68 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE [Les représentants du peuple près les armées du Nord et de Sambre et Meuse, à la Convention nationale, le 17 fructidor an II] (141) Citoyens-C ollegues , Nous venons de découvrir à Bruxelles l’instrument horrible et barbare avec lequel les féroces ennemis du peuple français ont tenu en captivité notre infortuné collègue Drouet; sa tête et ses mains étoient enchainées et saisies tout à la fois par le mécanisme de cette infernale machine [ l’Assemblée témoigne son horreur] dont on ne trouve des exemples que parmi les tyrans de l’Europe. Nous l’adressons à la Convention nationale, afin que la publicité de cet acte de la plus cruelle barbarie inspire au peuple français la juste et profonde indignation dont il est susceptible. Les nations étrangères, celles sur-tout qui n’ont pas encore perdu toute idée de justice et d’humanité, ne pourront aussi qu’être révoltées de la conduite et du procédé exécrable des ennemis de la liberté et de l’égalité. Salut et fraternité. Signé, Briez, Bellegarde. P. S. Nous ne devons pas laisser ignorer à la Convention nationale que le projet abominable de nos ennemis étoit de faire périr notre collègue Drouet au milieu des horreurs et des angoisses de la faim et de la soif, et de la privation des choses les plus nécessaires à la vie; mais qu’il a trouvé les soins et les secours généreux d’un vrai sans-culotte, pauvre en biens, mais riche en vertus. Gérard Meunier est le nom de ce brave et digne citoyen, qui est âgé de 61 ans, chargé de dix enfans, portier à l’hôpital de la Réunion; et qui donnoit lui-même à boire et à manger à notre collègue Drouet, et lui foumissoit tout ce que nos ennemis lui refusoient. Le même citoyen nous a dit qu’il ne demandoit ni récompense, ni secours, qu’il trouvoit dans son coeur la véritable récompense de son action [V Assemblée applaudit vivement à cette action touchante ] : nous n’avons pas cru devoir rien entreprendre sur la détermination que, dans sa justice et sa sagesse, la Convention nationale jugera convenable dans cette circonstance. Signé, Haussmann, Briez, Bellegarde, Frecine, Laurent. BARÈRE : je demande que cette invention barbare soit suspendue dans la salle de la Convention {Murmures). Marat et Le Peletier, assassinés [par le fanatisme fédéraliste et royal] pour la cause de la liberté, sont exposés sanglants aux yeux du peuple; pourquoi ? pour rappeler aux patriotes qu’ils ne doivent jamais se diviser. Christophe Colomb suspendit au chevet de son lit les fers dont le chargea (141) Reproduit dans Débats, n° 721, 413-414; Bull., 24 fruct.; Moniteur, XXI, 732; Rép., n° 265; M. U., XLIII, 402- 403. Présenté dans Débats, n° 720, 405-406. Mentionné par J. Perlet, n° 718; J. Paris, n° 619; Ann. R.F., n° 283; C. Eg., n° 753; Mess. Soir, n° 753; J. Fr., n° 716; Gazette Fr., n° 985; J. Univ., n° 1751; J. Mont., n° 134; Ann. Pair., n° 618. l’ingratidude royale, après la découverte de l’Amérique. Conservons ici ceux dont fut chargé notre collègue, pour perpétuer la haine de la tyrannie et le souvenir de la reconnaissance due au citoyen qui a pris soin d’un représentant du peuple français, en butte à tous les outrages des satellites du despotisme. Les deux grands ennemis de l’aristocratie insolente qui commence à lever la tête dans les spectacles et partout, ses deux grands ennemis sont la Convention nationale et les sociétés populaires. Ce sont ces deux phalanges inexpugnables qui déconcertent les projets de Cobourg et des rois coalisés, et que l’aristocratie cherche à diviser, parce qu’elle sent que réunies elles la terrasseront. Depuis cinq ans on a employé les mêmes moyens pour ébranler ces deux colonnes de l’édifice social; mais c’est inutilement; la surveillance des sociétés populaires a sauvé la chose publique, et la Convention est là pour détruire les abus partout où il y en aura; car la Convention est autant au-dessus des factions du peuple que le peuple est au-dessus de la Convention. {On applaudit). Je demande que la mécanique dont il est question soit suspendue dans la salle {Murmures). SERGENT : Une des choses qui ont le plus attaché le peuple à la République est peut-être le spectacle déchirant du corps ensanglanté de Le Peletier porté dans toutes les rues, depuis la place des Piques jusqu’au Panthéon. Donnons souvent de pareils spectacles au peuple; que notre morale soit toute en exemple. Les représentants sauront toujours éviter les pièges de la tyrannie; mais il faut que le peuple voie sans cesse le sort que lui préparent les rois s’ils pouvaient jamais le dominer. Je demande que la mécanique soit déposée aux pieds de la statue de la Liberté, place de la Révolution, avec cette inscription : Peuples de l’univers, voilà les bienfaits de la royauté. Je demande qu’un vétéran y soit toujours en faction; qu’il instruise les enfants de l’usage qu’a fait la tyrannie de cette horrible machine. Cette leçon, dans la bouche d’un vieillard, ne pourra manquer de faire l’impression la plus profonde sur de jeunes cœurs républicains. On demande la priorité pour la proposition de Sergent; elle lui est accordée. BENTABOLE : Je demande que la lettre de nos collègues soit traduite dans toutes les langues, et qu’il en soit adressé des copies aux puissances neutres, avec le dessin de la machine. *** : Je demande que la lettre soit insérée au bulletin de la Convention, et que ce bulletin représente aussi la figure de cette mécanique (142). La Convention nationale décrète que la lettre des représentans du peuple près des armées du Nord et de Sambre et (142) Moniteur, XXI, 732. Les annotations dans le texte viennent des Débats, n° 720, 405-406. J. Paris, n° 619; Rép., n° 266.