[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1791.] 73 L’ordre du jour est un projet de décret des comités réunis sur les émigrants. M. Vernier , rapporteur. Souvent les vérités les plus lumineuses ont, je ne sais par quelle fatalité des circonstances, la plus grande peine à s’accréditer; mais vous avez enfin reconnu, Messieurs, dans les dernières séances, le principe incontestable que la liberté indéfinie, qui appartient essentiellement à tout citoyen, d’aller, de venir, de s’établir comme bon lui semble, est limitée et peut être suspendue lorsque la patrie est en danger. En conséquence, Messieurs, non contents du projet de loi qui avait été formé dans d’autres moments, vous avez renvoyé à vos comités, pour vous en présenter un nouveau : c’est ce projet que je viens vous soumettre; vous le trouverez, Messieurs, rigoureusement conforme à l’esprit qui adirigé les ordres que vous nousavez donnés. Notre projeta pour but, comme vous le désiriez, Messieurs, de forcer les absents de rentrer dans le royaume ou de voir leurs biens séquestrés au profit de la nation, pour n’en jouir que lorsqu’ils paraîtront et qu’ils voudront enfin se soumettre a la loi à laquelle ils sont tenuscomme citoyens; nous avons toutefois réservé les droits des créanciers et des parents. Voici notre projet de décret : « Art. 1er. Jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné, les Français absents du royaume seront tenus de rentrer en France dans un mois, à dater de ce jour. » Le délai, Messieurs, est assez long. « Art. 2. Sont exceptés des dispositions ci-dessus, ceux qui ont une mission du gouvernement, les gens de mer, les négociants ou leurs fadeurs, notoirement connus pour faire des voyages chez l’étranger. « Art. 3. Ceux qui rentreront en exécution du présent décret sont mis sous la sauvegarde spéciale de la loi. Les municipalités, les corps administratifs et les gardes nationales devront veiller à leurjjsûreté. «Art. 4. Les biens de ceux qui ne rentreront pas dans le délai prescrit, sont néanmoins mis sous la sauvegarde de la nation ; et le délai expiré, lesdits biens, meubles et immeubles, seront séquestrés et administrés au profit delà nation, de la manière qui suit : « Art. 5. A l’expiration du délai porlé par l’article premier, les directoires de district nommeront des commissaires pour se transporter dans l’étendue de leur ressort, y prendre connaissance, sur l’indication des municipalités, de l’habitation des émigrants et des biens dont ils jouissaient. « Art. 6. Lesdits commissaires me'tront les scellés sur le-portes desdites maisons et appartements occupés ci-devant par lesdits émigrants. Ils établiront aussi un gardien bon et so'vable. Ils appelleront les fermiers, locataires, régisseurs et autres préposés; ils prendront, sous la foi du serment, la déclaration des loyers et fermages dont ils sont débiteurs; ils se feront présenter les quittances desdits payements; recevront pareillement les déclarations desdits biens et régies, dont ils se feront exhiber les comptes; ils donneront auxdits fermiers et locataires lecture du présent décret; ils leur enjoindront de payer les sommes dont ils seraient débiteurs, aux receveurs de district, et recevront la soumission des régisseurs à cet effet, et dans le cas où les lits régisseurs refuseraient de souscrire ladite soumission, et où lesdits biens ne seraient ni en ferme ni en régie, lesdits commissaires procéderont de la manière ci-après ; « Ils feront annoncer publiquement l’adjudication des récoltes pendantes par racines sur les domaines régis. Ladite adjudication sera faite au plus offrant, après un intervalle de vingt-quatre heures au moins depuis l’annonce. Dans le cas où l’absence des émigrants subsisterait encore au premier novembre prochain, les biens à eux appartenant seront régis conformément aux décrets portés, excepté les biens destinés à leur habitation, à l’égard desquels il ne sera fait aucune disposition nouvelle, jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par le Corps législatif. « Art. 7. Les débiteurs desdits émigrants seront tenus de payer entre les mains du receveur de district, en leur domicile, les sommes qu’ils pourraient leur devoir tant en principaux qu’en intérêts. « Art. 8. Sur les revenus qui proviendront des biens séquestrés, seront pris d’abord les frais des commissaires à l’apposition des scellés, visites et autres, suivant le règlement qui en sera fait par le département; le surplus sera versé à la Caisse de l’extraordinaire. « Art. 9. Les droits des créanciers, des femmes et enfants d sdits émigrants et de tous autres qui prétendraient avoir des actions à exercer contre e ux, leur demeurent réservés pour les faire valoir ainsi qu’il appartiendra. « Art. 10. Lorsque les absents rentreront, ils seront réintégrés dans la jouissance de leurs biens sur la demande qui en sera par eux faite par-devant le directoire de district. « Art. 11. Toutes dispositions et conventions faiies en fraude du présent décret seront regardées comme nulles et non-avenues, et seront réputées telles toutes aliénations ou payements d’avance qui n’auraient pas une date certaine, antérieure au présent décret. » M. de Castellane. La question préalable. (Murmures.) M. llalouet. Si quelqu’un se charge de mani-f ster l’indignation que mérite le décret, je ne parlerai pas. M. Rewbell. Je manifesterai mon indignation contre ceux qui parleront contre le décret. M. Malonet. Je la manifesterai contre vous. M. l juillet 1791.] contre l’émigration, je m’occuperais à réfuler les différents arguments qu’il vous a présentés car il est certain que toute association d’hommes, étant fondée sur des conditions réciproques, ceux qui ne représentent pas cette association ont le droit de se prescrire les conditions qu’ils croient nécessaires à leur salut; et là où il y a réciprocité parfaite et entière, il n’y a jamais d’injustices. Mais ce n’est pas de faire une loi contre les émigrants qu’il s’agit en ce moment, c’est de prendre une mesure propre à sauver la patrie en danger : quand je dis la patrie, je me trompe, je veux dire qu’il s’agit de prévenir les actes des traîtres qui veulent nousattaquer. Nousne sommes pas maintenant clans l’état ordinaire de la société; et pour vous le démontrer, je ne vous dirai qu’une chose : l’état habituel de la société appelle tous les citoyens, les pères de famille' à vivre tran-uillement dans leurs foyers, et à prendre soin e leurs affaires. Au lieu de cela, vous voyez tous les jours les mêmes citoyens consacrer leurs jours, leurs nuits, à défendre, je ne dis pas seulement leurs propriétés, mais la propriété, les biens de tous les individus qui sont compris dans le contrat social. 4 droite : Ce n’est pas vrai ! M. Prieur. Nous ne sommes pas dans une position naturelle; nous ne sommes pas dans l’ordre ordinaire de la société, car vous avez senti que pour repousser ceux qui voulaient attaquer notre tranquillité intérieure, il fallait que 400,000 citoyens fussent enrôlés sur-le�ehamp pour voler à nos frontières. Et on pré end ra que ces citoyens sur les frontières, que ces nombreuses légions que nous sommes obligés d’entretenir tous les jours, doivent être employées à défendre les propriétés de ceux qui ont abandonné la patrie, à leur faire passer tranquillement le revenu de leurs biens pour acheter des chevaux, des armes, pour venir attaquer la tranquillité intérieure de ceux qui veillent à leur sûreté? Messieurs, il ne faut pas nous le dissimuler : nous ne sommes plus dans les temps où de vains et stériles regrets pour des prérogatives chimériques, qui étaient contraires à l’intérêt public, faisaient éclore quelque mécontentement. Dans cet instant, nous regrettions que les progrès de la raison fussent aussi lents; nous espérions que son empire, qui doit enfin triompher dans le cœur de tous, triompherait encore; nous ne croyions pas que deux années d’une résistance si terrible contre la raison... ( Murmures à droite.) M. le Président, s'adressant à la droite. Messieurs, je vous prie de ne pas troubler l’opinant ; les opinions sont libres. M. Prieur. Je vous disais, Messieurs, que nous n’étions plus dans ces temps où nous voyions paraître de simples mécontentements. Si la résistance des opposants s’était toujours bornée là, nous les aurions plaints, nous les aurions défendus de nos propres bras. Moi, je les aurais défendus, et je les défendrais encore. Mais nous ne sommes plus dans ces circonstances ; ce ne sont plus des Français inconstants que nous avons hors du royaume, ce sont des soldats armés qui veulent y porter le fer et le feu. ( Applaudissements .) Je crois qu’il ne reste plus à personne de nous malheureusement, la moindre incertitude sur cette triste et cruelle vérité ; et s’il en restait encore à quelques-uns, je les renverrais à ces nombreuses preuves qui existent dans nos comités, je les renverrais à ces défis que l’on doit regarder comme ridicules. Ainsi, cela une fois posé, quel raisonnement doit faire un Fiançais absent ou présent? 