SÉANCE DU 9 MESSIDOR AN II (27 JUIN 1794) - N° 30 221 « A genoux, s’écrie cette horde, vous allez être fusillés ! — Non, répond Moreau, un de ces intrépides guerriers; des gendarmes ne se courbent point devant des brigands : vous pouvez nous ôter la vie, mais nous saurons mourir en républicains ». A l’instant, tous tombent, percés de mille coups : Lefort, seul, l’un d’entre eux, survit encore à ses infortunés camarades, et un bras fracassé de 3 balles devient pour lui un témoin irrécusable de sa gloire et de son généreux dévouement. Parmi ces courageux martyrs de la liberté vous distinguerez sans doute le brave Moreau; comme lui ses compagnons d’armes surent se battre et mourir; mais Moreau, alliant à la valeur d’un soldat vieilli dans les combats le sang-froid du véritable courage, annonça, par sa réponse magnanime, le projet médité de son entier dévouement. Il est d’une observation constante, que jamais un homme ne fut vertueux à demi : c’est d’après ce principe invariable que votre comité, après avoir constaté le trait d’héroïsme que vous venez d’entendre, s’est encore attaché à prendre des renseignements sur la conduite antérieure des 9 républicains que vous admirez avec moi, dans un certain nombre d’actes de vertus privées. Gambier, l’un deux, peu de temps avant sa mort, se distingua par un de ces exemples rares de désintéressement civique, dont l’éclat est encore rehaussé par la modestie qui le lui fit taire. Un chef de brigands tombe sous ses coups : Gambier s’empare de 32.000 liv. qu’il avait sur lui, et porte cette somme à son général : « Tiens, dit-il, la patrie a des besoins; j’ai du pain et du fer, il ne faut rien de plus au soldat républicain; porte cet argent sur l’autel de la patrie». (Notre Collègue Carrier les y a déposées). Chez les hommes libres un seul acte de vertu en enfante mille; la mort héroïque de ces gendarmes en a produit un que vous n’avez pas entendu sans admiration. Un Français, qui nous laisse ignorer son nom, vous envoie une somme de 3,300 liv. pour être distribuée aux familles de ces hommes intrépides; et dans une lettre non signée, qui fait autant l’éloge de son cœur que de son amour pour la patrie, il assigne l’ordre dans lequel il désire que la distribution soit faite. Vous avez, par un décret du 8 floréal, accepté ce don patriotique, et chargé votre comité d’en faire la distribution dans l’ordre demandé; mais la patrie n’avait pas assez fait pour ces héros, vous avez voulu qu’elle se montrât grande : en conséquence, vous avez encore chargé votre comité de prendre sur la position de leurs familles tous les renseignements nécessaires, et de vous en faire un rapport, pour que vous puissiez, au nom de la nation, leur donner, outre les secours qu’accorde la loi, une satisfaction honorable. Votre comité, pénétré comme vous des maximes de vertu et de justice que vous avez mises à l’ordre du jour, pense donc qu’en laissant aux intentions du donateur anonyme leur plein et entier effet, il doit prendre pour base, dans l’application des gratifications qu’il propose d’accorder à ces familles, et leur indigence et le nombre d’enfants dont elles sont chargées. Il vous observe aussi que, parmi les différents traits de vertu que vous venez d’entendre, quelques-uns, que nous avons remarqués dans le cours du rapport, méritent aussi de l’être par la récompense. En conséquence, votre comité vous propose le projet de décret suivant. Le rapporteur lit un projet de décret qui est adopté en ces termes : (1) . « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [MERLINO, au nom de] son comité des secours publics sur la lettre du ci-devant ministre de la guerre, du 21 germinal, qui lui annonce la mort héroïque des citoyens Tiremois, lieutenant; Moreau, Gambier, Milon, Fumé, Pron, Terrien, Bossy et Lefort tous gendarmes nationaux du département de Loire-Inférieure, qui ont été fusillés par les brigands de la Vendée, au Loroux, le 11 ventôse; sur celle d’un citoyen anonyme, du 8 floréal, qui fait un don de 3.300 liv., pour être distribuées aux familles de ces braves républicains, et sur le décret intervenu sur icelle le même jour, décrète : « Art. I. La trésorerie nationale mettra sans délai à la disposition du district de Nantes, département de Loire-Inférieure, la somme de 7,700 liv., pour être comptée à ceux, et suivant qu’il est désigné ci-après : « 1. A la citoyenne Marie-Prudence Guery, veuve de Moreau, de son vivant gendarme, à la résidence de Machecoul, la somme de .......................... 2,4001. «2. A la citoyenne Renée-Rose Mau-seau, veuve de Milon, gendarme, à la résidence de Port-Saint-Père, ayant 2 enfans, celle de ...................... 