4 [Assemblée' nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1791.] iités des îles. Par exemple, un membre a avancé Qu’il n’y avait que cinq à six mille hommes de couleur dans les colonies, tandis que si l’Assemblée veut se faire donner des renseignements au bureau des colonies, elle y verra que Saint-Domingue seulement fournit une population de 30,000 personnes de couleur, et que cette population est au moins égale à celle des blancs, si elle ne la surpasse. Je suis en état de donner sur ce fait-là et sur d’autres des renseignements authentiques qui rassureront l’Assemblée ; et je la supplie encore une fois, au nom de mes frères, qu’elle veuille bien décréter que nous serons personnellement entendus à la barre. « J’ai l’honneur d’être, avec respect, etc... « Signé : RAYMOND. « Pour les cinq commissaires des citoyens de couleur. » M. le secrétaire fait ensuite lecture d’une adresse de la société des amis de la Constitution , séant à Uxès, relative au même objet. M. le Président. Les ouvriers de la nouvelle église de Sainte-Geneviève annoncent à l’Assemblée qu’ils feront célébrer, samedi prochain 14 mai, dans la nef d’entrée de cette basilique, un service en mémoire d’Honoré Riquetti-Mira-beau, et qu’ils ont fait placer sur le fronton l’inscription qu’elle a décrétée. M. Eiebrun. Messieurs, je demande que le comité d’imposition présente au plus tôt à l’Assemblée le projet de suppression de la caisse de Poissy; car il nous en a coûté hier 26,000 livres d’escompte. M. Dauchy, au nom du comité d’imposition . Après demain le projet pourra être présenté. L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret des comités de Constitution , de la marine , d’agriculture et de commerce , et des colonies, réunis , sur l’initiative à accorder aux assemblées coloniales dans la formation des lois qui doivent régir les colonies et sur l'état civil des gens de couleur (1). M. Lanjninaig (2). Ce qui peut surtout par-raître étonnant dans cette Assemblée, c’est qu’une uestion décidée d’avance par les principes, fon-ée sur la justice, sur l’autorité de vos décrets antérieurs et sur les intérêts d’une sage politique, éprouve autant de difficulté et que vous n’ayez pas déjà décrété que les gens de couleur seront admis à l’exercice de tous les droits politiques, Permettez-moi, Messieurs, comme on a cherché à vous en imposer par des autorités, par des frayeurs, permettez-moi de relever deux faits remarquables, après quoi j’examinerai les autorités qui peuvent déterminer cette décision. On vous a parlé au nom de quatre comités réunis permi lesquels se trouve le comité de Constitution, à qui nous devons la rédaction des plus sages décrets que nous ayons rendus. Ehl bien, Messieurs, il faut que vous sachiez que le comité de Constitution n’a aucune part à ce travail, sinon qu’il a envoyé à cette Assemblée, dite de quatre comités, un seul commissaire, M. Démeunier, et les membres du comité de Constitution (1) Yoy, Archives parlementaires, t. XXV, séance du 11 mai 1791, p. 736. (2) Ce discours est très incomplet au Moniteur. n’ont pas pris la défense de ce travail. M. Démeunier n’a donc certainement pu concourir au projet de décret, que par son vœu individuel, puisque le comité qui l’envoyait ne s’était pas occupé de cette matière. Il est encore faux que les 35' membres dont on vous a parlé hier y aient concouru ; car dans les dernières séances de cette Assemblée de comités il ne se trouvait qu’environ 12 membres ayant voix délibérative. M. de Curt. Ce que vous dites n’est pas exact ; il y avait au moins 40 membres; les 4 comités étaient réunis en grande partie, lorsque l’article constitutionnel a été rédigé, on l’adopta à l’unanimité, excepté un seul. C’est moi, Messieurs, qui avais été chargé de vous faire ce rapport; un accident qui m’arriva m’empêcha de vous le faire ; et j’atteste à l’Assemblée que le lieu du comité des colonies était plein des autres membres du comité lorsque l’article constitutionnel aété convenu et lorsque le mode pris pour convoquer le comité colonial à Saint-Martin a été arrêté. Ces faits sont exacts, et j’en atteste l’honneur. M. Lanjuïnais. Eh bienl sur l’honneur je démens le fait. Il résulte seulement de tout cela qu’il y a des nuages... (Murmures.) M. Gombert. Il ne faut pas d’esprit de parti comme cela, laissez parler l’opinant. M. Arthur Dillon. Comment laisser parler l’opinant? M. de Curt. Tous les membres, au nombre de 30, sont gens d’honneur; ils attestent le fait et j’imprimerai leurs noms. M. Lanjuinaig. Il faut maintenant poser la question : malgré l’adresse qu’on a mise dans cette discussion, vous ne pouvez vous dissimuler que la question doit être abordée de fait, qu’il ne s’agit pas seulement d’un avant-faire droit, mais que ce qu’on veut vous faire décider, comme une mesure provisoire qui ne préjuge rien, tend à priver irrévocablement une portion de population libre dans nos colonies, qui est tantôt de la moitié, et à enlever formellement à ces hommes les droits de citoyen actif. Ou bien le congrès qui va être établi décidera en faveur de la justice et de la liberté, ou il décidera contre la vérité des principes. Dans le premier cas, s’il propose de rendre justice aux citoyens de couleur, on dit que ce sera un moyen de plus de resserrer les liaisons entre les colons de couleur et les colons blancs. S’il en est ainsi, j’observe qu’il n’y a dans cette hypothèse nul inconvénient à déclarer, dès à présent, ce que vous attendez de la justice et de la lumière des colons blancs. Mais c’est sur l’autre partie de l’alternative qu’il faut s’arrêter. Si le congrès déclare qu’il ne peut admettre les citoyens de couleur à l’exercice des droits politiques, et étant donné qu’aujour-d’hui on vous dit sans cesse dé ne pas prononcer, vous allez donner le signal du carnage, tout est perdu. Eh bien! Messieurs, lorsque ce congrès aura parlé, lorsqu’il aura prononcé la séparation éternelle des citoyens de couleur et des colons blancs, je demande ce que vous pourrez faire. Avec quelles armes pourrez-vous combattre? Si l’on parvient en ce moment à vous inspirer de vaines terreurs, que n’obtiendra-t-on pas lorsque les prétentions des colons seront appuyées de {Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1791. 