11 doit dire : La patrie est en danger, mon devoir est d’aller la défendre. Tout Français qui ne dit pas aujourd’hui qu’il veut défendre sa patrie, n’est plus attaché à la société. Dès lors la sociéi é ne lui doit plus de protection : et lorsque les émigrants sont dehors, les armes à la main pour nous combattre, la loi de la réciprocité autoriserait à s’emparer de leurs biens. C’est pourquoi nous avons mis leurs biens sous la sauvegarde de la nation ; car prenez bien garde, la lui que nous faisons n’est ni cruelle, ni barbare : c’est une mesure nécessaire, indispensable, que nous prenons contre nos frères égarés. Remarquez bien que nous ne perdons pas encore l’espérance de les voir revenir dans notre sein cimenter des liens fondés sur la justice et la raison, et qui feraient de la France le peuple le plus heureux de la terre. A droite : G’est-il bien vrai ? M. Prieur. Oui, c’est vrai : il ne tiendrait qu’à vous de réaliser cette assertion. Quoi qu’il en soit, la nation française ne peut pas être forcée à protéger les propriétés de ceux qui veulent porter les armes contre elle; et certes la nation que nous représentons aurait raison de nous dire que nous serions d’accord avec les con! rerévolutionnaires si nous prenions toutes les mesures possibles pour leur faire parvenir des revenus dont ils ne comptent se servir que pour déchirer leur patrie. ( Applaudissements .) Voilà mes motifs pour appuyer de toutes mes forces le projet qui vous est soumis. ( Applaudissements .) M. Driois-Beaumeta. Il me paraît impossible de contester le principe qui assujettit tous les membres de la société à ses charges. Il me paraît plus impossible encore de justifier la conduite de ceux qui, étant membres d’une société, se permettraient de porter les armes contre elle et de déchirer le sein de leur patrie par la flamme et le fer. Je crois que quiconque ne serait pas prêt à s’armer soi-même pour repousser, aux dépens de sa vie, les traîtres qui pourraient concourir à exécuter un pareil dessein, ne pourrait subir une peine trop grave ; et non seulement la séquestration, mais la confiscation même de ses propriétés, mais les derniers supplices, si Fou pouvait par la force s’assurer de sa personne, ne suffiraient pas pour expier un crime qui est à mes yeux le plus énorme de tous. Ces principes, que le délire seul peut contester, me paraissent parfaitement étrangers au projet de loi qui vous a été lu, et qui, dans sa latitude, embrasse universellement tous les hommes qui, étant nés Français, ont actuellement leur domicile fixé hors du sein de la France. Je ne m’arrêterai pas à discuter en détail les nombreuses défectuosités de ce projet de loi qui, refait à plusieurs fois et toujours repoussé, semble prouver, chaque fois qu’on vous le représente, que s’il est facile de rédiger le préambule d’une loi sur les émigrants, il est impossible de rédiger aucun article raisonnable. Ce sera par des vues supérieures que je me permettrai de discuter le projet qui vous est soumis ; et sans me traîner péniblement sur toutes 76 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1791.J [Assemblée nationale.] les impossibilités d'exécution, sur toutes les injustices de détail, sur toutes les immoralités mêmes qu’il présente en forçant les citoyens à se dissimuler, à se replier sur eux-mêmes, à dénaturer leur fortune, à échapper à la loi par des conventions simulées, à feindre des professions, des causes d’absence, sans, dis-je, grossir la liste de ces nombreuses défectuosités, je me bornerai à vous présenter quelques considération�, un ordre politique d’idées, et telles qu’elles me paraissent dignes d’être senties par une Assemblée qui tient en ce moment les destinées du plus bel Empire du monde. C’est sur les circonstances que l’on s’ap mie lorsqu’on vous demande un projet de loi sur les émigrants; et moi aussi, Messieurs, c’est sur les circonstances que je m’appuie, lorsque j’oserai vous avancer et lorsque je vous prouverai, je le pense, que jamais circonstance ne fut plus mal choisie que celle dans laquelle on vous présente un semblable projet. ( Murmures à gauche.) La maladie politique de l’émigration est un des symptômes fâcheux qui accompagnent nécessairement les mouvements des révoluiions des Etats. Lorsqu’une nation, qui se régénère, arrache violemment de son sein tous les abus, il est né-cessaiiement un petit nombre d’hommes qui, ou trop faibles pour s’élever au niveau des besoins qui ont rendu vos travaux nécessaires, ou effrayés par des calamités particulières, inséparables de l’agitation d’une grande révolution, ou entraînés par des conseils ou par des exemples, croient devoir, pour un temps, et loin du lieu de la crise, envisager paisiblement l’issue de la révolution à laquelle ils refusent de prendre part. Je suis loin d’approuver cette conduite. Je sais que c’est au milieu des orages politiques que le citoyen vertueux et courageux doit déployer l’ensemble de ses facultés, et qu’il n’est pas p rmis d’ê re indiffére nt, toutes les fois qu’on peut être utile; mais si j’envisage celte difficulté, si j’envisage cette conduite, et si je la rapproche des circonstancesauxqueiles nous sommes parvenus, je dis que les mesures que l’on vous propose pour bâter, dans une crise violente et forcée, la lin de la Révolution, sont précisément les seules qui puissent empêcher la guérison de cette maladie qui touche à so i terme. Vous êtes parvenus au plus beau période de la Révolution; vous êtes parvenus à une époque à laquelle il était sans doute permis d’espérer que vous arriveriez, mais qui cependant n’a été accordée à beaucoup de nations qui se sont régénérées, qu’après avoir traversé de longues années d’orages et de malheurs. Les crises politiques que nous venons d’éprouver ont mûri, par une heureuse fermentation, la marche des esprits et des événements; la volonté nationale s’est déployée tout entière; et cette immeme majorité, qui s’est annoncée en faveur de la Constitution, a été la leçon la plus importante et pour les amis et pour les ennemis de cette Révolution. ( Applaudissements. ) Les amis de la Révolution se sont comptés dans ces jours d’orage; ils ont vu leur nombre et mesuré leurs forces; ils ont vu que la totalité delà nation était imprégnée du vœu d’être libre, et que rien ne pouvait arracher du cœur des Français cette plante de la liberté qui y a jrté de profondes racines : ils ont compté la minorité des opposants, ils ont vu combien cette minorité était méprisable par le nombre. Celte grande vérité a été aperçue au dedans du royaume, elle a été également sentie au dehors. Croyez que les puissances étrangères n’ont pas été les dernières à faire ce calcul ; croyez qu’elles ont aperçu ce qu’on avait peut-être cherché à leur dissimuler, ce que peut-être les cours avaient cherché à dissimuler aux nations, c'est que la nation française était tout entière à la Révolution, c’est que la Révolution que l’on avait peinte dans la cour de France, et dans toutes les autres, comme l’ouvrage d’un petit nombre d’hommes plus remarquables par leurs mouvements, que par leurs vertus, comme le vœu d’un petit nombre de factieux qui feignaient d’être la majorité, tandis qu’ils étaient réellement la minorité, c’est que cette Révolution est maintenant reconnue pour le vœu uni ver-el de la nation française, et qu’il n’v a pas d’hommes a-sez insensés ni dans la nation, ni au dehors, pour chercher à empêcher une nation d’être libre et heureuse à sa manière, quand elle le veut tout entière. ( Applaudissements .) Le jour où cet étonnant calcul a été réalisé, il a produit une grande révolution dans la masse des esprits; et remarquez, Messieurs, dans quelle situation doivent être les Français qui ont cru nécessaire, soit à leurs projets, soit à leurs méditations, de se placer au dehors de leur patrie. Ils ont dû apercevoir nécessairement l’impossibilité de rallier dans le sein de la France, je ne dis pas une majorité, mais une minorité en état d’opposer la moindre résistance à l’établissement de la Constitution ; et ce jour-là, ils ont dû désespérer en même temps de trouver au dehors quelque puissance assez insensée pour verser ses trésors, ainsi que le sang de ses sujets, en faveur d’une cause qui ne l’intéresse en rien. Car les grands exemples de liberté que vous donnez à l’Europe entière ne peuvent êiredangereux pour personne, et ne peuvent que tourner au profit de toutes les puissances, parce qu’ils tournent partout au prolit des autorités légitimes, et qu’il n'y a personne d’assez insensé et qui calcule assez mal ses intérêts, pour ne pas apercevoir que dans la noblesse soutenue et dans la fermeté imposante d’une bonne conduite, il y a pour les gouvernements bien ordonnés plus d’exemples de réformaiion salutaire, qu’il n’y a de chances, pour le despotisme, dans l'entreprise impossible à exécuter de venir combattre votre liberté et détruire à main armée votre Constitution. Dès ce moment, puisqu’il ne reste d’espérances aux Français émigrés, ni dans la révolution intérieure, ni dans les combinaisons extérieures de la politique, il ne leur reste qu’un parti à prendre, c’est d’attendre que votre Constitution soit achevée, et elle va l’être : c’est d’attendre que vous y ayez mis le dernier sceau, et il va y être apposé sous peu de jours par la révision, et ce jour-là il n’y a pas un d’eux qui, consultant son propre intérêt, ne voie qu'il n’a qu’à opter ou de venir prendre le poste de citoyen qui lui est offert par la Constitution, ou de se vouer an rôle déshonorant et impossible à soutenir longtemps d’aventurier fugitif de sa patrie, séparé de ses possessions, privé de son patrimoine, et éloigné de tout ce qui est cher à tous les hommes, et de ce dont ils ne se séparent jamais volontairement pour un temps trop prolongé. 11 y a parmi les émigrants un petit nombre d’hommes qui, n’ayant rien à gagner ni à perdre, ne connaissant pas le nom de patrie, sont les sti-pendiaires des princes, lèvent des légious et abandonnent le soin de leurs jours an sort de je ne sais quelle valeur aventurière dont ils ne savent que faire; mais il est un plus grand nombre de propriétaires, pères de famille, qui sont attachés 77 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1791.] à la France par les liens les plus sacrés, qui n’y rentreraient jamais les armes à la main et qui aimeraient mieux périr que de déchirer le sein de leur patrie à laquelle iis ont voué de très longs services. (Murmures.) J’ose affirmer qu’il en est beaucoup, et il n’y a peut-êire |as un membre de cette Assemblée qui n’en connaisse lui-même : j’ose aftirmer, dis-je, qu’il n’y a pas un autre moyeu de mettre obstacle à la rentrée nécessaire de et s citoyens, qu’il n’y a pas un autre moyen de les empêcher de suivre le penchant irrésistible et la force naturelle des ciioses qui vous les ramèneront, que de leur enjoindre par une loi impérieuse de faire ce qu’ils brûlent eux-mêmes défaire, et ce qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de faire. Vous ne pouvez pas mettre entre leur patrie et eux une autre barrière que celle de ce faux honneur qu’ils attacheraient à ne pas faire ce à quoi on voudrait les contraindre; et je dis qu’il est également injuste et impolitique, contraire au but que vous vous proposez, contraire à la nécessité urgenle de les ramener, que d’avuir l’air de les ramener par la menace, lorsque la nation entière leur ouvrant les bras, et pressés eux-mêmes par le besoin de se réunir dans son sein, ils vous seront rendus par la nécessité, par la force des choses et par l’impossibilité de prendre pour eux-mêmes un autre parti raisonnable. D’après ces considérations, je dis que la loi qu’on vous propose dans ce moment-ci, loi dont je me refuse à examiner l'impossibilité et les défectuosités de détail, je dis que cette loi va directement contre votre objet : je dis que si vous laissez à la nature des choses le soin de vous ramener des