[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juillet 1791.) M. Haloiiet. Une institution aussi louable que celle des sourds-muets ne peut être présentée à l’Assemblée nationale sans qu’on se rappelle, avec intérêt, la mémoire de son premier auteur. Il serait juste, il serait digne de l’Assemblée d’ordonner que dans le décret il sera fait mention de l’abbé de l’Epée, comme d’un citoyen qui, par ses services et ses talents utiles, a des droits à l’honneur civique d’être placé sur la liste des hommes qui ont bien mérité de la patrie et de l’humanité. (. Applaudissements .) M. Prieur, rapporteur. J’adopte. Plusieurs membres présentent diverses observations. Le projet de décret est ensuite mis aux voix dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale, après avoir pntendu le rapport fait au nom de ses comités de l’extinction de la mendicité, d’aliénation des biens nationaux , des finances et de Constitution, croyant devoir accorder une protection spéciale à l’établissement fait en faveur des sourds-muets, décrète : Art. 1er. « Le nom de l’abbé de l’Epée, premier fondateur de cet établissement, sera placé au rang de ceux des citoyens qui ont le mieux mérité de l’humanité et de la patrie. Art. 2. « Le local et les bâtiments du couvent des ci-devant Célestins, situés à Paris, près l’Arsenal, seront, sans distraction, employés à l’établissement des écoles destinées à l’instruction des sourds-muets et des aveugles-nés. Art. 3. « L’établissement de l’école des sourds-muets occupera néanmoins, provisoirement, la partie des bâtiments indiquée par l’arrêté du directoire du département de Paris, du 20 avril dernier. Art. 4. « Il sera pris sur les fonds de la trésorerie nationale : « 1° Annuellement et à compter du 1er janvier dernier, la somme de 12,700 livres pour les honoraires du premier instituteur, du second, des deux adjoints, d’un économe, d’un maître d’écriture, de 2 répétiteurs et de 2 maîtresses; « 2° Pour cette année seulement, pour 24 pensions gratuites, à raison de 350 livres chacune, qui seront accordées à 24 élèves sans fortune suivant actuellement les écoles, celle de 8,400 livres. . Art. 5. « Les 12,700 livres d’honoraires accordés par l’article précédent, seront réparties ainsi qu’il suit : Au premier instituteur ........... 4,000 liv. Au second instituteur ............ . 2,400 A 2 adjoints, à raison de 1,200 livres chacun ....................... 2,400 A l’économe ..................... 1,500 Au maître d’écriture externe ...... 500 A 2 répétiteurs, à raison de 350 livres chacun ....................... 700 Aux 2 maîtresses-gouvernantes, à raison de 600 livres chacune ........ 1,200 Total ............ 12,700 liv. 491 « Tous auront le logement, excepté le maître d’écriture. « Nul n’aura la table que l’économe, les 2 répétiteurs et les maîtresses gouvernantes. Art. 6. « Le choix des 2 instituteurs actuellement occupés à l’instruction des sourds-muets est confirmé. Art. 7. « Il leur sera adjoint 2 élèves-instituteurs, qui seront nommés par le département de Paris, sur la présentation du premier instituteur. Art. 8. « Le surveillance de l’établissement est spécialement confiée au département de Paris. » (Ce décret est adopté.) Un membre demande que l’Assemblée Veuille bien s’occuper des moyens d’étendre l’utile établissement des sourds-muets à tous les départements du royaume. (Cette proposition est renvoyée aux comités.) M. l’abbé Sicard, premier instituteur actuel des sourds-muets , est introduit à la barre avec ses élèves ; il prononce le discours suivant : « Messieurs, « L’acte de bienfaisance que vous venez d’exercer aujourd’hui, fvient de gagner à cet Empire une nation nouvelle, nation étrangère à toutes les autres, si digne de la pitié de toutes. « Les étrangers qui arrivaient dans cette capitale, qui en admiraient les chefs-d’œuvre, qui montraient tant d’intérêt aux sourds-muets, qui s’alarmaient sur le .sort d’une découverte dont vous seuls deviez éterniser la merveille, tous ies amis de l’humanité seront consolés. « Les familles