682 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1790.] municipalités précaires, et cependant je ne connais qu’une plainte contre une municipalité qui a négligé son devoir; toutes les autres ont ramené le calme dans tout le royaume. Ce n’est donc pas le cas d’effrayer en ce moment ceux qui se char-gentde fonctions publiques, toujours dangereuses. Vous avez déjà des lois qui punissent les officiers municipaux de leur négligence ; ce n'est pas en multipliant les lois que vous les ferez respecter ; c’est en faisant exécuter celles qui sont déjà faites. Je demande la question préalable sur l’article proposé. M. Duport. Il faut que le dommage soit réparé par la commune ; c’est là le vrai moyen de rétablir la fraternité entre tous les Français. Per-mettez-moi, je vous prie, une observation : s’il arrive un désordre, ou c’est la majorité qui l’a commis, et elle doit être responsable; ou c’est la minorité, et alors la majorité est encore coupable de ne pas s’y être opposée. M. Fanjuinais. Qui fait le désordre? C’est celui qui n’a rien. Qui le payera? C’est celui qui possède. Ce sont les infirmes, les vieillards, les enfants. Qu’est-ce que la responsabilité des communes? C’est la conséquence d’un principe que vous ne décrétez pas ; et ce principe, le voici : tout citoyen a le droit incontestable d’arrêter les violences. Je propose donc de décréter que tous les citoyens seront tenus d’employer, quand ils le pourront, toutes leurs forces contre les attroupements attentatoires à la sûreté des propriétés et des personnes. M. Charles de Lameth. La responsabilité des communes est un des plus sûrs moyens de rétablir la tranquillité publique. Y a-t-il rien de plus légitime que de rendre les habitants responsables, conjointement avec les personnes qu’ils ont honorées de leur confiance? Il n’est pas de meilleur moyen d’assurer le maintien de la liberté. L’article 4 mis aux voix est adopté ainsi qu’il suit : « Art. 4. Toutes les municipalités se prêteront mutuellement main forte, à leur réquisition respective ; quand elles s’y refuseront, elles seront responsables des suites du refus. » On fait lecture de l’article 5. Plusieurs membres demandent la question préalable sur cet article. Elle est mise aux voix et adoptée. On lit les articles 6 et 7 ? Un membre fait remarquer que ces articles ne présentent qu’un ordre de travail. L’Assemblée, sur cette observation, décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer quant à présent. On passe à un article additionnel proposé par M. Dupont (de Nemours) pour intéresser particulièrement les communes au maintien de la tranquillité publique. M. Dupont (de Nemours) dit que l’on a exigé que les municipalités se prêtent un mutuel secours ; il est indispensable d’exiger la responsabilité des communes. M. Fréteau. Il n’est pas possible de condamner les officiers municipaux sans leur donner recours sur les moteurs des troubles . Qui est-ce qui a amené le despotisme? C’est l’interruption des assemblées nationales depuis huit cents ans ; c’est la cessation de la responsabilité des municipalités. Vous avez perdu le jugement par jurés, parce que nos pères ont voulu se soustraire à cette responsabilité ; ils ont confié à un seul homme leur défense, plutôt que de conserver, à ce prix, le droit précieux de se défendre eux-mêmes ; mais vous ne remédierez jamais aux maux par la responsabilité des officiers municipaux, s’ils n’ont pas leur recours sur la commune ; vous allez rompre le lien civique, si vous ne rendez pas les citoyens responsables les uns envers les autres; je vous supplie donc de ne pas juger aujourd’hui une question de cette importance, si vous n’êtes pas convaincus de T utilité d’une responsabilité de cette nature. En permettant une discussion nouvelle, vous ne manquerez pas de vous convaincre de l’influence de cette loi sur la félicité publique. J’ajoute une considération très forte : la contribution pour les dédommagements devant être établie au marc la livre de l’imposition, les grands propriétaires seront garants, comme