1 toute l’influence d’un tel congrès? Dépositaire des pouvoirs de toutes vos colonies, n’acquerra-t-il pas assez de force peut-être pour résister a l’autorité nationale? La pétition est un droit individuel; les colons de tous les parties vous ont fait parvenir leur vœu; ainsi, il ne s’agit plus que de prononcer. Pour vous déterminer sur le sort des hommes de couleur, vous avez 3 sources de décisions; les principes et les lois anciennes, vos décrets, les règles de la prudence. Les principes, personne n’a osé les contester; on convient qu’en principe tous les propriétaires contribuables doivent jouir des mêmes droits ; or les citoyens de couleur sont libres, ils sont propriétaires et contribuables ; ils doivent donc jouir des droits de citoyens actifs. Je pourrais m’arrêter à ce raisonnement; mais des considérations bien plus fortes sont tirées des faits, des lois existantes. L’état des gens de couleur a été réglé par l’édit de 1685, qui porte que les citoyens de couleur ou mulâtres, et les nègres affranchis, jouiront de tous les avantages des citoyens français ; voilà une disposition précise , et qui n’a pas été abrogée; cette loi n’a cessé d’être réclamée, et souvent avec succès, par les citoyens de couleur. Les ordonnances des gouverneurs, des décisions ministérielles, souvent même des arrêts du Conseil y ont dérogé ; mais sont-ce là des autorités capables d’abroger une loi solennelle portée par Louis XIV, fruit de l’expérience, et qui est actuellement encore en vigueur dans une grande partie des colonies? Dans les Indes Orientales la distinction entre les blancs et les hommes de couleur libres est ignorée. Aussi ne vous propose-t-on pas d’envoyer des députés de cette partie de vos colonies au congrès. Un autre principe que vous devez considérer, c’est qu’il s’agit ici d’une convention sociale ; il s’agit d’établir les bases de l’organisation des colonies. Or, je demande quelle doit être la première question que doivent se faire des législateurs provisoires; car les Américains des colonies veulent bien nous donner ce titre, des législateurs provisoires chargés de convoquer un peuple pour connaître son vœu et de proposer une constitution des colonies. Ils doivent se demander ce que sont les colonies, ce que sont les colons, quels sont les citoyens qui peuvent concourir à l’expression de ce vœu. Or, ici vous voyez des hommes de couleur ; les uns et les autres sont propriétaires, sont contribuables; la différence n’est fondée que sur leur couleur, elle doit donc disparaître aux yeux du législateur provisoire, et il est indispensable d’appeler à la convention préparatoire tous les citoyens qui jouissent de ces droits politiques dont on pouvait jouir sous le despotisme; car ils avaient alors la liberté, la propriété, mais ils contribuaient; s’il fallait une distinction, vous devriez appeler plutôt la classe la plus utile, la plus industrieuse, je veux dire celle des hommes de couleur. Je passe à la seconde source des moyens décisifs, ce sont vos décrets; ici, Messieurs, je suis bien étonné de voir prononcer sérieusement une fin de non-recevoir. Vous avez, dit-on, rendu un décret qui ne permet pas d’admettre une portion de la population libre des colonies aux droits de citoyens actifs. S’il était possible de dire que vos deux précédents décrets se combattent, qu’ils sont directement contraires l’un à l’autre, s’il y avait de l’opposition entre les deux décrets dont il s’agit, il faudrait écarter l’un comme l’autre; et alors vous vous trouveriez pleinement libres de décider suivant le vœu de la justice, de la loi qui existait avant que la question qui se présente se fût élevée; mais on ne peut point douter que, le 28 mars, vous reconnûtes, à l’exception d’un seul membre, dont les opinions exagérées n’ont jamais fait fortune dans celte Assemblée; vous reconnûtes que les gens de couleur étaient suffisamment désignés, et ce fut pour cela qu’on imposa silence à ceux qui demandaient qu’ils y fussent désignés plus expressément. Voilà un'fait attesté par tous ceux qui recueillent vos discours dans cette Assemblée. 11 est donc vrai que la justice, la raison, la loi et vos décrets sont en faveur des citoyens de couleur. Gomment pouvait-il exister, à Saint-Domingue ou dans telle autre partie des colonies, des raisons de politique que l’antiquité n’a pas reconnues, des raisons de politique que ne connaissent pas des colonies semblables ? U est assez difficile de répondre à cette question; car il est notoire, en fait, que la distinction, que l’odieux préjugé répandu sur les gens de couleur n’a pas 40 années. Il est certain que la raison politique ne peut pas être bien forte, bien déterminante puisque le préjugé est si nouveau, puisqu’il est encore inconnu dans plusieurs colonies. Mais, dit-on, il faut une classe intermédiaire entre les citoyens libres et les esclaves, il faut bien prendre garde que l’esclave ne soit trop rapproché de son maître. Il pourrait y avoir effectivement des raisons politiques à présenter ainsi la question en général; mais est-il donc possible de rapprocher les esclaves de leurs m ûtres, plus que ne l’ont fait la nature, la raison, la loi? Mais les colons blancs et les gens de couleur ne sont-ils donc pas enfants de la même mère? Ne sont-ils donc pas vos frères, vos neveux, vos cousins? (Applaudissements.) Vous avez peur de les rapprocher de vous ; vous sollicitez des lois qui les éloignent de vous, et vous ne voudriez pas leur laisser partager vos droits parce qu’ils n’ont pas le teint aussi blanc que vous ? Je pourrais dire à