370 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il déeembre 4790.] Et du 10 : Trois maisons situées : La première, rue Dauphine, louée 1,300 livres, estimée 19,250 livres, adjugée 33,400 livres; La seconde, quai de Conty, louée 6,531 livres, estimée 75,730 livres, adjugée 138,400 livres; Et la troisième, rue Dauphine, louée 2,000 livres, estimée 27,000 livres, adjugée 51,000 livres. M. le President. L'ordre du jour est un rapport des comités des finances et de contribution sur l’ organisation du Trésor public (1). M. iicbrnn, rapporteur du comité des finances , monte à la tribune et donne lecture du rapport. (La fatigue empêchant M. Lehrun de terminer la lecture commencée, il est remplacé par M. Le Couteulx, autre membre du comité des finances.) RAPPORT ET PROJET DE DÉCRET sur V organisation du Trésor public. Messieurs, vous avez ordonné à vos comités de Constitution et de linances de vous présenter un plan d’organisation du Trésor public. Nous vous apportons leurs méditations communes sur un des objets les plus importants qui puissent appeler vos regards et notre sollicitude. Sous un gouvernement simple, l’organisation du Trésor public ne serait soumise qu’aux combinaisons de Tordre et aux calculs de l’économie. Sous un gouvernement mixte, tel queTout formé vos décrets, cette organisation exige des considérations plus élevées, et doit être réglée encore par d’autres principes. Sous l’un et sous l’autre, le mécanisme intérieur, le jeu des mouvements doivent être les mêmes, parce qu’il n’est qu’une seule méthode pour assurer l’activité dans la recette, la fidélité dans le dépôt, l’exactitude et la précision daus les versements, la simplicité, la clarté, la célérité dans les comptes. Mais sous le premier gouvernement un seul pouvoir commande à tout, surveille tout, imprime à tout et le mouvement et la forme. Sous le second, faction première, la surveillance première sont divisées; l’administration soumise à 1 influence d’un double principe doit obéir à une double force et se mouvoir dans une direction composée. Nous avons considéré d’abord l’organisation du Trésor public isolée de toute question constitutionnelle, comme nous eussions fait le Trésor d’un particulier dont la fortune approcherait de la fortune publique, qui aurait des revenus de nature différente à percevoir, des dépenses de differente nature à faire, des intérêts de dettes à payer, des capitaux à éteindre, un crédit précieux à ranimer ou à soutenir. Un tel homme, Messieurs, s’il voulait avoir une administration éclairée et en écarter la confusion et les erreurs, un tel homme établirait un ti ésorier unique, une caisse unique où viendraient se réunir tous ses revenus. A cette caisse unique il donnerait un ordonnateur unique qui presserait les recouvrements, qui combinerait la recette et la dépense, qui établirait la balance entre l’une et l’autre. (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. Il diviserait ses dépenses suivant leur nature* assignerait à chacune d’elles une somme déterminée, donnerait à chacune son payeur particulier, mais un payeur subordonné à l’ordonnateur unique et toujours présent à sa surveillance. La caisse unique aurait ses journaux, où seraient enregistrées, par ordre de date, et la recette et la dépense. Elle aurait ses livres à parties doubles, où chaque nature de recette, chaque nature de dépense aurait son compte ouvert par débit et par crédit. Pour écarter et la possibilité et le soupçon des erreurs et des infidélités, chaque pièce de recette, chaque pièce de dépense serait visée et contrôlée par d’autres agens, par d’autres bureaux étrangers aux mouvements de la caisse. Tous les jours l’état de la caisse, l’état de la recette et de la dépense seraient remis à l’ordonnateur; toutes les semaines, tous les mois, les journaux, les livres en parties doubles, seraient vérifiés et comparés avec les registres du contrôle. Chaque payeur aurait et ses journaux et ses registres à parties doubles, et son contrôle, et sa comptabilité. Chaque payeur remettrait chaque jour ses états de recette et de dépense, chaque semaine, chaque mois il serait soumis aux mêmes vérifications. Enfin, année par année, on vérifierait et on balancerait le compte de chaque nature de revenu et de chaque nature de dépense; on comparerait la totalité de la dépense avec la totalité de la recette, pour constater ou pour rétablir l'équilibre entre l’une et l’autre. De presque toutes ces opérations, Messieurs, yous en sentez et l’avantage et la nécessité; presque toutes sont d’un usage trivial, et ne sont que des moyens communs appliqués à un grand établissement» J’ai dit que l’ordonnateur serait unique, unique le trésorier et la caisse, mais que les dépenses seraient divisées, qu’on assignerait à chacune d’elles et la somme particulière, et son payeur particulier. Pourquoi, dira-t-on, le receveur unique ne sera-t-il pas le payeur unique? Pourquoi séparer les dépenses quand on réunit les revenus? Le receveur unique ne sera point le payeur unique, parce qu’un seul homme ne peut pas suffire à tous les détails. Il faut diviser et classer les dépenses, parce que qui confond des dépenses de natures différentes, ne peut jamais y porter une sévère économie. On ne pourrait qu’avec effort séparer ce qui est nécessaire de ce qui est inutile; et dans une vaste administration, tout ce qui peut ne se faire qu’avec effort, ne se fait presque jamais; un commencement de désordre appelle d’autres désordres, et les abus s’entassent sur les abus; l’œil se trouble et s’égare quand il y a tant d’objets différents à saisir et tant d’objets différents à juger. Ne comptons jamais en administration que sur la force commune des hommes, sur la mesure commune de l’esprit, sur la mesure commune de l’application, sur la mesure commune de la probité. Ce fut toujours en divisant les recettes, en affectant directement les revenus divers à diverses natures de dépenses, qu'on introduisit dans la finance le gaspillage et les déprédations. Ainsi ayant Sully, toutes les recettes particu- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [H décembre 1790.] lières étaient dispersées, et sans l’intervention