126 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES; [23 novembre 1790.] constances, l’affaire, sur la requête de la veuve d’un mulâtre, fut évoquée au conseil supérieur; M. Damas signa l’acte d’évocation. Je dois vous faire observer qu’antérieurement à cet acte l’assemblée coloniale avait, aux termes de vos décrets, été confirmée par les paroisses. Les nouveaux juges ont décrété quelques accusés, en ont mis en prison d’autres contre lesquels ils n’avaien t pas des preuves suffisantes : ils ont voulu les envoyer en France. C’est à cette époque que la scène a changé et que de nouveaux troubles ont pris naissance. M. Damas avait exercé sur la ville de Saint-Pierre un pouvoir absolu. Le Fort-Royal est en partie entraîné par les prisonniers des compagnies en garnison à ..... , et le détachement de Saint-Pierre arbora le pavillon national. Au mois de novembre, toutes les troupes ayant abandonné M. Damas, et étant aux ordres du parti de Saint-Pierre, les prisonniers sont mis en liberté, et l’assemblée coloniale, obligée de quitter le Fort-Royal, se retire dans une autre partie de l’île. Dans le premier moment M. Damas, dont nous ne pouvons rapporter la conduite, parce que nous n’avons pas de notions assez exactes, a paru vouloir se réunir aux troupes. Après quelques incertitudes il s’est fait le chef du parti de l’assemblée coloniale; il s’est joint à elle, aux grenadiers et à quelques officiers. M. Ghabrolles, colonel du régiment de la Martinique, est devenu chef militaire de Saint-Pierre, d’une partie du Fort-Royal, et de quelques paroisses qui avaient suivi le même parti. Telles sont les nouvelles qui nous ont été apportées par la station. Inutilement les équipages avaient voulu retenir les vaisseaux, sur lesquels la ville de Saint-Pierre avait même tiré un coup de canon. Nous n’avions aucune idée précise jusqu’au moment où la station nous a donné connaissance des faits que nous venons de vous rapporter. Nous avons cherché les moyens à employer, et nous avons cru indispensable de recourir à la force. Nous avons vu le ministre de la marine, afin qu’au moment du décret il ait fait les dispositions nécessaires. Nous nous sommes également concertés avec le ministre des affaires étrangères pour qu’il fit connaître aux puissances les motifs des armements. Mais il faut joindre aux moyens de force des moyens de sagesse. Avant d’indiquer ceux que nous avons adoptés, nous allons vous présenter de nouveaux détails. M. Damas ne s’est pas tenu pour vaincu. L’assemblée coloniale a formé un projet; elle a rassemblé un grand nombre de citoyens et de nègres auxquels elle a mis lesarmes�à la main. Quand ces troupes se sont crues assez fortes, elles ont fait une incursion vers le Fort-Royal. La ville de Saint-Pierre prétend avoir été exposée aux mêmes incursions; on a répondu par des sorties. Après une affaire particulière, il y en a eu une très grave entre une sonie du Fort-Ruya! et uu parti des troupes de l’assemblée coloniale. Nous n’avons pas de détails précis, mais il est certain que les troupes du Fort-Royal, après avoir donné dans une embuscade, ont perdu beaucoup de monde et ne sont rentrées qu’avec peine. On ne peut concevoir de trop vives inquiétudes suites événements que ces dispositions annoncent. Le Fort-Royal est redoutable, mais la ville de Saint-Pierre est ouverte et offre un pillage tenta-tif. Voici cependant une lueur d’espérance. On a eu recours à la Guadeloupe, qui a envoyé trois cents hommes et vingt commissaires conciliateurs. C’est ce que nous apprenons par les dernières nouvelles, en da(e du 6 octobre dernier. Tel est l’état des choses; tels sont les maux auxquels vous avez à remédier. Comme le décret regarde en général les colonies, j’ai encore quelques mots à ajouter. Des troubles se sont aussi manifestés à la Guadeloupe: cette colonie est également divisée en deux partis. On a à craindre les effets de la contagion. Quant à Saint-Domingue, la province du Sud est calme, celle du Nord est tranquille, et M. Peinier domine dans l’Ouest; mais si la sûreté politique y est rétablie, la sûreté civile n’y existe pas également. L’assemblée générale avait mis en mouvement un nombre considérable d’hommes dangereux à la chose publique, et plus multipliés à Saint-Domingue que dans nos autres colonies, d’hommes qui n’ont rien, qui ne font rien