plusieurs de ceux qui élèvent ces prétentions ridicules : « Regardez-vous dans un miroir, et prononcez... » L’édit de 1685 qui accorde aux gens de couleur la liberté civile, cet édit publié dans les colonies excita-t-il la moindre réclamation? Les gens de couleur ne sont-ils pas des citoyens comme les colons blancs? Personne n’en doute. Eh bien, il en sera de même de votre décision, elle sera reçue avec l’effusion de la reconnaissance des colons de couleur et avec l’admiration des colons blancs qui ont des lumières et de l’éducation. Ne perdez pas de vue cette idée ; c’est M. Barnave qui vous l’a donnée. Mais quels sont ceux surtout qui voudraient priver les citoyens de couleur de leurs droits? Qui sont ceux dont on craint l’esprit de révolte contre la loi que nous sollicitons en ce moment? Ce sont ceux qu’on appelait les petits blancs. Quoil Ce sont ces hommes qui ne sont pas citoyens actifs suivant votre Constitution, qui ne sont pas propriétaires, qui ne payent pas la contribution, ce sont ceux-là qui disputeront à des hommes de couleur de même race, d’une race plus généreuse que la leur, qui leur disputeront leurs droits politiques, leur droit de cité? Cette idée est trop éloignée de la sagesse, de la saine politique/; pour que vous puissiez jamais l’admettre. Considérons que les raisons politiques que l’on vient de vous donner sont véritablement nulles. fi [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1791.1 Ôn convient qu’à la Martinique, qu’à la Guadeloupe, le vœu général serait que le* gens de couleur fussent admis aux droits de citoyens actifs. L’enthousiasme avec lequel on reçoit vos sages décrets fera tout ce qui est nécessaire pour abolir le préjugé sans effusion de sang, sans (roubles. Les Romains avaient des esclaves, et en plus grand nombre que ceux de Saint-Domingue, car ils les Comptaient par 10,000. Ils avaient fait d’abord trois classes d’hommes libres ; mais bientôt il n’y eut plus aucune espèce de différence entre les affranchis et les ingénus. Dans les nouveaux Etats de l’Amérique, on ne connaît d’autre distinction d’hommes que celle d’engagé et de citoyen actif. Un engagé est ce qu’on appelle chez nous un esclave, terme que le saint amour de la liberté ne permet pas aux Américains de prononcer. On ne connaît pas de classe intermédiaire. Et pourtant quelle terre ressemble plus à celle de Saint-Domingue que les Etats de l'Amérique septentrionale. Voulez-vous vous rapprocher encore plus de Saint-Domingue? Consultez ce qui se passe dans les colonies espagnoles. Là, vous ne trouverez point cette distinction établie, mais vous y trouverez que non seulement les gens de couleur exercent tous les droits politiques, mais de plus que les nègres libres peuvent exercer des fonctions publiques. Il y a des chapitres noirs, car les chapitres ont passé d’Espagne dans les colonies, et vous verrez des nègres réciter l’office, l’aumusse au bras. Mais je soutiens que la politique la plus pressante, la plus juste et la plus humaine, provoque une décision en faveur des hommes de couleur. Les citoyens composent le tiers, la moitié de la population de la plupart des colonies. Allez-vous par une injustice établir la guerre entre ces deux portions d’hommes? Lorsque vous élevez les colons blancs au rang suprême d’être membres de la souveraineté, rabaisserez-vous les autres au point de n’être que les esclaves politiques des coIods blancs? Lorsqu’on est obligé d’avouer que les colons de couleur ont reçu les mêmes avantages que les blancs par le croisement des races, par les effets heureux de la nature, qui nous enseigne assez par là à mépriser les préjugés; lorsque, par le croisement des races, ils participent, et de la force des Américains et de l’esprit et de l’intelligence qui distinguent les Européens; lorsqu’ils ont la vigueur, l’agilité, l’industrie, et toutes les qualités requises pour être citoyens actifs, les priverez-vous de ces droits qui leur sont accordés par la nature, la loi et Dusage des pays circonvoisins? Craignez une explosion terrible si vous prononcez contre eux une exclusion éternelle en rendant leurs tyrans leurs juges. Je conclus à ce que la question préalable soit appliquée au projet de décret du comité et que l’article proposé par M. l’évêque de Blois soit adopté. M. Goupil-Préfeln (1). Les géomètres sont souvent forcés de descendre de leurs sublimes spéculations pour adapter leur théorie à l’exécution, et de modifier leurs calculs suivant la nature des objets auxquels ils les appliquent. Rousseau lui-même, ce sublime penseur, auquel vous avez décerné une statue, après avoir posé les principes du contrat social, les modifia et consulta la nature des choses pour en faire l’application au gouvernement de la Pologne. Je vais (1) Ce discours est très incomplet au Moniteur. donc vous présenter des considérations dignes de Vous toucher ; je vais exposer l’état des colonies avant la Révolution, et ce qui a suivi l'avénement de la Révolution. La population de Saint-Domingue consiste dans une immense population d’esclaves, et par conséquent d’hommes politiquement nuis, en une population blanche, et enfin en une population de gens de couleur et de nègres affranchis. La cla-se blanche se subdivise elle-même en deux classes, celle des blancs propriétaires ou officiers publics, et celle des petits blancs qui, n’étant ni propriétaires ni officiers publics, sont employés à servir les autres blancs. Les gens de couleur ont obtenu une liberté aussi entière que les blancs, par l’édit de 1685; entre les blancs, il n’y avait aucune distinction que la différence naturelle des moyens et des facultés; le clergé et la noblesse n’y "étaient pas connus, en sorte que tous les blancs, et notamment les propriétaires, étaient égaux en droits. Les gens de couleur, dont quelques-uns ont de l’aisance, ont été réduits par les blancs dans un état d’oppression infiniment injuste et malheureux; on