les autres, à raison de leurs propriétés. Ils ne se feront représenter alors que par des gens dont ils connaîtront la bonne foi; ils seront les premiers à réunir tous les moyens propres à écarter des insurrections funestes. Une nouvelle rédaction de l’article est présentée. L’Assemblée l’adopte en ces term es : « Art. 5. Lorsqu’il aura été causé quelque dommage par un attroupement, la commune en répondra, si elle a pu l’empêcher, sauf le recours contre les auteurs de l’attroupement ; et la responsabilité sera jugée parles tribunaux des lieux, sur la réquisition du directoire de district. » M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour, 9 heures du matin. ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 23 février 1790. — Suite de l’opinion de M. de ÜVontlo-sier sur la régénération du pouvoir exécutif. On me demande, de toutes parts, si c’est moi qui ai fait imprimer, telle qu’elle est mon opinion sur la régénération du pouvoir exécutif? Oui, c’est moi. Vous avez trouvé ces vérités dures. Il faudra bien que vous en entendiez encore, Oui, je veux la dire la vérité, je veux la dire tout entière. Apportez-moi ici toutes ces déclamations populaires qui sont si sonores et qui ont si peu de sens. Voyons à quels termes elles se réduisent : on a peur du monarque, on a peur de l’armée; on a peur de tout ce qui n’existe plus. Je ne sais pas si, dans le moment présent, de telles frayeurs peuvent être bien réelles ; mais je sais du moins qu’en exagérant sans cesse des périls imaginaires, c’est une excellente méthode pour exalter au plus haut dégré les passions du peuple, et le faire arriver ainsi de crime en crime jusqu’au dernier de tous. Insensés, vous vous croyez prudents et vous n’êtes, comme les despotes, qu’obsédés du soupçons et de terreurs. Vous vous croyez forts, et vous ne voyez pas que vous n’êtes que violents et que les hommes violents sont presque toujours lâches. Vous vous croyez braves, et où sont les armées que vous avez renversées? Vous vous [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1790.] gg� croyez sages, et où sont le bonheur et l’abondance que vous deviez répandre autour de vous? Vous vous croyez libres, ah ! oui, vous l'êtes, mais vous l’êtes comme les tyrans qui ont leur liberté et celle de tous. Mais qu’importe, nous dit-on, l’existence d’un homme à côté de celle de la société entière? Que nous importent les petits intérêts d’un monarque à côté de ceux du peuple ! C’est le peuple seul que nous aimons, c’est le peuple seul que nous voulons servir. Ah ! qu’il sera mal servi ce peuple dont les intérêts vous touchent si fort ! Les intérêts du peuple ! Tachez pourtant de ne pas oublier les vôtres. Tâchez surtout de nous faire oublier que c’est le peuple aujourd’hui qui est devenu la source presque unique des honneurs et des dignités, et que c’est toujours de ce côté-là que se tourne le langage de l’adulation et de la flatterie. Non, l’embarras ne sera plusgrandaujourd’hui de trouver des hommes qui cherchent à plaire au peuple et qui le flattent sans le servir; qu’on m’en trouve qui osent le servir sans le flatter, qu on m’en trouve qui osent lui dire qu’il est la source de tous les pouvoirs, mais qu’il n’en doit exercer aucun ; qu’il ne doit plus être sous le despotisme des nobles, des princes ou des prêtres; mais qu’il doit être sans cesse sous un despotisme plus inflexible encore : celui de la loi ; car la volonté des personnes, voilà la servitude : la volonté de la loi, voilà la liberté. Faisons mieux, ouvrons les fastes du monde, et voyons si ce n’est pas la lâche prostitution des démagogues qui corrompit toujours la liberté. Ici je ne vous parlerai pas de ceux qui prétendent parmi vous au trône des balles, tout en prêchant l’égalité, non plus que de cette foule de petits Brutus qui osent avilir le titre de roi, parce qu’ils aspirent à celui de consul ; mais je vous parlerai de ce vil courtisan du peuple qui, semblable au vil courtisan du prince, excuse ses travers, préconise ses vices, divinise jusqu’à ses passions et