45 et 48 livres le quintal; et cepen dan t la France eût été, par un mei Heur régime (1) On no détaille point ici tous les articles énonces dans le premier rapport du comité des finances, et rappelés dans l’état n° 1. sur la culture des bois et des chanvres, sur l’aménagement des forêts, en état de fournir avec avantage à sa propre consommation. La Corse, depuis que nous la possédons, pouvait aider merveilleusementà cette économie intérieure par l’étendue de ses forêts, par là qualité précieuse de ses bois de pin, propre pour mâture et bordage. Mais faute d’un plan général et sagement combiné pour cette police, nos propres forêts ont été dévastées; un luxe dissipateur a détruit nos futaies sans proportion dans les remplacements. La reproduction des bois n’a point été encouragée; et l’exploitation de ceux de Corse, livrée à des entreprises mal conçue, faute de chemins et de canaux pour en faciliter l’exploitation, a produit une destruction prodigieuse de bois convertis en charbon, ou sacrifiés sans ménagement pour l’extraction du brai et du goudron. D’un autre côté nous avons dédaigné les chanvres de notre crû; au lieu d’en améliorer la culture et la manipulation, nous avons préféré la meilleure qualité des chanvres étrangers, et cette branche de commerce national a été négligée. Il est important de revenir, sur l’un et l’autre point, aux vues sages dont nous n’aurions pas dû nous écarter ; Inculture, l’exploitation et l’emploi deschanvres denotre crû doivent être encouragés; une moindre perfection dans la qualité ne doit pas nous soumettre aux inconvénients de la disette en temps de guerre, et à une plus forte dé-ense d’approvisionnements dans tous les temps. e soin des forêts, des dispositions plus actives pour leur conservation et leur aménagement ne sont pas moins pressantes, et je présume que l’Assemblée, dans l’aliénation des biens ecclésiastiques, trouvera juste de réserver les forêts qui se trouvent à la proximité des ports ou des rivières navigables, de les réunir au domaine national, de les soumettre à une inspection vigilante, et d’en destiner uniquement les coupes aux besoins de la marine. Le comité de la marine, en vous présentant à cet égard ses réclamations, n’oublie point que c’est au comité de commerce et d’agriculture à les apprécier et à vous proposer un plan ultérieur; il se borne donc à le solliciter. Mais ce qui nous regarde plus particulièrement, ce dont nous devons vous rendre compte, c’est la manière dont les approvisionnements des ports s’exécutent. Les ordonnances des eaux et forêts, celles de la marine, ont attribué au roi le droit de faire marquer dans les forêts même des particuliers les bois propres à la construction des vaisseaux; ils sont alors réservés jusqu’au temps de la coupe, et payés au propriétaire au prix courant ou à dire d’arbitres. Les droits de propriété ne pouvant être protégés que par la force publique, tout ce qui est nécessaire à son entretien semble devoir lui être destiné par préférence à tout autre usage, en indemnisant le propriétaire, et les bois de construction sont devenus si rares et si précieux qu’en abrogeant sur ce point-là les anciennes ordonnances, les entreprenéurs seraient hors d’état de faire les fournitures auxquelles ils se sont engagés. Ce régimedoit donc être maintenu enévitant toutelésion, tou te autre servitude pour les propriétaires de bois, que celle de la préférence à donner aux prix courants aux fournisseurs de la marine. La seconde partie des dépenses de la marine est celle qu’on appelle dépenses fixes; elle va à 13,281,746 liv. , et comprend tous les objets détaillés en l’état ci-joint ; elle s’applique principalement aux individus, officiers, soldats, maîtres en- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {19 avril 1790.] tretenus, administrateurs et agents de toute espèce employés dans les arsenaux. Le corps" d’officiers militaires y est compris pour 2,900,879 liv., formant la solde de 1,975 officiers, y compris les élèves: leur nombre ne s’élevait en 1776 qu’à mille soixante-dix-sept, et ne coûtait que 1,689,580 liv. En remontant à une époque plus reculée, qui est celle du plus grand éclat de la puissance navale de la France, en 1692. Louis XIV avait 130 vaisseaux de ligne, dont 97 armés, et 190 frégates ou moindres bâtiments, dont 84 étaient armés : à cette époque, le