les excluait de tout emploi public, en sorte que les blancs qui occupaient en France le dernier rang, se croyaient à Saint-Domingue beaucoup au-dessus des propriétaires hommes de couleur, et un de ces derniers n’aurait pas été admis à la table d’un blanc, fils de son cordonnier, en France. Voilà le motif des haines réciproques; car l’oppression produit nécessairement la haine envers l’oppresseur, haine d’autant plus forte que celui-ci exerce l’injustice avec plus d’insoleuce. Une circonstance a fait sortir de cet état de choses, qui par sa nature même y prêtait beaucoup, un germe de discorde et de fureur qui a occasionné l’effusion de tant de sang dans ces malheureuses contrées, et particulièrement à Saint-Domingue. Je suis obligé de vous parler un peu ouvertement d’un mystère d’iniquité. Il s’est trouvé à Paris des colons blancs, qui, quoique ayant des habitations de 12 ou 1,500,000 livres, étant sans mœurs, sans conduite, accablés de dettes, ne virent plus, comme Servius et Catilina, de ressources que dans les troubles. Ceux-là ont inspiré des dépêches qui ont porté à Saint-Domingue le trouble, la désolation et le carnage. Ils ont alarmé les colons sur la conservation de leurs propriétés. Les gens de couleur ont pensé alors a se relever de l’état d’avilissement où ils étaient tombés; si nous perdons la propriété de nos esclaves, ont-ils dit, il faut au moins que nous tâchions de recouvrer nos droits politiques. La fermentation fut d’autant plus vive que les blancs ont pensé que si on égalait à eux les gens de couleur, ce ne serait qu’un prélude pour en venir à la grande, à l’impraticable opération de l’affranchissement des nègres. Tel est l’état des choses. Venons à l’état de la question, et tâchons de la préciser de manière qu’on ne parvienne plus à vous faire illusion. On vient de vous dire : Il s’agit de prononcer une éternelle séparation entre une classe d’hummes propriétaires et le surplus de la colonie. Ce n’est pas là la question. On vous la présente de bonne foi; on ne veut pas, on ne cherche pas à vous tromper, mais on se trompe étrangement soi-même. Il ne s’agit uniquement que de savoir s’il convient que vous prononciez dès à présent si les gens de couleur auront l’exercice des droits de liberté politique, des droits de citoyens actifs, ou bien si vous ajournerez cette [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1791.1 question; car c’est indubitablement une manière de l’ajourner que de remettre à y statuer après que vous aurez entendu le vœu des colons blancs de cette colonie. La question réduite à ces termes véritables devient infiniment facile à résoudre : d’abord j’observe qu’il faut écarter de cette discussion toute allégation de tant de milliers de citoyens qui sont intéressés là-dessus. 11 s’agit, Messieurs, de savoir si 6 à 7,000 individus auront ou n’auront pas le droit de citoyens actifs ; et qu’il me soit permis, Messieurs, de vous observer que les habitants de ces colonies, sans doute, sont bien nos frères; mais les habitants du continent ne le sont pas moins aussi. Eh bien 1 Messieurs, nous avons parmi ces frères du continent plusieurs millions ae citoyens qui n’ont point obtenu de vous le titre de citoyens actifs. (Murmures.) M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angêly). Ce n’est pas vrai, il n’y a que des mendiants. M. Goupil-Préfeln. Mais, Messieurs, daignez remarquer que je parle ici le pur langage de votre Constitution. N’avez-vous pas décrété que pour être citoyen actif il faut payer en contribution directe la valeur de trois journées de travail? M. Pétion de Villeneuve. Les hommes libres de couleur les payent. M. Goupil-Préfeln. Je vous fais grâce des juifs dont vous n’avez pas encore déclaré les droits et qui sont en plus grand nombre que les gens de couleur dans vos colonies. Mais je ne cesserai pas d’insister sur ce point sur lequel il est important que votre religion et votre sagesse ne soient pas surprises. Voici le véritable état de la question : on ne vous propose pas de refuser aux gens de couleur les droits de citoyens actifs; on vous propose d’ajourner la question de savoir si ces droits doivent leur être accordés. Je ne contesterai pas qu’ils doivent leur être accordés, mais je pense aussi que les temps ne sont pas opportuns et je maintiens qu’il n’est pas digne de votre sagesse que vous compromettiez les intérêts et les destinées de l’Empire. (Applaudissements.) Messieurs, pour vous présenter des réflexions dignes de votre sagesse, permettez-moi de mettre en parallèle les résultats de l’un et l’autre parti qu’on vous propose. Si vous prenez le parti de déclarer dès à -présent que les hommes de couleur propriétaires auront tous les droits de citoyens actifs, voici, Messieurs, les conséquences qui doivent infailliblement en résulter : Les blancs diront : nous avons été trompés; notre cause est perdue; les gens de couleur triomphent. Ils triompheront peut-être avec toute cette arrogance naturelle à des hommes qui ont subi une longue oppression et qui est l’explosion de la dignité de la nature humaine qui reste toujours dans le fond du cœur. Ces artisans de troubles, qui voudraient la ruine de leur patrie, parce qu’ils sont ruinés de dettes, et pour se soustraire à l’opprobre qui les menace , trouveraient l’occasion de renouveler leurs criminels efforts. Doutez-vous qu’ils ne profitassent d’une circonstance aussi malheureusement favorable à leurs projets, qu’ils n’envoyassent leurs émissaires, qu’ils n’écrivissent d’ici à leurs concitoyens abusés ; L’Assemblée, en vous accordant l’initiative, vous avait fait entendre qu’elle ne toucherait pas à l’état des personnes; les partisans de cette Assemblée cherchaient à vous rassurer; voyez quels sont les résultats de ces belles promesses : voilà cette Assemblée qui fait triompher des hommes qui vous ont déclaré une haine si invétérée ; quels fonds devez-vous