affligées du fléau qui interdisait toute communication entre la mère et son enfant, béniront à jamais les sages législateurs qui viennent de réparer ce grand, ce déplorable tort de la nature. « Les langues de mille infortunés, condamnées à se taire toujours, vont se délier à la fin pour former un concert de bénédictions et de louanges dont vous serez l’objet, pour demander giâce pour tout le bien que vous n’avez pu préparer aux nations futures, sans exiger de la génération présente des sacrifices qu’il sera si doux d’avoir faits à nos neveux. « Quel moment, Messieurs, pour cet homme si grand par sa sublime découverte, pour ce prêtre si vertueux, et par là même si bon citoyen, s’il eût été témoin de cette unanimité de suffrages en faveur des orphelins dont vous venez de vous déclarer les pères ! « Qu’ai-je fait, Messieurs, moi, le faible émule de ses travaux, pour en recueillir toute la gloire? Qu’ai-je fait pour que mon nom soit associé au nom de mon illustre maître, et pour recevoir de vos mains le dépôt précieux qu’il vous laissa en descendant dans la tombe? « C’est par le sacrifice de ma vie tout entière que je dois justifier un choix qui m’honorait, et que vous venez de confirmer. Je n’aurai pas besoin, Messieurs, de pénétrer tous ces enfants de la grandeur de vos bienfaits : au seul signal que je leur fis, et qui leur annonça d’avance une journée aussi heureuse, toutes leurs âmes s’entendirent à la fois, toutes devinèrent l’hommage 492 [Assemblée nationale.] Archives parlementaires. [21 juillet 1791.] le plus digue de vous; et aussitôt s’est él< vé par leurs travaux, au milieu de local qu’ils habûaient déjà, un autel eu tout semblable à celui dont la pairie leur avait offert le modèle au champ de la Fédération. « C’est là, Messieurs, que cette troupe innocente de nouveaux patriotes doit élever, dès ce soir, vers le ciel, des mains pures, des mains reconnaissantes, et jurer d’être fidèles à la nation qui les adopte, et de n’oublier jamais les noms de leurs augustes bienfaiteurs. » ( Applaudissements .) M. le Président répond en ces termes : « L’Assemblée nationale s’est fait un devoir de protéger les établissements qui peuvent être d’une utilité reconnue. Vous venez d’éprouver sa bienfaisance; l’Assemblée ne pouvait mieux prouver sa reconnaissance pour M. l’abbé de l’Epée. « Vous avez été désiré, Monsieur, par les sourds-muets, dont vous êtes l’interprète en ce moment; M. de l’Epée, en vous désignant pour son successeur, a fait votre éloge et encouragé la confiance publique, il ne pouvait sans doute jeter les yeux sur quelqu’un qui, par ses lumières, fût plus en état de maintenir et de perfectionner rétablissement que l’Assemblée vient de consacrer. Elle ne doute pas que vous continuerez de vous livrer tout entier au soulagement des infortunés qui vous ont été confiés. Elle applaudit à votre zèle, et vous offre les honneurs de la séance. » (Applaudissements.) M. Salomon de La Saugerie. Je demande l’impression du discours de M. l’abbé Sicard et de la réponse de M. le Président. (Cette motion est adoptée.) L’ordre du jour est un rapport du comité d'agriculture et de commerce concernant le commerce du Levant. M. Roussillon, rapporteur. Messieurs, dès que vos regards ont pu être fixés sur le commerce de l’Inde et sur celui d'Afrique, vous avez reconnu la nécessité de supprimer les privilèges odieux par lesquels l’ancien gouvernement en avait concentré l'exploitation exclusive dans deux compagnies; vous n’avez point hésité à rendre ces commerces libres à tous les Français. Vous avez délivré la circulation iniérieure de toutes les gênes dont le fisc et une mauvaise administration ne cessaient de l’embarrasser, et vous avez substitué uu tarif unique aux différents tarifs qui avaient lieu dans les relations du royaume avec l’étranger. Depuis, vous avez considérablement réduit les droits qui étaient acquittés sur les denrées de nos colonies à leur importation en France; et, par un sacrifice de plus de 1,500,000 livres par an, que vous avez fait à cet