corps militaire était composé de 1,021 officiers, dont 849 étaient embarqués. Mais la dernière guerre ne peut être comparée à aucune autre, ni pour l’activité, ni pour la durée des campagnes qui se sont prolongées presque sans interruption pendant six années dans Fin de et en Amérique. Il était donc nécessaire d’avoir un plus grand nombre d’officiers pour suffire à tant de fatigues; et ceux qui s’y sont dévoués avec zèle ne méritaient pas à la paix de perdre leur état. Il était même impossible de mesurer sur le service de paix le nombre d’officiers à entretenir tant qu’elle dure, car on s’en trouverait dépourvu au moment de la guerre; mais l’abrogation des titres exclusifs d’admission dans le corps de la marine, donnant à cet égard plus de facilité, et ouvrant cette carrière à tous les navigateurs dont l’éducation et les études se dirigeront vers les mathématiques, il en résulte nécessairement pour l’avenir un nouveau système de composition pour le corps des officiers de vaisseaux, dont les combinaisons seront plus économiques, car l’alliance naturelle entre la navigation marchande et celle des bâtiments du roi assure un renouvellement facile d’officiers; et en réduisant à cinq ou six années de navigation, et à un examen au concours les conditions d’admission aux premiers grades d’officiers, tous les navigateurs du commerce qui auraient l’instruction et le service suffisants pourraient être reçus sous-lieutenants de vaisseaux sans appointements lorsqu’ils ne serviraient pas sur la flotte. Ainsi on pourrait supprimer les élèves entretenus et les collèges où ils sont admis au frais du roi, mais non les écoles établies dans les ports. Une partie des lieutenants pourrait avoir la liberté de servir pendant la paix dans les armements du commerce, et la dépense totale de ce corps éprouverait ainsi une grande réduction ; elle en est même susceptible dans l’état actuel, mais en pourvoyant aux indemnités et aux pensions de retraite. Un plan plus détaillé sur cette partie de service devant être présenté à l’Assemblée, nous nous dispensons d’un plus grand développement; nous pensons seulement que, dans tous les systèmes, fe corps militaire de la marine doit être maintenu dans une proportion telle qu’il s’y trouve un nombre suffisant d’officiers au moment d’une déclaration de guerre, mais qu’il ne doit pas y en avoir une telle quantité, qu’ils perdent pendant la paix l’habitude de la mer. En supposant donc que 150 officiers soient annuellement embarqués pendant la paix, et 1,300 pendant la guerre, il paraîtrait suffisant d’avoir 1,000 officiers de tout grade pendant la paix. L’usage des demi-soldes, établi en Angleterre où. les officiers ne sont tenus à aucun service lorsqu’ils ne sont pas à la mer, présenterait encore une plus grand économie. — Mais nous ne pensons pas qu’il puisse être établi parmi nous, avant les changements successifs que produiront ir# SERIE. T. XIIÏ. la nouvelle composition du corps et l’extension de la navigation marchande, qui fournirait alors des ressources et de l’emploi à ceux des officiers dont la demi-solde serait insuffisante, et le nombre en est peut-être considérable. — En général, on doit remarquer que si le nombre des officiers de la marine est trop considérable, il n’en est pas de même de leur traitement dans aucun grade. En présentant à l’Assemblée une perspective d’améliorations, sans les déterminer maintenant d’une manière absolue, nous nous trouvons arrêtés autant par les considérations ci-devant exposées que par celles des fonctions et de la surveillance du pouvoir exécutif, qui doivent s’exercer dans un espace libre pour agir utilement. Cependant, en considérant les changements opérés dans le corps militaire par l’ordonnance de 1786, on trouve qu’ils occasionnent un excédent de dépense de 993,963 livres. Savoir : pour les officiers de la marine, soit à raison des nouveaux grades, de leur distribution en escadres, et des suppléments d’appointements atribués aux états-majors de chaque escadre ............. 761 ,088 liv. Pour la direction des ports . . . 44,720 Pour la direction de l’artillerie . 25,200 Pour la direction des constructions 26,400 Pour les officiers militaires des classes ............. 120,300 Pour la direction de l’école des élèves de la marine ....... 