faire sur le respect qu’elle aura pour vos autres propriétés? N’avez-vous pas à craindre que le résultat d’un discours brillant fait à la tribune de cette Assemblée soit l’affranchissement des nègres, votre ruine? Tels seront les discours qui porteront inévitablement l’incendie dans vos colonies. Quel est au contraire le résultat du décret qu’on vous propose? Il ne dit pas que les gens de couleur ne sont pas citoyens; il remet la question à une délibération solennelle, reprise avec maturité lorsque le Corps législatif connaîtra le vœu des colonies;.... Plusieurs membres : Le vœu des blancs. M. Goupil-Préfeln . En ne prononçant pas encore, il ne mécontente personne; il laisse aussi le temps de se calmer et de se réunir. Qui empêche — et c’est là la solution du problème — qui empêche d’ajouter par amendement à ce décret que l’Assemblée législative statuera sur ce point important, non seulement d’après le résultat de l’assemblée coloniale, mais d’après le plus mûr examen de tous les mémoires et pétitions qui pourront lui être adressés à ce sujet. Alors qu’importe aux gens de couleur qu’ils aient concouru dans une assemblée publique et solennelle pour émettre sur ce point un vœu, ou bien qu’ils aient la satisfaction d’envoyer sur ce point si important leurs mémoires et pétitions au Corps législatif, qui aura pris solennellement l’engagement de les considérer, de les peser dans la balance de la justice? Pensez bien, Messieurs, je vous en conjure, que dans ce moment vous exercez les fonctions augustes de la souveraineté; pensez bien que, lorsqu’il s’agit de prononcer entre des factions, vous ne devez pas vous particulariser par une décision précipitée et peu réfléchie, mais conserver avec dignité le caractère juste et auguste d’un juge suprême. Eh bien, Messieurs, c’est là ce que j’ai l’honneur de vous proposer. Les colons blancs trouveront plus honorable et plus utile de modérer leurs prétentions dans la crainte de les voir condamnées, et ils chercheront à se concilier l’affection des gens de couleur plutôt que de les voir triompher de leur résistance. M. Robespierre (1). Avant tout, il est important de fixer le véritable état de la question : elle n’est pas de savoir si vous accorderez les droits politiques aux citoyens de couleur, mais si vous les leur conserverez ; car ils en jouissaient avant vos décrets. ( Murmures et applaudissements.) M. l’abbé Maury interrompt. M. le Président le rappelle à l’ordre. M. Robespierre. Je dis, Messieurs, que les hommes de couleur jouissaient des droits que les blancs réclament aujourd’hui exclusivement pour eux, des droits civiis, les seuls dont tous les (1) Ce discours est très incomplet au Moniteur. g [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1791.] citoyens jouissaient avant la Révolution. La Révolution a rendu les droits politiques à tous les citoyens : les hommes de couleur étant à cette époque égaux en droits aux hommes blancs, il s’ensuit qu’ils ont dû recevoir les mêmes droits et que la Révolution les à élevés, par la nature même des choses, au même rang que les hommes blancs, c’est-à-dire aux droits politiques. Vos décrets précédents les leur ont-ils ôtés? Non; car vous vous rappelez très bien que vous en avez rendu un qui donne la qualité de citoyen actif à toute personne propriétaire dans les colonies et payant une contribution de 3 journées de travail ; et comme la couleur n’y fait rien, tous les gens de couleur qui payent trois journées de travail sont compris dans ce décret et y sont reconnus citoyens actifs.1 Vous remarquerez encore que, depuis, aucun décret n’a dérogé à celui-là ; que ce considérant du décret du 12 octobre dont on a voulu s’armer dans cette discussion, ne dit rien de ce qu’on prétend lui faire dire : loin d’être favorable aux prétentions qu’on élève, il les exclut. Il porte que vous avez l’intention de ne rien innover à l’état des personnes sans l’initiative des colonies, c’est-à-dire, sans doute, des citoyeus des colonies; donc, les gens de couleur étant citoyens des colonies, et ayant par les lois anciennes non abrogées par vos décrets sur les qualités de citoyen actif, les mêmes droits que les colons blancs, doivent partager cette initiative. Vos décrets postérieurs n’ont donc point dérogé aux premiers. Voyons mainlenant quelles sont les raisons qui peuvent vous forcer à violer à la fois et les lois et vos décrets, et les principes de la justice et de l’humanité. Vous perdrez vos colonies, vous dit-on, si vous ne dépouillez les citoyens libres de couleur de leurs droits. Plusieurs membres : Ce n’est pas cela ! M. Robespierre. Si ce ne sont pas les expressions, c’est au moins le sens. Et pourquoi perdrez-vous vos colonies? C’est parce qu’une partie des citoyens, ceux que l’on appelle les blancs, veulent exclusivement jouir des droits de cité. Et ce sont eux-mêmes qui osent vous dire, par l’organe de leurs députés : Si vous ne nous attribuez exclusivement les droits politiques, nous serons mécontents; votre décret portera le mécontentement et le trouble dans les colonies; il peut avoir des suites funestes ; craignez les suites de ce mécontentement. Voici donc un parti factieux qui vous menace d’incendier vos colonies, de dissoudre, les liens qui les unissent à la métropole, si vous ne confirmez ses prétentions ! Je demande d’abord à l’Assemblée nationales’il est bien de la dignité des législateurs de faire des transactions de cette espèce avec l’intérêt, l’avarice, l’orgueil d’une classe de citoyens. (On applaudit.) Je demande s’il est bien politique de se déterminer par les menaces d’un parti pour trafiquer des droits des hommes, de la justice et de l’humanité ! Ensuite, Messieurs, il me semble que cette objection menaçante est bien faible, et ne pour-rait-onpas la rétorquer contre ceux-là mêmes qui la font? Si les blancs vous font celte objec-iion d’un côté, les hommes de couleur de leur côté ne