hommes que vous avez intérêt de voir se réunir à la patrie, ils sont à vous, ils ne | eu vent pas vous échapper, et que la nécessité vous les rendra. (Murmures.) Je supplie donc l’Assemblée nationale de se pénétrer ce la grandeur de sa position, de ne pas perdre de vue les immenses avantages qu’elle tient de la justice de sa cause, les immenses avantages quelle tient de l’assentiment unanime de la nation dont elle a si justement exprimé le vœu, qu’il n’est pas un de ses décrets qui ne soit entré dans le fond du cœur de ceux qui doivent y obéir. Je supplie l’Assemblée nationale de ne pas se laisser mettre hors de cette importante position, et de ne p s se vouer à des mesures petites, étroites, tyranniques et déshonorantes pour la Constitution; que les circonstances seules pourraient faire excuser ; que ceux-mêmes qui les proposent avouent ne pouvoir être soutenus que dans les circonstances où nous nous trouvons, quand il est au moins douteux et quand il est certain, au contraire, que les circonstances demandent plutôt un état stationnaire qui attende l’effet irrésistible des événements, ce qu’en vain nous voudrions provoquer par une loi injuste, cruelle, inexécutable. Je demande l’ajournement du projet. M. Rewbell. Les discours que vous venez d’entendre en faveur des émigrants et en faveur de lu liberté, ne sont, dans le fond, qu’une critique indirecte des mesures que votre sagesse a cru devoir prendre pour le salut du royaume ; car la lot sur les émigrants n’est évidemment que la suite du décret que vous avez rendu portant défense à tous 1 s Français de l’intérieur du royaume de continuer d’émigrer. Ou il faut révoquer cette loi, ou il faut décréter celle qu’on vous propose aujourd'hui ; elle en est une suite nécessaire. Il faut bien plus, il faut que vous rayiez de votre code toutes les lois que vous avez faites pour la sûreté des personnes et des propriétés, pour la réciprocité des obligations que les citoyens contractent les uns envers les autres, et surtout que vous rayiez la responsabilité des gardes nationales et des corps administratifs que vous avez voués spécialement à la défense de ces propriétés, sous peine d’en être vous-mêmes responsables. Rappelez-vous, Messieurs, les circonstances dans lesquelles vous vous trouvez depuis près de deux ans. Menacés de. famine, menacés de différents projets de contre-révolution qu’on traitait de chimérique', parce qu’on n’en trouvait pas le fil, vous en avez enfin découvert uu qui n’était que trop réel. La dernière tentative avait un caractère de méchanceté et de scélératesse la plus piofonde, de méchanceté combinée de loin, parce que non seulement on voulait vous attaquer le feu et le fer à la main, mais ou voulait encore vous faire n.ouiir d’inanition par l’émigration combinée des espèces. Messieurs, l’émigration actuelle qui mérite toute votre attention, a deux caractères: d’abord le caractère de la contre-révolutiun, puisque sous ce prétexte on devait fournir des hommes qui ne rougissaient pas de venir fondre sur leur patrie pour renverser la Constitution, pour détruite le Corps législatif, et peut-être exterminer tous ceux qui avaient marqué leur patriotisme dans la Révolution. Le second caractère de cette émigration était que tous ceux qui n’avaient pas le courage de porter les armes contre leur patrie, dans lacrainle de se compromettre, tâchaient du moins de la mettie dan3 la détresse : ces deux caractères sont frappants. Vous avez vu, de tous les points du royaume, cette émigration se faire en même temps, et tous les émigrants employer tous les moyens pour soutirer tout le numéraire dn royaume. Au moment où le complot s’est manifesté dans tout son jour, vous avez été obligés, Messieurs, d’arrêter le cours de ce fléau ; vous avez voulu retenir dans le royaume, comme un gage de la tranquillité publique, si on la menaçait. Vous avez fait une seconde disposition: vous avez voulu empêcher la ruine de l’fîtat, la continuation de cette soustraction de numéraire qui devait l’opérer. (Murmures à droite et au centre.) Je regarde comme des complices des contre-révolutionnaires tous ceux qui voudraient s’élever contre ces deux mesures, que toute la France a approuvées. (Applaudissements.) Que faites-vous à présent, Messieurs ? Ou présente un décret qui n’est que la suite de ces deux dispositions, qui n’en e.-t que la suite nécessaire, décret que la France attend; car enfin, devons-nous souffrir une injustice aussi criante que celle qu’ou nous propose? Vous avez décrété que les corps administratifs, que les gardes nationales, que les communes mêmes des habitants seraient responsables des dégâts qui se commettraient sur les propriétés. Vous avez voulu qu’à la première réquisition, les communes et les gard« s nationales exposassent leur vie pour la défense des propriétés et vous voudriez aujourd’hui qu’il y eût des citoyens garants de la propriété d’autrui et qu’il y en eût qui n’eu fussent pas garants! Où serait donc la réciprocité, si vous laissr z 78 [Assembles nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1791. J subsister un instant cette loi, vis-à-vis des propriétés des émigrants qui s’imposent comme un devoir, sinon de nuire à la nation, au moins de lui être inutiles? Vous commettriez la plus grande des iniquités et vous ne seriez pas obéis. (Murmures.) Eli non, vous ne seriez pas obéis et vous n’auricz pas le droit de l’être. ( Murmures prolongés dans U Assemblée. — Vifs applaudissements dans les tribunes.) M. le Président. Je rappelle les tribunes à l’ordre ; elles viennent d’applaudir dans une circonstance où de tels applaudissements sont scandaleux. ( Vifs applaudissements de V Assemblée.) M. Briols-Beaumetz. C’est l’orateur que vous devez rappeler à l’ordre, parce qu’il a dit que l’Assemblée ne serait pas obéie. M. le Président. Monsieur de Beaumetz, ce ce n’est point l’orateur que je devais rappeler à l’ordre. Il présente une crainte : mais les tribunes qui applaudissent un orateur qui craint que les ordres de l’Assemblée nationale qui n’ont pour objet que la prospérité publique ne soient point suivis, quand, dis-je, une partie du peuple applaudit à cette crainte en ayant l’air de l'affirmer, je dois le rappeler à l’ordre et lui dire qu’il sera démenti par la nation tout entière de cet applaudissement. Je rappelle de nouveau les tribunes à l’ordre. ( Applaudissements prolongés.) M. Briois-Beaumetz. Vos observations me paraissent justes et ce n’est pas pour les contredire que je me suis permis de faire cette réflexion ; mais je voulais vous prier d’étendre votre observation jusqu’à M. l’opinant. En voici la raison... Plusieurs membres : L’ordre du jour. Un membre à gauche : Monsieur le Président, vous nous rappelleriez tous à Tordre, car nous pensons comme l’opinant ! Plusieurs membres : A Tordre ! à Tordre ! M. Bewbell. Il y aurait de l’inconséquence à exiger qu’un individu soit, par la loi, obligé de garantir la sûreté des propriétés d’un autre individu qui ne fut pas obligé à h réciprocité. Je soutiens que telle n’a jamais été l’intention de l’Assemblée nationale; je soutiens que cela ne peut pas être. Dussé-je être rappelé '1,000 fois à Tordre, je m’eu ferai honneur et je le répète. Mais quand je vois des membres de cette Assemblée s’élever avec tant d’acharnement sur une parole qui m'est échappée bien sûrement par zèle, je trouve bien extraordinaire qu'aucun membre de l’Assemblée n’ait osé se lever contre une infâme production que j’ai entre les mains dont il n’y a pas une ligne qui ne soit une contravention à vos décrets. ( Applaudissements à l'extrémité gauche.) On vous a dit avec emphase que, depuis la dernière catastrophe où le patriotisme des Français s’est montré avec tant d’éclat, personne ti’osera plus murmurer. Eh bien, Messieurs, c’est depuis ce moment qu’on a osé distribuer dans l'Assemblée une brochure qui renverse tous les principes de la Constitution ; qui dispute à la nation la souveraineté ; qui contrevient à tous les décrets de l’Assemblée nationale de la manière la plus indécente, j’ose dire la plus effrontée. ( Applaudissements .) Et on vient nous dire ici que nous affectons des craintes puériles, et que nous n’avons plus rien à redouter de l’audace des mécontents ! Je vous le demande, est-ce annuellement le moment de s’écarter des précautions uicté�s par la prudence? Non, Messieurs, malgré qu’on en eût dit, nous avons encore 'la patrie à défendre, nous avons encore la patrie à sauver. On a beau dire que nous commettons un crime en ne remettant pas la défense du royaume au chef du pouvoir exécutif; car on nous traite de criminels de ne pas le faire. On a beau nous dire que nous commettons un crime de ne pas nous en remettre à des généraux perfides pour réprimer les mécontents. Eh bien, nous devons continuer à commettre ce crime : car nous devons continuer à sauver la patrie, à faire taire les mécontents et à les punir. Jamais, non jamais, ni les sentiments d’homme, ni l’amour, ni l’affection pour la patrie ne pourra rien sur eux. Il faut donc nécessairement les réprimer par l’article de l’intérêt, car les âmes viles ne peuvent être conduites que par ce motif. (Vifs applaudisseme?its.) D’après votre législature, personne n’a le droit d’exiger que je défende ses foyers, sans qu’il défende les miens. Aussitôt qu’il ne les défend pas, je ne lui dois rien. Mais il est de l’intérêt de l’Etat, quoique le mauvais citoyen s’éloigne dans le moment où il devrait le défendre, que cependant ses biens ne périssent point, que ses biens soient toujours profitables pour la nation; cYst là la seule raison qui veut qu’on les administre en son nom ; car, de droit, on pourrait passer uu principe in-eonstestable, que je ne dois aucune espèce de soin et de protection à la propriété de l’individu qui ne respecte pas lu mienne. Voilà un principe que personne ne pourrait contester sans être, je ne dis pas un mauvais citoyen, mais même sans être un mauvais logicien. Mais comme il est de l’intérêt public que le soin des propriétés ne soit pas confié au hasard de gens qui ne les respecteraient pas, il laut absolument les mettre sous la sauvegarde de la nation, et c’est ce que vous propose votre comité. Il ne vous propose rien autre chose; il ne vous propose pas de les priver de leurs revenus; il veut seulement qu’elles soient à l’abri de toute invasion illégale ; il veut que, quoiqu’on ne doive rien au mauvais citoyen, les choses restent intactes. Mais il faut au moins que ce mauvais