624 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 décembre 1789.' teurs et patrons laïques, et de tous les objets mobiliers et immobiliers qui en dépendent. Nous désirerions, comme bons citoyens, être en état de faire à la patrie des sacrifices plus considérables et plus dignes d’elle; mais nous sommes pauvres. Nosseigneurs; et, à ce titre qui en est un bien puissant auprès des législateurs de la France, nous osons espérer que vous voudrez bien ne pas dédaigner une offrande qui, pour être modique, n’en est que plus pure. Puisse cet hommage que notre patriotisme et notre profond respect pour cette auguste Assemblée et pour ses décrets nous ont seuls inspiré, être regardé comme une nouvelle preuve du dévouement de toutes les classes de citoyens à tout ce qui peut contribuer au salut de l’empire français et au maintien de la prospérité publique ! » M. Berthier, membre de l'Assemblée nationale , et président du grenier à sel de Nemours, offre en don patriotique la finance de son office, et le prix d'un mois de son traitement de député. ün lit ensuite une délibération de la communauté de Pressigny en Champagne, portant demande d’être autorisée à couper des bois pour un don patriotique, et pour des dépenses nécessaires, notamment à former un grenier à blé : cette affaire est renvoyée au comité des domaines. M. Escourre de Peluzat, député d’Agenois , donne sa démission. M. Boussion, son suppléant, dont les pouvoirs ont été vérifiés, est admis à sa place. Le rapport du comité des finances est à l’ordre du jour ; mais les commissaires ne sont pas encore rendus dans la séance. M. le Président donne la parole à un membre du comité de judicature. M. le duc de ICI ortemart. Je suis chargé par le comité de judicature de vous rendre compte de ce qu’il a fait pour répondre à votre confiance : le comité a fini son travail sur le remboursement des offices de judicature; il vous le présentera quand vous le désirerez : vous aurez alors à décider la grande question de savoir si vous supprimerez les offices ministériels, c’est-à-dire les charges de procureurs, notaires, huissiers, celles des chancelleries, etc. Le comité se bornera en ce moment, pour détruire une assertion très-exagérée, à vous dire que, d’après les calculs les plus exacts, la finance de toutes les charges de judicature ministérielles et autres monte à 3 1 9 millions, suivant l’estimation de 1771, et le centième denier payé en conséquence de cette estimation. L’Assemblée a renvoyé beaucoup d’adresses au comité, qui en a reçu directement de différentes villesdeprovince;ellescontiennent presque toutes la demande d’un siège de justice. Nous avons fait sur cet objet Je travail qui nous a paru nécessaire, et nous désirons savoir à qui nous devons le remettre. L’Assemblée jugera-t-elle convenable qu’il soit renvoyé au comité de constitution, ou que nous soyons adjoints à ce comité ? Nous la prions de s’expliquer sur cette question. La discussion a été ouverte sur ces deux propositions. M. Brostaret propose de n’adjoindre au comité de constitution que deux membres de celui de judicature, qui les choisirait lui-même dans son sein, craignant qu’un nombre plus considérable nuisît à l’activité du comité de constitution. M. Mougins de Boquefort fait la motion que l’Assemblée entende préalablement l’ensemble du travail du comité de judicature, et qu’on lui assigne un jour pour le rapport, après lequel l’on prononcera sur les questions précédentes proposées par le rapporteur du comité de judicature : cette motion est décrétée, et ce rapport ajourné à lundi deux heures. Il est fait ensuite une motion relative à l’ordre dans les tribunes; l’Assemblée ne la prend pas en considération. M. le Président. M. Treilhard, au nom du comité ecclésiastique, demande la parole pour faire un rapport sur les ordres religieux. Je propose à l’Assemblée de l’entendre. M. Treilhard (1). Messieurs, la régénération que vous être appelés à consommer, doit embrasser toutes les parties de ce vaste empire, parce qu’il n’en est aucune qui se soit préservée du relâchement et des abus que le temps amène toujours à sa suite. Les ecclésiastiques en ont éprouvé la fatale influence comme les autres citoyens. La répartition vicieuse de leurs revenus, l’organisation non moins vicieuse de plusieurs établissements, la négligence malheureusement si commune dans le choix des titulaires, les prétentions excessives de quelques ministres du culte, ont depuis longtemps excité de justes réclamations, et la nation attend avec impatience l’heureux instant où le mérite sera le seul titre pour parvenir, où les salaires se trouveront en proportion avec le service, où des règlements sages élèveront des bornes immuables entre les deux juridictions, et préviendront pour toujours ces débats scandaleux qui tant de fois ont fait gémir la raison et