116,200 993,908 liv. Nous pensons que les avantages de cette nouvelle (1) formation n’en compensent point la dépense, qu’il est possible de la réduire et la ramener, par des réformes successives, à la somme de 2,000,000 livres. Au surplus, nous avons déjà remarqué que nous ne considérions en cet instant le corps militaire que sous des rapports économiques et en nous rapprochant des vues les plus généralement approuvées pour sa composition. La même observation s’applique au corps des canonniers-matelots, composé de 6,051 canonniers et 162 officiers, coûtant ensemble 1,819,070 liv. Lors de cet établissement, qui date aussi de 1786, on n’approuva pas généralement que l’ancien corps très distingué des maîtres et aides-canonniers des classes, fut remplacé pour le service de l’artillerie des vaisseaux par des soldats d’infanterie, dont le zèle, la bravoure et l’application même aux exercices de l’artillerie, ne peuvent dans tous les cas suppléer à l’expérience des canonniers marins, qui étaient considérés dans nos équipages comme les hommes les plus essentiels de l’armée navale, et les premiers canonniers de l’Europe. Mais soit que la dernière formation subsiste, ou qu’on se rapproche de l’ancienne, comme cela serait désirable, il n’y aurait aucun inconvénient à réduire d’un sixième le corps d’infante-riedes canonniers-matelots actuellement existant, (1) Mon opinion personnelle est que la division du corps de la marine en escadres est une bonne opération ; mais je sais que ce n’est pas l’opinion générale. 9 130 [Assemblée nationale*] ce qui produirait sur cet objet de dépense une économie de Gent mille écus (l). Nous voici arrivés à un article de dépense qui exige plus de détails: c'est celui de l'administration des ports et des classes ; on a remarqué dans la première partie de ce rapport que, dans le système actuel, cette administration était double, de telle sorte que dans chaque détail des ports et des classes, il se trouve deux agents, l’un mili* taire, l’autre civil. On a dit (2) que ce partage de fonctions avait été motivé sur la distinction récemment imaginée entre la direction et la comptabilité des dépenses; mais comme il n’v a jamais eu de véritablement comptable que celui qui dispose de l’objet et de la matière d’un compte* et non celui qui en transcrit les pièces et les calculs, le principe d’une double agence militaire et civile dans chaque détail d’administration, né peut être plus longtemps soutenu, et èe ü’est qu’en soumettant à Une inspection efficace èt à une responsabilité rigoureuse les préposés de l’administration qu’on remplira le but auquel n’a pü atteindre i’ordon-naneèdelT76. La dépênâe dé la direction militaire dans les ports et dans les Classés, s’élève à 640,466 liv., qui servent à payer qüatré-vingt-trois officiers de la direction des ports et de l’artillerie, cinquante-quatre ingénieurs, trente et un officiers militaires des Classes, et deux cent soixante-douze maîtres attachés aux différentes directions* Les appointements de l’administration civile montent à un million trente cinq mille huit cent quatre-vingt-trois livres, qui servent à payers oixante-dix-neuf officiers d’administration des ports, soixante-huit commissaires aux classes, Cent vingt-huit syndics des classes, quatre cent Vingt-quatre commis. A cet article de dépense-, Gomposé de parties doubles, radmi'nistratîon militaire et civile des ports, radmitiistration militaire et civile des claâs'és, il faü't ajouter 150,000 livres de frais de bureaux, et 57,000 déports de lettres* La somme totale s’élève à 1,883,389 livres de laquelle il convient dé déduire les gages et appointements do doux cent-soixaüte-aôüze maîtres entretenus dans les différentes directions; car, outre que leurs services sont utiles, cette perspective d’entretien, quel qüe soit le régime des porte, est un objet d’émtilation nécessaire pour les officiers mariniers et principaux Ouvriers attachés au service des arsenaux* Les frais d’administration dans les ports et dans les classes doivent donc être estimés dans l’état actuel à 1,671,563 livres Nous pensons que cette dépense peut être réduite à douze cent mille livres, en ramenant les formes de f administration à la simplicité qui peut seule en assurer l’ordre et l’économie. Gette simplicité consiste â placer dans Chaque détail les hommes propres à les diriger, et à les subordonner à un administrateur responsable, soumis