peuvent-ils pas vous en faire une semblable et vous dire : Si vous nous dépouilb z de nos droits, nous serons mécontents, et nous ne mettrons pas moins de courage à. défendre les droits sacrés et imprescriptibles que nous tenons de la' nature, que nos adversaires ne mettent d’obstination à vouloir nous en dépouiller. Or, je crois que la juste indignation des hommes libres, que le courage avec lequel ils défendront leur liberté, n’est ni moins puissant, ni moins redoutable que le ressentiment de l’orgueil de ceux qui n’ont point obtenu les injustes avantages auxquels ils aspiraient. ( Applaudissements .) Ainsi, sous ce premier rapport, de l’un et de l’autre côté, les dangers sont égaux, et j’ajouterai une observation que nous devons à M. Bar-nave; c’est que, suivant lui, les hommes les plus riches des colonies, les blancs les plus distingués, font des vœux pour la cause des gens de couleur, d’où il résulte nécessairement qu’il y a moins de danger à prononcer en faveur de ces derniers. Mais suivons dans leurs détails les objections de ce parti des blancs. Sur quoi se fondent-ils pour vouloir dépouiller leurs concitoyens de leurs droits ? Quel est le motif de cette extrême répugnance à partager avec leurs frères l’exercice de leurs droits politiques ? C’est que, disent-ils, si vous donnez la qualité de citoyens actifs aux hommes libres de couleur, vous diminuez le respect des esclaves pour leurs maîtres, ce qui est d’autant plus dangereux qu’ils ne peuvent les conduire que par la terreur. Objection absurde. Les droits qu’exerçaient auparavant les hommes de couleur ont-ils eu de l’influence sur l’obéissance des noirs ? Ont-ils diminué l’empire de la force qu’exercent les maîtres sur leurs esclaves? - Mais raisonnous dans vos propres principes. Aux raisons victorieuses qui ont été données contre cette objection, j’ajoute que la conservation des droits politiques que vous prononcez en faveur des gens de couleur propriétaires ne ferait que fortifier la puissance des maîtres sur les esclaves. Lorsque vous aurez donné à tous les citoyens de couleur propriétaires et maîtres le même intérêt, si vous n’en faites qu’un seul parti ayant le même intérêt à maintenir les noirs dans la subordination, il est évident que la subordination sera cimentée d’une manière encore plus ferme dans les colonies. Si, au contraire, vous privez les hommes de couleur de leurs droits, vous faites une scission entre eux et les blancs, vous rapprochez naturellement tous les hommes de couleur, qui n’auront pas les mêmes droits, ni les mêmes intérêts à défendre que les blancs ; vous les rapprochez, dis-je, de la classe des nègres ; et alors s’il y avait quelque insurrection à craindre de la part des esclaves contre les maîtres, il est évident qu’elle serait bien plus redoutable, étant soutenue par les hommes libres de couleur qui n’auraient pas te même intérêt à la réprimer, parce que leur Cause serait presque commune. Vous voyez donc, Messieurs, à quoi se réduispnt toutes ces arguties prodiguées par une partie des colons blancs pour obtenir le droit de dominer dans les colonies. Vous voyez que ces prétentions sont évidemment contraires non seulement à l’intérêt général des colonies, mais encore à l’intérêt bien entendu de la classe des blancs. Vous voyez que c’est dans leur système sur lequel est établi le renversement de la paix publique et la destruction des colonies. Examinons maintenant comment on cherche à éluder la question et à vous séduire par l’illusion de vaines promesses; et voyons s’il est vrai que l’article du comité ne tend pas à dépouiller tes gens de couleur. Que vous a-t-on dit? On vous a [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1791.1 9 dit que ce ne serait qu’une espèce d’ajournement, que ce serait un mode différent, mais beaucoup plus certain, plus sage, que vous adopteriez pour assurer aux hommes libres de couleur la justice qui leur est due. Et quel est-il ce prétendu moyen si facile, si favorable, pour en venir paisiblement à ce que la nature et la raison réclament? Il consiste à nommer un congrès qui prononcera sur le sort des hommes de couleur et sans l’avis duquel vous ne pourrez rien décider. ( Murmures et interruptions.) M. l’abbé Grégoire. Il semble qu’il y aitune conjuration pour empêcher les défenseurs de la cause de la justice et de l’humanité d’être entendus. ; M.Rémeimier.Nous demandons qu’on entende M. Robespierre. M. Robespierre. Et de qui ce congrès serait-il composé? De colons blancs, et ce seront les blancs qui demanderont que les hommes de couleur ne jouissent point de ces droits. Alors, Messieurs, ce serait renvoyer les hommes de couleur à leurs adversaires pour obtenir les droits qu’ils réclament et qu’ils prétendent qu’on ne peut pas leur ôter. Certes, Messieurs, si, lorsque la question s’éleva pour la première fois en France de savoir si ce qu’on appelait le tiers état devait avoir une représentation égale à celle des deux autres ordres, ce n’aurait pas été une méthode maladroite d’assembler dans une des villes de France un congrès composé, moitié d’ecclésiastiques et moitié de nobles, pour proposer au gouvernement leur avis sur cette question. (Applaudissements.) Que l’on me montre une véritable différence entre ce cas et le décret que vous propose le comité colonial et je consens à adopter ce décret. Mais si la comparaison est exacte, si le cas est parfaitement le même, je demande que l’on ne compromette pas les intérêts les plus chers de l’humanité, les droits les plus sacrés d'une portion intéressante de nos concitoyens, à une classe d’hommes qui ne parle devant vous que pour obtenir le droit de dominer sur eux et de les opprimer impunément. Ce n’est pas que le comité colonial n’ait cherché à vous rassurer contre cette injustice trop révoltante, et M. Barnave vous a dit que les gens de couleur ne couraient aucun risque à ce que cette mesure fût