[30 mai 1790.] 742 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. M. le dne de Lâanconrt, membre du comité de mendicité , fait, au nom des comités des rapports, de mendicité et des recherches, un rapport sur la situation de la mendicité de Paris. Ce rapport est ainsi conçu (1) : Messieurs, vous avez, il y a environ six semaines, renvoyé à votre comité de mendicité une adresse qui vous avait été présentée par la commune de Paris, pour vous prier de faire sortir de la capitale un grand nombre de mendiants étrangers qui la surchargeaient. Un des membres de ce comité vous a dernièrement rendu compte que l’assurance donnée depuis par la commune, de la diminution journalière de ces étrangers, réduits alors à un très petit nombre, avait, de concert avec M. le maire et la commune elle-même, suspendu son rapport. Les derniers mouvements arrivés dans Paris, les avis donnés de toutes parts à votre comité de recherches, l’opinion actuelle de la municipalité, vous ont fait penser que l’adresse de la commune devait être prise en nouvelle considération, et vous avez ordonné à vos comités de rapports, de recherches et de mendicité, de se réunir pour chercher à connaître si effectivement les mendiants étrangers pouvaient donner quelque inquiétude à la tranquillité de la capitale, s’ils étaien t assez nombreux pour nuire sensiblement à la subsistance de ses pauvres, et pour vous proposer alors des moyens d’écarter ce danger et ce malheur. C’est au nom de ces trois comités réunis que j’ai l’honneur de porter ici la parole ; et le projet de décret qui vous sera soumis, et qu’ils jugent instant, est le résultat de leur vœu unanime. Quelque soin qu’aient mis les districts pour découvrir le nombre des pauvres étrangers à la capitale, et qu’elle peut contenir en ce moment, nous n’avons pu en obtenir un dénombrement exact ; ces hommes, ou changeant sans cesse de logement, ou habitant dans les carrières ou dans les bois, passant même la nuit dans les rues, donnent peu de moyens de connaître leur véritable nombre : cependant il est très considérable, et les comités des recherches de l’Assemblée nationale et de Paris sont avertis qu’ils sont, en abondante quantité, envoyés des pays étrangers vers Paris, comme vers le lieu où ils trouveront sûrement des salaires sans travail. Quelle que soit l’intention de ceux qui promettent ainsi à ces malheureux un bien qu’ils savent ne pas exister, quelle que soit la crédulité de ceux-ci, toujours est-il vrai que des hommes sans argent, sans domicile, sans aveu, sont facilement à la disposition de ceux qu’un perfide et bien faux calcul porte à désirer le trouble dans leur patrie ; qu’ainsi, livrés à l’influence de ces hommes malveillants, ils attirent la calomnie sur le peuple de Paris que de funestes insinuations peuvent momentanément égarer, mais qui également soumis aux lois, comme dévoué au maintien de la Constitution, méritera à jamais le titre de bon peuple que tant d’années lui ont acquis. Toujours est-il vrai que la réunion d’un grand nombre de ces hommes est un danger pour la tranquillité publique, et qu’au péril du trouble dont ils menacent, ils ajoutent encore la positive injustice d’enlever aux pauvres de la capitale une partie de la subsistance qui leur était destinée, et d’être, à tous les titres et sous tous les rapports, un vé-table fléau pour elle. Il faut encore ajouter que ces étrangers sans aveu, fussent-ils sans danger pour la paix de Paris, auraient encore l’immoral inconvénient de multiplier la mendicité, vice destructeur de toute prospérité nationale, et qu’une bonne Constitution doit chercher à détruire jusque dans ses plus profondes racines, si elle prétend établir le bonheur public sur ses bases véritables, l’amour du travail et les mœurs. Toutes ces considérations ont fait penser à vos comités réunis qu’il était instant de porter remède à ce mal que chaque jour peut rendre plus grave. Mais quelque imminent que soit un danger, aucun moyen de le repousser ne peut être présenté à l’Assemblée nationale que dicté par la plus sévère justice. D’après ces principes que vos décrets ont consacrés, vos comités ont raisonné ainsi: La société doit à tous ses membres subsistance ou travail. Celui qui, pouvant travailler, s’y refuse, se rend coupable envers la société et perd alors tout droit à sa subsistance ; mais les membres de la société ne sont pour un État que les hommes qui sont résidants ou domiciliés dans ses