lui-même à Une inspection annuelle. L’homme le plus essentiel dans uù arsenal, c’est sans doute un ingénieur, et après lui les ouvriers par lesquels s’exécutent les ouvrages. Il est évident qu’avec des ingénieurs, des ouvriers et des matières, on peut, sans autre intermédiaire, construire, réparer des vaisseaux, et rassembler (1) L’augmentation de paye récemment accordée rendrait l’économie presque nulle* (2) Voyez l’état détaillé. [19 avril 1790,] tous les ustensiles de guerre nécessaires à une armée navale, tandis que le plus grand général et le plus habile intendant peuvent même être hors d’état de construire une chaloupe. On croirait donc qu’il ne faut que des chefs d’ouvrages et quelques commis pour régir un arsenal. Ainsi C’êât üüé espèce d’usurpation , mais une usurpation nécessaire de l’administration, de s’élever au-dessus des hommes et des choses qui constituent toute son importance. En considérant cette multitude de travaux et de mouvements dont se compose le spectacled’un arsenal, on voit tout de suite qu’il y a un grand nombre d’hommes à solder, des matières à convertir en ouvrages, des approvisionnements à renouveler, des consommations journalières à suivre et à régler, et c’est en cela que consiste l’administration ; mais pendant qu’elle dirige l’ensemble ea coordonnant les détails, l’ingénieur dirige les constructions; l’officier de port, les manœuvres et les mouvements du port; le Ghef de l’artillerie fait fabriquer ou réparer les armes ; le garde-magasin reçoit et délivre les munitions ; le chef des vivres les prépare. On enregistre ailleurs les hommes destinés à s’embarquer, ceux répartis dans les ateliers; on règle leur solde et ieur décompte; là recette des marchandises, la police des chiourmes et des hôpitaux* la revue des troupes et des ouvriers, la confection des marchés et des pièces comptables exigent d’autres préposés, et la diversité de ces soins, de ces combinaisons, tendant au même but* exige un ordonnateur unique. Plusieurs membres de votre comité pensent que cet ordonnateur devrait être, par préférence, un officier de marine retiré* et je suis moi-même convaincu que tel homme de mer ou ingénieur ferait un excellent administrateur, et devrait être préféré à tout autre ; mais je pense aussi, avec une partie du comité, qu’on ne peut se dispenser d’employer dans les ports et sur les escadres des commissaires chargés de tous les détails économiques, et qu’il doit naturellement se trouver dans cette classe des hommes capables de les diriger en chef, si leur avancement et leur instruction se trouvent combinés par des gradés et des emplois successfs sur les vaisseaux* ainsi que dans les arsenaux et ateliers du port, il est donc raisonnable de n’admettre pour cette destination aucun principe exclusif, et d’assurer à tous les hommes doués de quelque talent une perspective satisfaisante : ainsi celle de parvenir aux places supérieures doit être commune à ceux qui débutent dans les bureaux, ou comme écrivains sur les vaisseaux, de même qu’aux officiers subalternes qui servent dans les différents détails du port. Mais ce qu’il est important de déterminer, c’est le nombre des employés en tout genre; il doit être réduit d’un cinquième sur l’état actuel, lorsque les comptes arriérés auront été rendus, lorsqu’on aura supprimé les écritures et les formes abusives. A la suite des frais d’administration des ports, nous avons remarqué deux articles de dépense de quatre cent mille francs chacun, que nous croyons susceptibles d’une réduction de cent mille francs : 1’ün est pour conduites, vacations, gratifications, etc.; l’autre comprend les gages des gardiens, portiers, canotiers, etc. La régie des vivres présente une plus forte économie, en la faisant cesser et en déterminant par un traité le prix fixe de là ration. Nous ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée üationale.1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 119 avril 1790.] 