[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. aucun délai, aux municipalités et autres corps administratifs. » M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de lundi pour neuf heures du matin. lre ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du 28 novembre 1789. Mémoire sur la destruction de la mendicité (1), par M. Du Tremblay de Rubelle (2), maître des comptes. De tous les projets utiles qui peuvent s’exécuter dans ce moment de régénération générale, il n’en est pas sans doute qui soit fait pour plaire davantage aux âmes honnêtes et sensibles, que la destruction de la mendicité ; mais les personnes qui joignent aux sentiments de bienfaisance les grandes vues de l’administration sentiront encore davantage combien la destruction de la mendicité serait essentielle à l’ordre public; et leur humanité en acquerra un nouveau degré d’énergie. Tout le monde convient de la nécessité de secourir l’indigence. Quand le sentiment de la bienveillance que la nature a mis dans notre âme n’agirait que faiblement, l’intérêt personnel, ce mobile puissant et universel, nous en ferait la loi. Le soin des propriétés, la sûreté publique, ne permettent pas d’abandonner le malheureux au désespoir; et le spectacle d’un être souffrant, qui serre le cœur du riche au milieu même de ses jouissances, est fait pour exciter sa sensibilité. L’inconvénient de la mendicité s’est si constamment fait sentir, qu’on a tenté plusieurs fois d’y remédier. Une foule d’ordonnances à ce sujet, notamment celles de 1614, 1656, 1662, 1686, 1724 et 1750, ont eu cet objet; mais ces ordonnances, en ouvrant un asile aux pauvres dans les hôpitaux, n’ont été peut-être qu’un degré d’encouragement pour la fainéantise qui, assurée de ne pas manquer de subsistance dans ces asiles, n’a pas hésité à se soustraire à la charge générale imposée à tous les membres de la société, de se rendre utiles au bien général. En 1777, l’académie de Châlorts, frappée de ces réflexions, lit de ce projet un sujet de prix qui a trouvé de dignes émules. Nous croyons du devoir d’un bon patriote de renouveler ces idées bienfaisantes dans un moment où l’esprit d’ordre, de bien général, de justice et de confraternité en rendent l’exécution plus facile. Le premier soin à prendre pour parvenir à éteindre la mendicité, c’est de bien connaître le nombre des mendiants; et l’ordre actuel facilite infiniment cette connaissance. Les districts étant presque tous bornés dans l’étendue de leurs paroisses, il est aisé aux citoyens du district de connaître les besoins de leurs concitoyens du (1) Ce mémoire n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Ce petit mémoire fait partie d’un ouvrage plus étendu, que j’ai remis à M. le comte de Lally-Tolen-dal, en sa qualité de député aux Etats généraux. L’utilité de ce projet, la facilité de son exécution dans les circonstances actuelles, me déterminent à le faire imprimer : puisse-t-il faire naître des idées plus heureuses ! et, en venant au secours des êtres souffrants, contribuer au bonheur et à la tranquillité de tous les individus ! (Note de V auteur.) [28 novembre 1789.] 397 même district, et d’apprécier même l’étendue de ces besoins ; car il est juste qu’ils soient proportionnés à l’âge, aux charges des individus, et au plus ou moins de possibilité de se procurer des ressources. Ce premier lien de correspondance entre les indigents et ceux qui peuvent leur porter des secours est déjà précieux sous plusieurs rapports; il mettra une douce consolation dans le sein de l’infortuné, fondée sur l’espérance d’un meilleur être, et sur la satisfaction de voir qu’on s’occupe de son infortune; et il rappellera au travail des fainéants qui ne demandent du pain que parce qu’ils ne veulent pas le gagner. On peut se rappeler à ce sujet qu'en 1778 il y avait à Amiens un nombre considérable de pauvres; on y forma le projet de détruire la mendicité; on ht une quête dans la ville, et l’on en annonça la distribution : le jour même que les magistrats publièrent la défense de mendier dans les rues (1), les mendiants disparurent; et dans la crainte d’être arrêtés, retournèrent à leurs travaux. Le pauvre valide ne manque le plus souvent de subsistance que parce qu’il se refuse au travail, ou qu’il ne peut pas s’en procurer : un peu de surveillance peut empêcher l’un et l’autre; c’est donc de l’ordre qu’il faut en cette partie, et non de l’argent. Mais pour ôter toute ressource aux gens de mauvaise volonté de continuer à vivre dans leur dangereuse oisiveté, il faudrait que, les mesures prises pour soulager l’indigence, non-seulement on défendît dans le même moment la mendicité dans tout le royaume, mais qu’on obligeât toute personne à se faire inscrire dans son district, et à ne pouvoir aller s’établir ailleurs sans un certificat de son district qui, dans le cas de l’indigence, lui assurerait en même temps les secours dont il jouissait dans le district qu’il a quitté. Ge certificat pourvoirait à la subsistance de l’indigent, et la société s’assurerait de l’individu qui n’aurait plus la faculté de vagabonder sous prétexte de mendier, puisque la subsistance serait assurée. On ne saurait apprécier l’avantage que retirera la police publique de l’obligation ou seront les pauvres de renoncer à être vagabonds. On a observé avec raison que les grands criminels le sont rarement chez eux; un reste de pudeur les contraint de se soustraire aux regards de leurs compatriotes, ils ne pourraient les soutenir. L’ordre général y gagnerait donc infiniment, mais d’un autre côté, ii serait juste que la société, qui en retirerait un aussi grand bien que celui de la sûreté publique, l’achetât par quelques sacrifices : ce sacrifice ne paraîtrait pas considérable, si l’on considère tout le bien qu’un grand nombre d’hommes réunis en société peuvent faire en se rénissant pour l’opérer (2). Pour y parvenir avec une sorte d’égalité proportionnelle à la fortune et aux moyens, je proposerais une imposition par feu dans les villes, et par arpent dans les campagnes, parce que cette imposition me paraît la plus juste et ne tombe que sur celui qui possède; par celte raison, je serais d’avis que ceux qui ne possèdent qu’un seul feu ou un seul arpent ne tussent point taxés; d’un autre côté, il serait convenable que le luxe payât davantage : ainsi les feux inutiles, tels que ceux (1) Extrait d’un mémoire sur la mendicité. (2) Il faut considérer que tous les pauvres ne sont pas dans la môme indigence ; si la vieillesse des uns nécessite des secours de toute nature, les autres peuvent se procurer, par leurs travaux, une portion de subsistance, et il no s’agit que de suppléer à la modicité du salaire à laquelle leur infirmité les réduit. 328 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 novembre 1789.] des escaliers, seraient taxés au double, et les feux de poêle, au contraire, ne payeraient que demi-taxe; il en pourrait résulter une économie sur le bois, qui, dans les circonstances présentes, serait un bien. La perception de cette taxe (1), après avoir eu la sanction de l'autorité législative, serait confiée aux districts, et la distribution en serait faite sur des mandats expédiés par des commissaires, conformément à un état général des besoins et secours accordés, arrêté et consenti par l’assemblée générale. De cette corrélation entre les riches et les indigents naîtrait l’avantage de l’un et l’autre; le pauvre y trouverait des secours, et le riche assurerait sa tranquillité et sa propriété même, par la connaissance et le soulagement de tous les individus que le désespoir et la faim pourraient porter à le troubler dans ses jouissances. Cette connaissance intime des individus est peut-être la seule manière de suppléer à cet espionnage, qu’une extension odieuse et despotique fait proscrire, mais qui, sous l’ancien régime, pouvait être nécessaire jusqu’à un certain point pour l’administration d’une grande ville. Il faudrait que le compte de cette perception, contenant la totalité de la recette et son emploi, fût rendu tous les ans, et toujours ouvert à tous les citoyens du district: car il est juste que celui qui paye voie l’emploi de ses deniers ; et les administrateurs se doivent à eux-mêmes d’éclairer leur conduite. C’est un nouvel impôt , me dira-t-on. Mais, je le demande, cet impôt n’est-il pas toujours perçu d’une manière ou d’une autre? Laissera-t-on mourir de faim des malheureux? ne faut-il pas que le gouvernement vienne à leur secours? et comment y vient-il si ce n’est avec les deniers publics? Ce n’est donc qu’un mode nouveau d’administration, par lequel on met dans la main de ceux qui payent l’emploi de leurs fonds, pour empêcher qu’on n’en détourne la source, et que d’un autre côté, ceux à qui ils sont destinés n'en réclament au delà de leurs besoins : c’est pour empêcher une répartition trop inégale qu’entraîne nécessairement une distribution aveugle : c’est pour obvier à la dépravation des mœurs et à la corruption des principes, en étouffant le goût du travail par la facilité de se procurer de l’aisance dans une vie fainéante et débauchée. Mettra-t-on en balance avec ces grands avantages une petite surcharge pécuniaire qui se réduira à presque rien, surtout pour ceux qui n’ont pas assez peu d’humanité pour refuser tous secours à leurs semblables? car il sera nécessaire et indispensable de faire contre l’aumône particulière des lois presque aussi rigoureuses que contre la mendicité, puisque cette charité mal entendue tendrait à nourrir un des désordres les plus pernicieux à la société? Si l’on avait le malheur de n’être pas touché des motifs d’humanité, que l’on considère combien l’ordre public réclame la subsistance pour l’indigent! A quels excès ne peut (1) Si l’imposition par feu était difficile à établir, on pourrait y substituer une imposition de six deniers, ou 1 sou pour livre, sur la capitation ou les vingtièmes; et afin que cette taxe ne portât pas sur l’indigence, on pourrait en exempter ceux dont les vingtièmes ou la capitation ne monteraient pas à une certaine somme. De quelque manière qu’on établisse à l’avenir l’imposition, il est convenable et juste de faire la part du pauvre : c’est le seul moyen de l’intéresser à la chose publique. pas porter le désespoir et la faim? De quels vices ne se rendent par coupables des gens adonnés à l’oisiveté et qui ont bravé jusqu’à la honte? Aussi, fléaux des villes et des campagnes, on les a vus, surtout dans ces derniers temps, fomenter ces troubles qui ont menacé le royaume d’un renversement total. On les voit souvent mettre les laboureurs à contribution; et, par l’habitude de voler, ils se forment à devenir assassins, comme cela n’est que trop consigné dans les greffes des juridictions criminelles. Il s’ensuit que si la société est obligée de faire un sacrifice, ce sacrifice n’est pas purement gratuit, puisqu’il tend à la conservation des propriétés et à la plus grande sûreté des individus. On peut ajouter à ces ré-fléxions que ce genre d’établissement a déjà la sanction de l’expérience. Il existe en Hollande, en Allemagne, et dans une partie de la Suisse. Chaque paroisse y a soin de ses pauvres, et l’ou y est parvenu à faire disparaître les] mendiants. En Angleterre, il existe une taxe sur les aisés, et personne ne s’en plaint, quoiqu’elle soit très-forte. On conçoit qu’il faudrait perfectionner l’administration