du Trésor public, elles allaient s’appliquer aux. différentes natures de dépenses. De là point d’unité, par conséquent point d’ordre dans l’administration; de là la stagnation des fonds dans les caisses de ces trésoriers et de ces payeurs disséminés sur tout le territoire de la France; de là enfin l’insouciance et l’abandon du gouvernement, et le brigandage des subalternes. Le plus grand service peut-être que Sully rendit à son roi et à la patrie, ce fut celui de se rappeler ces sources éparses dans le réservoir commun, pour les répandre ensuite par des canaux fidèles dans loules les parties où le besoin et l’intérêt public en ordonnaient la distribution. Colbert, et quelques autres ministres après lui, ont marché sur ses traces, et l’abandon de leurs principes a toujours été le signal du désordre et des abus. On a réclamé une exception en faveur de la dette publique; on a dit que dans la position actuelle de l’Europe, dans la position particulière de la France, c’était le crédit qui était l’âme véritable d’une nation; qu’il ne pouvait exister de crédit si la dette publique n’était inviolable et dans ses capitaux, et dans ses intérêts; qu’il fallait donc assigner à la dette publique un gage que rien ne pût lui ravir, qu’il lui fallait par conséquent un revenu propre, une caisse parti-culièie, des administrateurs et une administration indépendante de toutes les autres administrations. Ceux qui ont hasardé cette idée se reportent encore à ce temps où la France n’avait qu’un maître, et point de lois que les volontés du maître; où le maître n’avait que des ministres asservis aux caprices et aux prodigalités de la cour. Sans doute alors s’il eût été possible de donner à la dette publique un gage que le pouvoir des ministres n’eût pas pu atteindre, de lui créer une caisse dont ils n’eussent pu approcher, sans doute alors le crédit de la France eût été inaltérable. Mais un gage inviolable, une caisse inaccessible au pouvoir souverain, sont des chimères dans une monarchie absolue; et sous une Constitution libre, tout gage décrété par la nation est inviolable, toute caisse qui appartient à la nation est à l’abri de toutes les atteintes et de tous les abus. Si vous demandez encore pour la dette publique un gage particulier, une caisse séparée, vous ne croyez pas encore à la liberlé. Il n’est pas possible que le Trésor public soit esclave, et la caisse de la dette indépendante; il faut que tous deux soient sacrés et inviolables, ou aucun des deux ne peut l’être. On ne le croit pas : eh bien, il faut qu’on s’accoutume à le croire, il faut que l’opinion que vous avez, que vous devez avoir de votre liberté, maîtrise l’opinion publique, et qu’on ne puisse pas vous reprocher d’avoir vous-mêmes par vos doutes et vos incertitudes, ébranlé votre propre ouvrage. Cependant , Messieurs, vous avez une caisse de l’extraordinaire; cette caisse formée dans un temps où vous croyiez devoir donner ce support à la confiance publique qui doutait encore de vos succès ; celte caisse qui n’a été créée que pour des opérations passagères, votre comité ne vous proposera point de la supprimer. Il faut attendre que ces opérations soient par-371 venues à leur terme, et que l’opinion repose sur l’appui de la tranquillité publique. Nous avons dit qu’un sage administrateur diviserait ses dépenses, assignerait à chacune son fonds, son payeur à chacune, mais un payeur subordonné, un payeur qui ne recevrait qu’en raison des besoins et de la dépense effective. Dans quelqu’administration que ce soit, Messieurs, il faut une organisation simple, il faut que l’administration descende par degrés, et qu’à chaque degré soit placé un ordonnateur subordonné à l’ordonnateur premier, un surveillant qui puisse, d’un seul coup d’œil, embrasser toute la partie qui lui est confiée. Si à une seule caisse vous donniez et tous les détails de la recette et le détail confus de toutes les dépenses partielles, vous n’auriez plus d'ensemble, vous n’auriez plus d’ordre, vous n’auriez plus de comptabilité. Ce n’est pas un seul homme qui pourra faire mouvoir tant de ressorts à la fois, qui pourra, dans le même jour, classer et faire classer les recettes et les dépenses, réunir ce qui est homogène, séparer ce qui est dissemblable. Il faudra donc, dans la même partie, et plusieurs ordonnateurs et plusieurs surveillants; dès lors l’harmonie vous manque, et la clarté et la précision, et cette responsabilité même qui n’a plus de force quand elle est divisée. Dans un grand gouvernement vous avez un intérêt de plus; toutes les parties de votre dépense sont ordonnées par des agents du pouvoir exécutif; il faut pour que la responsabilité pèse sur eux avec sa main de fer, il faut qu’ils aient un pouvoir libre dans la sphère de leur activité. Il faut donc qu’un payeur particulier réponde à leurs ordres, que les détails de leur département ne soient point mêlés avec d’autres détails. Il faut, par conséquent, que la guerre ait son payeur, la marine son payeur, quelques dépenses diverses, qui ne répondent à aucun département particulier leur payeur commun; enfin, il faut un payeur ou des payeurs aux intérêts de la dette. Il faut un payeur ou des payeurs aux intérêts de la dette, parce que la dette veut son régime à part, ses formes, sa comptabilité, sa garantie. Parce qu’il est important d’en suivre les mouvements et les variations, la composition, la décomposition des éléments dont elle est formée, ses décroissements et ses extinctions successives. Ici, Messieurs, c’est en mon nom que je vais vous parler. Le vœu de la majorité du comité des finances aura un autre organe, un organe plus éloquent. Je défendrais mal une opinion que je réprouve. C’est donc la mienne que je vais développer avec toute la force de la conscience et de la vérité. Si la dette publique est bornée, un payeur seul suffit; si elle est immense, et dans sa somme et dans ses détails, il faut multiplier les payeurs pour multiplier la garantie, pour assurer et la régularité du service et l’ordre de la comptabilité. On a dit quelquefois dans cette tribune, il faut le rappeler ici pour qu’on ne soit plus tenté de le redire, on a dit que les intérêts de