800 « 3. Aux 4 enfans de Fumé, gendarme à la résidence de Port-Saint-Père, celle de ..................................... 1,000 «4. A la citoyenne Catherine Bono-met, veuve de Pron, gendarme, à la résidence du Loroux, celle de . ....... 600 «5. A la citoyenne Marie Cottoleau, veuve de Tirien, gendarme, à la résidence du Loroux, ayant 2 enfans, celle de ......... . ........................... 800 «6. Aux père et mère de Bossy, gendarme, à la résidence de Machecoul, celle de .............................. 600 « 7. A la citoyenne Rosalie Challet, veuve de Lefort, gendarme, à la résidence du Loroux, ayant 4 enfans, celle de ......... . ........................... 1,000 « 8. A la citoyenne Catherine Mercier, veuve de Tiremois, lieutenant de gendarmerie, à la résidence de Clisson, celle de .............................. 500 « II. La trésorerie nationale mettra également à la disposition du district de Versailles, département de Seine-et-Oise, la somme de 3,000 liv., pour être comptée à la citoyenne veuve Gambier, de son vivant gendarme à la résidence de Machecoul, actuellement domiciliée dans la commune de Versailles, et à celle du district de Mortagne, département de l’Orne, celle de 500 liv., pour être comptée aux enfans de Tiremois, de son vivant lieu-(1) Mon., XXI, 97 (partiellement dans C 307, pL 1178, p. 1. SÉANCE DU 9 MESSIDOR AN II (27 JUIN 1794) - N° 30 221 « A genoux, s’écrie cette horde, vous allez être fusillés ! — Non, répond Moreau, un de ces intrépides guerriers; des gendarmes ne se courbent point devant des brigands : vous pouvez nous ôter la vie, mais nous saurons mourir en républicains ». A l’instant, tous tombent, percés de mille coups : Lefort, seul, l’un d’entre eux, survit encore à ses infortunés camarades, et un bras fracassé de 3 balles devient pour lui un témoin irrécusable de sa gloire et de son généreux dévouement. Parmi ces courageux martyrs de la liberté vous distinguerez sans doute le brave Moreau; comme lui ses compagnons d’armes surent se battre et mourir; mais Moreau, alliant à la valeur d’un soldat vieilli dans les combats le sang-froid du véritable courage, annonça, par sa réponse magnanime, le projet médité de son entier dévouement. Il est d’une observation constante, que jamais un homme ne fut vertueux à demi : c’est d’après ce principe invariable que votre comité, après avoir constaté le trait d’héroïsme que vous venez d’entendre, s’est encore attaché à prendre des renseignements sur la conduite antérieure des 9 républicains que vous admirez avec moi, dans un certain nombre d’actes de vertus privées. Gambier, l’un deux, peu de temps avant sa mort, se distingua par un de ces exemples rares de désintéressement civique, dont l’éclat est encore rehaussé par la modestie qui le lui fit taire. Un chef de brigands tombe sous ses coups : Gambier s’empare de 32.000 liv. qu’il avait sur lui, et porte cette somme à son général : « Tiens, dit-il, la patrie a des besoins; j’ai du pain et du fer, il ne faut rien de plus au soldat républicain; porte cet argent sur l’autel de la patrie». (Notre Collègue Carrier les y a déposées). Chez les hommes libres un seul acte de vertu en enfante mille; la mort héroïque de ces gendarmes en a produit un que vous n’avez pas entendu sans admiration. Un Français, qui nous laisse ignorer son nom, vous envoie une somme de 3,300 liv. pour être distribuée aux familles de ces hommes intrépides; et dans une lettre non signée, qui fait autant l’éloge de son cœur que de son amour pour la patrie, il assigne l’ordre dans lequel il désire que la distribution soit faite. Vous avez, par un décret du 8 floréal, accepté ce don patriotique, et chargé votre comité d’en faire la distribution dans l’ordre demandé; mais la patrie n’avait pas assez fait pour ces héros, vous avez voulu qu’elle se montrât grande : en conséquence, vous avez encore chargé votre comité de prendre sur la position de leurs familles tous les renseignements nécessaires, et de vous en faire un rapport, pour que vous puissiez, au nom de la nation, leur donner, outre les secours qu’accorde la loi, une satisfaction honorable. Votre comité, pénétré comme vous des maximes de vertu et de justice que vous avez mises à l’ordre du jour, pense donc qu’en laissant aux intentions du donateur anonyme leur plein et entier effet, il doit prendre pour base, dans l’application des gratifications qu’il propose d’accorder à ces familles, et leur indigence et le nombre d’enfants dont elles sont chargées. Il vous observe aussi que, parmi les différents traits de vertu que vous venez d’entendre, quelques-uns, que nous avons remarqués dans le cours du