131 estimons à plus de quatre cent mille francs le bénéfice net de cette opération. Nous n’avons reçu aucun renseignement positif qui puisse faire apprécier sûrement le prix auquel la ration revient à la régie ; mais nous pensons qu'il n’est pas au-dessous de dix-sept a dix-huit sols tandis qu’on pourrait traiter par contrat de quinze à seize (1). Les appointements du ministre, de ses bureaux et du conseil de marine s’élèvent à 770,900 livres à quoi il faut ajouter 400,000 livres de frais de bureaux. Nous sommes prévenus que M. le comte de la Luzerne s’est volontairement soumis à une réduction de 70,000 livres dans son traitement, et nous avons pensé qu’il en ferait une proportionnelle dans ses bureaux ainsi que dans un autre article de 260,780 livres porté en dépense pour traitement de divers officiers, employés et bureaux tant à Paris qu’à Versailles. Ges diverses sommes réunies forment un total de 1,131,680 livres. Nous pensons que cette dépense peut être réduite à 900,000 livres. Le conseil de la marine s’y trouve compris pour cinquante mille écus. Nous ne croyons pas que l’Assemblée approuve l’existence de ce conseil, tel qu’il est institué, parce que la pluralité des membres qui le composent étant chargés, sous les ordres du ministre, des principaux détails de l’administration, en exercent fictivement l’inspection qui devrait porter sur leurs propres opérations diminuent d’autant par leur influence collective la responsabilité de l’ordonnateur effectif, qui est le ministre. Mais en proposant la suppression de ce conseil, nous pensons qu’il peut être très utilement remplacé par un autre qui, sans avoir aucune part active à la direction et à l’emploi des forces navales, aurait l’inspection effective de toutes les opérations des ports et la surveillance de l’exécution des ordonnances; il exercerait en outre, sous le nom de conseil d’amirauté, une partie des fonctions du grand amiral, dont la juridiction ne peut plus exister si, comme cela est probable, les tribunaux actuels d’amirauté sont supprimés. En supposant donc que les affaires contentieuses de cette juridiction soient renvoyées aux tribunaux de commerce et d’administration maritime, le conseil d’amirauté resterait chargé de l’expédition des congés et passeports qui appartiennent au graDd amiral; et tous les droits utiles perçus à son profit, et à la charge du commerce, seraient supprimés moyennant de justes indemnités, dont on pourrait abandonner l’arbitrage à la vertu éminente du prince titulaire de cette charge. Nous réunirons dans un projet de déeret, par des déterminations positives, les vues générales que nous vous présentons, à mesure que les différents détails d’administration et de dépense sont mis sous vos yeux : nous avons préféré cette méthode successive, parce qu’après avoir posé les principes d’un régime économique, ce n’est que dans les détails successifs qu’on peut en faire une utile application. Nous ne devons point passer sous silence deux objets de dépense fixe, qui sont presque nuis en Angleterre, et qui s’élèvent pour nous à plus de cent mille écus par an : ce sont les officiers de la prévôté de la marine et les officiers de santé. (2) (1) Le bail de la régie finit en 1790. (2) Voyez l’état n® 1. L’Assemblée a déjà jugé convenable d’excepter les jugements prévôtaux de la marine du sursis prononcé sur ceux des autres prévôtés ; et cette disposition était nécessaire, car la présence d’un très grand nombre de forçats dans les arsenaux, y rendant les délits très fréquents, exige une surveillance continuelle, et un tribunal toujours en activité dans l’enceinte des arsenaux. Le prévôt de la marine n’est, dans Je fait, que le juge d’instruction et le rapporteur des procès criminels qui s’instruisentdans les arsenaux. Lorsqu’il s’agit de les régler à l’extraordinaire, le tribunal est alors composé de sept magistrats présidés par l’intendant. (1) Ce n’en est pas moins un tribunal d’exception; mais la nécessité d’une police sévère dans les arsenaux et sur les vaisseaux per-mettra-t-elle l’attribution à la justice ordinaire des délits qui s’y commettent? C’est sur quoi nous pensons que l’Assemblée voudra entendre l’avis de son comité de constitution. Les médecins et chirurgiens de la marine coûtent 226,000 livres. C’est beaucoup en temps de .paix, mais il est si important d’avoir pendant la guerre d’habiles chirurgiens qui puissent soutenir les fatigues de la mer, que l’on ne doit point regretter la dépense de cet établissement, qui se trouvera réduite, par les réformes déjà faites, à moins de 200,000 livres. Nos écoles de chirurgie, dans les ports, sont parfaitement montées, et ont produit des sujets distingués dans leur art. Ils désireraient réunifie titre de médecin, et en