égard en faveur des planteurs colons, vous leur avez donné la preuve la moins équivoque du désir que vous avez de resserrer les liens qui unissent les colonies à la métropole : vous avez enfin annoncé u’une manière très positive l’intention où vous êtes d’encourager leur culture, et d’améliorer le sort de leurs habitants, nos frères. Il vous reste, Messieurs, à vous occuper du commerce du Levant, et c’est de son importance que je vais avoir l’honneur de vous entretenir. De tous les commet ces qu’une nation peut faire, celui de la France avec la Turquie et les régences de Barbarie est sans doute le plus avantageux. Il est tout passif pour les Ottomans, il est tout actif pour les Européens qui l’exploitent. Le Levant livre presque toutes ses productions et abandonne presque toutes ses consommations à l’industrie et à la navigation des peuples qui traitent dans ses Echelles. Le caractère particulier de ce commerce est tel, qu’aucune combinaison politique de la part de la puissance territoriale n’en réduit les profits. Les marchandises que les Européens importent dans les Etats du grand sultan, et celles qu’ils en exnortent, ne sont soumises à d’autres charges qu’au payement d’un droit de douane de 3 0/0 de la valeur, et ce droit est perçu sur une évaluation qui le réduit à 1/2 0/0. Le droit de douane, pour les gens du pays, s’élève de 5 à 8 0/0. On porte en Turquie des draperies, des bonnets de laine, des étoffes de soie, des galons, du papier, des merceries, des clinquailhries, du sucre, du café, de l’indigo de nos colonies, des mousselines de l’Inde, de la morue, des glaces, des verroteries, de la cochenille, des liqueurs, du plomb, de l’étain, du fer, des clous, des épiceries. On en exporte des cotons, des laines, des soies, des fils de chèvre, de la cire, des cuirs, du café de Moka, des gommes, des drogues, des huiles, des soudes, du blé, des légumes, du riz, de; toiles de coton et de fil et coton, et quelques étoffes de soie et coton. Celte énumération d’importation et d’exportation suffit pour apprécier l’importance de ce commerce. La France participe au moins pour la moitié dans tout le commerce que les nations d’Europe font en Turquie et en Barbarie. On évalue ses importations à 30 millions, et ses exportations à 35. Ce commerce entretient de 4 à 5,000 matelots, et fait naviguer 4 à 500 bâtiments. Le produit du fret de notre navigation dans les Echelles s’élève à 1,800,000 livres. Nous devons la grande participation dont nous jouissons dans le commerce du Levant à notre position, à notre industrie, aux productions de nos colonies, et, surtout au site heureux du port de Marseille. Cette ville, que baigne la Méditerranée, et que le canal du Languedoc avoisine de l’Océan, a des communications faciles avec toutes les parties de l’Europe, et il semble que la nature l’a placée et destinée pour devenir l’entrepôt général du comm rce du Levant. Les ports étrangers de la Méditerranée n’ont jamais pu lui disputer cet avantage, soit par leur défaut de moyens, soit par leur politique, soit par lem* position favorable, soit par la difficulté de leurs communications extérieures. Leurs relations commerciales avec la Turquie sont bornées, et elles s< raient sans doute anéanties si les vices de l’ancienne administration ne les avaient pas favorisées. Heureusement la nouvelle Constitution de l’Empire réparera les torts de l’ancien régime. La protection que vous voulez accorder au commerce, la liberté des opinions religieuses et des cultes, la sûreté des personnes et des propriétés garanties par vos lois, sont autant d’attraits qui vous assurent un accroissement considérable dans la part que vous avez dans le commerce que l’Europe fait avec le Levant ; la nouvelle Constitution vous présente la plus douce, la plus belle perspective dans l’avenir; la France libre deviendra l’entrepôt des richesses étrangères, l’asile des co nmerçants éclairés, le rendez-vous de tous les artistes, le point central de tous les commerces. Les ports français situés sur la Méditerranée