la dette publique pouvaient être payés au Trésor public. Qu’ils y seraient mieux payés, moins chèrement payés que par les payeurs des rentes. Personne, que l’on sache, n’a dit que les rentes ne pussent pas être absolument payées au Trésor public. On a dit, on le répète, que les rentes y seraient 372 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 décembre 1790.) mal payées, si on laisse à la dette constituée sa forme actuelle. Qu’elles y seraient plus chèrement payées sous cette forme. Qu’elles y seraient moins sûrement payées. Qu’elles n’y seraient pas plus promptement payées. Et en effet, le payement actuel des intérêts de notre dette consiituée exige des vérifications de titres, des vérifications d’actes de baptêmes, d’actes de mariages, d’extraits mortuaires, de saisies et oppositions, de certificats de vie. Ce n’est point à la vigilance d’un commis que de pareilles opérations peuvent être confiées ; il y faut et le coup d’œil et la garantie, et la solvabilité d’un payeur qui réponde de ses erreurs et de ses distractions. Vous ne livrerez pas le Trésor public à l’affluence, à la rumeur des rentiers. Il vous faudra donc un établissement à part et toutes les dépenses qu’entraîne un pareil établissement; vous aurez donc, sous le nom du Trésor public, de véritables payeurs des rentes aussi loin que les payeurs actuels de votre surveillance, et qui, parce qu’ils n’auront qu’une vaine garantie, une solvabilité nulle, devront être soumis à une surveillance plus rigoureuse. Ils ne payeront pas plus promptement, car, pour payer plus promptement, il faudrait que vous leur fournissiez plus de fonds, et vous ne sauriez leur en fournir qu’en proportion de votre recette. Votre recette ne se fait que mois par mois; il faut donc que votre dépense suive le même cours, ou que vous la rapprochiez par des anticipations ou des emprunts. On simplifiera, dit-on, toutes ces vieilles formes embarrassantes pour le créancier, embarrassantes pour le payeur, et gui jettent d’inutiles épines dans la comptabilité. On fera enfin du payement des rentes une affaire aussi courante que les payements d’un banquier. Qui, vous pouvez changer l’état de votre dette, anéantir tous les titres actuels, et ouvrir à vos créanciers un simple compte sur les livres du Trésor public, ou plutôt d’une banque subordonnée au Trésor public. Alors vous ferez vos payements avec aussi peu de frais qu’aujourd’hui; vous les ferez avec moins de frais peut-èlre qu’aujourd’hui; vous pourrez les faire bien plus promptement qu’aujourd’hui. Mais d’abord n’est-ce rien que de dénaturer tous les titres de vos créanciers? Dans la forme actuelle, les titres qui constatent leurs droits sont déposés (liez un notaire; une expédition en est dans leurs mains, un double registre, déposé dans les bureaux de l’administration, en atteste l’existence et la date. On les retrouve dans les sommiers, dans les journaux des payeurs, dans leurs comptes, clans les archives où reposent leurs comptes. Si vous réduisez tous ces témoignages au témoignage d’un livre de banque, il semblera que vous laites évanouir toutes ces propriétés, en leur ôtant tous les appuis qui les rendaient tixes et immuables. L’inquiétude s’emparera de toutes les familles. Point de femme qui ne craigne pour sa dot, point de liis qui ne tremble pour l’héritage qui lui est promis, point de créancier qui ne soit alarmé sur son hypothèque. Si vous payez dans un simple bureau du Trésor public, vous n’avez de garantie que l’ordre et la surveillance; si comme l’Angleterre vous payez à l’aide d’une banque particulière, d’une banque riche d’un capital immense, alors et vos créanciers et vous-mêmes vous êtes tranquilles. Mais cette banque fera toujours ce que font vos payeurs de rentes, elle en aura les fonctions et la solvabilité : mais cette banque vous fera payer aussi son ministère. Les payeurs des rentes ne vous coûteront que 600,000 livres pour payer plus de 200 millions; il n’est point de banque qui puisse payer à meilleur marché; il n’en est point qui veuille payer à ce prix les arrérages d’une dette constituée comme la vôtre. J’ajoute qu’en transformant votre dette, vous perdrez un revenu de plus de 400,000 livres. En effet, les droits divers que vous percevez sur les contrats, sur les reconstitutions, sur les saisies, sur les oppositions, sur les quittances, s’élèvent au moins jusque-là, et diminuent d’autant les 600,000 livres que vous coûte le payement des rentes. Dans cette forme nouvelle, comme dans l’ancienne, vous ne pourrez accélérer les payements qu’en anticipant sur vos revenus; et cette anticipation, onéreuse pour le Trésor public, serait sans intérêt pour vos créanciers. Quand les payements ont un cours réglé, vos créanciers reçoivent une année dans une année. La célérité plus ou moins grande les laissera toujours-là ; observez encore que toute transformation de dette exige une liquidation ; que toute liquidation d’une dette telle que la vôtre demanderait une multitude d’agents ; que, quel que soit le choix de ces agents, ils tiendront dans leurs mains de grands moyens d’exagérer votre dette ; que leurs opérations seront longues et interminables ; qu’elles fatigueront la patience de vos créanciers. On me dit que nos formes de payements sont ennemies du crédit public, qu’elles repoussent l’étranger et rejettent à nos rivaux des capitaux que la confiance nous aurait livrés. Je n’examine point ce qu’il peut y avoir d’exagéré dans ce raisonnement. 11 ne s’agit point aujourd’hui d’emprunts. Si jamais vous êtes forcés d’emprunter, vous consulterez alors la convenance des capitalistes, vous donnerez aux emprunts les formes que commanderont les circonstances et vos besoins : mais votre dette est formée. 