ses fureurs. Oui, dans l’un et l’autre je ne vois que la honte des hommes et le rebut de la société, parce que presque toujours, dans l’un et l’autre cas, c’est la ’aiblesse que je vois aux genoux de la force. C’est e crime timide que je vois encenser le crime triomphant. C’est une basse et rampante cupidité que je vois cherchant la fortune et les honneurs à travers tous les égouts du vice. Ah ! si la grandeur et le courage furent jamais d’oser dire la vérité aux peuples, le peuple et les rois n’auront jamais de meilleurs amis que ceux qui oseront leur dire la vérité. Le monarque nous importe beaucoup, disent les autres, mais la constitution n’est pas encore achevée et le pouvoir du monarque ne peut ressortir avec éclat que du complément même de la constitution. « De quelle manière entendez-vous, nous dit l’un d’entre eux, qu’on régénère le pouvoir exécutif ? Est-ce dans son rapport avec l’ordre judiciaire ? Attendez donc qu’il soit terminé. Est-ce dans son rapport avec le pouvoir militaire? Attendez donc qu’il soit organisé. Est-ce dans son rapport avec le pouvoir administratif? Attendez donc que les municipalités, les districts et les départements soient achevés. Une montre ne peut aller, ajoutent-ils, qu’autant que toutes les parties sont mises à leur place, et encore faut-il attendre qu’elle soit montée. » Et c’est avec ce pitoyable sophisme qu’on veut nous persuader que l’âme générale, l’âme qui donne la vie à toute la machine politique, doit demeurer avec elle dans un état absolu d’inaction ! Mais est-il bien vrai qu’un royaume, comme une machine, puisse demeurer ainsi dans un état de mort et d’inertie ? Et quand cela serait, les éléments qui le composent n’ont-ils pas par eux-mêmes, indépendamment du tout, une force vivante qui leur est propre, et avec laquelle ils sont forcés de se mouvoir? et tous ces mouvements particuliers, ne faut-il pas qu’ils se fassent dans un certain ordre ? Yeut-on qu’une multitude d’êtres, jetés ainsi comme dans un chaos, se heurtent et se froissent sans cesse, et ne soient redevables de leur coordination réciproque qu’au travail d’une fermentation violente? Vous voulez établir un ordre constant? Tremblez de n’en être bientôt plus maîtres. Vous voulez établir un ordre constant? Ne vous faut-il pas, en attendant, un ordre provisoire, et à mesure que certaines parties du nouvel ordre sont constituées, ne faut-il pas que le monarque entre tout entier dans les parties de ce nouvel ordre, puisque, étant partout la loi agissante, il ne saurait y avoir d’ordre sans lui?- Ne faut-il pas qu’il anime à la fois et les parties de l’ordre ancien, qui ne sont pas encore détruites, et les parties de l’ordre nouveau qui sont faites? Par quel aveuglement va-t-on investir des corporations particulières d’un pouvoir qui ne convient qu’à lui ? Par quel aveuglement va-t-on isoler ces corporations de la seule force qui doit faire la leur ? A qui obéiront-elles donc ces municipalités qui bientôt vont avoir chacune une armée à leur disposition ? Aux districts ? et les districts sans doute aux départements? et les départements à l’Assemblée nationale ; d’où il résultera en dernière analyse que le Roi, s’il veut être quelque chose dans son royaume, sera forcé de se mettre sous le commandement du Corps législatif aussi bien que des districts, des départements et des municipalités? Le voilà donc ce chef-d’œuvre sublime de politique et de Sagesse avec lequel on cherche à nous aveugler ! ou plutôt les voilà ces absurdités révoltantes qu’on veut nous forcer de dévorer ! voilà cette doctrine perverse avec laquelle on cherche à nous amener aux plus terribles événements! Mais quels sont donc ces hommes qui vont sans cesse se traînant contre terre au milieu des ténèbres dont ils cherchent à nous envelopper ? A moi, Français, ce sont les ennemis ! à moi, Français, ce sont les dévastateurs de ma patrie ! Voilà ceux qui trament et ceux qui, malheureusement peut-être, ont consommé sa ruine! Voilà ceux qui ont envoyé partout des glaives et des torches ! voilà ceux