désolé notre patrie. Votre comité se propose de vous présenter successivement ses réflexions et ses vues sur ces importants objets; mais il a cru entrer dans vos intentions en fixant vos premiers regards sur l’état actuel de cette partie nombreuse du clergé qui se glorifie de devoir sa première existence à l’amour de la perfection, dont les annales présentent tant de personnages illustres et vertueux, et qui compte de si grands services rendus à la religion, à l’agriculture et aux lettres : je parle du clergé régulier. Tel est le sort de toutes les institutions humaines, qu’elles portent toujours avec elles le germe de leur destruction. Les campagnes, fécondées par de laborieux solitaires, ont vu s’élever dans leur sein de vastes cités dont le commerce a insensiblement altéré l’esprit de leurs fondateurs. L’humilité et le détachement des choses terrestres ont presque partout dégénéré en une habitude de paresse et d’oisiveté qui rendent actuellement onéreux des établissements fort édifiants dans leur principe. Partout a pénétré l’esprit de tiédeur et de relâchement qui finit par tout corrompre; la vénération des peuples pour ces institutions s’est donc convertie, pour ne rien dire de plus, en un sentiment de froideur et d’indifférence; l’opi-(1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du rapport de M. Treilhard. [17 décembre 1789.] [Assemblée nationale.] nion publique fortement prononcée a produit le dégoût dans le cloître, et les soupirs de pieux cénobites, embrasés de l’amour divin, n’y sont que trop souvent étouffés par les gémissements de religieux qui regrettent une liberté dont aucune jouissance ne compense aujourd’hui la perte. Le moment de la réforme est donc arrivé; car il doit toujours suivre celui où des établissements cessent d'être utiles. Mais en cessant de protéger des liens qui blessent plusieurs individus, doit-on rompre la chaîne de tous? En venant au secours du religieux fatigué de son état, ne devez-vous pas protéger celui qui désire d’y vivre encore? Votre comité a pensé, Messieurs, que vous donnerez un grand exemple de sagesse et de justice, lorsque dans le même instant où vous vous abstiendrez d’employer l’autorité civile pour maintenir l’effet extérieur des vœux, vous conserverez cependant les asiles du cloître aux religieux jaloux de mourir sous leur règle. C'est pour remplir ce double objet que nous vous proposerons de laisser à tous les religieux une liberté entière de quitter leur cloître ou de s’y ensevelir. En leur permettant de rentrer dans le monde, vous n'auriez encore rien fait pour eux, si vous ne leur assuriez pas en même temps le moyen d’y subsister ; morts à la société, les religieux n’ont plus de propriétés, plus de successions à réclamer ou à attendre; vous ne pourriez leur donner une seconde vie sans porter l’alarme et le trouble dans toutes les familles; ils ne peuvent donc exister que par vos secours : votre comité vous proposera à cet égard les mesures qui lui ont paru les plus sages. Vous sentez, Messieurs, que les circonstances fâcheuses qui nous environnent ne permettent d’assurer aux religieux qui sortiront du cloître, que le simple nécessaire; le vœu dont ils sont liés ne leur permet pas d’exiger davantage; mais le nécessaire est le même pour tous, et nous avons cru en conséquence ne devoir faire aucune distinction entre les religieux des différents ordres ; ils ont tous un droit égal à leur subsistance. La différence de l’âge a dû seule nous frapper, parce qu’elle en peut entraîner une dans les besoins. Cependant les abbés réguliers ne pourraient-ils pas être distingués des simples religieux? Ils ont une administration, une juridiction, une préla-ture; et ces motifs déterminent votre comité à vous proposer pour eux une pension un peu plus forte ; ils ne sont pas en assez grand nombre pour que cette extension devienne jamais onéreuse. Quant aux religieux qui resteront dans le cloître, ils ne s’y déterminent que par un amour louable, un vif amour de la règle qu’ils ont embrassée : il est juste d’entrer dans leur esprit; et c’est pour favoriser leurs pieuses intentions que le comité vous propose de les réunir en nombre suffisant pour garantir une exacte observation de cette règle qu’ils chérissent, et de les fixer de préférence dans les campagnes ou dans les petites villes, afin de les rappeler autant qu’il sera possible à leur première institution. Si des considérations d’un intérêt temporel pouvaient influer sur vos décrets, votre comité vous observerait que ce nouvel ordre de choses sera utile sous un double rapport : la présence des religieux vivifiera les campagnes qu’ils habiteront, et vous acquerrez d’ailleurs la libre dis-1* SÉRIE, T. X. m position de leurs terrains situés dans les capitales; ressource immense, > ressource bien précieuse dans notre position critique. Quand