citoyen paye les frais de cette administration, et s’il ne revient pas, qu’il perde ses revenus. Ils ne lui appartiennent pas, parce que ces revenus auraient été perdus pour lui, si la nation ne les avait pas défendus ; car enfin, on ne doit rien à ceux qui ne veulent rien nous devoir. Voilà les seuls principes par lesquels je soutiens que le projet doit être adopté. M. de Jessé. Messieurs, pour nous entendre, je crois qu’il faut non seulement poser mais di-vi-er la question, et ranger dans deux classes les individus qui peuvent être tentés d’émigrer. Là-dessus, je vous prie de ne pas perdre de vue, que les plus ardents partisans du système que je combats, saisis d’indignation contre des citoyens que je regarde ainsi qu’eux comme indignes de 'la liberté, puisqu’ils ne veulent point y mettre le haut prix dont elle doit être achetée, argumentent sans cesse, comme contre des Français déserteurs de notre belle cause; et qu’ils croient sévir, au nom de la patrie, contre des enfants ingrats : ils [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES.. [9 juillet 1791.] ne s’aperçoivent pas que dans plusieurs cas ils ne sont point dans l'état de la question. Il est deux espèces d’émigrants, et quant à l’une des deux que je vais considérer la première, toutes les argumentations portent à faux; car c’est en qualité de Français que l’on propose de porter une loi contre ces émigrants : et il est évident cependant qu’il ne peut ne s’agir plus ici de Français effectivement. S’il est déclaré par eux qu’ils ne veulent point accepter le pacte social que vous présentez à la nation dès que ce noble contrat ne convient ni à leurs opinions, ni à leurs sentiments; dès que, vieillis dans leurs chaînes, ils ont subi la plus terrible des influences de l’esclavage, celle d’anéantir jusqu’au goût de la liberté; ils ne sont plus Français (Murmures); ils ont récusé vos lois et les bienfaits de votre association; vous ne pouvez forcer leur volonté. Je te répète, ce sont des étrangers sur lesquels vous n’avez aucune jurisprudence; je doute même qu’après une mûre réflexion vous crussiez de votre intérêt de la conserver. Ce n’est pas vous, Messieurs, qui prétendrez que si tel est l’intérêt de la nation, nulle raison ne peut tes protéger, et qu’ils doivent être retenus ou voir leurs propriétés séquestrées; je nierais formellement 1e principe : Eh! comment serait-il invoqué dans l’Assemblée nationale, il a été deshonoré par les tyrans? Il est certain que la majorité de la nation, ou de ses mandataires, a 1e droit d établir 1e régime sous lequel il lui convient de vivre; mais la plus forte raison peut être du droit incontestable qu’elle en a, c’est qu’en changeant sa Constitution, c’est qu’en brisant le pacte que des hommes avaient formé, ou tes habitudes sous lesquelles ils avaient vécu, elle laisse aux mécon'ents d’un nouvel ordre de choses, la faculté de s’y soustraire : c’est qu’elle n’impose à la minorité vaincue que l’obligation d’obéir ou de fuir; car, rompre ce pacte ou ces habitudes, sans laisser à cette minorité la liberté de renouveler l’association, ou d’en contracter d’étrangères, et dans ce cas l’en punir par des peines afflictives, c’est substituer l’empire de la force à celui de la raison : c’est calomnier la liberté : c’est la frapper dans son berceau, lorsque vous la destinez à faire un journaux acclamations des hommes, la conquête paisible du monde. Oui, Messieurs, la nation a le droit d’ordonner sa Constitution, son gouvernement, ses lois civiles, enfin tout ce qui constitue 1e droit positif, tout ce qui en émane; mais elle ne peut rien contre tes droits naturels, contre tes droits sacrés et imprescriptibles des hommes; c’est ici que l’adage tant cité, salus populi suprema lex esta, manque absolument d’application. Si, dans l’espèce présente, vous blessiez ces droits naturels, antérieurs à la société, et qu’elle ne fait que protéger de toute la force publique; si dans la renovation du pacte social, vous enfreigniez cette liberté d’aller et de venir, de se choisir ses dieux et ses amiq vous seriez coupables d’un délit social. (Murmures.) Eh! 1e délit change-t-il de dénomination! change-t-il d’essence pour être-commis par un plus grand nombre? Non, Messieurs, et je ne crains pas d’avancer devant vous, que si comme on l’a vu, chez des nations barbares, le sacrifice d’une tête innocente était cra nécessaire à la prospérité éternelle de la nation française,; si le salut de 25 millions d’hommes dépendait de la perte illégale d’un seul, ils Sauraient pas le droit d’exister à ce prix. Le patriotisme, cette religion que vos lois proposeront sur la surface de la France : cette religion qui a aussi ses mar-79 tyrs, lui ferait sans doute ce sacrifice; mais elle en serait indigne, si elle osait l’exiger. Eh ! qu’on ne dise point qu’il y a loin de l’effusion du sang innocent à une atteinte capitale à la liberté ou à la propriété ; on sait combien aisément le pouvoir se familiarise avec l’abus, une violation de principes en entraîne une autre, et chaque jour la violation devient plus grave. Sa ligne tracée par 1e devoir n’est qu’une, et l’on ne peut faire un pas hors du chemin de la liberté sans entrer dans celui de la tyrannie. J’en appelle à vous, Messieurs; c’est sans doute pour vous prémunir vous-mêmes contre tes faiblesses de l’humanité, contre les excès de la vertu, qu’à l’origine de nos troubles, dans un temps où la chaleur des opinions et des partis vous annonçait la réaction des opinions et des partis contraires, vous avez proclamé votre déclaration des droits ; vous l’avez élevée comme un autel que te vaincu embrasserait, où le vainqueur s’arrêterait avec respect, où cesserait la poursuite, où expirerait l’empire de la force. Il n’est point douteux, Messieurs, que le cas que je viens de vous exposer ne soit celui de quelques Français, qui, dans ces temps d’anxiétés, renoncent aux avantages de la patrie. Il me 1e paraît encore moins que la loi ne peut les avoir pour objet ; car ils ne sont plus Français s’ils ont renoncé formellement à l’être. Quelie est mainienant la seconde classe des émigrants que nous considérons dans ce moment? C’est celte de ceux qui, nés Françtis, veulent le demeurer; mais qui vont chercher dans d’autres contrées le repos et la paix, qui fuient l’enfantement de la liberté, et espèrent venir cueillir ses fruits dans leur maturité. Observez ici, Messieurs, qu’une loi prohibitive de l'émigration, pour atteindre quelques hommes de mauvaise volonté, porterait sur une foule d’hommes faibles, de femmes, de vieillards, à qui 1e courage n’est point familier, et qui cèdent bien naturellement aux craintes causées par 1e mouvement d’une immense Révolution. Ou toutes tes notions de la justice sont fausses, ou un contrat n’est obligatoire que parce qu’il est mutuel. Les difficultés des temps, l’organisation d’une grande machine, 1e dangereux interrègne des lois (Murmures.) ne vous ont qu’imparfuii®- ment permis jusqu'ici de faire proléger les droits et les jouissances de chacun par la force de lous; il était simple alors que chacun cherchât des moyens de sûreté particulière lorsqu’il n’en existait pas de communs, lorsqu’aucune force établie ne pouvait la lui garantir. (Murmures.) Maintenant que la plus grande partie de votre organisation sociale est terminée, que vous avez des administrations, des tribunaux, des troupes révolutionnaires, frappez tes perturbateurs du repos public, partout où ils oseront se montrer : faites-leur sentir 1e seul bienfaisant, mais 1e plus iutlexibte despostime, la loi d’un peuple libre; que son glaive se promène sur toutes tes tètes ;que chacun apprenne qu’autant l’insurreo-tion générale contre des lois imposées par des tyrans, est le plus bel acte de l’humanité� autant la plus légère infraction des Ms qn’on a consenties est honteuse et criminelle ; que 1e coupable est alors révolté contre la totalité d;u peuple. QueJes individus ne se mettent plus à la place de la loi.; -que des corps administratifs ne se constituent plus, tantôt en pouvoir législatif, tantôt en pouvoir exécutif de la nation.; qu’on sache que les révolutions sont momentanées, gO [Assemblée nationale.] que la justice et les devoirs qu’elle prescrit, sont seuls éternels; qu’on sache que notre Révolution est faite, qu’elle n’a besoin de l’appui d’aucun homme, mais de celui des lois, et tur-tout des précieux, des premiers exemples, du respect qui leur est dû. On vous parle d’une loi contre l’émigration, j’ai peine à croire que c’en soit une à présenter à une Assemblée aussi éclairée; c’est ici qu’il faut guérir le mal dans sa cause, et non chercher à pallier en détail quelques faibles symptômes ; faites, pour le détruire, une diversion heureuse; n’allez pas attend! e l’émigrant aux frontières, attaquez l’é-migration dans le cœur du royaume, c’est là que vous le ferez victorieusement. Faites régner irréfragablement les lois que vous avez fait s ; que leur empire soit inévitable comme le destin, et la loi que vous agitez est portée. Vous porteriez atteinte, Messieurs, à la liberté civile et aux droits les plus certains, si, laissant passer les personnes, vous mettiez les biens des fugitifs en séquestre, comme vous le propose votre comité. En effet n’est-ce pas violer un droit incontestable de libeité, que d’en interdire l’usage par une peine que les facultés ne permettent pas de supporter?Si cette considération n’arrête point l’émigrant, pouvez-vous sous aucun rapport de justice grever ainsi sa propriété? (Murmures.) Non, Messieurs, si l’impôt personnel représente la protection accordée à la personne, l’impôt mobilier et foncier représente et solde la protection accordée aux propriétés. (Murmures.) La maison et les teires de l’émigrant doivent être protégées, si elles ont acquitté l’impôt. (Murmures.) On me dira que la loi de la réciprocité n’est point observée ici, et que le citoyen qui reste dans le royaume, outre qu’il paye l’impôt pour sa personne et pour ses propriétés, défend encore l’Etat au péril de sa vie ; je réponds que l’argument est juste; et que cette réciprocité nécessaire vous autorise à forcer l’émigrant à payer et à fournir un garde national aux époques où il sera appelé a son tour à la défense commune (Murmures), et à l’entretenir constamment s’il arrivait des circonstances où les gardes nationales fussent en totalité mises sur pied. Mais à cela seul se borne l’exercice des droits que vous avez sur lui. Le régime de nos grandes