ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 [États généraux.] Si je cherche maintenant ce que c’est qu’une loi, je trouve que c’est une intention juste et utile exprimée par une volonté souveraine. Car ce qui est injuste peut bien être ordonné et exécuté par la force, mais n’aura jamais le caractère auguste de la loi. D’après ces principes qui sont, je crois, incon-� testables, je demande ce que signifie le mode � de constitution des représentants de la nation ? Quelle est la loi qui l’autorise? Où est la volonté souveraine qui a exprimé cette intention juste et utile? Sommes-nous seuls la puissance législative? Pouvons-nous y suppléer? La volonté générale vous y a-t-elle autorisés? Vos constituants vous ont-ils enjoint de résoudre de cette manière la question qu’ils n’avaient pas même prévue , sur la vérification des pouvoirs? ont-ils même réclamé dans tous les bailliages, sur le refus des deux premiers ordres d’y procéder en commun? Ce n’est pas que je ne regarde comme injuste, de la part du clergé et de la noblesse, de s’y refuser aujourd’hui. J’ai déjà eu occasion de le dire, et je le répète maintenant : aucun motif, aucun fait historique ne pouvait détruire cette raison irrésistible qui n’avait jamais été alléguée dans les précédents Etats généraux. Si la vérification commune et réciproque n’a pas toujours eu lieu, c’est parce qu’il n’y apasde preuve qu’elle ait été réclamée; mais lu 'réquisition d’une des parties contractantes suffit pour y obliger les autres. Cependant, par ce refus obstiné des deux ordres, faut-il que tout périsse? Et la priorité d’une injustice légitimerait-elle celle qui la suivrait? Si le clergé et la noblesse ne veulent point se lier envers vous, ne vous liez pas envers eux. Que leurs pouvoirs ignorés agissent sur l’ordre dans lequel ils veulent rester circonscrits. Ils en sont les représentants; et vous l’êtes d’un peuple immense. Mais ils font partie de la nation; ils sont sans doute connus des corps auxquels ils appartiennent ; et vous, les députés des communes, pour-uoi vous appelleriez-vous les seuls représentants e la nation? Les députés du clergé et de la noblesse vont nous demander qui nous a donné ce caractère d’authenticité et qui les en a privés? Nous répondrons que nous avons sur eux l’avantage d’une intention juste et légale, d’une doctrine vraiment nationale. Mais, ajouteront-ils, il n’y a pas eu plus de vérification commune pour vous que pour nous ; et ce n’est pas de la formule de l’appel et de la forme matérielle de cette salle que vous tirez votre force. L’Assemblée qui a ordonné l’appel n’avait elle-même aucune juridiction sur les autres ordres; etlelieu dans lequel s’est fait cet appel n’est pas exclusivement celui où peuvent se tenir les Etats généraux. 11 est vrai, Messieurs, que vous êtes plus essentiellement les représentants de la nation, que ne le sont les députés du clergé et de la noblesse; car les premiers éléments de la force sociale et politique consistent dans le corps national qui nous a députés. C’est sous ce rapport que votre existence est grande, que votre influence doit l’être, et qu’elle est indépendante des prétentions négatives des deux autres ordres. Mais au lieu de les anéantir, vous les mettez en action si vous allez au delà de vos pouvoirs. Or, je n’en connais point parmi nous qui nous permette d’adopter et de créer un mode absolument nouveau de constitution. Que disent en effet les pouvoirs les plus impératifs sur l’opi-{16 juin 1789.] nion par tête? de se retirer si l’on vote par ordre. Cette recommandation est très-différente de celle de s’établir les seuls représentants connus de la nation, qui es-.t une attaque directe aux autres ordres. Cette attaque provoque dans l’instant une défense, une résistance, une scission ; et c’est là, Messieurs, le malheur que je désirerai toujours éviter. Nous l’éviterons en restant ce que nous sommes, les représentants du peuple, ou de la majeure partie de la nation car l’une et l’autre désignation nous conviennent également. Je demande seulement qu’on prenne en considération les arrêtés proposés; et j’adopte de préférence ceux qui donnent un plus grand