rapport, méritent aussi de l’être par la récompense. En conséquence, votre comité vous propose le projet de décret suivant. Le rapporteur lit un projet de décret qui est adopté en ces termes : (1) . « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [MERLINO, au nom de] son comité des secours publics sur la lettre du ci-devant ministre de la guerre, du 21 germinal, qui lui annonce la mort héroïque des citoyens Tiremois, lieutenant; Moreau, Gambier, Milon, Fumé, Pron, Terrien, Bossy et Lefort tous gendarmes nationaux du département de Loire-Inférieure, qui ont été fusillés par les brigands de la Vendée, au Loroux, le 11 ventôse; sur celle d’un citoyen anonyme, du 8 floréal, qui fait un don de 3.300 liv., pour être distribuées aux familles de ces braves républicains, et sur le décret intervenu sur icelle le même jour, décrète : « Art. I. La trésorerie nationale mettra sans délai à la disposition du district de Nantes, département de Loire-Inférieure, la somme de 7,700 liv., pour être comptée à ceux, et suivant qu’il est désigné ci-après : « 1. A la citoyenne Marie-Prudence Guery, veuve de Moreau, de son vivant gendarme, à la résidence de Machecoul, la somme de .......................... 2,4001. «2. A la citoyenne Renée-Rose Mau-seau, veuve de Milon, gendarme, à la résidence de Port-Saint-Père, ayant 2 enfans, celle de ...................... 800 « 3. Aux 4 enfans de Fumé, gendarme à la résidence de Port-Saint-Père, celle de ..................................... 1,000 «4. A la citoyenne Catherine Bono-met, veuve de Pron, gendarme, à la résidence du Loroux, celle de . ....... 600 «5. A la citoyenne Marie Cottoleau, veuve de Tirien, gendarme, à la résidence du Loroux, ayant 2 enfans, celle de ......... . ........................... 800 «6. Aux père et mère de Bossy, gendarme, à la résidence de Machecoul, celle de .............................. 600 « 7. A la citoyenne Rosalie Challet, veuve de Lefort, gendarme, à la résidence du Loroux, ayant 4 enfans, celle de ......... . ........................... 1,000 « 8. A la citoyenne Catherine Mercier, veuve de Tiremois, lieutenant de gendarmerie, à la résidence de Clisson, celle de .............................. 500 « II. La trésorerie nationale mettra également à la disposition du district de Versailles, département de Seine-et-Oise, la somme de 3,000 liv., pour être comptée à la citoyenne veuve Gambier, de son vivant gendarme à la résidence de Machecoul, actuellement domiciliée dans la commune de Versailles, et à celle du district de Mortagne, département de l’Orne, celle de 500 liv., pour être comptée aux enfans de Tiremois, de son vivant lieu-(1) Mon., XXI, 97 (partiellement dans C 307, pL 1178, p. 1. 222 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE tenant de la gendarmerie nationale, à la résidence de Clisson, et ce entre les mains du citoyen Tiremois leur oncle et tuteur. «m. Toutes ces sommes sont accordées à titre de don particulier et de gratifications nationales, et ne seront point imputées sur les pensions auxquelles ont droit, suivant la loi, les ci-dessus dénommés. «IV. Toutes les pièces seront renvoyées aux comités de liquidation et d’instruction publique; au 1er, pour déterminer les pensions; au 2 ond, pour que les faits qu’elles contiennent soient insérés dans les annales qui constatent ceux qui honorent le plus la République. «V. Le présent décret ne sera imprimé qu’au bulletin de correspondance. «Sur la motion d’un membre, la Convention nationale décrète l’impression du rapport, l’envoi aux armées et l’impression au bulletin » (1) . 31 «La Convention nationale, ouï [BOUQUIER, au nom de] son comité d’instruction publique, «En conformité de l’article III de son décret du 6 messidor, relatif à la restauration des monumens des arts, composant la collection du muséum national, nomme pour former, conjointement avec le conservatoire, le jury de restauration, les citoyens Prudon, Marcenay, Gérard, Mauricault, Vanderbruck, Wanspan-doon le jeune, Langlier et Touzé»{2). 32 « La Convention nationale, après avoir entendu un de ses membres [TURREAU] sur la pétition de la société populaire d’Angers, en faveur de Louis Louesdon, canonnier du 8e régiment d’artillerie, qui, au siège d’Angers, eut l’avant-bras tellement fracassé, qu’il fallut lui couper le poignet; «Décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale paiera audit Louesdon, à titre de secours, la somme de 400 liv., non imputable sur la pension à laquelle il a droit à prétendre. «Le présent décret ne sera imprimé qu’au bulletin de correspondance » (3) . (1) P.V., XL, 223-226. Minute de la main de Mérlino. Décret n° 9685. Reproduit dans B