11 ne dépend plus de vos créanciers d’en altérer les conditions ; et quelles que soient vos formes, ils en ont subi toute la rigueur. Votre crédit ne dépend donc plus des combinaisons passées, il dépend de la sagesse de votre administration. Il dépend de la solidité des gages que vous aurez à offrir ; et quand ces gages seront plus assurés que ceux que les autres nations pourraient présenter, vous aurez, en dépit de toutes les formes, le crédit le plus réel et le plus étendu. Qu’on cesse donc enfin de tourmenter l’opinion publique, et d’appeler d’inutiles, de dangereux changements. Vous avez fait tout ce que vous deviez faire pour vos créanciers, en réunissant dans un seul lieu tous les bureaux des payeurs ; En donnant à tous ceux qui, ci-devant, étaient payés en province, le droit et la faculté d’être payés dans leurs départements et dans leurs districts, les écoles, les collèges, les pauvres. Vous avez fait pour l’intérêt de la nation, pour l'économie, pour l’ordre public, tout ce que vous deviez faire, en concentrant la comptabilité de (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 décembre 1790.] tous les intérêts de la dette dans un seul bien, en la confiant à des payeurs d’une solvabilité reconnue et d’une comptabilité sans nuage. Ainsi, Messieurs, un ordonnateur unique pour diriger et la recette et la dépense, pour maintenir l’ordre, pour assurer la marche et l’exactitude de la comptabilité; Un trésorier unique, une caisseunique pour la recette; des payeurs divisés pour chaque nature de dépenses, mais dépendants de l’ordonnateur unique, et ne recevant qu’en proportion des besoins; Une comptabilité courante, surveillée tous les jours, vérifiée de semaine en semaine, de mois en mois; Une comptabilité définitive, année par année, de chaque partie et de la totalité des revenus; de chaque partie et de la totalité des dépenses ; la balance, année par année, de toute la recette et de toute la dépense : voilà, pour l’ordre, polir l’économie, les principes fondamentaux d’un Trésor public, sous quelque gouvernement que ce puisse être. Nous avons placé le Trésor public ainsi constitué sous le gouvernement qu’ont formé vos décrets, et nous avons cherché à déterminer ce que devaient y ajouter vos principes. Le droit de créer des impôts appartient uniquement au Corps législatif. C’est sous l’inspection du Corps législatif que les administrations de département les distribuent entre les districts ; que les administrations de districts les reversent sur les municipalités, et les municipalités sur les contribuables. C’est toujours sous l’inspection du Corps législatif et du Corps législatif seul, que les administrateurs du département règlent et surveillent tout ce qui concerne la perception et le versement des revenus jaublics; tout ce qui concerne le service et les fondions des agents chargés et de les percevoir et de les verser. C’est au bout de cette chaîne toute nationale que le Trésor public se trouve placé. Dans aucun point de cette chaîne vos décrets n’ont encore admis l'intervention du pouvoir exécutif. Sans doute, vous avez voulu épargner au citoyen la honte de paraître céder à la force et à lacontrainte des tributs qu’il doit et qu’il veut offrir à l’intérêt commun. Sans doute aussi vous avez voulu épargner au monarque la nécessité d’exercer un ministère rigoureux, et à son autorité le soupçon des vexations et des abus. Le produit de l’impôt créé par le Corps législatif, réparti, perçu, versé sous l’inspection du Corps législatif, doit être déposé dans une caisse nationale, et là être encore sous la surveillance immédiate et habituelle de la nation même. Telle est la conséquence où les principes ont conduit vos comités, et cette conséquence se lie aux plus importantes considérations. Les âmes sont encore tourmentées du souvenir des anciens désordres. Toujours leurs inquiétudes et défiances redoutent le retour des prodigalités ministérielles. Cette responsabilité qu’ont établie vos décrets, et que vos décrets maintiendront, on n’y croit pas encore; ou n’y croira point tant qu’elle n’aura pas été consacrée par des exemples. Et le vœu des législateurs, votre vœu surtout est, et doit être de n’avoir jamais besoin de cette terrible autorité des exemples. 373 Les contributions seraient donc supportées à regret; elles seraient payées à regret ; elles seraient mal payées, peut-être, si on pouvait craindre qu’elles allassent se perdre dans une caisse mal gardée. Et on le craindrait, si elle était confiée à la seule responsabilité des agents du pouvoir exécutif. Mais vous n’avez pas voulu que le roi fut étranger à l’administration. Vous n’avez pas voulu que ces deux pouvoirs, qui jamais ne doivent se confondre, ne pussent pas se rapprocher ici, et se donner une force mutuelle. Ce que vous n’avez pas voulu, vous n’avez pas dû le vouloir. Et en effet, Messieurs, vous n’êtes point, des représentants de la nation ne doivent point être des administrateurs ; c’est à eux de prescrire et les règles et les formes : s’ils sortent de là, ils cessent d’être des législateurs; ils ne sont plus que des agents responsables. D’ailleurs, entre la caisse qui doit recevoir les revenus en masse, et les payeurs chargés d’acquitter les diverses parties "de la dépense, ces payeurs qui doivent être soumis à l’action du pouvoir exécutif, doit régner un accord constant, une parfaite correspondance. Si une ligne inflexible marquait le point où finirait l’administration nationale, et où commencerait l’action des agents nommés par le roi, vous n’auriez ni accord ni correspondance. 11 faudrait que les fonds assignés pour chaque département, divisé eu portions égales, fussent versées, chaque mois, chaque semaine, dans la caisse particulière. Eu vain les besoins de chaque département varieraient d’un mois à l’autre ; en vain les dépenses pressées dans les derniers mois languiraient dans les premiers ; en vain des parties de dépenses se reporteraient d’une année sur l’autre. Vainement enfin un département serait dans la pénurie, quand les autres seraient dans l’abondance. On ne pourrait ni anticiper, ni reculer les versements dans les caisses secondaires. Toujours uniformes, toujours invariables, ils ne seraient jamais eu harmonie avec des besoins variables et inégaux. De là souvent des fonds séjourneraient inutiles dans les caisses secondaires, qui, laissés dans la caisse nationale, auraient acquitté une partie de la dette, ou fourni à des dépenses d’utilité commune. De là, pour les trésoriers, la tentation perpétuelle de détourner des fonds oisifs à de3 spéculations particulières. De là une autre tentation