font véritablement le service sur les vaisseaux. Peut-être même serait-ce donner une plus grande consistance à la profession de médecin, que de l’unir inséparablement à celle de chirurgien, qui est, plus sûrement que la première, la science des corps. Nous pensons, au surplus, que ce n’est pas le moment de prononcer sur cette prétention. J’ai dit que ces deux objets de dépense étaient à peu près nuis en Angleterre, parce qu’il n’y a pas de forçats dans les ports, et qu’il y a trois ou quatre mille chirurgiens naviguant : ainsi on en trouve à volonté pour la flotte, tandis que nous sommes obligés, pendant la guerre, d’en faire venir à grands frais de la capitale. Dans le reste des articles de dépense dont nous allons vous faire l’énumération, il ne nous en reste que trois à discuter, et sur lesquels nous pensons que l’Assemblée doit prononcer; tous les autres nous ont paru peu susceptibles de discussion. La garde et l’entretien des forçats, au nombre de 6 à 7,000, coûtent annuellement 165,000 livres, sur quoi il est juste de déduire la valeur des services qu’on eu retire dans les arsenaux, où la moitié, tout au plus, est employée aux ouvrages de force, car ils ne sont envoyés qu’alternativement aux corvées de fatigue; et indépendamment des jours de repos, ceux qui, par la nature de leurs délits, sont renfermés dans le bagne, ceux qu’on occupe au service intérieur de la chiourme, et les malades à l’hôpital, ne permettent pas journellement la disposition libre de la moitié des forçats. Or, le département de la marine ne doit supporter que la portion de cette dépense véritablement applicable à ses travaux; le surplus rentre dans la classe des frais de l’administration générale du royaume; et lorsque pour la première fois lecompte (1) Ce sont dans chaque port les juges de la sénéchaussée ou du bailliage royal, qui, en se réunissant à l’intendant et au prévôt de la marine, composent ce tribunal. j 30 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790.] des dépenses de la marine sera suivi d’une responsabilité rigoureuse, il convient d’autant plus que celle-ci soit divisée, que c’est déjà une très grande charge pour l’administration de la marine, que d’avoir, dans l’intérieur des arsenaux, le dangereux dépôt d’une multitude de criminels qui y sont envoyés de toutes les parties du royaume : triste et cruel spectacle qui nous a présenté plus d’une fois celui de l’innocence opprimée, mais bientôt flétrie et corrompue par l’entourage du crime et de la misère ! Nous avons donc trouvé juste de ne comprendre dans les dépenses de la marine que la moitié de celles du traitement, et de vous proposer de comprendre à l’avenir l’autre moitié dans les fonds extraordinaires accordés à ce département : nous remarquerons ici que la cessation de la contrebande du sel opérée par vos derniers décrets, et l’abolition des peines qui en étaient la suite, diminueront à peu près d’un septième le nombre des forçats et reproduiront aussi, mais dans une moindre proportion, une diminution dans la dépense, les frais généraux de garde, de police et d’établissement restant les mêmes. La dépense relative à l’entretien des consuls de la nation dans les pays étrangers, comprise aussi dans les comptes de la marine, n’ayant aucun rapport avec l’entretien de la flotte et' des arsenaux, semble aussi devoirêtre séparée ; elle s’élèveàlasommede ..... qui nous a paru devoir être classée parmi les fonds extraordinaires, et qui est aussi susceptible d’une réduction. Enfin, nous avons trouvé juste de déduire des frais généraux de l’administration de la marine une somme de 462,918 livres formant à peu prés le quart du total, et de l’imputer sur la dépense des colonies qui doit être désormais distincte absolument de celle de la marine. D’après toutes ces observations, le comité a reconnu que pour le service de la présente année, les dépenses fixes s'élèveraient à ............... 16,718,254 iiv. l’entretien, le renouvellement et l’activité des forces navales, à. . . 13,28 1,746 Total. 