[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 octobre 1789. [ 459 offrir l’assurance, mais nous le serons surtout par notre fidélité à maintenir la liberté de vos grandes et importantes délibérations. La ville de Paris n’a point d intérêt particulier; tout Français ne connaît dans ce moment que celui de la patrie. Nous demandons, comme toutes les provinces, que vous donniez à cet empire une Constitution durable qui maintienne sa prospérité, et qui fasse le bonheur de tous. Voilà notre intérêt, ce sont nos vœux. S’il nous est permis de le rappeler ici, la ville de Paris s’est armée la première contre les ennemis de l’Etat, et en faisant ce premier acte de liberté, elle a fait disparaître les soldats dont l’Assemblée nationale et la capitale étaient environnées ; elle a assuré sa liberté en assuraut la vôtre. Sa gloire sera que la félicité de la France ait été opérée dans son sein. La Révolution qui a été commencée par le courage doit être achevée par la sagesse. Votre sagesse, Messieurs, est de peser et de fixer la destinée de l’empire. Notre devoir, à nous, est de veiller pour vous, de vous entourer du repos et de la tranquillité. Tout citoyen sera soldat pour composer votre garde nationale ; et la commune quç vous voyez devant vous, tous les habitants de celte capitale sont prêts à répandre jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour votre sûreté, pour l’inviolabilité de vos personnes et pour la liberté de vos délibérations. Si la capitale n’a pas encore joui de tout le calme que les bons citoyens désirent, c’est que les grandes agitations d’où la liberté doit éclore ne peuvent s'apaiser tout à coup. Le mouvement une fois imprimé ne cesse que par degrés, mais il est des circonstances heureuses qui accélèrent un repos nécessaire. Nous pouvons dire à cette auguste Assemblée que le retour du Roi à Paris y a répandu le bonheur, que sa présence chérie y établit une paix durable. Il n’y a plus de mouvement que pour se porter autour de lui, et cette paix si désirable est aujourd’hui assurée par votre présence. La paix est le fruit de la sagesse ; si la paix n’existait point encore, elle naîtrait du respect que vous inspirez. Qu’apportez-vous ici? La durée de cet empire par les lois, sa prospérité par les lois, et le bonheur de tous par les lois. En considérant le sénat imposant et vénérable auquel j’ai l’honneur de porter la parole, je crois voir les lois personnifiées et vivantes, ces lois simples et éternelles qui vont s’étendre dans toute la France et dans tout l’avenir, pour le bonheur universel. La paix sera dans tous les temps l’ouvrage de ces lois, la paix sera le fruit du respect et de l’amour. La loi et le Roi, voilà tout ce que nous devons respecter; la loi et le Roi, voilà tout ce que nous devons aimer. M. le Président à la députation : Messieurs, l’Assemblée naiionale reçoit avec satisfaction vos respects, vos félicitations et vos vœux. La majesté de ses séances, son zèle pour le rétablissement de l’ordre public et pour l’affermissement de la liberté, de la concorde et de la paix entre les ci-toyeus vont vous offrir de grands exemples ; elle attend aussi de vous, Messieurs, de grands secours. La première ville d’un vaste empire eut toujours une influence immense sur sa destinée. Rome, vertueuse et libre, fut l’idole de 1 Italie et la terreur du monde; Paris, ramené par le génie de la liberté, par la voix de la raison, par l’intérêt même de sa conservation, à des mœurs plus pures et plus simples, à un régime d’administration plus ferme, à des institutions et à des lois plus dignes de son respect, sera le modèle de la France et l’amour de l’univers. Quels gages de cet espoir consolant ne nous offre pas, Messieurs, la composition du corps auguste que vous représentez ! Les talents relevés par la modestie, la droiture unie au savoir, distinguent son chef; la circonstance où vos suffrages nous ont repris ce bien que vos suffrages nous avaient donné, a diminué pour nous le sentiment de sa perte, mais n’a pu faire oublier la longue suite des services qu’il nous a rendus. Que la commune de Paris jouisse de son honorable conquête ; elle s’applaudit à juste titre d’en avoir fait sur nous une autre encore digne de notre secrète envie, c’est le héros dont le bras la défend. Ce héros est un sage que le seul intérêt de l’humanité appela dans les champs de la gloire, et qui, sous les drapeau� d’un guerrier à jamais illustre, sembla comme lui priser les leçons d’un