478 [Assemblée nationale.] M. Le Chapelier. Il est étonnant qu’on nous propose de délibérer sur Je premier o b j e t de Ja pétition qui vient d’être lue, comme si chez utie nation libre et humaine on pouvait refuser à un fils de voir son père. Le second objet me paraît du ressort de l’inspecteur des prisons plutôt que de celui de l’Assemblée nationale. Je demande qu’il soit rendu un décret général portant : 1° Que, hors les cas prévus par la loi sur les jurés, les prisonniers ne seront plus mis au secret et seront accessibles à leur famille ; 2° Que les inspecteurs des [irisons seront chargés de prononcer sur les demandes de sursis de translation, après avoir vérifié l’état de la santé des prisonniers. Un membre : Le projet de décret de M. Le Chapelier me [tarait irop général et susceptible de quelques inconvénients, il est des cas giaves dans lesquels le secret jusqu’après l’interrogatoire paraît indispensable. M. Delavigne. Jusqu’à ce que l’on ait fait de nouvelles lois, il faut exécuter les anciennes. Quant à moi je pense que les demandes de M. de Fresnav ne peuvent devenir l’objet d’un décret du Goips législatif; je propose de passer à l’ordre du jour. M. Voidel. On ne peut accorder à M. de Fres-nayde voir son fils, à cause des lois du décret de prise de corps dans lequel il est retenu; mais, je demande que l’on décrète la seconde proposition de M. Le Chapelier. Plusieurs membres : L’ordre du jour! M. le Président. Je mets aux voix la motion de passer à l’ordre du jour. (Il est procédé à deux épreuves qui sont déclarées douteuses.) M. Le Chapelier. On demande de passer à l’ordre du jour ; je demande ce que signifie dans cette occasion l’ordre du jour. Cela signifie-t-il que le fils verra son père? Plusieurs membres : Non ! non ! M. Ce Chapelier. En ce cas, je ne suis pas d’avis de l’ordre du jour; car il doit le voir. (Murmures.) Plusieurs membres : Non il ne doit pas le voir. M. le Président. Avant de procéder à une troisième épreuve, j’observe qu’il est bien entendu que ceux qui veulent passer à l’ordre du jour entendent refuser. . Plusieurs membres : Non! non! M. Delavigne. C’est moi qui ai fait cette motion de passer à l’ordre du jour; je vais expliquer ma motion. En effet, soit d'après les lois anciennes, soit d’après les nouvelles, l’Assemblée ne doit pas connaître de ces questions. Elle doit laisser à chacun ses droits pour les faire valoir devant qui il appartiendra. (Murmures.) Le mouvement même de l’Assemblée justifie combien il est nécessaire d’attacher dans ce moment une idée précise à la demande de passer à l’ordre du jour ; le doute vieut de ce que l’ordre [31 mars 1791.] du jour n'a pas été motivé. Or voici comment je l’entends : Je dis que si l’Assemblée nationale veut s’ériger en corps de jug�s, elle peut décider si la demande du (ils relative à son père prisonnier doit être accordée ou refusée. Mais si vous considérez que M. de Fresnay père, arrêté d’après un décret de l’Assemblée nationale est en état de prise de corps (Mumures.) ..... Plusieurs membres : Point du tout, il n’y est pas. M. Delavigne. J’entends dire : il n’y est pas. Il y est vraiment. Un des décrets de l’Assemblée nationale, relatif à la haute cour nationale et au tribunal provisoire qui en fait les fonctions, dit expressément que, lorsque le Corps legislatif aura décrété qu’il y aura lieu à accu-atioo, le décret vaudra le décret de prise de corps; j’invoque le decret qui est rendu. (Applaudissements.) La personne étant eu prison, étant, d’après vos décrets, en état de prise de corps, le tribunal qui doit le juger étant déterminé, ayant dû être formé le 25 mars, l’Assemblée nationale n’a plus rien à décider sur les demandes particulières. D’après cela, Messieurs, et c’est là ce qui est nécessaire pour entendre l’effet de ma motion tendant à passer à l’ordre du jour, mon intention a été qu’il fallait que l’accusé se pourvût devant