développement à nos motifs. Cette motion n’est pas goûtée par l’Assemblée. Les débats augmentent de plus en plus. Plusieurs membres veulent que la question soi! décidée sans désemparer; d’autres demandent d’ajourner au lendemain. M. le Doyen consulte l’Assemblée, et il est décidé que la question sera renvoyée à demain. M. Desmazlère fait, au nom de Messieurs du premier bureau, le rapport de l’examen des pouvoirs de MM. Besse, curé de Saint-Aubin; Grégoire, curé d’Embermesnil, Dillon, curé du vieux-Pouzages; Bodineau, curé de Saint-Bien heuré de Vendôme; Marolles , curé de Saint-Quentin. L’Assemblée prononçant sur ce rapport déclare les pouvoirs bons; et les actes qui les constituent sont rendus à Messieurs les curés. La séance est levée à dix heures passées. ÉTATS GÉNÉRAUX. , Séance du mardi 16 juin 1789. | CLERGÉ. ! On reprend la discussion sur la proposition de se réunir au tiers. Les débats occupent toute la séance sans produire de résultats. La discussion est interrompue par une députation de l’ordre de la noblesse, à la tête de laquelle est M. de Beaumetz, qui apporte l’arrêté pris aujourd’hui par cette Chambre sur les moyens de remédier à la cherté des grains. NOBLESSE. | M. le Président dit qu’il a été mardi porter} au Roi l’arrêté de la Chambre; que Sa Majesté lui] a répondu qu’elle le recevra, par égard pour lai noblesse; mais que l’usage est qu’on le lui fassé parvenir par le garde des sceaux. Cette réponse excite des réclamations, et donné lieu à des réserves de la part d’un grand nombre de membres de l’Assemblée. Dans la même séance, on prend en considération la proposition du clergé de s’occuper de la misère du peuple. Voici ce qui est arrêté sur cet objet: « Arrêté que l’ordre de la noblesse nommera des commissaires à l’effet de se concerter avec1 ceux des autres ordres pour aviser aux propositions qui lui ont été faites par l’ordre du clergé, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 121 [États généraux.] et examiner les moyens de remédier à la cherté des grains et à la misère publique. » On nomme ensuite deux députations pour communiquer cet arrêté aux deux autres ordres. La séance est levée. COMMUNES. Séance du matin. M. le Doyen ayant ouvert la séance, a proposé j de faire une visite de condoléance, au nom de j l’Assemblée, à la veuve de M. Liquier, député, à ! l’inhumation duquel plusieurs membres ont as-i sisté. L’Assemblée l’a approuvé. i ! M. Bertereau, curé de Teillé (1), député du clergé de la sénéchaussée du Maine, est entré, et I a dit: Messieurs, le second député du clergé de la sénéchaussée du Maine, intimement persuadé que l’ordre des communes de France est fondé à demander une vérification commune et respec-i tive des pouvoirs entre les trois ordres, s’empresse de vous présenter les siens. La justice, . son inclination naturelle lui prescrivent également cette démarche. Citoyen avant que d’être promu au sacerdoce, il n’a point cessé de l’être, ; ni oublié le rang auquel il doit sa naissance. Il ; n’a vu dans sa qualité de pasteur que des raisons multipliées de s’unir plus étroitement aux malheureux et à la classe si nécessaire des cultivateurs laborieux, victimes infortunées de la main 1 cruelle du fisc. Il ne se croit pas moins que vous, ' Messieurs, chargé de leurs plus chers intérêts; et le désir le plus ardent de son cœur a été de j pouvoir les soulager. Un monarque bienfaisant nous en procure l’occasion en nous rassemblant j ici, Messieurs, pour tarir les sources diverses des | malheurs publics. Vos procédés, conçus avec sa-i gesse, conduits avec prudence, pesés*dans la balance de la plus sévère justice et soutenus avec fermeté, seront toujours étayés du suffrage de ma faible voix. Ce sont les sentiments et les dispositions sincères de mon cœur; et je vous prie, Messieurs, de les consigner dans le procès-verbal de votre Assemblée. j M. Bertereau a remis ses pouvoirs sur le bureau, et a pris séance sur les bancs du clergé. L’Assemblée a chargé le bureau des adjoints d’en faire l'examen et le rapport. MM. du bureau des adjoints, après avoir procédé , à cet examen, ont dit , M. Enjubault de la Roche portant la parole, que les