nous vous proposons de fixer de préférence les religieux à la campagne ou dans les petites villes, nous ne prétendons pas cependant les exclure absolument des villes plus considérables; les maisons qui offriraient de se vouer au soulagement des malades, celles que vous jugeriez dignes de présider à l’éducation publique, ou qui vous paraîtraient utiles au progrès des sciences, mériteront toujours de la faveur, surtout dans les lieux où on manque de pareils établissements. Sans doute, Messieurs, vous ne refuserez pas à ces maisons, ainsi conservées par des motifs d’utilité publique, le droit et le moyen de se régénérer; mais dans le moment où tous les regards se tournent vers la liberté, nous sommes loin de vous proposer d’admettre une perpétuité de vœux que l’inconstance des esprits et l’instabilité des choses ne sauraient comporter. Vous croirez sans peine, Messieurs, qu’en nous occupant du sort des religieux, nous n’avons pas oublié d’autres victimes que la faiblesse de leur sexe rend encore plus intéressantes. Elles sont dignes, en effet, de toute votre protection; et votre cœur qui, jusqu’à ce jour, a répondu à toutes les plaintes qu’on vous a adressées, ne sera pas froid et insensible pour elles seules; mais leurs besoins, leurs occupations, leurs goûts, leurs habitudes sont si différents des goûts, des besoins, des habitudes et des occupations de notre sexe, qu’elles méritent un règlement particulier, dont votre comité s’occupe et qui sera l’objet d’un autre rapport. Il ne me reste actuellement qu’à vous parler de la dotation des maisons qui seront conservées; votre comité a pensé que le moment était venu d’attaquer la répartition trop inégale des revenus ecclésiastiques, et qu’il fallait fixer à chaque maison le même revenu, à raison d’une somme déterminée pour chaque religieux qui l’habitera. Ainsi disparaîtra ce révoltant contraste, qui offre quelques ordres environnés de tout le faste de l’opulence, et qui voue les autres à la honte d’une mendicité que vous aurez la gloire de détruire. Il a paru aussi à votre comité également prudent et économique de charger chaque maison de tous les frais relatifs au culte et des réparations de ses bâtiments. C’est en considération de cette double obligation que nous croyons devoir vous proposer d’assurer aux maisons conservées, 800 livres pour chaque religieux. Mais comment leur fournirez-vous ce revenu? leur assignerez-vous des fonds, les paierez-vous en argent? Cette question très-importante se trouve intimement liée à celle de l’administration future de tous les biens du clergé; vous n’avez pas encore décidé, Messieurs, si vous laisserez toujours aux ecclésiastiques l’administration qu’ils ont eue jusqu’à ce moment, ou si vous vous déterminerez à ne fournir que des salaires pécuniaires aux ministres du culte. Un objet si grave a dû nécessairement occuper votre comité, et je ne dois pas dissimuler que les avis y sont partagés. Nous ne pouvons donc que vous proposer de suspendre encore, pour quelques moments, votre décret sur l’administration des biens des religieux ; ils subiront la loi qu’il vous plaira de donner à tous les autres biens du ; clergé. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 40 026 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 décembre 1789.] Vous connaissez actuellement, Messieurs, les motifs qui ont dicté à votre comité les articles qu’il croit devoir vous soumettre : ma dernière mission est de vous en donner -lecture; heureux si votre comité peut se flatter d’avoir rempli vos intentions, et d’avoir justifié la confiance dont vous l'avez honoré: Art. 1er. Tous religieux qui auront fait des vœux solennels, dans quelque ordre ou congrégation qu’ils puissent être, déclareront, dans trois mois, du jour de la publication du présent décret, devant les officiers municipaux ou les juges royaux de leur domicile, s’ils désirent cesser de vivre sous la règle dans laquelle ils ont fait profession, ou s’ils désirent d’y rester. Art. 2. Ceux qui auront déclaré vouloir quitter leur règle, seront, de ce moment, libres de sortir de leurs monastères, et de résider où bon leur semblera, en habit clérical, sous la juridiction de l’évêque diocésain, comme tous les autres ecclésiastiques, sauf ensuite leur recours à l’autorité ecclésiastique en ce qui concerne le lien spirituel seulement. Art. 3. Il leur sera payé annuellement, par quartier et d’avance, savoir : à tout religieux au-dessous de 50 ans, 700 liv.; 800 liv. depuis 50 ans jusqu’à 60 ans-900 liv. depuis 60 ans jusqu’à 70 ans, et 1,000 liv. depuis 70 ans, sans aucune distinction d’ordres. Art. 4. Il sera payé annuellement par quartier et d’avance, aux abbés réguliers qui sortiront de leur ordre, une somme de 2,000 livres. Art. 5. Les religieux sortis du cloître, resteront incapables de toutes successions et