les juges, et en conséquence de ce, j’ai demandé l’ordre du jour. Plusieurs membres : Aux voix! aux voix! (L’Assemblée, consultée, décrète l’ordre du jour.) M. Le Chapelier, au nom du comité de Constitution. Messieurs, je vous demande la permission de vous proposer, au nom du comité de Constitution, 2 décrets sur des objets séparés, et qui tiennent à la Constitution; le premier est pour une élection particulière très pressante. A Uzès, il manquait dans le tribunal, par des retraites, ou des démissions, ou des incapacités, 2 juges et 4 suppléants. Les électeurs du departement du Gard u o t été rassemblés à Nîmes pour l’élection de l’évêque. Comme il y avait eu beaucoup de troubles à Uzès, que ces troubles agitaient encore la ville, les électeurs du district d’Uzès rassemblés, non pas en totalité, mais en grand nombre, ont présenté une pétition à l’administration du département, pour avoir la permission de nommer, dans la ville de Nîmes, les 2 juges et les 4 suppléants. L’administi aiiou du département a permis cette élection. Il s’élève du doute sur sa régularité. On demande si, comme ebeaété faite sans avoir été convoquée expressément pour cet objet, et par une partie seulement des électeurs du district d’Uzès, parce que tous ne s’y étaient pas rendus, attendu les troubles, l’élection est bonne ou mauvaise. Voici maintenant l’avis du comité de Constitution : Il pense qu’attendu les circonstances et les troubles, attendu la pétition des électeurs et la décision de l’administration du département, Meciion est valable. 11 vous propose le décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Constitution sur l’élection faite à Nîmes au commencement du mois de mars, par les électeurs du district d’Uzès, de ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [31 mars 1791.] deux juges et de quatre suppléants pour compléter le tribunal de ladite ville d’Uzès, décrète, « Qu’attendu les circonstances et les troubles qui venaient d’agiter et qui menaçaient encore la ville d’Uzès à l’époque de l'élection, ladite élection est valable, et que les sujets élus peuvent remplir les fonctions qui leur sont déférées, si d’ailleurs ils ont les qualités requises par les décrets. » (Ce décret est adopté.) M. i»e Chapelier au nom du comité de Constitution. Je vais maintenant, au nom du comité de Constitution, vous proposer un projet de décret général sur une matière très importante. Vous savez que jadis, lorsque des villes voulaient établir des foires et marchés, elles ne pouvaient te faire qu’avec des lettres patentes enregistrées; cette forme-là ne peut plus subsister maintenant; et même il n’est plus possible de refuser à aucune commune, en vertu de la liberté qui existe désormais et pour toujours, la faculté d’établir des marchés et des foires. Cependant des administrations de département ont refusé des permissions pareilles, et ce qu’il y a de pis, quelques-unes ont interdit la faculté de tenir des foires et marchés. 11 y a beaucoup de départements où des plaintes se sont élevées à cet égard; et nous ne pouvons pa-ser sous silence une disposition aussi essentielle et qui tient de si près à la liberté publique. Voilà le projet de décret que votre comité vous propose : « 11 est libre à toute commune d’établir dans son territoire des foires et marchés et de faire annoncer et publier les jours où ils se tiendront, à la charge seulement de faire au directoire de district sa déclaration, et de ne prendre aucun droit d’étalage que ceux qui pourront êire nécessaires pour la tenue des foires et marchés. » M. le Président. Que ceux qui veulent adopter... M. Prieur. Monsieur le Président, je demande la parole. M. de Folleviïle. Vous voyez, Monsieur le Président, Pinconvénient qu’il y a à décréter sur-le-champ des articles aussi importants. Je demande donc l'ajournement et l’impression de ce décret. M. Prieur. Ce n’est pas pour mettre des entraves