nouveau Lycurgue autant et plus peut-être que les palmes des triomphes qui fondaient la liberté de Philadelphie. Sous ces chefs patriotes on a vu la fermeté, le courage, la tranquille raison d’une commune fidèle à la loi et à son prince, au milieu même des orages qui l’agitaient, étonner la France, et soutenir l’espoir de ses habitants au fort de la tempête. Achevez votre ouvrage, Messieurs ; que l’exemple rie vos guerriers resserre le lien de la discipline militaire, relâché par nos légions. Que la sagesse et la vertu de vos administrateurs imposent un frein à la licence. Que votre respect pour les lois, vos soins pour relever l’éclat du trône, rappellent à la confiance et à la paix un peuple égaré momentanément par l’artifice de ses dangereux amis, mais toujours bon, toujours équitable et dévoué surtout au monarque citoyen dont les bienfaits ët les vertus sont empreints dans son cœur. L’Assemblée nationale vous verra avec plaisir à ses séances. M. le comte de Mirabeau. Messieurs, la première de nos séances dans la capitale n’est-elle pas la plus convenable que nous puissions choisir pour remplir une obligation de justice, et je puis ajouter un devoir de sentiment? Deux de noscollègues, vous le savez, ont été appelés par la voix publique à occuper les deux premiers emplois de Paris, l’un dans le civil, l’autre dans le militaire, je hais le ton des éloges, et j’espère que nous approchons du temps où l’on ne iouera plus que par le simple exposé des faits. Ici les faits vous sont connus. Vous savez dans quelle situation, au milieu de quelles difficultés vraiment impossibles à décrire, se sont trouvés ces vertueux citoyens. La prudence ne permet pas de dévoiler toutes les circonstances délicates, toutes les crises périlleuses, tous les dangers personnels, toutes les menaces, toutes les peines de leur position dans une ville de sept cent mille habitants, tenus en fermentation continuelle à la suite d’une révolution qui a bouleversé tous les anciens rapports; dans un temps de troubles et de terreurs, où des mains invisibles faisaient disparaître l’abondance, et combattaient secrètement tous les soins, tous les efforts des chefs, pour nourrir l’immensiié de ce peuple, obligé de conquérir, à force de patience, le morceau de pain qu’il avait déjà gagné par ses sueurs. Quelle administration I quelle époque où il faut tout craindre et tout braver ; où le tumulte renaît [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 octobre 1789.] 460 du tumulte; où l’on produit une émeute par les moyens qu’on prend pour la prévenir ; où il faut sans cesse de la mesure, et où la mesure paraît équivoque, timide, pusillanime ; où il faut déployer beaucoup de force, et où la force paraît tyrannie; où l’on est assiégé de mille conseils, et où il faut le prendre de soi-même ; où l’on est obligé de redouter jusqu’à des citoyens dont les intentions sont pures, mais que la défiance, l’inquiétude, l’exagération rendent presque aussi redoutables que des conspirateurs ; où l’on est réduit même, dans des occasions difficiles, à céder par sagesse, à conduire le désordre pour le retenir, à se charger d’un emploi glorieux, il est vrai, mais environné d’alarmes cruelles; où il faut encore.au milieu de si grandes difficultés, déployer un front serein, être toujours calme, mettre de l'ordre jusque dans les plus petits objets, n’offenser personne, guérir toutes les jalousies, servir sans cesse, et chercher à plaire comme si l’on ne servait point. Je vous propose, Messieurs de voter des remer-cîments à ces citoyens, pour l’étendue de leurs travaux et leur infatigable vigilance. On pourrait dire, il est vrai, que c’est un honneur réversible à nous-mêmes, puisque ces citoyens sont nos collègues. Mais ne cherchons point à le dissimuler, nous sentirons ûn noble orgueil, si l’on cherche parmi nous les défenseurs de la patrie et les appuis de la liberté, si l’on récompense notre zèle, en nous donnant la noble préférence des postes les plus périlleux, des travaux et des sacrifices. Ne craignons donc point de marquer no’re reconnaissance à nos collègues, et donnons cet exemple à un certain nombre d’hommes qui, imbus de notions faussement républicaines, deviennent jaloux de l’autorité au moment môme où ils l’ont confiée, et lorsqu’à un terme fixé ils peuvent la reprendre; qui ne se rassurent jamais ni par les précautions des lois, ni par les vertus des individus ; qui s’effraient sans cesse des fantômes de leur imagination; qui