pour les ministres, celle d’accroître des dépenses dont il est toujours si aisé de justifier la convenance ou la nécessité. Ce fut l’insubordination et l’indépendance des caisses secondaires, qui, sous le dernier régne et dans ces derniers temps, firent une des grandes plaies de la finance, les folles dissipations des trésoriers et le scandale de la nation. Ajoutons à ces considérations, que la marche inégale des perceptions, les recouvrements tantôt retardés, tantôt accélérés, produiront dans la caisse nationale tantôt la gêne et tantôt l’abondance. Cependant les départements seront inflexibles et leurs demandes inexorables. Ils accuseront les lenteurs de l’administration publique; iis accuseront la Constitution même, 374 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 décembre 1790.] ses ressorts compliqués, et l’irrégularité de ses mouvements. L’incohérence de toutes ces pièces fatiguerait le patriotisme même, et enfin l’habileté d’un ministère entreprenant ressaisirait toutes les parties de ce pouvoir que votre courage et vos efforts ont replacé dans les mains de la nation. Que si les administrateurs nationaux de la caisse publique étendaient leur pouvoir sur les caisses secondaires, ce serait alors la confusion des principes et la nullité delà monarchie. Il faut donc que le pouvoir législatif n’exerce que l’inspection et la surveillance, mais qu’il l’exerce active, habituelle, permanente. Active, elle ne peut l’être que quand elle sera confiée à un comité peu nombreux, à un comité dont chaque membre en sente le poids tout entier, et ne puisse pas en rejeter le fardeau sur ses collègues. Habituelle, il faut qu’elle soit de toutes les heures et de toutes les parties. Permanente, il faut qu’elle existe, lors même que le Corps législatif interrompra ses séances, et que toujours présente et aux ministres et à la nation, elle garantisse l’une de ses inquiétudes, et les autres de leurs erreurs ou de leurs distractions. Il faut surtout que la publicité, cette gardienne incorruptible de tout ordre, de toute administration, soumette chaque mois aux regards des citoyens le compte d’entrée et desortie de la caisse nationale. II faut encore, à des époques fixées, offrir le tableau des versements de chaque département, de chaque district, de chaque régie, et que ce tableau accusateur dénonce à la nation les négligences, l’impatiiolisme des corps administratifs et des régies. Ainsi, environné de toutes les précautions, couvert de toutes les surveillances, le Trésor public sera soumis à la direction immédiate d’un ordonnateur unique nommé par le roi. Seul, il correspondra avec les receveurs des di stricts, avec les régies ; seul il combinera la recette et la dépense, distribuera seul les versements dans les caisses auxiliaires de la caisse principale, les accélérera ou les ralentira au gré des circonstances et des besoins, mais sans jamais sortir du cercle tracé par les décrets. Seul il fera mouvoir les bureaux, dirigera seul le contrôle des recettes et des dépenses et le travail de la comptabilité. Mais la répartition, mais les perceptions sont nécessairement liées à la recette des contributions; il faut que d’un centre commun parte tout ce qui peut influer directement ou indirectement sur la recette; il faut donc que le ministre qui doit surveiller l’action des corps administratifs, les rappeler à l’exécution des lois, se concerte avec l’ordonnateur. Il faut que le ministre qui doit surveiller l’administration de la justice, dont la marche peut influer de taut de manières sur la perception des impôts, s’unisse avec tous deux; il faut que leurs opérations à tous se combinent et ne se contrarient jamais. De là, Messieurs, la nécessité d’un comité d’administration des finances, où se portent, où se discutent toutes les matières qui intéressent la perception et le versement des revenus. Autrefois un ministre seul embrassait cette vaste partie et en dirigeait tous les mouvements. Mais alors tout était subordonné aux besoins de la finance; et dans un gouvernement absolu, le contrôleur général était encore le plus absolu des ministres. Il maîtrisait et les lois et les formes; et quand il avait ordonné, le chef de la justice n’était plus que le servile exécuteur de ses décisions. Mais tous deux placés aujourd’hui dans une sphère circonscrite, tous deux soumis à une responsabilité personnelle et limitée, ils pourraient marcher à pas inégaux; et par des retards, par des lenteurs, par des mésintelligences, contrarier diversement le cours des revenus publics. Il est donc nécessaire qu’ils se concilient entre eux et avec l’ordonnateur; que mutuellement et sans cesse avertis de tous les obstacles qui peuvent arrêter les perceptions et les recouvrements, ils soient liés au succès de la chose publique par les nœuds d’une solidaire et inévitable responsabilité. Peut-être pour donner encore plus de poids à cette responsabilité, pour donner plus de solennité aux discussions, et un conciliateur impartial aux prétentions de ministères qui se toucheront dans plusieurs points, peut-être croirez-vous qu’il faut associer à ce comité un ministre dont le département soit étranger à la finance. Je dois observer ici qu’il faut reconstituer le ministère, et simplifier les roues de l’administration. Vos décrels et le plan d’organisation que nous avons aujourd’hui l’honneur de vous soumettre ne laissent à celui qu’on appelait autrefois contrôleur général, qu’une activité bien plus limitée qu’elle n’était sous l’ancien gouvernement; plus de questions contentieuses à décider, plus de lois à préparer, plus de projets à combiner et à mûrir : il ne lui reste qu’une inspection, une correspondance avec les corps administratifs; il ne lui reste qu’à suivre leur marche, à les rappeler dans leurs limites s’ils s’eu écartent, à surveiller les travaux publics, à rassembler tous les faits, tons les documents qui intéressent l’agriculture, le commerce et les arts. D’un autre côté, vous avez ordonné que le bureau des expéditions rentrerait sous la main du ministre de la justice, et, par là, vous avez rappelé les formes anciennes. Autrefois le chancelier, le dépositaire du sceau