sociétés permet de fournir le service en personne ou en argent ; c’cst pour cela qu’elles ont des armées permanentes soldées; c’est parce qu’il est reconnu que tout ne do t pas être so dat, et qu’il est permis à tout individu faible, ou qui dirige vers un autre but ses facultés, de ne cont ibuer que par l’impôt à la défense de la chose publique. Il en est de même de vos gardes nationales ; comme tous les hommes en état de porter les armes dans une population comme celle de la France, ne peuvent réellement jamais les porter à Ja fois; et qu’un grand moyen de faiblesse serait tous ces éléments de force, mal amalgamés, il doit être permis, et vous avez permis en effet à tous citoyens de se faire remplacer dans ce service. Que produirait un système différent ? Rien que de forcer au service uu citoyen inhabile, ou malintentionné, au lieu de confier les armes, de la pairie à celui que son aptitude ou son alfection liliale rendent oigne de les porter. Celui qui, fuyant son pays, commet un défenseur à sa place, rend à son pays le seul service qu’il soit en état de lui rendre ; car il met un soldat à la plaie d’un homme inutile. Ayant ainsi acquitté ce qu’il doit strictement à la so-19 juillet 1791.J ciété, vous n’êles fondés sur aucun principe pour séquestrer ses revenus et le priver, par là, de tout moyen de subsistance. Car c’est alors non une dette que vous le forcez à acquiiter, mais une peine qui lui est infligée, et il serait nécessaire de prouver, avant tout, que l’émigration est un crime; tandis qu’elle n’est véritablement que l’acte d’un citoyen faible ou indifférent, qu’un défaut de vertu, enfin, que la loi ne peut atteindre. (Murmures.) Je crainsbien que nous ne nous égarions ici, par l’exemple des républiques de la Grèce, et qu’on n’objecte leurs lois coercitives, pour employer tous les citoyens au service de la patrie. Mais qu’on cesse donc de nous donner pour des démonstrations, les parallogismes les plus absurdes. Eli! qu’a donc de commun l’empire français avec les républiques de Sicyone, de Malée ou même d’Athènes? Qu’ont de commun ces petits Etats où l’ab.-ence ou la perte de vingt citoyens ou de quelque modique somme d’argent était une calamité publique, avec la France qui repose sur 27,000 lieues carrées, et sur une population de vingt-cinq millions d’hommes? Qu’a de commun le système de ces petites républiques entre elies, et le système général de l’Europe basé sur d’autres rapports ; avec le système de l’Europe, où nous voyons depuis deux siècle?, l’avantage de prospérité et de puissance, appartenir à celle de ses sociétés qui sait le mieux attirer par ta liberté, le consommateur et scs capitaux; tandis que dans plusieurs républiques de la Grèce, il était impossible de jamais obtenir les droits de citoyen. Laissons là, Messieurs, la Grèce et ses exemples si improprement allégués; la manière d’être de ces corps faibles, qui ne subsistaient que par un régime minutieux, ne peut être appliquée à un colosse constitué comme la France. Laissons là les piohibitions d’une politique étroite, etpensons que si la surveillance d’une police monacale peut convenir à l’administration de la République de Saint-Marin... Un membre : Ce n’est pas la question. M. de «Fessé... l’horizon des vues des législateurs de la France doit s’étendre en proportion de sa consistance et de ses destinées. Que dans les républiques grecques... Un membre : Vous avez dit que vous n’en parleriez plus. M. de Jesse ..... on forçât les citoyens de prendre part aux troubles de leur patrie; qu’on les rappelât des Etats voisins à sa défen-e (si cependant cette dernière loi a jamais existé); que leur refus d’obéir fût suivi de peines afflictives; je le conçois aisément, d’une tête ou d’un bras dépendait le salut de ces petites familles. Mais, dans un Empire immense comme le nôtre, je ne vois qu’un seul cas où le législateur pourrait adopter les mêmes mesures; c’est celui où la France entière pourrait être rigoureusement considérée sous l’aspect d’une ville assiégée, où comme l’on sait, le droit d’aller et de venir, et plusieursautres droits qui tiennent à la propriété, sont momentanément suspendus (Murmures.) M. le Président. Je réclame le silence. M. de Jessé. Or, quel est le cas où la France pourrait être présumée sous un tel rapport? J’ose ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1791.] 81 affirmer qu’il n’en est pas un : et, fût-elle attaquée à la fois par l’Europe conjurée, je maintiens qu’elle ne serait pas dans la nécessité de réclamer le secours de tousses enfants en état de porter les armes ; que cet armement universel, s’il était possible, ne ferait qu’embarrasser ses moyens de défense, et rendre impraticables toutes ses opérations; et qu’au contraire, le travail de la sagesse serait alors de modérer l’excès du zèle et d’attendre la victoire du petit nombre discipliné. Il n’est donc aucune hypothèse où la France ait besoin de tous les Français : ce besoin impérieux pourrait seul motiver la peine portée dans un les articles du projet de décret ; car toute peine qui ne dérive pas de la nécessité est tyrannique. Dans tous les cas, l’émigrant n’est donc tenu qu’à se faire remplacer et à fournir un homme qui infailliblement vaudra mieux que lui, (Murmures.) Et même dans le cas, où j’ai supposé la France, celui d’une ville assiégée, ce que nous pourrions faire de plus sage serait encore de ne point gêner la facilité d’émigration : les émigrants sont des personnes faibles ou malintentionnées; et il ne peut pas être douteux que, dans la circonstance d’un siège, il ne 'vaille beaucoup mieux avoir de pareilles gens à ses portes que dans son sein. Leur ouvririons-nous ces portes pour imposer arbitrairement leurs propriétés? Non, Messieurs, notre dessein n’est pas ou d’être injustes en rançonnant la faiblesse par des lois fiscales, ou d’être absurdes en retenant par ces lois des hommes dangereux ou inutiles, dont nous devrions au contraire, par tous les moyens possibles, favoriser l’éloignement : et c’est ici que je regarde toutes mesures contre les émigrations comme très dangereuses. Je ne peux pas concevoir par quel renversement d’idées nous voudrions conserver parmi nous des ennemis d’autant plus nuisibles qu’ils sont plus cachés ; qui, tant qu’ils y demeureront, emploieront leur argent et dirigeront leurs intrigues à travers l’établissement de notre Constitution et de la paix. Quant à moi, je l’avoue, je voudrais que la France pût vomir à la fois, par toutes ses issues, la totalité de ses mécontents : c’est alors seulement que je me croirais assuré de quelque repos. Une loi portée contre l’émigration, ne fût-elle pas injuste et dangereuse, serait de toutes les lois la plus inutile, la plus éludée. Vous rappellerai-je que, lorsque la loi touche sans nécessité à la liberté individuelle, et que d’autre côté la tentation ou l’intérêt de l’enfreindre sont puissants, l’adresse et la persévérance de ceux qui cherchent à la transgresser ont un succès plus heureux que la vigilance qui en maintient l’exécution ? Ce fait est démontré par l’expérience de tous les temps; la contrebande des hommes et des propriétés se fera avec une subtilité qui vous étonnera. La défense aiguise l’esprit humain, et peut-être, hélas 1 la discussion annoncée, d’une loi sur l’émigration, a-t-elle déjà eu le funeste effet de faire sortir du royaume' deux ou trois cents familles qui n’y eussent jamais songé. Retracez-vous les faits delà révocation de l’édit de Nantes : malgré le despotisme de Louis XIV, rigoureusement servi sur ses frontières, malgré l’esprit du temps qui le favorisait, malgré la dra-gonnade, tous ceux qui voulurent quitter le royaume en sortirent : malgré le roi et ses satellites, ils emportèrent leur or ; ils irouvèrent les moyens les plus industrieux pour vendre leurs terres et en faire passer la valeur dans les pays î-série, t. xxvm. voisins; et le despote n’eut que la honte et les regrets d’une persécution inutile. Les mêmes fautes produiraient les mêmes malheurs. ( Murmures et interruptions.) Compterez-vous pour rien le germe profond d’immoralité que vous allez lancer dans la nation; le déluge de fidéicommis, d’actes, de ventes simulées, par lesquels la mauvaise foi élude et éludera constamment les attentats de la force? Certes ces considérations ne doivent point être indifférentes à ceux qui tentent de régénérer par les lois les mœurs d’une nation vieillie. Oublieriez-vous, par exemple, que le créancier de l’Etat, que celui qui a placé sa fortune dans les fonds publics, a fait un contrat synallagmatique avec l’Etat, son débiteur ; que vous avez ratifié ce contrat, que vous avez décrété que ses intérêts lui seraient payés sans retenue, que vous devez les lui solder, soit qu’il habite Saint-Pétersbourg ou Paris : car, sous le rapport de son engagement avec la nation, il n’est ni Français ni Russe, il est uniquemeut prêteur; certainement il recevrait de vous le revenu des sommes qu’il a avancées, car aucune loi ne peut avoir d’effet rétroactif. Alors quelle différence n’existerait pas entre son sort et celui du propriétaire de terres; l’un pourrait se soustraire impunément au décret; l’autre en serait enchaîné, et cela pour le même délit prétendu. La loi que l’on nous propose, la lésion inutile des droits naturels serait vengée par une émigration plus considérable, ou par des troubles fréquents dans l’intérieur. Je crois donc qu’il vous importe essentiellement de la repousser, pour l’intérêt bien entendu de ce peuple, qui ne demande qu’à être éclairé par vous, et qui attend votre décision pour se former une opinion sur cet important objet. Il est bien évident, Messieurs, qu’en tout ceci je n’ai parlé des émigrants que comme fugitifs et non pas comme rebelles; si les Français s’armaient contre la France et venaient nous assaillir dans nos foyers, c’est alors à votre sagesse à surveiller l’exécution des lois qu’elle a déjà portées et à frapper sans pitié les coupables; mais dans le cas présent de simple émigration, j’adopte pleinement la maxime connue : Laissez faire et laissez passer. Par là, vous serez conformes aux principes; par là, vous ne vous isolerez point dans l’Europe; par là, vous ne vous placerez point vis-à-vis d’elle dans une attitude humiliante, et vous ne paraîtrez pas faire l’aveu d’une lassitude et d’une faiblesse que vous êtes loin de ressentir ; par là, vous arrêterez, autant qu’il est possible, un fléau momentané au lieu de l’irriter par des lois