pouvoirs remis par M. Bertereau consistaient en un procès-verbal de prestation de serment relatif à son élection; que ce' procès-verbal était sans contradiction et ! paraissait régulier, mais qu’il n’apparaissait pas de procès-verbal d’élection. : L’Assemblée a statué que M. Bertereau rappor-| terait le procès-verbal de son élection dans quinzaine, et cependant qu’il prendrait séance provisoire. Le procès-verbal de sa prestation de | serment lui a été rendu. M. Henriot, député du bailliage de Langres, a remis ses pouvoirs, et ceux de M. Thevenot de Maroise, son collègue, qui s’est présenté. La discussion commencée hier est reprise. (1) Le Moniteur n’a reproduit qu’une partie du discours de M. Bertereau. [16 juin 1789.] M. l’abbé Sieyès prend la parole pour défendre et rétablir sa motion ; il s’attache particulièrement à réfuter le mode de constitution présenté par M. le comte de Mirabeau, et celui présenté par M. Mounier. M. Camus. Que vous propose-t-on? de vous constituer les représentants de la nation française légalement vérifiés. Et certes, n’est-ce pas là une vérité sensible et assez publique? La vérification en commun est un principe dont vous ne vous êtes jamais départis : cette vérification a été faite entre les membres des communes et une partie de ceux du clergé ; et qu’allez-vous donc publier maintenant par votre arrêté, ou plutôt par le titre de votre constitution? Un simple fait, une vérité authentique. Vous ôtes les seuls représentants vérifiés, et vous le publierez à la face de la nation. Maintenant pourquoi nous parler de la sanction du Roi, de son veto? Son veto peut-il empêcher que le fait que nous énoncerons, que la vérité que nous publierons ne soit toujours une et toujours immuable? Son veto peut-il empêcher que nous soyons ce que nous sommes et ce que nous devons" être? La sanction royale ne peut changer l’ordre des choses, altérer leur nature. Nous sommes les représentants vérifiés de la nation; le Roi ne peut faire que nous ne le soyons pas: il peut nous forcer à ne point exercer les droits que nous donne ce titre; mais ce titre, il ne peut nous l’enlever. Il ne me reste plus qu’une objection à faire. Avec quel étonnement ai-je entendu prononcer, hier matin, parmi nous, le mot d ’ emprunt ! Quoi t nous ne sommes rien encore, et nous commencerions le bien que chacun de nous se vante de faire par consentir un impôt, par violer le serment que nous avons tous juré de n’accorder aucun subside tant que la liberté, la propriété et la sûreté publique ne reposeront pas sur des bases immuables! Nous ne sommes rien, et nous priverions la nation des ressources que la Providence lui préparait pour secouer le joug du despotisme! Nous ne sommes rien, et nous lui ferions tout le mal que ses plus cruels ennemis, les vainqueurs les plus barbares pourraient lui faire! Et quel est le motif de cet emprunt? vous a-t-on dit : c’est de mettre le Roi de notre côté ; c’est de dissiper ces intrigues sourdes et secrètes dont les communes seraient incessamment victimes ; c’est, en un mot, de rendre notre cause plus favorable. Notre cause est juste, et nous avons pour nous le témoignage de notre conscience. Le Roi n’est pas moins juste; et, comme la justice est une, il ne peut être contre elle. Mais il est obsédé, trompé ! s’écrie-t-on. Est-cé pour cela qu’il faut acheter la faveur? Si, par un emprunt modique, vous cherchez à l’acquérir, la noblesse, le clergé, ligués ensemble, en consentiront un plus considérable pour mettre à leur tour le Roi de leur côté ; et c’est alors qu’ils vous diront que vous vous opposez à leur générosité, à leur désintéressement. Non, ne songeons pas à mettre la faveur du Roi à l’encan ; notre parti est celui de la raison et de l’équité, et honorons assez notre monarque pour croire que ce n’est pas à prix d’argent qu’on lui fait embrasser la défense de la justice. M**”, procureur du (loi d’un bailliage royal de Lorraine, parle ensuite. Il adopte la motion de M. l’abbé Sieyès, ilréfute celle de M. Mounier, rejette celle de M. de Mirabeab, en disant qu’il suffit que le mot peuple prête à l’équivoque pour qu’on le rejette ;que la France est encore loin de