à la liberté qui est reconnue par le comité, que je demande la parole ; mais c’est pour dégager la liberté des espèces d’entraves que le comité y appose par une des dispositions de son décret. Que sont les foires et marchés? Pas autre chose que des rassemblements volontaires et spontanés de marchands de toute espèce. Suivant le projet de décret du comité, il semblerait que les communes auraient le droit d’empêcher les marchands de venir dans leur sein, ou de leur donner des permissions qui supposeraient ce droit, et ressembleraient à des privilèges. Je prétends qu’ils ont le droit de se rassembler où ils veulent, moyennant qu’ils aient payé le droit de patentes; je prétends qu’il ne doit plus y avoir de privilèges pour les foires et marchés. Plusieurs membres : Ce n’est pas cela. M. Prieur. Je demande que le décret se borne 479 à dire. « Il est libre aux marchands de se réunir, et de vendre où bon leur semble. » M. de Delley. Les restrictions apportées par le comité ne sont que des lois de police et non des entraves à la liberté. M. Martineau. J’adopte le principe de la liberté que pose M. Prieur, et la conséquence qu’il en tire que tout marchand patenté a le droit d’aller veudre partout sa marchandise; mais, Messieurs, cette faculté que vous accordez aux marchands est bien différente de celle que vous propose votre comité. La conséquence qui résulterait de cette permission, serait qu’il n’y aurait nulle foire ni nul marché; car il n’y a pas de petite commune qui, demain usant ou plutôt abusant de votre décret, ne fît publier qu’elle aura 3, 4, 5 et 6 marchés par semaine, et 2 ou 3 foires par mois. Je demande comment on ferait pour élablir la police dans ces endroits-là. Tout le monde sait que la gendarmerie nationale doit fournir des détachements dans les lieux où so tiennent les foires ; et comme ces foires se tiennent alternativement tantôt dans une ville tantôt dans une autre, alors la gendarmerie a un temps suffisant pour s’y rendre. Au contraire, si dans un petit district il allait se trouver une vingtaine ou une trentaine de foires par jour, la gendarmerie nationale ne pourrait pas y suffire. Que l’on fasse un réglement sur cette affaire , que l’on soumette à une police, j’y consens (Applaudissements.)', niais auparavant, je demande que le projet de décret soit renvoyé tant au comité de Constitution qu’au comité d’agriculture et de commerce, pour nous présenter sur cela un décret qui concilie tous les intérêts. M. Goupil - Préfeln. Messieurs, le droit de foire et de marché n’est autre chose qu’un droit de justice féodale. M. Fe Chapelier, rapporteur. Je réponds que s’il y a un decret qui favorise le commerce, c’est celui-ci. Jadis il ne s’agissait que de faire un petit sacrifice d’urgent pour obtenir la permission d’établir des foires. Beaucoup de demandes pareilles sont en ce moment portées au conseil, qui ne les a pas octroyées, parce qu’il doutât avec raison qu’il fallut des lettres patentes pour qu’une commune pût avoir le droit de désirer que des marchands vinssent s’établir chez elle. L’établissement d’une foire n’est en effet autre chose que la manifestation que fait une commune du désir que, tel jour, des marchands viennent lui apporter ce dont elle a besoin. Ne voit-on pas ensuite que les inconvénients qu’on suppose sont des chimères ? Si toutes les communes d’un pays annonçaient des foires pour le même jour, n’est-il pas évident qu’il n’y aurait pas de foire, puisque les marchands et les acheteurs resteraient chacun chez eux. En général, en matière de commerce, l’intérêt des commerçants est le meilleur régulateur ; et la meilleure loi de police du commerce, est la liberté. M. Chabroud. Il me semble que le decret mérite d’être réfléchi et qu’il n’est pas du nombre de ceux qui doivent être décrétés légèrement. De ce que, dans l’ancien régime, sous un gouvernement corrompu, il fallait de l’argent et des in-