public, avait sous lui ses clercs du secret, qui depuis, devenus secrétaires d’-Etat, ont été comme lui les témoins et lus garants de cette authenticité dont ils n’étaient jadis que les instruments. Il faut donc concentrer dans un seul homme tout ce qui peut rester des fondions de ce secrétaire d’Etat et du contrôleur général; et, sous le nom de ministre de l’intérieur, lui confier l’action et la surveillance que ne pourrait exercer ni le ministre de la justice, ni l’ordonnateur du Trésor public. Dans cette constitution du ministère civil, dans celte communication nécessaire et habituelle des trois départements, vous aurez cette énergie, cette unité d’action qu’exige plus que jamais l’organisation actuelle de la monarchie. Et si, comme en Angleterre, vous appelez un jour les agents du pouvoir exécutif à présenter à la nation l’état de ses besoins et de ses ressources, ces agents trouveront dans ce concours, dans cette reunion, tout ce qui peut féconder les idées, tout ce qui pourra éclairer la sagesse du Corps législatif. Cette vue peut-être a sou utilité sous une Constitution où tous les deux ans la législature entière doit être renouvelée, où chaque législature peut être formée de représentants encore inexer- 375 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il décembre 1790.] cés aux affaires et novices dans l’administration. Nous avons dit qu’un ordonnateur unique devait diriger les mouvements du Trésor national, en éclairer les opérations, en garantir l’ordre et la comptabilité. Pour exercer cette direction avec succès, il lui faut des instruments dignes de la confiance publique et de la sienne, des bureaux où tout marche avec précision, avec méthode, avec célérité. Immédiatement sous lui doit être un commis principal qui prépare l’admission, le rejet ou la réduction de toutes les parties de la dépense, qui surveille et presse le travail de tous les bureaux, qui assigne à chacun d’eux les matières dont ils doivent s’occuper, qui rassemble jour par jour et classe dans leur ordre toutes les lois relatives à l’administration du Trésor public, en présente à chaque instant les principes et la chaîne aux yeux de l’ordonnateur, suive enfin tous les détails que cet ordonnateur seul ne pourrait pas embrasser. Pour correspondre avec les receveurs de districts, pour exercer sur eux cette surveillance et cette action qui autrefois étaient subdivisées entre le contrôleur général des finances et les receveurs généraux, pour conduire les fonds de leurs caisses dans le Trésor public, il faut des bureaux qui tiennent, avec chaque recette, un compte ouvert, un compte à parties doubles, reçoivent les remises, reçoivent l’argent en échange des rescrip-tions, tirent des rescriptions pour le service des départements, et versent immédiatement, et jour par jour, et les remises, et l’argent, et les rescriptions dans les mains du trésorier général qui doit en être le gardien. Cette correspondance serait vaine, les versements seraient précaires et incertains, si le directeur général n’avait pas une sorte de puissance sur les recettes particulières; si les directoires pouvaient arbitrairement, et sans son autorisation, disposer des fonds parvenus dans les caisses de districts, en assigner l’emploi, les échanger en d’autres valeurs; si enfin ils pouvaient protéger contre le Trésor public, non pas sans doute l’infidélité, mais peut-être la négligence des receveurs particuliers. Nous vous proposerons des dispositions qui assureront cette action du directeur général sur les caisses, et en détermineront les limites. Un autre bureau doit correspondre avec les fermes et régies, tenir avec elles un compte à parties doubles de ce qu’elles doivent verser et de ce qu’elles auront versé, presser et vérifier leurs comptes. Tant que nous aurons une dette, des arrérages, des intérêts, des indemnités, des pensions à payer, il faudra un bureau qui en contrôle le payement journalier, qui forme les rôles de ces rentes, de ces intérêts, de ces indemnités, de ces pensions, qui en suive la distribution entre les payeurs, et la distribution journalière des fonds qui doivent les acquitter, qui vérifie les extinctions des rentes viagères et des pensions, les amortissements opérés par les remboursements des capitaux, et qui, chaque année, en dresse l’état. C’est ce bureau encore qui devra enregistrer les contrats de consiitution ou de reconstitution sur les registres qui jusqu’à présent ont été tenus à l’hôtel de ville, et dont vous avez décrété le rapport au Trésor public; registres qui constatent les titres des rentiers et des pensionnaires, qui doivent être ouverts à leurs recherches, à celles de leurs créanciers et de leurs héritiers. Une section de ce bureau sera chargée de liquider les capitaux des créances à rembourser ou des capitaux à reconstituer; de l’enregistrement de la décharge et du contrôle des quittances de finance, de la perception des droits accoutumés de contrôle et d’expédition dont elle comptera au Trésor public. Ce bureau, Messieurs, aura, dans ces premiers moments, une grande activité, parce qu’il faut refondre et réunir toutes les rentes éparses sur diverses caisses, sur divers receveurs, tous les intérêts, toutes les pensions; mais le terme de ces grands travaux n’est pas éloigné; et dans le cours ordinaire des choses, il n’exigera ni beaucoup de dépense, ni beaucoup d’employés. C’était peut-être dans la seconde section de ce bureau, sous les yeux, sous la responsabilité des agents du pouvoir exécutif, qu’aurait dû s’opérer la liquidation des charges, des offices supprimés et des créances à éteindre. Un comité de liquidation, inspecteur de ces travaux, les aurait surveillés, en aurait vérifié les résultats, et les aurait soumis à la décision du pouvoir législatif. La nation aurait eu la double garantie du pouvoir exécutif et de ses représentants, et l’emploi d’agents, déjà façonnés de longue main à ce genre d’opérations, aurait donné une importante et nécessaire économie. Des bureaux passagers suivront la distribution et l’acquittement des dépenses arriérées jusques et y compris 1790 ; La vérification et l’apurement des comptes des fermes et des régies