coercitives; et les législateurs de la France se montreront à hauteur de leur mission. Je finis en vous rappelant un trait de l’histoire de Rome. (Murmures.) Au commencement des discussions funestes, entre César et Pompée... Un membre : Nous n’avons ni César ni Pompée. M. de «fessé. . . et je rapporte le trait sans faire d’odieux rapprochements des malheurs de Rome et de nos angoisses momentanées, et en repoussant l’augure de toute discorde civile; au commencement de ces discussions, dis-je, chacun des deux rivaux fit paraître un manifeste (Murmures.) : Pompée jurait de iraiter en ennemis tous ceux qui n’embrasseraient pas sa cause; César, ce favori de la fortune, et qui mérita de 6 82 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PA1 la dominer ( Interruption .), annonça que pour lui il regarderait comme étant à lui, tous ceux qui ne seraient pas contre lui : l’Empire fut déchiré, et l’expérience prouva lequel des deux compétiteurs avait le mieux calculé. J’ai essayé de prouver que la loi qui vous est proposée par votre comité est non seulement injuste, mais dangereuse et inexécutable; je demande donc la question préalable sur ce projet, persuadé que l’Assemblée a fait tout ce qu’elle pouvait et devait faire, en portant une loi contre les rebelles. M. Barrère. Messieurs, la question que vous discutez a été agitée quelquefois dans les conseils des tyrans. Louis XIV et Joseph II, après avoir porté des lois barbares, ont fait des lois plus barbares encore contre les émigrations ; mais ce ne sont pas des lois de ce genre qu’on oserait vous proposer; ce ne sera jamais pour les temps de calme que de sages législateurs porteront des lois aussi cruellement absurdes. Il ne s’agit aujourd’hui que de simples mesures de police , momentanées, mesures que Mirabeau, lui-même, trouvait convenables, lorsqu’il s’élevait ici, il y a 4 mois, contre un projet de loi sur les émigrations. Or, pour prendre de pareilles mesures, que devez-vous faire? Que’s doivent être vos garants ? L’opinion publique et les circonstances orageuses dans lesquelles se trouve la nation. L’opinion publique est déjà attestée par de nombreuses adresses des corps administratifs et des municipalités envoyées de toutes parts, et par le vœu des citoyens qui demandent cette loi provisoire. ( Murmures à droite.) Quant aux circonstances, qui peut en ignorer le danger? Il u’y a que quelques instants que la guerre civile était préparée, les ennemis du dehors étaient prévenus, les émigrants français étaient en armes, des enrôlements clandestins se faisaient au dedans, et hors du royaume on stipendiait des brigands ; ou espérait, on tentait de bouleverser l’Empire : voilà l’état où vous étiez le 21 juin , voilà le précipice au-dessus duquel la France était comme suspendue, sans le courage et la sagesse que vous avez montrés, ainsi que tous les citoyens de l’Empire excités par votre exemple. Ou vous a dit que, d’après cette belle résistance de la nation, et d'après l’expression énergique du vœu des Français, vous n’aviez plus rien à craindre de ces émigrants. Ah ! que c'est mal les connaître ces mauvais citoyens, qui; furieux d’avoir perdu les hochets de la vanité, ne vous pardonneront jamais, ni le décret du 19 juin 1790, ni les lois sages que vous donnez à la France. Voyez ce que des hommes placés dans cette enceinte ont osé faire, même depuis l’événement qui a ramené le roi à Paris, et jugez, par ceux qui sont au milieu de nous, de ce qu’oseront, de ce que tenteront encore ceux qui sont sur nos frontières. _( Applaudissements .) On vous dit encore d’ajourner le projet de décret jusqu’après la Constitution; mais, jusqu’à cette époque, qui nous assure qu’ils ne tenteront rien contre la patrie? Qui nous assure qu’ils ne mettront pas d’entraves à l’achèvement de la Constitution, époque qu’ils voient approcher avec terreur, et qui doit naturellement augmenter leurs efforts ? Sans doute, quand la Constitution sera faite, leurs efforts seront nuis, alors ils reviendront d’eux-mêmes dans le sein de cette patrie qu’ils EMENT AIRES. [9 juillet 1791.] voulaient déchirer; mais aujourd’hui nous avons besoin de nous assurer le calme, ou du moins l’absence dis troubles extérieurs jusqu’à ce que la Constitution soit achevée. Ve nous le dissimulons pas, nous aurons toujours des troubles intérieurs, tant que nos émigrants fomenteront des attroupements au dehors ; car ces troubles se correspondent; ils ont une action et une réaction très sensible. L’événement du 21 juin est un terrible avis pour que vous preniez des précautions; et je soutiens que, s’il y a eu dans le cours de la Révolution un moment favorable à la mesure provisoire qu’on vous propose, c’est celui où les émigrants se sont ralliés sur nos frontières. 11 faut donc examiner si le projet présenté par les comités réunis pour la séquestration des revenus et pour l’augmentation des contributions est juste et s’il est convenable. M. de Jessé vous a opposé avec force l’argument tiré de l’impôt payé par les émigrants pour leurs propriétés foncières. Le propriétaire, vous a-t-il dit, qui paye les contributions publiques doit être assuré dans ses propriétés ; il paye pour leur conservation. Mais quelle est donc cette opinion bursale qui dispenserait pour de i’argent, et même pour un peu d’argent, tout mauvais citoyen de tout autre sacrifice, quelque nécessaire qu’il pût être au salut de la patrie? Quelle fiscalisé régnerait sur nos pensées, si un tribut pécuniaire pouvait êtreun retour ou un prix suffi-santdela protection que la société accorde aux propriétés de chaque citoyen? N’est-ce pas en sacrifiant son repos et sa liberté? N’esi-ce pas en exposant sa vie pour sauver la société, quand elle est en péril, qu’on peut s’acquitter envers elle de la protection constante, du repos, de la liberté et de la vie de chaque citoyeu ? (Applaudissements.) C’est à l’argent à payer la sûreté des propriétés; c’est à la personne à payer quand il le faut la sûreté de la personne. Laisser un peu d’argent pour tout secours à la patrie, quand elle est en danger, c’est une transgression impie du contrat social, c’est un mépris scandaleux de ce grand principe, le salut du peuple est la loi suprême ..... C’est un dédain public, c’est une injure grave, faite à cette partie de citoyens, qui, n’étant pas assez riche pour s’expatrier, devra seule compromettre son repos et sa sûreté et exposer sa vie, tandis qu’un petit sacrifice pécuniaire fera jouir en paix le riche et le malveillant, hors de nos frontières, d’une tranquillité perfide et d’un bonheur incivique. ( Vifs applaudissements.) Une pareille disproportion de mise et de périls dans la société civile ne peut exister; la réciprocité des droits est la base du pacte social. On vient de vous répéter ce que des philosophes et des publicistes, amis de la liberté, ont publié contre les lois qui défendent d’émigrer : ce sont des actes de tyrannie, disent-ils; ce sont des lois impolitiques et effrayantes, ruinant le commerce et l’industrie, portant la terreur dans le cœur du citoyen et l’esclavage dans tous les esprits. Non, disent-ils, il n’y a pas de force capable d’empêcher les émigrations. L’homme est entraîné malgré lui vers les pays où il se croit heureux, vers les lieux où il espère être tranquille. Je sais bien qu’il ne faut aux hommes d’autre lien que celui du bonheur. Si ce lien existe, une loi sur les émigrations est non seulement inutile, elle est encore injurieuse à la nation dont elle flétrit le caractère, dont elle calomnie le gouvernement, dont elle dégrade le lé- 83 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1791.] gîslateur. Si ce lien n’existe pas, toutes les lois sont plus inutiles encore, car elles n’arrêteront ni l’esclave qui fuit devant la liberté, l’homme libre qui ne peut supporter aucune chaîna, il n’y a que les tyrans qui aient pensé le contraire ; et si la question avait pu être envisagée sous le rapport d’une loi nationale, d’une loi contre les émigrations, j’aurais été le premier à m’élever contre une pareille proposition, ou plutôt elle n’aurait trouvé ici aucun défenseur; une loi constitutionnelle, ou une simple loi contre les émigrations est une loi d’esclavage; elle n’est pas faite pour des hommes ; elle est indigne du xvme siècle, elle est plus indigne encore des auteurs de la déclaration des droits. Mais les mesures que les comités proposent sont nées des événements inséparables d’une grande Révolution. Elles tiennent, pour ainsi dire, au droit qui est en usage dans les temps de guerre. Quelque ami qu’on puisse être de la liberté, on ne peut se dissimuler la nature et la force des droits de la société en péril, sur ses membres ; droits qui résultent de la réciprocité des devoirs entre tous les citoyens comme associés, et des obligations que chaque citoyen a contractées envers la patrie. La liberté a aussi son fanatisme, et le salut de la patrie nous ordonne de l’éviter. Oui, Messieurs, il est des époques heureusement rares, dans la vie politique des nations, il est des temps de révolution et d’orage où la patrie s’inquiète de ia fuite ou de la disparition de ses enfants. Est-elle menacée d’une guerre intestine par des factieux ou des esclaves titrés, qui regrettent les fers du despotisme? Est-etle sur le point d’être attaquée par des despotes voisins u’effrayent les premières lueurs de la liberté? st-etle privée de numéraire par l’avarice des riches, par les vengeances desaristocrates, par l’agiotage des traitants, par les complots des ennemis qu’elle nourrit dans son sein? Est-elle enfin troublée par les cris du fanatisme et par des intrigants serviles et pervers, qui veulent flétrir ou étouffer la liberté dans son berceau? Alors la patrie se réveille, le salut du peuple devient la suprême loi. Devant elle s’abaissent respectueusement les droits de l’homme et du citoyen. La société tout entière attire tous les hommages, provoque tous les sacrifices, suspend tous les droits civiques, chaque citoyen renonce à tout autre soin que celui de la défense commune. ( Applaudissements .) Vous nous parlez sans cesse des droits du citoyen : ils sont grands, sans doute; mais ne nous parlerez-vous jamais des droits de la cité? Ils sont plus grands encore : non, le pacte social étant formé, il n’appartient plus au citoyen de se retirer d’une société aussi sainte, aussi nécessaire, lorsque la patrie est en danger, lorsque les droits sociaux sont attaqués dans leur source. Car, en fondant la société, vous