qui ont tourmenté un peuple bon et humain, et qui ont dirigé sa marche aveugle contre le prince même, son idole ! Les voilà, ces hommes féroces qui ont souillé d’horreurs les beaux jours de la liberté, qui ont tout trempé dans le sang, jusqu’à cet ornement militaire dont la couleur pure et sans tâche avait été autrefois le symbole de la candeur et de la loyauté nationale 1 Ce sont eux enfin qui exaltent et qui enivrent sans cesse ce peuple simple et crédule, qui est possédé d’eux ; car n’espérons pas de sitôt le retour du calme et de la paix. Les nuées s’accumulent et nous montrent de toute part un horizon menaçant. Bon prince 1 vos douleurs ne sont donc pas encore terminées! Vos vertus méritaient peut-être une autre récompense. Prenez, ah ! prenez dans vos bras ce cher enfant, votre espoir et le nôtre; accoutumez-le de bonne heure au récit de vos infortunes ; plongez son cœur dans le torrent de vos adversités. C’est là que son âme trempée deviendra forte. Ah ! que tous les ennemis de la patrie se précipitent contre nous, qu'ils nous entou- 684 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1790.] rent de toutes parts, qu’ils nous regardent comme des bêtes féroces regardent des proies qu’ils ont à dévorer. Qu’ils se nourrissent de notre vie ; qu’ils boivent notre sang; mais qu’ils respectent vos jours, ceux de votre épouse et de votre fils. Autrefois, la colère des dieux infernaux ne pouvait s’apaiser que par des sacrifices humains. Peuples, faites venir autour de vous ceux qui ont remplacé aujourd’hui ces anciens dieux de la terre. Les Gurtius sont prêts ; où est le gouffre et combien leur faut-il de victimes? .Deuxième suite de l'opinion de M. de Montlo-.sier, député d' Auvergne, sur la régénération du pouvoir exécutif en France. Gela est vrai, la haine est entrée dans mon cœur, cette implacable haine qu’Annibal avait vouée aux ennemis de son pays, qui lui apprit à dissoudre des rochers, à franchir des montagnes inaccessibles et à braver, au milieu de leur gloire, une troupe de brigands qui avaient l’ambition de dominer ia terre. Que les brigands qui dominent ma patrie entendent ces paroles et qu’ils frémissent : ils ont beau marcher dans les ténèbres, la lumière se fera au milieu d’eux; les enfants de la montagne, les enfants de la patrie veillent et la patrie sera sauvée. Hommes audacieux ! et pourquoiavez-vous honte de votre audace? il ne faut pas aujourd’hui beaucoupde courage pour le crime, il n’eu faut que pour la vertu; montrez-vous à découvert et que Pou sacheenfin ce que vous voulez et qui vous êtes. Nous ne les connaissons pas, et cependant ils sont partout; et nos assemblées, et nos places, et le trône, et les autels, et nos propres maisons elles-mêmes sont infectées de leur soufle impur. Maître, voyez celui qui est à vos côtés, assis à votre table, eu qui vous avez placé peut-être toute votre confiance, eh bien ! c’est celui-là même qui doit vous trahir, et qui vous livrera peut-être, ce soir, à des hommes armés de glaives et de bâtons. C’est ainsi que le père hésite auprès du fils, le frère auprès du frère, les amis auprès des amis. Une circonspection timide a remplacé sur toutes les lèvres les anciens et les plus doux épanchements; je ne sais quel morne silence règne dans toutes les bouches, tandis que la guerre est dans tous les cœurs. Bons citoyens, à quels signes pourrons-nous enfin nous reconnaître? Quel sera notre cri de ralliement, ou, pour parler un langage de paix, qu’elles sont les espérances qui nous restent et les vœux que nous avons à former? C’est d’avoir la liberté, une patrie et un roi. Qui nous donnera la liberté? c’est la loi; c’est elle qui doit protéger le travail du pauvre contre l’avidité du riche; c’est elle qui, à son tour, doit préserver la propriété du riche des regards envieux du pauvre. En un mot la loi, voilà le boulevard inébraD.lable qui doit protéger à jamais la sûreté des personnes et celle des propriétés. Qui nous donnera une patrie? une constitution? car sans constitution on peut être habitant de son