30,000,000 liv. Desquels il faut déduire la dépense étrangère à la marine, et acquittée par ce département, qui monte, en y comprenant 12,000 livres pour l’entretien de phares d’Ouessant, à 1,897,898 livres; ce qui réduirait la dépense effective de la marine à 28,102,102 livres. Un fonds de supplément à employer en approvisionnement de réserve pour les cas de guerre a été estimé à 200,000 livres. Total des fonds ordinaires pour la marine 32,000,000. Nous ne diminuons point de cette somme celle des réformes et économies que nous avons indiquées, parce qu’un arrêté définitif ne peut être que le résultat d’une constitution copaplète civile et militaire. Le comité a cru devoir se borner à en présenter les principes, présumant que si l’Assemblée les adopte tels qu’ils sont exposés dans le projet de décret, le travail subséquent du ministre de la marine remplira vos intentions. Résumant donc les recherches et les observations dont nous venons de vous rendre compte, nous trouvons que, depuis 1784 jusqu’en 1789, la dépense réunie du département de la marine et des colonies a été, année commune, de 6,300,000 livres, qu’il ne nous a pas été possible de distinguer exactement dans chaque année ce qui appartient dans cette dépense à la marine proprement dite, et aux colonies ; que cette division très nécessaire n’a été bien déterminée que l’année dernière ; qu’il était dû au premier janvier 1790, sur les exercices antérieurs, 49,923,345 livres. La reddition des comptes arriérés de 1 1 années et l’excès des dépenses en ont fait rechercher les causes ; celles à la décharge de l’administration sont qu’à aucune époque de ce siècle, et dans aucun intervalle de paix, la marine n’avait été entretenue ni pour les armements, ni pour les constructions, dans une plus grande activité ; que tous les bâtiments qui composent la flotte sont en état de tenir la mer ; que les magasins, à l’exception de ceux de l’artillerie, qui ne sont pas complets (1), sont approvisionnés pour une campagne; que toutes les marchandises et munitionsnavales ont augmenté dans l’espace de dix ans, de 15 à 18 0/0. Mais, en examinant le régime administratif et toutes les variations qu’il a subies, nous avons trouvé que la division d’autorité et d’influence sur les dépenses, la séparation marquée entre la direction qui les détermine et la comptabilité qui les expose, annulaient la responsabilité ; que la multiplication des places et des agents, celle des formes illusoires, des écritures surabondantes, nuisaient à J’ordre et à l’économie; que les consommations n’avaient pas été réduites à des règles précises; que les frais de toute espèce s’étaient accrus par delà les proportions raisonnables; que le retard dans les paiements avait contribué au renchérissement dans les marchandises; que le nombre des officiers militaires et des agents de l’administration était trop considérable ; qu’un régime plus simple, et rapproché de celui de 1689, devait être invariablement établi. Considérant enfin l’administration supérieure, nous avons trouvé qu’elle était anciennement attribuée à la charge de grand amiral, qui avait la surintendance des mers et des arsenaux; que l’inconvénient sensible d’un ministère inamovible a fait réunir aux fonctions du secrétaire d’Etat toute la partie active de ce département ; qu’il n’est resté au grand amiral que des expéditions en commandement, qu’une juridiction contentieuse, exercée par ses officiers, et des droits utiles perçus à son profit ; que de telles attributions d’une dignité militaire paraissent inconciliables avec la constitution ; qu’elle peut être utilement remplacée, quant aux expéditions en commandement, par un conseil d’amirauté, qui aurait en même temps l’inspection générale du département et des détails d’exécution dans les ports. Revenant ensuite à l’examen de toutes les parties de la dépense, nous avons aperçu et indiqué les réformes et les améliorations possibles par des opérations successives. Mais la nécessité de les lier à un plan général de constitution civile et militaire, la facilité d’en tenir compte à mesure qu’elles s’opéreront, nous ont déterminés, pour cette année, à vous proposer d’accorder la somme de trente millions, demandée pour les dépenses ordinaires de la marine, et en extraordinaires celle de 3,679,548, dont nous vous exposerons particulièrement les détails. C’est d’après toutes ces considérations que votre comité a l’honneur de vous proposer deux décrets, l’un pour la détermination des principes, l’autre pour la fixation des dépenses du département de la marine. (1) Il manque 900 canons pour l’armement des vaisseaux. Il sera fait un travail particulier pour l’artillerie.