ne savent pas qu’on s’honore soi-môme en respectant les chefs qu’on a choisis ; qui ne se doutent pas assez que le zèle de la liberté ne doit point ressembler à la jalousie des places et des personnes; qui accueillent trop aisément tous les faux bruits, toutes les calomnies, tous les reproches. Et voilà cependant comment l’autorité la plus légitime est énervée, dégradée, avilie; comment l’exécution des lois rencontre mille obstacles ; comment la défiance répand partout ses poisons ; comment, au lieu de présenter une société de citoyens qui élèvent ensemble l’édifice de la liberté, on ne ressemblerait plus qu’à des esclaves mutins qui viennent de rompre leurs fers, et qui s’en servent pour se battre et se déchirer mutuellement. Je crois donc, Messieurs, que le sentiment d’équité qui nous porte à voter des remerciements à nos deuxcollègues est encore une invitation indirecte, mais efficace, une recommandation puissante à tous les bons citoyens de s’unir à nous pour faire respecter l’autorité légitime, pour la maintenir contre les clameurs de l’ignorance, de l’ingratitude ou de la sédition, pour faciliter les travaux des chefs, leur inspection nécessaire, l’obéissance aux lois, la règle, la discipline, la modération, toutes ces vertus de la liberté. Je pense enfin que cet acte de remerciement prouvera aux habitants de la capitale que nous savons, dans les magistrats qu’ils ont élus, honorer leur ouvrage et les respecter dans leur choix. Nous unirons, dans ces remerciements, les braves milices, dont l’intrépide patriotisme a dompté le despotisme ministériel; les représentants de la commune et les comités de district, dont les travaux civiques ont rendu tant de services vraiment nationaux. La proposition de M. de Mirabeau est unanimement adoptée. M. Bailly. Recevez, Messieurs , tous mes remerciements de l’honneur que vous me faites : il appartient plus à M. de Lafayette qu’à moi. Je n’ai pu faire encore aucun bien. Mes efforts ne sont pas sans récompense, puisque votre présence a ramené la paix. M. le marquis de Lafayette. Excusez, Messieurs, l’émoiion que j’éprouve; elle est un gage certaiu de ma profonde reconnaissance. Il m’est bien glorieux d’avoir mérité l’estime de l’Assemblée nationale, sous les ordres du chef qui a dirigé mes travaux. Je saisis cette occasion de rendre à la garde nationale la justice qu’elle a toujours usé de sa force d’une manière digne des motifs qui lui ont fait prendre les armes... M. Bailly. La commune a aussi bien des droits à votre bienveillance: c’est à elle que sont dus les succès de nos travaux. L’Assemblée vote des remerciements à la commune et à la garde nationale, M. le Président annonce que M. Huard, député de Rennes, est mort à Versailles. M. Varin, son suppléant, dont les pouvoirs ont été vérifiés, est autorisé à prendre séance et voix délibérative dans l’Assemblée nationale. On reprend la discussion sur les municipalités. M. Aubry du Bochet offre de nouveaux détails sur le plan de division du royaume qu’il avait déjà présenté, et expose des vues générales sur les espérances du peuple; il demande l’établissement de deux comités : l’un assisterait à la vérification delà division qu’il a faite, l’autre recevrait sur cet objet les observations des provinces. M. BrIIlat-Savarin représente la division du comité comme inutile, impraticable et dangereuse. Inutile : dans la division actuelle de la France, les bases de la population et de la contribution, sont déjà connues. A raison de la diverse fertilité du sol, celle de l’étendue serait destructive de l’égalité de représentation. Impraticable: il faudrait que la France fût plane et sa circonférence régulière ; ajoutez à cette considération les obstacles et les divisions naturelles, les fleuves, les montagnes; les productions, les climats, les usages: nulle harmonie, nulle tendance au même but. Dangereuse . chaque province croirait y perdre, elle se plaindrait, et nous pourrions seulement lui répondre: il fallait pour une juste symétrie que la France fût réduite en quatre-vingts carrés égaux. Ainsi, les plus fortes raisons font un devoir de rejeter le premier article et de conserver la division en provinces. M. le baron d’ilarambure ne voit nul inconvénient dans l’article, si les provinces consentent aux légers changements proposés, et elles y consentiront si les assemblées primaires et élémentaires sont placées dans un lieu de marché ou de foire; il propose quelques articles en conséquence.