limites et dont il a le droit de requérir impérieusement les secours quand sa sûreté ou sa liberté sont en danger. L’Etat n’a aucun droit de requérir, dans ces temps de crise, l’assistance d’un étranger. Cet étranger n’a donc pas droit de requérir de cet Etat, de lui assurer ou du travail ou sa subsistance ; cependant si cet étranger se trouve attaqué de maladie, l’Etat doit pourvoir à sa guérison, mais comme devoir d’humanité seulement ; il doit encore, par le même principe, pourvoir à sa subsistance s’il est en santé, jusqu’à ce qu’arrivé dans son pays, cet homme y retrouve ceux auxquels il a droit de demander du travail ou de la subsistance. Ainsi, si l’Assemblée nationale pourvoit à la subsistance des mendiants étrangers qui infestent aujourd’hui la capitale et les provinces jusqu’à ce qu’ils soient rendus dans leur patrie, elle acquitte envers eux tous les devoirs que lui impose l’humanité. Si elle fournit du travail aux hommes nés ou domiciliés en France, à qui le besoin le rend nécessaire, elle remplit son devoir comme société. Enfin, si refusant une subsistance gratuite à ceux qui, en état de travailler, préféreraient alors la pratique honteuse de la mendicité, si elle la réprime par tous les moyens dont elle peut disposer, elle achève de remplir, dans ce rapport, tous les devoirs qui lui sont imposés. Ces principes ont servi de base au décret que les trois comités vont soumettre à vos délibérations. Ils ne se dissimulent pas que ce décret n’est pas complet. Sans doute, le comité de mendicité eût désiré que les circonstances lui permissent de ne vous rien proposer de provisoire : il eût bien voulu présenter à la fois l’ensemble de son travail qui, posé sur les bases de votre Constitution, lié in-dissolument à elle, a pour objet de secourir dans tous les âges, dans toutes les positions de la vie, et dans toutes les parties du royaume, l’indigence, la faiblesseellesinfirmités, qui, proportionnant l’assistance au besoin, tend à attacher à vos décrets la classe indigente par la reconnaissance et le bonheur, et qui, enfin, substituant au mot humiliant d'aumône, ceux plus appropriés de secours et de devoir, doit ennoblir ainsi, et la (1) Ce document est incomplet au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mai 1790.] 743 nation qui donne, et le malheureux qu’elle secoure. Mais les circonstances impérieuses tous prescrivent de rendre un décret provisoire. Nous avons la confiance de penser que si celui que nous vous proposons n’est pas complet dans toutes les vues que l'ensemble du travail doit embrasser, il ne contrarie au moins aucune de celles auxquelles il est de votre justice de vous conformer. En vous proposant de donner à chaque département une somme égale pour être employée en travaux utiles, nous savons bien que nous ne suivons peut-être pas exactement la proposition des besoins de chacun d’eux, mais nous n’avions encore aucune base certaine pour rendre cette proposition équitable ; il n’est ici question que de secours accordés pour le moment, et sans que les sommes actuelles puissent influer sur les secours à prétendre pour l’avenir. Une égalité exacte dans tous les départements provoquera moins de réclamations que ne l’eût fait une mauvaise distribution proportionnelle ; enfin il n’est pas de département où les sommes que nous vous proposons d’accorder ne soient utilement employées aux travaux de chemins, de défrichements, de déssèche-ments. Sans doute, l’ouverture de ces nouveaux ateliers ; l’augmentation de secours dans les hôpitaux ; les sommes que nous vous proposons d’accorder aux départements, à mesure qu’ils seront formés, produiront un accroissement de dépense. Mais, Messieurs, vous vous êtes chargés de l’assistance des pauvres, et vous en avez fait votre devoir le plus sacré : aucun secours ne peut présenter plus d’avantage que celui de travaux à offrir, utiles aux départements ; le bien qu’en recevront la capitale et le royaume entier surpassera de beaucoup l’inconvénient de cette augmentation de dépense. Qu'il nous soit permis encore, Messieurs, de vous faire observer, que si la justice et le bien de la société nous ont fait comprendre, dans la proposition de notre décret, l’ordre d’arrêter, dans Ja capitale et dans les départements voisins, tout mendiant valide qui se refuserait au travail, nous faisons précéder cet ordre de sûreté publique, de l’offre du travail ; nous n’y comprenons, ni les malades, ni les infirmes