pays, on n’en e t point citoyen : la loi assure la liberté civile, la constitution seule assure la liberté politique. Sans loi on n’aurait ni bonheur ni sûreté; sans constitution on n’aurait pas l’influence politique qui est nécessaire pour en assurer la durée; mais je dis une constitution et non pas un vain échafaudage créé au millieu des tempêtes et des convulsions de toutes espèces ; je dis une constitution et non pas un colosse ridicule, semblable au vaisseau d’Argos, cousu de pièces et de morceaux, sans liaison entre eux et sans cohérence; je dis une constitution et non pas une collection réglementaire, qui met l’influence civile et politique entre les mains de ceux qui ne jouissent pas, même dans le fait, de toute liberté individuelle ; qui fait que le chef de la nation, le seul de son royaume sans influence sur les lois, sans place, sans existence certaine, sans domicile, sans propriété, ne peut même pas être le premier citoyen; qui arme toutes ses passions contre toutes ses vertus, et qui, le rendant l’ennemi né de ses sujets, le met sans cese dans l’inévitable nécessité d’opprimer lalibertépnbliqueoud’êtreopprimé par elle : car voilà le roi que vous avez fait; dépositaire, inviolable à la vérité, mais non moins infortuné, d'une autorité sans cesse harcelée, sans force, sans appuis et sans dignité, il doit se trou-à la fois incapable de tout et coupable de tout. Enfin je dis une constitution, et j’entends par là un ouvrage mûr et réfléchi, qui raccorde les confiances particulières avec la confiance générale, les mouvements du prince avec ceux de la nation; les mouvements de la nation avec ceux des corporations qu’elle renferme; en un mot, un ouvrage dont les parties, ayant un sens précis et univoque, soient produites toutes à la fois du sein de la sagesse et de l’intelligence, comme on dit que Minerve sortit tout année du cerveau de Jupiter; voilà la constitution qu’il nous faut. Mais, comme on le voit, celte constitution suppose un roi car, sans roi, ou ce qui est la même chose avec un fantôme de roi, il ne faut pas espérer d’avoir jamais en France une véritable constitution. Ici je n’interrogerai pas cette foule innombrable d’atômes législateurs, d’écrivains faméliques, de journalistes incendiaires, vermisseaux politiques que la dissolution du moment a fait naître : j’interrogerai cette poignée d’hommes sages, qui, à de nombreuses observations qui leur ont donné la connaissance des hommes, joignent ces grandes lectures, ces profondes méditations qui leur ont donné la connaissance des peuples. Or, si nous portons nos regards sur tous ces anciens peuples qui n’eurent pas de roi, nous verrons qu’ils aimèrent la liberté; mais qu’ils l’aimèrent comme des amants ombrageux et jaloux, souvent jusqu’à la fureur : aussi quelle précaution ne prirent-ils pas, comme à Athènes, pour qu’une maison ne fût pas plus magnifiquement bâtie que celle d’un autre; comme à Sparte, pour empêcher qu’un particulier se distinguât par le moindre luxe; comme à Rome pour empêcher qu’il eût de trop vastes possessions, ou qu’il distribuât du pain en public; comme partout pour empêcher qu’un citoyen n’eût pas ostensiblement une trop grande faveur populaire ! Et de là, combien d’injustices de tout genre! Quelle ingratitude envers les bienfaiteurs de la patrie! Quelle altération, quel égarement dans tous les principes et dans tous les cœurs, lorsqu’on se crut forcé de récompenser les plus grands services, le salut même de la patrie par l’exil, la proscription ou la mort! G’est que ces peuples n’avaient pas de roi et qu’ils sentaient que, dans cette position, la liberté ne peut se garantir qu’avec une égalité, je ne dis pas seulement légale, mais totale et rigoureuse; c’est qu’ils sentaient que toutes les fois que le sommet du gouvernement est vide, il faut trembler et s’armer tout de suite contre ceux qui tendent à en approcher; car cette cime est d’autant plus facile à usurper qu’elle n’est pas occupée; au lieu que, dans un grand gouvernement, où les grandes inégalités sont nécessaire-