n’avez pas pu établir le principe de sa dissolution. Le législateur peut donc dans les cas extrêmes, dans des circonstances terribles, dans des révolutions orageuses, dans des événements désastreux, où la sûreté sociale commande impérieusement, suspendre momentanément par des mesures de police le droit d’émigrer : c’est comme une loi martiale qui suspend un instant l’effet des lois dans les grands dangers nationaux. Quels sont donc ces citoyens pusillanimes ou 'rebelles, qui voudraient fuir dans de pareilles circonstances? Ah! sans doute il existe dans tous les pays de ces hommes orgueilleux, qui, ne pouvant soutenir le spectacle si doux de l’égalité politique, aiment mieux se courber sous la volonté arbitraire d’un homme, que d’obéir aux lois d’une nation libre. Leur émigration serait sans doute plus utile, et sans eux là Constitution serait bientôt affermie. Mais la patrie ne connaît pas ces distinctions toujours odieuses, parmi ses enfants; elle leur commande à tous de la défendre dans les dangers qui la menacent; la patrie peut dans ces cas suspendre les droits de ceux qui, étant hors de leur patrie, n’y rentrent pas, ou qui étant dans son sein voudraient s’enfuir. Si, sourds à sa voix, ils l’abandonnent, la déchéance des droits de cité est encourue ; à l’époque où un citoyen prend le nom d’émigrant, il perd celui de citoyen; revient-il dans son ancienne patrie, il doit y être traité comme étranger ; il a rompu la stipulation importante qui fait la base du contrat social. « Citoyen, c’est moi, dit la patrie, qui me charge de protéger ta sûreté personnelle, ton repos et tes propriétés : que me rendras-tu pour ce bienfait constant? S’il arrive que je sois en péril, si des enfants dénaturés déchirent mon sein, si des ennemis extérieurs se joignent à eux, si des riches orgueilleux, fuyant l’égalité, m’enlèvent une grande masse de numéraire, qui me laisse dans une détresse déplorable, m’abandonneras-tu dans ces moments orageux pour prix de ma protection invariable? Et croiras-tu pouvoir augmenter tout le mal que me font mes ennemis? Non, sans doute, il est des cas où je te commanderai le sacrifice de ces mêmes droits, de ces mêmes propriétés, de ta vie même, que j’ai si constamment protégée. » Ce moment est arrivé : les circonstances actuelles nécessitent cette mesure de police; des citoyens armés ne doivent pas garder les propriétés de ceux qui ne veulent pas y concourir, ou qui deviennent les ennemis de la patrie. Ils doivent naturellement une contribution plus forte pour acquitter les frais d’une protection plus difficile dans les temps de trouble pendant leur absence. Les comités vous proposent de consacrer aujourd’hui, par un décret, non le droit qu’a l’homme d’émigrer, toutes les fois qu’il peut augmenter par là son bonheur : ce droit était gravé dans le cœur de l’homme, longtemps avant la déclaration des droits ; mais on vous propose de déclarer qu’il existe aujourd’hui un de ces cas rares, une de ces circonstances terribles où la sûreté générale exige la suspension provisoire et momentanée du droit d’émigration et des mesures de police. Ce sera la loi martiale des citoyens. Quand cette terrible loi est proclamée dans l’enceinte d’une de nos cités, ne suspendez-vous pas les droits des citoyens? N’étouffez-vous pas le cri de la loi ou du moins n’en suspendez-vous pas l’effet? Quand la disette nous menace, ne suspendez-vous pas l’exécution de la loi qui assure la liberté du commerce des blés? Il en sera de même lorsque, pour de grands périls menaçant la chose publique, vous suspendrez le droit d’émigrer, et la nation applaudira à une loi aussi sage, qui est d’ailleurs conforme aux mesures que vous avez déjà prises. Ëh ! qu’on y prenne garde, ce n’est pas à un seul homme, ce n’est pas à une simple classe de fonctionnaires publics que vous attribuerez le droit terrible de suspendre provisoirement l’exercice de nos droits naturels. C’est aux représentants de la nation ; c’est au Corps législatif qu’il appartiendra seul de statuer momentanément dans les cas qui pourraient motiver une telle sus- 84 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1791.] [Assemblée nationale.) pension des droits ; et cette suspension ne pourra être que provisoire : la séquestration des revenus n’est qu’un acte de prudence que l’on se permet contre les ennemis de la patrie pour les empêcher de nuire. Prenez donc des mesures que l’état de la France vous présente comme nécessaires ; séquestrez les revenus de ces émigrants, et frap-pez-les d’un triple impôt. Appelés par vos destinées à l’honorable fonction de briser les fers de votre patrie, à établir au sein de l’Europe les droits de l'homme, et à naturaliser la liberté chez un peuple qui, par ses longs et pénibles efforts, semblait né pour elle, vous vous empresserez de calmer les inquiétudes sur des émigrations qui avaient alarmé tant de citoyens ; vous rappellerez des hommes égarés par les passions, au milieu de frères, ou bien vous les frapperez du sceau de la réprobation civique ; c’est avec cette sévérité politique que vous renverserez l’exécrable maxime des égoïstes et des cosmopolites ; et vous accoutumerez tous les Français à sentir ce qu’ils doivent à la patrie. Je conclus à ce qu’on aille aux voix sur le projet de décret du comité ( Applaudissements à l'extrémité gauche .) avec quelques amendements que je me réserve de proposer. Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! (L’Assemblée ordonne l’impression du discours de M. Barrère.) M. le Président. J’ai reçu tme lettre de M. de Cazalès , ainsi conçue ; « Monsieur le Président, « Je vous prie de vouloir bien prévenir l’Assemblée que je donne ma démission. « Je suis avec respect, etc. « Signé : CAZALÈS. » J’ai reçu également une lettre de M. de Montbois-sier , député du département du Puy-du-Dôme , qui vu son grand âge et l’affaiblissement de sa santé envoie sa démission de député. La discussion du projet de décret sur les émigrants est reprise. Plusieurs membres : La discussion est fermée ! M. de Tonlongeon. L’usage étant d’entendre le rapporteur avant de fermer la discussion, on ne peut la fermer après une opinion semblable à celle du comité. (L’Assemblée, consultée, décide à une très grande majorité que la discussion est fermée.) M. de Croix. Il a été fait une motion d’ajournement ; je l’appuie jusqu’à ce que la tranquillité et la sûreté des personnes soient rétablies dans le royaume. Plusieurs membres : La question préalable ! M. Malouet. La motion de l’ajournement ne me paraît pas bonne pour éclaircir la discussion d’un projet aussi tyrannique que celui qui vous est présenté ; mais je crois devoir, en qualité... A gauche ..... de protestant. M. Malouet ..... de représentant de la nation, de marquer publiquement mon opposition à ce décret. M. Fréteau-Saint-Just. Messieurs, j’ai à vous faire une observation qui rendra à mon sens l’ajournement d’une nécessité indispensable, en le fixant toutefois à un terme très prochain. Il y a dans le projet de décret un article qui porte que les corps administratifs, les municipalités, etc., seront tenus de veiller aux propriétés des émigrants, lesquelles propriétés sont sous la sauvegarde de la force publique : il faut donc que vous ayez établi le mode suivant lequel on pourra requérir et faire appliquer la force publique à la défense d’un citoyen attaqué, soit dans sa personne, soit dans ses propriétés. Le comité de Constitution est prêt à vous proposer ce mode. Je crois conforme à votre dignité et à la raison de statuer avant tout sur le projet de décret relatif à l’action de la force publique, puisque la protection de la force publique est nulle si son action n’est déterminée. On peut mettre ce rapport à l’ordre du jour pour lundi prochain. Je regrette d’autre part qu’on n’ait pas pris les mesures propres à satisfaire les justes désirs du peuple. Je regrette qu’on n’ait pas pris des mesures pour qu’il soit rendu plainte contre les auteurs de l’enlèvement du roi, et du projet qui avait pour but de mettre une armée entre la Constitution et la conscience du roi. Je regrette qu’on n’ait pas encore pris des mesures pour détruire tous les obstacles qui ont été apportés sans cesse à l’action des pouvoirs et à l’activité des corps administratifs par les sous-ordres des ministres. Je demande donc que le projet de décret proposé ne soit pas mis en délibération avant que l’Assemblée ait rendu un décret sur Faction de la force publique, et entendu le rapport des sept comités sur l’enlèvement du roi... A gauche : Cela n’a pas de rapport ! M. Fréteau-Saint -Just ..... afin que, justice étant une fois faite, le peuple n’ait plus de motif de se plaindre. Ce sont ces mesures qui établiront la ligne de démarcation entre les français émigrés, les français rebelles, et les français timides qui désirent rentrer dans leur patrie. En conséquence, ma proposition est l’ajournement à lundi prochain du projet de décret du comité sur l’action delà force publique, du rapport des sept comités sur l’enlèvement du roi, et nous pourrons reprendre ensuite les mesures relatives aux émigrants. M. Bouehotte. Il est peut-être intéressant de se demander quelles seront les conséquences de l’ajournement qui vous est proposé. A mon sens, il sera ou funeste ou inutile : funeste, si vous laissez grossir le nombre des mécontents ; inutile, car en rendant aujourd’hui la loi qu’on vous propose, on pourra toujours mettre à l’ordre du jour de lundi ce que M. Fréteau demande, c’est-à-dire le décret sur l’action de la force publique, et ce dernier décret sera porté assez tôt. Si au moyen de l’ajournement on veut attendre que la Constitution soit entièrement finie, on veut donc nous conduire, comme on l’a fait depuis trois mois, d’ajournement en ajournement. Il faut que ies émigrants sachent le plus promptement possible les mesures qui seront prises contre eux. J’opine par conséquent pour que l’ajournement soit rejeté. ( Applaudissements .) Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! 