jusqu’à leur expiration ; La vérification et l’apurement de tous les comptes d’achat, de transport et de vente des grains et farines faits aux dépens du Trésor public ; La liquidation de l’ancienne Compagnie des Indes ; d’autres embrasseront et la loterie royale, et la comptabilité arriérée, et la comptabilité courante des monnaies; Enfin un bureau de comptabilité générale embrassera toutes les comptabilités particulières dans des registres à parties doubles, suivra les mouvements de tous les bureaux et de toutes les caisses. C’est au centre de tous ces bureaux que doit être placé l’ordonnateur général; c’est à l’aide de tous ces instruments qu’il doit réunir toutes les perceptions, diriger tous les versements, surveiller toutes les dépenses, éclairer et terminer toutes les comptabilités. Nous n’avons encore qu’un aperçu de la dépense qu’exigeront ces bureaux, c’est dans leur rapprochement même, c’est sous les yeux de l’ordonnateur qu’on pourra calculer avec précision la somme qui sera nécessaire. Nous ne vous présenterons donc point ici cet aperçu hypothétique, mais nous vous promettons, nous* vous garantissons l’économie ; cette économie qui est vraiment utile, cette économie qui convient et à une nation et à une administration éclairée. Il faut payer généreusement des hommes à qui vous imposez des devoirs assidus et des devoirs délicats ; il faut qu’ils trouvent, dans leurs appointements, dans des gratifications méritées, la subsistance du jour et la tranquillité du lendemain. C’est à ce prix que vous obtiendrez la probité, l’exactitude, les talents; la plus funeste économie est celle qui ne voit, dans les dépenses, que l’argent qu’elles coûtent, et jamais celui qu’elles épargnent ; qui voudrait payer ou Sully, ou Coi- 376 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Il décembre 1790.] bert, à la mesure de leurs règles austères, et non pas à celle de leurs services et de leur capacité ; qui enfin voudrait retrancher de la langue les mots de gratification et de récompense? La formation d’un comité d’administration des finances n’imposera aucune charge nouvelle, et la réunion de deux ministères en un seul donnera de l’économie. Les commissaires chargés de surveiller le Trésor public n’auront besoin que d’un bureau peu nombreux, et leurs honoraires seront ceux qui seront assignés aux membres des législatures pendant la durée de leur session. Je vous en ai dit assez sur le trésorier général, sur les payeurs des départements et des dépenses diverses, sur les payeurs des rentes. Le trésorier général surveillé par l’ordonnateur général, surveillé par ses propres bureaux, autant qu’il les surveillera lui-même, borné dans un cercle d’opérations invariables, débarrassé enfin de tous ces revirements, de tous ces mouve-mentsdecaisses, de toutes ces manœuvres obscures que commandaient le besoin et la dissipation, arrivera à la fin de l’année avec une comptabilité simple, une comptabilité éclairée déjà par l’impression des états, mois par mois, de la recette et de la dépense ; et, dans le mois de février de l’année suivante, son compte pourra être rendu et apuré. Les payeurs de la guerre, de la marine, des dépenses diverses, seront comme lui soumis à la plus active et à la plus inévitable surveillance; leurs comptes arriveront moins rapidement que les siens à leur terme, parce que pour eux les dépenses de l’année ne peuvent jamais être exactement soldées à la fin de l’année ; mais ce terme ne sera jamais bien éloigné pour le payeur de la guerre et pour celui des dépenses diverses. Il ne sera pas même bien éloigné pour la marine, si vous séparez le compte des dépenses faites dans les colonies, des dépenses faites en France; si dans les colonies mêmes vous pouvez établir un mode de comptabilité qui vous garantisse des erreurs et des infidélités. Aujourd’hui le compte des dépenses de la marine dans les colonies se rend, en France, sur les pièces justificatives envoyées des colonies. Le compte est donc fait dans les colonies mêmes, et la formalité qui le termine ici, ne peut y ajouter que les dangers du déplacement des pièces et d’inévitables lenteurs. La guerre et la marine demandent des trésoriers dans les provinces, dans les ports, dans les colonies. Une question s’est élevée dans votre comité, question qui a ses difficultés, et que je dois soumettre à votre sagesse avant que de vous présenter le projet de décret qui les a tranchées. Quelques-uns d’entre nous ont pensé que les payeurs de la guerre et de la marine devaient avoir des trésoriers à eux, dont le sort fût dans leurs mains et la garantie sur leur tête. Sans cela, disaient-ils, vous n’aurez qu’un service précaire, un service inexact, toujours dépendant des directoires de districts ou de départements. Les payements de la guerre et de la marine dans les provinces, dans les ports, dans les colonies, sont minutieux, chargés de détails ; il faut la comptabilité la plus scrupuleuse, la tenue de livres la plus régulière ; et vous ne pouvez attendre cela que d’hommes choisis par les payeurs mêmes qui doivent en être les garants. D’autres, et en plus grand nombre, ont cru que les receveurs de districts, présents partout, devaient être en même temps les trésoriers de la guerre et de la marine; ils ont un cautionnement qui répond pour eux ; ils ont des directoires qui les observent et les suivent : une légère augmentation d’émoluments leur suffit, parce que déjà leurs bureaux sont montés et payés, pat ce que déjà ils ont un sort qui les attache à la chose publique ; vous aurez avec eux de l’économie, et avec l’économie pourquoi n’auriez-vous pas l’exactitude et la régularité? Plus dépendants parce qu’ils auront plus à perdre, doublement surveillés, la confiance de leurs concitoyens doit leur assurer la confiance d’un payeur particulier. Ces raisons, Messieurs, ont paru décisives à la majorité de votre comité; si l’expérience réfute son opinion, une nouvelle législature corrigera notre erreur et modifiera notre plan dans un point qui n’a rien de fondamental ni de constitutionnel. Les commis subordonnés au trésorier général et aux payeurs, nous avons cru qu’ils devaient être directement payés