et qui ne peuvent exister que dans le désordre. M. Peinier n’a pas assez de troupes pour mettre la police partout; ii demande quatre mille hommes. Dans cette position, voici le résultat des recherches de votre comité. Vous avez chargé les assemblées coloniales de présenter leur vœu; les divisions de Saint-Domingue ont retardé pour longtemps cette opération, les autres colonies n’ont encore rien fait. La Martinique avait préparé des décrets de propositions: elle avait suivi les instructions à un seul article près, qui consistait à retenir la législation des gens de couleur avec la seule sanction du roi; elle s'est établie provisoirement corps administratif. En autorisant Jes colonies à statuer sur leur administration intérieure, vous ne leur avez pas attribué les fonctions des corps administratifs. Vous n’avez pas entendu qu’en aucun cas elles puissent s’occuper de la partie d’administration qui concerne nos intérêts avec les colonies, et vous avez toujours pensé que cette administration devait rester entre les mains d’officiers institués par la nation. L’assemblée coloniale de la Martinique, après s’ètre constituée corps administratif, a cru l’intendant inutile; elle a renvoyé M. Foulon, ainsi que deux de ses subordonnés, et a mis à leur place un subalterne entièrement à la disposition de l’assemblée coloniale. Ce que nous voyons de plus fâcheux, c’est le ralentissement de l’organisation des colonies. Les anciens pouvoirs sont sans force, les nouveaux tardent infiniment à s’établir. Tout annonce que les colonies n’ont pas assez de lumières. Sans leur retirer le bienfait de pouvoir proposer librement ce qu’elles croiront propre à leur prospérité, on peut les aider dans leur marche. Nous ayons pensé qu’une nouvelle instruction, qui contiendrait une véritable organisation, leur serait très utile. Chaque colonie recevrait le pouvoir do mettre à exécution, avec la sanction du gouverneur, tout ce qu’elle voudrait adopter; mais aucune ne pourrait rien exécuter de ce qu’elle modifierait. M. IHînirnave termine en proposant le décret suivant : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport du comité des colonies sur la situation de File de la Martinique, et sur les moyens de rétablir et d’assurer la tranquillité dans les colonies françaises des Antilles ; « Décrète qu’il sera incessamment envoyé des instructions dans les colonies, tendant à presser le moment de leur nouvelle organisation ; ajourne en conséquence lu délibération sur les propositions de Rassemblée coloniale de la Marti- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 novembre 1790.] nique; décrète que cette assemblée suspendra ses séances; * « Décrète que les officiers, préposés par le roi à l’administration de cette colonie, exerceront provisoirement les fonctions dont ils étaient ci-devant chargés, en ce qui concerne l’administration de la marine, guerre et finances; les actes de l’assemblée coloniale relatifs à ['établissement d’un directoire d’administration, et au renvoi de quelques-uns desdits administrateurs demeurant nuis, ainsi que le renvoi en France de deux officiers du régiment de la Martinique, effectué par la municipalité de Saint-Pierre ; « Décrète que le roi sera prié d’envoyer dans ladite colonie quatre commissaires chargés :l°de prendre des informations sur les troubles qui y ont eu lieu, leur? circonstances et leurs causes; tous décrets et jugements qui auraient pu être rendus à raison desdits troubles, demeurant suspendus ; 2° De pourvoir provisoirement à sou administration intérieure, à son approvisionnement, à la police et au rétablissement de la tranquillité; à l’effet de quoi ils recevront tous pouvoirs à ce nécessaires; et les troupes réglées, milices, gardes nationales et toutes forces de terre et de mer seront tenues d’agir à leur réquisition ; « Décrète que lesdits commissaires pourront, si les circonstances l’exigent, se transporter, ensemble ou séparément, dans les autres Des du Vent, pour y exercer les mêmes fonctions et les mômes pouvoirs, même suspendre, s’il est nécessaire, l’activité des assemblées coloniales qui y sont établies, jusqu’à l’arrivée prochaine des instructions ci-dessus annoncées ; « Décrète qu’à l’arrivée desdits commissaires, toutes fonctions et pouvoirs publics à l’établissement desquels les circonstances auraient pu donner