85 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1791.) M. de Voailles. Aux voix la double proposition de M. Bouchotte l M. Populus. J’ai la parole, si on ne va pas aux voix. M. le Président. La question préalable est demandée sur l’ajournement; je la mets aux voix. (L’épreuve a lieu. Une grande partie du côté droit se lève contre la question préalable.) M. le Président. L’Assemblée nationale décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l'ajournement. (Murmures.) A droite : Il y a doute. M. le Président. On prétend qu’il y a doute? A droite : L’appel nominal ! La majorité est de notre côté. (Bruit.) M. le Président. J’observe que si tous les membres de l’Assemblée avaient pris part à la délibération, il serait possible qu’il y ait du doute, mais j’ai consulté ceux qui m’entourent et tous sont d’avis qu’il n’y en a point. M. "Vernier, rapporteur. Un mot, Monsieur le Président, surcette question préalable. Les opinants qui se sont succédé à celte tribune ont été continuellement en dehors de la question ; ils ont obtenu des applaudissements en vous faisant le tableau des dangers dont nous sommes sortis, tandis qu’il s’agissait des dangers dans lesquels nous sommes encore. Quand on a vu qu’on ne pouvait plus attaquer les principes du décret, on s’est replié sur une demande vague d’ajournement, et, sous quel prétexte? Sous le prétexte qu’il n’exisie dans le royaume ni sûreté, ni force publique. (Vifs applaudissements à gauche.) A droite : C’est vrai ! M. Vernier, rapporteur. Cependant, Messieurs, si votre comité n’avait pas prévu l’article de la protection que l’on doit à ceux qui rentreront, s’il n’avait pas proposé de mettre les propriétés séquestrées sous la sauvegarde de la force publique, on lui en aurait fait un crime capital. Eh bien, il l’a prévu ; il l’a mis en tête de son projet. On dit maintenant que la force publique n’est pas organisée; cependant les propriétés des mauvais citoyens, qu’on ne peut s’empêcher de regarder comme les ennemis de la patrie, n’existent-elles pas sous la sauvegarde du zèle généreux des gardes nationales dirigé par la loi ?(lWimmws à droite. — Applaudissements à gauche.) Nous avons donc les moyens nécessaires d’exécuter notre projet. M. d’Ambly. Je demande la parole. M. le Président. Vous l’avez. M. d’Ambly. Messieurs.... (Bruit.) M. le Président. J’ai donné la parole à M. d’Ambiv. M. d’Ambly. Dans quel moment vous propose-t-on ..... ? M. Babey. Je demande qu’on n’entende aucun de ceux qui ont signé la déclaration (1). (Vifs applaudissements à gauche.) M. d’Ambly. Dans quel moment vous propose-t-on un décret contre les émigrants ? C’est alors que les événements les plus fâcheux agitent toute la France. A gauche : Vous en êtes cause. M. d’Ambly. Comment voulez-vous que, dans la position où nous sommes, les personnes timides qui s’en sont allées par la peur, puissent revenir quand la paix n’est pas rétablie (Murmures à gauche.), quand ceux qui demeurent dans les campagnes ont toujours le couteau sur la gorge !... A gauche : Ce n’est pas vrai ! A droite : C’est vrai ! M. d’Ambly. Cela n’est pas tout à fait faux. M. de Castries et le Président se sont embrassés avec bravoure; malgré cela on a pillé la maison de M. de Castries. Je demande la question préalable sur le projet de décret. (Murmures.) Plusieurs membres: Une nouvelle lecture du projet de décret. M. Vernier, rapporteur. Voici l’article premier : « Jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné, les Français absents du royaume seront tenus de rentrer en France dans un mois à dater de ce jour. » M. d’André. Je pense que cet article n’est pas admissible dans sa généralité. Vous avez à faire une foule d’exceptions indispensables parce qu’elles sont justes. (Murmures.) Un membre : Le décret prévoit des exceptions. M. d’André. On me dit qu’il y a un article pour les exceptions; je demande qu’on relise le projet de décret en entier. (Assentiment.) M. Vernier, rapporteur , fait une nouvelle lecture de la totalité du projet de décret. (Cette lecture est accueillie par des murmures.) Plusieurs membres : Ce décret est abominable! M. Vernier, rapporteur. Je dois rendre compte à l’Assemblée qu’il a été proposé au comité une mesure qui pourrait peut-être abréger les débats et simplifier la loi à rendre; cette mesure, qui a longtemps balancé l’avis de vos commissaires, consisterait à soumettre à une triple imposition les émigrants qui ne rentreraient pas dans un délai déterminé. M. d’André. J’ai toujours considéré que le premier projet du comité présentait une foule u’mconvénients et même une impossibilité réelle dans son exécution. Le mouvement que l’Assemblée vient d’éprouver à la seconde lecture de ce (1) Voy. ce document ci-après, aux annexes de la séance, page 91. 86 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1791. J projet, l’improbation qu’elle a manifestée annoncent assez qu’elle en a senti également toutes les difficultés. {Murmures.) Cependant, je suis de l’avis de ceux qui croient en principe que celui qui ne fait pas son service personnel dans un moment de crise et de péril doit un dédommagement à sa patrie. ( Murmures à l’ extrémité gauche.) Je ne sais pas, Monsieur le Président ..... M. le Président. Il faut entendre en silence les opinions quelles qu’elles soient. M. d’André. Quand on n’expose pas son opinion avec des phrases bien sonores, avec une déclaration bien pathétique, on n’obtient pas l’approbation de ces Messieurs : quant à moi, je veux toujours l’exposer avec simplicité et modestie. ( Applaudissements au centre.) Je dis donc que, si quelques circonstances particulières empêchent un citoyen de faire son service en personne, il en doit là solde en argent. Ces principes-là sont précisément ceux qui ont motivé l’avis du comité et sur lesquels ont roulé les opinions des préopinants qui ont soutenu l’avis du comité. D’après ce principe, je ne pense pas qu’on doive saisir ou séquestrer tous les biens des personnes absentes, mais qu’on doit exiger d’elles une subvention qui sera fixée sur le double ou le triple de leur contribution. Par là vous faites ce que vous devez faire, qui est de forcer ou à rentrer ou à payer beaucoup plus qu’on ne payait; au lieu que le projet du comité est inexécutable. D’abord il dit que les émigrants rentreront dans un mois : c’est une mesure inadmissible, parce qu’il y a des endroits où il y a beaucoup de Français et d’où on ne peut pas être de retour dans un mois : première difficulté. Le comité nous dit ensuite que tous les Français seront tenus de rentrer; il excepte ensuite les hommes qui ont une mission du gouvernement et les négociants notoirement voyageurs. Or, je demande s’il serait possible d’admettre une disposition pareille, car tel négociant n’est pas voyageur, et cependant il a besoin d’aller à Amsterdam, à Londres, etc., pour son commerce. Il y a beaucoup d’autres citoyens qui doivent être également exceptés; et ce sont les exceptions qui rendront votre loi inexécutable. Puisque vous en voulez une, il faut la faire exécutable ou sujette au moins d’exceptions possibles, la rendre plus générale que l’on pourra. Il n’v a que la dernière proposition de M. le rapporteur qui puisse remplir vos intentions sur cet objet. Si cette mesure n’est pas adoptée, je vous défie de séquestrer les biens; car il sera impossible de le faire, si vous n’en faites pas un inventaire : vous ne pouvez pas faire un inventaire sans scellés ; donc vous ne pouvez pas séquestrer sans scellés. Ainsi votre projet de décret serait inquisitionnaire et inexécutable. Je demande donc la priorité pour le dernier projet de M. Vernier. M. Itewbell. J’entre entièrement dans les vues du préopinant. Tout ce que je demande eu sus, c’est qu’on se réserve de prendre des mesures ultérieures bien plus rigoureuses en cas d'invasion de la part de ces émigrants. {Applaudissements.) Je demande donc qu’on décrète aujourd’hui que tous les absents depuis le mois de juillet 1789 —parce qu’on lésa protégés depuis et qu’ils doivent payer cette protection — soient soumis à une triple imposition, et que cela soit décrété sur-le-champ. Pour bien cimenter ce mode d’exécution, je demande le renvoi au comité et qu’avec le renvoi on décrète cette disposition-ci : « Sauf à prendre des mesures ultérieures en cas d’invasion de la part des émigrants. » {Applaudissements.) Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! M. le Président. Je mets aux voix le renvoi. Plusieurs membres .-Non! non! le principe! M. Defermon. La proposition qui vous est faite est une proposition nouvelle, étrangère à celle du comité, et sur laquelle la discussion doit s’ouvrir. Mais il faut avant toutes choses que la signification du mot émigrants soit parfaitement déterminée. Je définis un émigrant : l’homme qui trahit sa pairie en quittant son poste, dans un moment de crise, pour aller aider de sa présence et de tous ses moyens les ennemis de l’Etat. {Applaudissements.) La discussion qui a été faite du projet du comité roulait principalement sur les moyens d’assurer la confiance publique et l’on avait cru que, pour parvenir à ce but, il fallait séquestrer les revenus des émigrants. La définition que je viens de donner une fois admise, je crois qu’il n’est pas un membre dans cette Assemblée qui puisse contester la nécessité du séquestre des revenus. Ce n’est que la conservation de la chose. Si le propriétaire vient réclamer, il y aura un jugement ( Murmures .); mais, Messieurs, si vous ne prenez pas cette mesure, vous manquez absolument l’effet de la loi que vous avez demandée; car, d’une part, votre numéraire sortira, et cette considération devrait avoir une grande inlluence sur ceux qui réclament. Je demande que la délibération se porte uniquement sur ces deux points : il sera accordé un délai aux émigrants, lequel délai sera fixé; et passé ce délaii il sera procédé au séquestre de leurs biens. M. Itewbell. Ma proposition est que i’on décrète, dès à présent, que tout Français, hors du royaume, qui ne rentrerait pas dans le délai de 2 inois {Murmures.) à compter du jour de la publication du décret... Plusieurs membres : Ne mettez qu’un mois. M. Itewbell. Soitl... Qui ne rentrerait pas dans le délai d’un mois à compter de la publication du décret, sera soumis à une triple imposition ; qu’on renvoie au comité pour la rédaction du décret et les moyens d’exécution, et qu’on réserve, en cas d’invasion sur le territoire, des mesures ultérieures telles que les circonstances pourront l’exiger. Un membre demande qu’il soit dit que la triple imposition aura lieu pour la présente année 1791. (La proposition de M. Rewbeil et cet amendement sont mis aux voix et adoptés.) En conséquence, le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale décrète que tout Français hors du royaume, qui ne rentrera pas dans le délai d’un mois à compter de la publication du présent décret, sera soumis à une triple im-