auxquels nous assignons des soins et des asiles particuliers, et nous ne proposons d’y détenir ces mendiants valides que S’à ce que, réclamés par leurs parents ou municipalités, districts, départements, leur subsistance ultérieure puisse être assurée. Nous avons cru devoir faire précéder par ces réfexions le décret que les trois comité sont l’honneur de vous proposer unanimement : L'Assemblée nationale, informée qu’un grand nombre de mendiants étrangers au royaume, abondants de toutes parts dans Paris, y enlèvent journellement les secours destinés aux pauvres de la capitale et du royaume, et y propagent avec danger l’exemple de la mendicité qu’elle se propose d’éteindre entièrement, a décrété et décrète ce qui suit : 1° Indépendamment des ateliers déjà ouverts dans Paris, il en sera ouvert encore dans la ville et dans les environs, soit en travaux de terre pour les hommes, soit en filature pour les femmes et enfants, où seront reçus tous les pauvres domiciliés dans Paris, ou étrangers à la ville de Paris, mais Français ; 2° Tous les mendiants et gens sans aveu, étrangers au royaume, non domiciliés à Paris depuis un an, seront tenus de demander des passeports où sera indiqué la route qu’ils devront suivre pour sortir du royaume; 3° Tout mendiant né dans le royaume, mais non domicilié à Paris, depuis six mois, et qui ne voudra pas prendre d’ouvrage, sera tenu de demander un passeport où sera indiqué la route qu’il devra suivre pour se rendre à sa municipalité ; 4* Huit jours après la proclamation du présent décret, tous les pauvres valides, trouvés mendiants dans Paris, seront conduits dans les maisons destinées à les recevoir à différentes distances de la capitale, pour, de là, sur les renseignements que donneront leurs différentes déclarations, êtreren-voyés hors du royaume, s’ils sont étrangers ; ou, s’ils sont du royaume, dans leurs départements respectifs aprèsleur formation, le tout sur des pa s-seporls qui leur sont donnés. Il sera incessamment présenté à l’Assemblée un règlement provisoire pour le meilleur régime et la meilleure police de ces maisons , où le bien-être des détenus dépendra particulièrement de leur travail ; 5° Il sera, en conséquence, accordé à chaque département, quand il sera formé, une somme de 30,000 livres pour être employée en travaux utiles ; 6° La déclaration à laquelle seront soumis les mendiants conduits dans ces maisons, sera faite au maire ou autre officier municipal, en présence de deux notables; 7° Il sera accordé trois sols par lieue à tout individu porteur d’un passeport. Ce secours sera donné par les municipalités successivement de dix lieues en dix lieues. Le passeport sera visé par l’officier municipal auquel il sera présenté, et la somme qui aura été délivrée y sera relatée; 8° Tout homme qui, muni de passeport, s’écartera de la route qu’il doit tenir, ou séjournera sans ouvrage dans les lieux de son passage, sera arrêté par la garde nationale des municipalités, ou par les cavaliers de la maréchaussée des départements, et conduit au lieu de dépôt le plus prochain. Ceux-ci en rendront compte sur-le-champ aux officiers municipaux des lieux où ces hommes seront arrêtés et conduits; 9* Les municipalités des départements voisins des frontières seront tenues de prendre les mesures et les moyens ci-dessus énoncés pour envoyer hors du royaume les mendiants étrangers sans aveu qui s’y seraient introduits, ou seraient tentés de s’yintroduire ; 10° Les mendiants invalides, hors d’état de travailler, seront conduits dans les hôpitaux les plus prochains, pour y être traités, et ensuite envoyés, après leur guérison, dans leurs municipalités, munis de passeports convenables; 11° Les mendiants infirmes, les femmes et enfants hors d’état de travailler, conduits dans ces hôpitaux et ces maisons de secours, seront traités pendant leur séjour avec tous les soins dus à l’humanité souffrante ; 12° A la tête des passeports délivrés, soit pour l’intérieur du royaume, soit pour les pays étrangers, seront imprimés les articles du présent décret ; et le signalement des mendiants y sera pareillement inséré ; 13° Il sera fourni parle Trésor public les sommes nécessaires pour rembourser cette dépense extraordinaire, tant aux municipalités qu’aux hôpitaux; 14° Le roi sera supplié de donner des ordres nécessaires pour l’exécution de ce décret. Parmi les moyens de fournir du travail il en est un qui réunit tous les avantages désirables;