adoptée. Mais, Messieurs, remarquez combien cette objection est contradictoire avec les raisons alléguées par leurs ad versaires ; ils vous font presque envisager comme une chose certaine que la proposition des blancs sera favorable aux g*ms de couleur; et ce sont les mêmes hommes qui, pour vous épouvanter, vous ont dit que si vous prononciez en faveur des gens de couleur, vous mécontenteriez tellement les blancs que vous jetteriez un tel désordre dans nos colonies que c’en était fait de nos colonies et de notre commerce. ( Applaudissements .) Non, Messieurs, lorsqu’on est guidé, je ne dis pas seulement par la justice, mais par la saine politique, on ne déraisonne pas d’une manière aussi contradictoire ; lorsqu’on a quelque respect pour le Corps législatif, on ne croit pas le séduire par des menaces ou par des raisons aussi ridicules ( Applaudissements .) C’est après avoir prodigué toutes ces sophismes contradictoires, qu’on a jeté en avant un fait dont vous avez dû remarquer l’incohérence avec le discours qui l’a précédé. Ne pouvant vous subjuguer par des raisons, on vous inspire de vaines terreurs. C’est M. Barnave qui a fait ce singulier épisode que vous avez entendu sur les armements de l’Angleterre. Eh bien, j’adopte les alarmes que vous avez conçues; je suppose au gouvernement anglais les intentions les plus hostiles; je n’examine pas si les tentatives qu’il pourrait faire ne dépendent pas entièrement de la paix ou de la guerre qui va être décidée entre l’Angleterre, la Prusse et la Russie. Si les Anglais cherchaient à profiter des troubles de nos colonies, de quel côté croyez-vous qu’ils trouveraient la plus ferme résistance ? De la part d’une pariie des colons blancs indisposés de ce que vous auriez rejeté leurs prétentions, ou de la part des hommes de couleur, accoutumés à supporter le poids des travaux et de la fatigue, accoutumés à défendre vos colonies contre les invasions? Même, tous les inconvénients dont je parle étant égaux, il est impossible que vous ne soyez pas convaincus que le projet du comité, s’il était adopté, ôterait à l’Assemblée sou caractère de justice et de popularité ( Murmures à droite.) et lui ferait perdre son titre de protectrice des droits de l’humanité, qui est la première base de sa puissance. Et je demande à présent si la saine politique, la seule qui convienne à l’Assemblée nationale, n’est pointd’accord avec la justice et la raison pour assurer les droits que nous réclamons en faveur des hommes libres de couleur. (Applaudissements.) M. lloreau de Saint-Méry (1). J’avoue que j’éprouverais les plus grandes terreurs sur le sort des colonies si je voyais l’Assemblée douter de l’initiative qu’elle leur a donnée sur l’état des personnes. Plusieurs membres : Ce n’est pas la question 1 M. Moreau de Salnt-Méry. Il est évident que l’Assemblée n’a pas entendu comprendre les colonies dans la Constitution qu’elle a décrétée. J’en trouve la preuve dans le décret du 8 mars; c’est dans cet esprit que vous avez ordonné l’établissement des assemblées coloniales. De nouveaux troubles ont depuis solliciié d’autres mesures, et vous avez décrété, Messieurs, qu’il serait envoyé des instructions pour hâter la constitution coloniale, et c’est alors que, par les instructions du 28 mars, vous avez donné une nouvelle force à cette disposition. Les députés des colonies ont été fort éloignés de s’opposer à cette nouvelle mesure, quoique l’on pût dire que cela tendait à affaiblir l’initiative qui leur était donnée. Il a été question de travailler à la rédaction de ces mêmes instructions ; et c’est alors que les doutes se sont élevés; c’est alors que les députés coloniaux ont regardé comme un devoir sacré pour eux de réclamer le considérant du 12 octobre, et de demander qu’il fît partie de ce que vous avez à décréter pour les colonies. Ce .décret atteste que l’intention de l’Assemblée était qu’il ne fût rien innové sur l’état des personnes sans le vœu des colonies. Vous n’avez cessé depuis de rendre hommage à ce principe, que l’initiative leur appartenait ; vous avez senti que, dans l’impossibilité où vous étiez de connaître leurs véritables intérêts, il fallait avoir leur avis. (1) Ce discours est très incomplet au Moniteur. 10 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1791.1 Voilà comme a été engendré le projet de décret qu’on vous présente maintenant. Un motif de politique se joint à vos promesses pour maintenir l’initiative : il n’y apoint de gouvernement aux colonies au moment actuel. La raison en est simple : les mouvements de la Révolution y ont brisé les différents ressorts de l’ancien gouvernement : il n’y reste rien que la confiance que vous avez donnée aux assemblées coloniales, et les rapports que vous avez établis entre elles et le représentant de la personne du roi. Or, si par un décret vous veniez à détruire cette initiative, vous détruiriez par le fait même ses assemblées coloniales qui désormais n’auraient plus de caractère; je demande dans quelle anarchie affreuse vous plongeriez les colonies. Mais, a-t-on dit, cette initiative ne peut leur être accordée sur l’admission des gens de couleur. A cela, je réponds qu’elle a été accordée par tous les décrets antérieurs, sans aucune restriction ; je dis, en second lieu, que si elle était envahie sur un seul point, il serait impossible de faire penser aux colons qu’elle ne le sera pas successivement sur tous les autres. Us seraient tous effrayés, car il leur serait facile, et de penser, et de croire que vous iriez bien plus facilement du premier pas au second, puisque vous ne seriez plus arrêtés par la considération de vos précédents décrets. Il y aurait, en outre, un très grand danger à détruire cette initiative en ce moment où, dans la plus grande des colonies, les hommes de couleur, au moins quelques-uns d’entre eux, ont été dans un état d’insurrection ; car si l’on pouvait supposer que ces insurrections ont eu