dispositions entre-vifs et testamentaires ; mais ils auront la capacité de disposer du pécule qu’ils auront ac-uis depuis leur sortie du cloître, et à défaut de isposition de leur part, leur pécule passera à leurs parents les plus proches. Art. 6. Ils pourront, être employés comme vicaires, et ils seront même susceptibles d’être pourvus de cures ; mais, dans ce dernier cas, leur pension demeurera réduite à moitié. Art. 7. Les religieux qui auront déclaré vouloir continuer de vivre sous leur règle, seront placés de préférence dans les maisons de campagne du même ordre et de la même congrégation, les plus commodes et les plus saines, et subsidiairement dans les maisons des petites villes. Art. 8. Pourront néanmoins être conservées dans les villes plus considérables les maisons dont les religieux se voueront au soulagement des malades, ou qui seront trouvés dignes de présider à l’éducation publique, ou qu’on jugera capables de contribuer au progrès des sciences. Art. 9. Les religieux qui auront déclaré vouloir rester dans leur ordre, pourront en tout temps faire la déclaration, qu’ils désirent en sortir, et quitter ensuite leur monastère, en observant les formes prescrites par les articles 1 et 2 du présent décret ; du moment de leur sortie, ils auront droit à la pension réglée par l’article 3. Art. 10. Le nombre des religieux dans les maisons conservées ne pourra être moindre de 15, non compris le prieur ou supérieur. Art. 11. Tous privilèges et exemptions accordés à tous ordres et congrégations sont supprimés, et les religieux assujettis sans exception à la juridiction des évêques; le régime des congrégations d’ailleurs conservé. Art. 12. Les maisons qui seront conservées comme utiles aux sciences, à l’éducation publique et au soulagement des malades, pourront seules se perpétuer ; mais les effets civils de la solennité des vœux sont abrogés-en conséquence les postulants qui seront admis, demeureront toujours libres de quitter leur ordre, et capables de successions et donations entre vifs et testamentaires. Art. 13. Il sera désigné pour chaque ordre qui aura des maisons destinées à se perpétuer en conséquence de l’article précédent, une maison d’épreuve dans laquelle les postulants passeront le temps prescrit par les statuts avant leur admission. Art. 14. Lorsqu’une maison aura cessé d’être habitée pendant trois ans par le nombre de sujets fixé par l’article 10, elle sera supprimée, et les religieux en seront aussitôt répartis dans les autres maisons du même ordre. Art. 15. Il sera assigné à chaque maison un revenu annuel, à raison de 800 livres par chaque religieux qui y résidera, et en conséquence, la maison sera chargée de toute espèce d’entretien de ses religieux, de tous les frais de culte, et de toutes les réparations usufruitières de ses églises et bâtiments; et la quête demeurera interdite à tous les religieux qui s’étaient maintenus dans l’usage de quêter. Art. 16. Il pourra être assigné, sur les demandes des administrations de département, un revenu plus considérable aux maisons destinées à l’éducation publique et au soulagement des pauvres. Art. 17. L’Assemblée nationale se réserve de décréter incessamment de quelle manière sera acquitté le revenu des maisons conservées, comme aussi de décréter la forme d’administration des possessions des réguliers et des autres possessions ecclésiastiques, leur emploi, l’acquit des fondations des établissements qui seront supprimés, ainsi que le lieu et 1 instant où les pensions des religieux qui sortiront du cloître, commenceront à etre payées. M. de ISoimal, évêque de Clermont, président du comité ecclésiastique , prend la parole pour demander que cette affaire, vu son extrême importance, soit ajournée à une séance du matin» IL ajoute de plus qu’il fait hautement profession de s’être opposé, d’après la voix de sa conscience, à plusieurs des articles proposés par le rapporteur du comité ecclésiastique. L’Assemblée prononce seulement l’impression des articles, se réservant de statuer plus tard sur l’ajournement. M. le Président annonce qu’un courrier extraordinaire de Toulon vient de lui apporter des pièces relatives aux mouvements arrivés dans cette ville; que ces pièces lui paraissent très-importantes. Le vœu de l’Assemblée, recueilli sans délai, est de renvoyer ces pièces au comité des rapports, qui se rassemblera sur-le-champ à cet effet. M. le marquis de Clermont-Mont-Saint-Jean, député du Bugey, demande un congé de vingt-quatre à trente jours, pour aller vaquer à ses affaires à Chambéry en Savoie, où sont ses terres et la résidence ordinaire de sa famille. Le congé est accordé. M. le Président fait ensuite lecture d’une lettre de M. JNecker, qui accompagne l’envoi d’un mémoire que ce ministre adresse à l’Assemblée nationale. 11 est fait lecture de cette lettre conçue en ces termes :