lieu, et qui ne seraient pas fondés sur les lois, ou confirmés et délégués par lesdits commissaires, cesseront immédiatement, à peine, pour ceux qui voudraient en continuer l’exercice, d’être traités comme perturbateurs de l’ordre public ; « Décrète que le roi sera prié de faire passer dans les îles et les colonies françaises des Antilles six mille hommes de troupes de terre et quatre vaisseaux de ligne, indépendamment de ceux votés par les précédents décrets, avec le nombre d’autres bâtiments nécessaires pour le transport des troupes ; lesquelles forces seront distribuées et combinées de la manière, la plus propre à assurer la tranquillité des colonies, d’après les instructions que le roi sera prié de donner, tant au gouverneur général des îles sous le Vent, qu’à l’officier auquel il plaira à Sa Majesté de confier, dans cette circonstance, le gouvernement général de îles du Vent. « Au surplus, l’Assemblée nationale décrète provisoirement qu’il sera ouvert dans l’ile de la Martinique un second port d’entrepôt à la Trinité, et que les batiments étrangers seront admis dans celui du Fort-Royal pendant l’hivernage; maintient également provisoirement les deux entrepôts actuellement ouverts dans l’ile de Guadeloupe, à la Basse-Terre et à la Pointe-à-Pitre : le tout à la charge de se confi rmer aux règles établies par l’arrêt du conseil du 30 août 1/84. » M. ISarnavc. Ce projet de décret a élé communiqué à tous les députés des colonies à l'Assemblée nationale et aux députés du commerce; il est conforme aux demandes du Havre et à une Adresse de Marseille. Ainsi il a été examiné par 127 les parties intéressées, c’est-à-dire les colons, d’une part, et le commerce de l’autre. (On demande à aller aux voix.) M. de FoaeassU. Après un rapport aussi important, aussi volubilement prononcé, il est difficile de prendre sur-le-champ un parti. Je crois qu’il vaut mieux ajourner que de faire quelque chose de provisoire. Un comité tel que celui des colonies, aussi bien instt u it des faits qu’il paraît l'être, pourrait parfaitement nous donner en quatre jours les instructions qu’ri propose de rédiger. M. Moreau ( ci-devant de Saint-Méry). Un seul fait dans le rapport de M. Barnave m’a sensiblement affecté : c’est celui de M. Damas, qu’il a caractérisé de chef de parti; cette expression lui est sans doute échappée. Vous avons pour lui les plus grands sentiments d’estime. Le projet de décret qui vient de vous être présenté a été concerté avec les députés de commerce et même avec ceux de la ville de Saint-Pierre; si vous prononciez un ajournement, quel que court qu’il soit, il pourrait faire bien du mal. Je demande que le décret soit adopté. M. «te lâsjsiasad. Je demande que ce qui concerne Saint-Domingue soit ajourné; il y a ici des députés extraordinaires du nord de la colonie, et nous ne nous sommes pas encore concertés. M. Ilaruave. L’envoi de quelques forces n’est pas moins nécessaire à Saint-Domingue que dans quelques autres colonies. Il est fondé sur la demande de M. Peinier et sur ce qui vous a été dit par l’assemblée provinciale du Nord. Je sais que Fou aurait pu présenter un décret particulier à Saint-Domingue; mais nous avons pensé que le moyen que nous avons adopté donnera la disposition d’un plus grand nombre de forces pour la Martinique. En effet, les troupes destinées à M. Peinier pourront s’arrêter dans cette colonie avant de se rendre à Saint-Domingue. Quant à l’envoi de commissaires pour l’établissement de la nouvelle organisation, il sera temps d’y songer lorsque vous enverrez l’instruction. Je pense donc qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les diverses propositions qui vous sont présentées. (Le projet de décret, proposé par M. Barnave au nom du comité colonial est adopté.) (La séance est levée à trois heures.) AA A EXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 29 NOVEMBRE 1790. MOTION RELATIVE A J. -J. ROUSSEAU, par i&.-M. d’SSymar , député de Forcalquier (1). (Nota. Cette motion, n’ayant pu être faite à la tribune, fut imprimée et distribuée telle que nous (1) Je m’étais flatté do prononcer ce discours à la tribune de l’Assemblée nationale. Le plus heureux jour de ma vie eut été celui où, profitant du droit que me donne le caractère dont j’ai l’honneur d’être revêtu, j’aurais rendu un hommage public ù J. -J. Rousseau,