par le Trésor public. Sans doute, Messieurs, nous pouvions vous offrir des économies, en chargeant et le trésorier général et les payeurs de la dépense de leurs bureaux. Mais c’était là une perfide économie qui compromettait la sûreté même du Trésor public. C’est en établissant partout des contrepoids, c’est en plaçant partout des sentinelles et des surveillants, que nous pouvons échapper à l’intérêt toujours trop habile, et à la négligence toujours trop commune. Payés paria nation; attendant delà nation seule la destinée de leur vie, les commis et les employés seront toujours armés contre la corruption, si la corruption était possible, et le trésorier général et les payeurs déploieront sur eux, à leur tour, une surveillance plus inquiète et plus jalouse. Je vous ai déjà tant parlé des payeurs des rentes, de leurs devoirs, de l’exactitude de leur comptabilité, qu’il ne me reste plus rien à vous en dire. Je crois que vous avez senti que l’ordre, que l’économie, que la responsabilité solide et véritable reposaient sur leur conservation. S’ils n’existaient pas, il faudrait les créer dans l’état actuel de votre dette, et puisqu’ils existent, il faut les rendre aussi utiles qu’fis peuvent l’être. Tout ce qui porte le caractère de dette, tout ce qui en approche, c’est à eux que vous eu devez confier le payement. C’est en le leur confiant, que vous rendrez justice et à vos créanciers et à vos pensionnaires, que vous débarrasserez et le directeur général et le Trésor public de détails inutiles, d’importunes sollicitations, du soupçon de faveur et de partialité. C’était autrefois un grand travail, une grande occupation que de diriger, que d’effectuer le payement des pensions. De tous côtés la protection et le crédit assiégeaient le ministre, et intervertissaient en faveur des gens en place, en faveur souvent d’hommes sans besoins, des préférences qui n’étaient dues qu’à l’infortune. Entre les mains des payeurs des rentes les pensions suivront un ordre inflexible, invariable. Il n’y aura plus ni plaintes ni abus, et chacun à son tour obtiendra la justice qu’il adroit d’exiger et d’attendre. Nous avons cru devoir conserver la formalité des reconstitutions, établie en 1786. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [H décembre 1790.] Cette formalité, Messieurs, qu’il est libre aux acquéreurs des rentes sur l’Etat d’adopter, a le grand avantage d’effacer sans contrainte la trace de ces honteuses banqueroutes qui ont déshonoré la foi française, ou plutôt la foi ministérielle. Par là, ces vieux capitaux qui nous accusent, se réduisent à la mesure de l’intérêt qui leur est payé; et après la révolution de quelques années, il n’y aura point de remboursement que vous ne puissiez opérer sans faire violence au titre, et sans blesser vos intérêts. Il est un objet qui a dû vous frapper dans le projet d’organisation, un objet que semblent repousser vos principes, et que cependant nous osons présenter à votre décision. Ce sont des cautionnements en argent; cautionnement en argent pour le trésorier général; cautionnement en argent pour les payeurs de la guerre, de la marine et des dépenses diverses; cautionnement en argent pour les payeurs des rentes et leurs contrôleurs. Messieurs, ce serait une faiblesse indigne de nous, de vous dissimuler ce que nous croyons d’une vérité fondamentale en administration. Un cautionnement en immeubles est presque toujours un cautionnement nul ; la mauvaise foi ou ta prévention l’évaluent à leur mesure, des discussions éternelles l’environnent, des procédures en éloignent la vente et en dévorent le prix. Un cautionnement en argent vous livre votre gage sans retour, sans contradiction, sans formalités. Rien ne peut vous le ravir, rien ne peut l'atténuer. Mais il faut payer des intérêts; et n’avez-vous pas avec ces cautionnements des charges à éteindre? Remboursez avec ces cautionnements des capitaux qui pèsent sur vous, et vous ne payerez point réellement d’intérêts. Reste la comptabilité. Un travail qui, tout à l’heure, va être soumis à votre comité des finances, vous en présentera l’organisation. Il est urgent ce travail, et chaque jour le rend plus nécessaire. Les comptes arriérés nous pressent et nous me-377 nacent; les épices s’accumulent, et il est temps de metfre un terme à ces anciennes formes, qui offraient un fantôme de règle, et ne couvraient en effet que des abus. La plupart de ces comptes sont encore dans leur nudité, ou plutôt dans leur vérité première : ils n’ont point encore subi les transformations qui les dénaturent et font disparaître la trace des dissipations et des abus. C’est en cet état que votre comité a pensé qu’ils devaient vous être présentés. Sans doute, il n’y a rien à gagner pour l’économie; les dépenses ont été ordonnées, les dépenses ont été consommées; mais il importe que la nation prononce en souveraine, et que ses regards ne soient point trompés par ces voiles qu’autrefois les ministres épaississaient devant ce simulacre de comptes. Tels sont, Messieurs, nos principes et nos vues. Nous avons recueilli tout ce que la sagesse des temps passés a imaginé de précautions et de surveillance; nous avons repoussé toutes ces périlleuses innovations qui n’ont point la sanction de l’expérience ; nous avons surtout marqué cette ligne éternelle qui doit séparer le domaine des législateurs du champ de l’administration. Votre esprit, Messieurs, l’esprit de vos lois a été notre guide fidèle. Si on osait vous proposer de confondrecette double puissance, de mettre sous les mains delà législature ce Trésor public qui n’appartient qu’à sa surveillance, votre raison, votre intérêt se réuniraient pour proscrire cette funeste, cette inconstitutionnelle idée ; vous ne verriez dans cette idée que l’erreur du patriotisme ; mais les dangers les plus réels pour votre gloire, pour la gloire de cette Assemblée, qui, après avoir détruit tous les abus, froissé tous les intérêts, se doit encore d’éloigner d’elle tout ce qui pourrait annoncer des prétentions personnelles, et ouvrir dans son sein une carrière nouvelle à l’ambition, à l’intrigue, à la cupidité. Voici le décret que j'ai l’honneur de vous soumettre ■. Projbt.