une influence quelconque sur la détermination que vous prendriez, on en conclurait nécessairement que les insurrections sont la mesure des droits. On dit que laisser l’initiative aux assemblées coloniales, c’est donner le droit à la noblesse de délibérer sur ce qui regarde le tiers état. On se trompe évidemment ; il y avait aussi des privilégiés, des nobles et des prêtres dans la colonie ; et relativement à cela, vos principes y ont été adoptés. J’entends beaucoup parler des droits naturels par ceux qui veulent la parfaite assimilation des hommes de couleur avec les blancs. Je demande dans quel chapitre du livre de la nature on a trouvé qu’il pût être question de citoyens actifs. (Murmures.) Plusieurs membres : Partout, partout ! M. Moreau de Saint-Méry. Je dis que la qualité de citoyen actif n’est visiblement que le résultat d’une convention purement sociale, et j’en trouve la preuve dans la Constitution même décrétée pour l’intérieur du royaume; car, comme l’a observé un des préopinants, il existe parmi nous des citoyens inactifs. Un membre : Ce sont les mendiants. M. Moreau de Saint-Méry. Vous avez donc reconnu qu’il existait des circonstances assez impérieuses pour arrêter quelques instants la jouissance des citoyens, et j’en trouve encore un exemple dans ce qui concerne les juifs d’Alsace. Je soutiens que le titre de citoyen actif est résulté de la Constitution que vous avez faite pour le royaume : Or, vous avez toujours déclaré, et notamment par votre décret du 8 mars, que vous n’aviez pas entendu comprendre les colonies dans la Constitution décrétée pour l’intérieur du royaume. Je demande comment il serait possible que vous voulussiez qu’il y ait pour un objet quelconque assujettissement des colonies à votre Constitution, lorsque vous avez dit qu’elle n’était pas faite pour elles, et que vous attendiez notre vœu pour savoir si elle nous était applicable, ou s’il fallait, sur notre vœu, nous en donner une particulière. On objecte continuellement qu’il ne s’agit pas d’accorder aux hommes de couleur des droits politiques, mais de les maintenir dans l’exercice de ces droits. Il est temps, Messieurs, de mettre fin à une pareille erreur qui pouvait égarer l’Assemblée. Lors de l’établissement des colonies, il n’y existait que des blancs. Peu à peu, il y est venu des esclaves : peu après on a vu naître une troisième classe, c’était celle des affranchis; et j’observerai à cet égard que cette classe n’a t'as été produite par le vœu national ; elle est tout entière de la création des colons. Les hommes de couleur recevaient la manumission de leurs maîtres seuls. Les choses ont existé en cet état, jusqu’à l’époque de 1682 et de 1683, que les colonies des îles du. Vent se sont occupées de faire préparer la loi connue depuis sous le titre du Code noir. 11 a été envoyé des mémoires à cet effet, et la loi de 1685 est la première où le roi, alors législateur, ait parlé d’affranchissement. 'Ces mémoires ont été envoyés par les conseillers et administrateurs des colonies : oui, je soutiens que dans ces mémoires qui ont servi à la rédaction de l’édit de 1685, il n’a jamais été entendu que les affranchis jouiraient des droits politiques. Je tiens en original, Messieurs, les deux mémoires qui furent envoyés. L’un est de 1682, et ne dit pas un mot de ce qui peut concerner les affranchis. Celui de 1683 a servi de modèle à l’édit de 1685, on en a cependant rejeté le dernier article qui vous montrera dans quel esprit ces mémoires étaient conçus, et quels étaient alors l’opinion et le préjugé des colons : il est dit que les nègres affranchis qui seront surpris volant des volailles seront privés de leur liberté, et adjugés à l’hôpital du lieu où le vol aura été fait. Voilà ce que pensaient, le 13 juillet 1683, ceux qui les premiers parlaient d’affranchis et parlaient de leur donner, non pas un état politique, mais un état civil. C’est d’après ce mémoire que l’édit de 1685 a été rédigé. Cet édit de 1685 dit, dans un des articles, que la liberté accordée aux affranchis devra produire en eux les mêmes effets que la liberté naturelle; et cependant, dans un article antérieur, l’édit porte que les affranchis seront tenus de conserver le respect pour leurs anciens maîtres. En 1705, un autre édit porte que tout affranchi qui aura recélé un esclave, sera lui-même vendu comme esclave. Or, je �demande si l’on peut assimiler, d’après cela, un affranchi à un blanc. (Murmures.) Voici encore un fait plus concluant : Il existait à Saint-Domingue depuis l’époque de 1613, jusqu’à celle de la Révolution, une assemblée politique. Elle avait pour objet de régler, tous les cinq ans, l’assiette de l’imposition. Eh bien, cette assemblée était toute composée de blancs ; et jamais on n’a entendu dire aux hommes de couleur qu’ils dussent y être appelés. Dans les îles sous le Vent, c’était la même chose. (Murmures.) Mais, dira-t-on, vous érigez-vous en apologiste de ces diverses dispositions? Croyez-vous que la condition à laquelle on avait réduit les hommes [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1791.] A\ de couleur était celle dans laquelle il convenait qu’ils fussent? Je réponds avec beaucoup de vérité : non. Je n’ai eu d’autre intention que de relever un fait inexact, que d’établir qu’on veut leur donner ce qu’ils n’avaient pas. Je m’abuse étrangement, ou il ressort de tout ce que j’ai dit que jamais le sort des hommes de couleur n’a été si avantageux qu’il l’est actuellement. Je dis qu’il ne l’a jamais été autant; car parmi les lois qui les gênaient, il en était plusieurs qui ont déjà été révoquées, et notamment dans la colonie que je représente : Je dis qu’en général les dispositions des colons leur sont très favorables; j’observe qu’à Saint-Domingue il est arrivé un fait qui Délaissera aucun doute. Vous savez tous ce qui est arrivé à l’époque du mois de juin de l’année dernière. Les hommes de couleur calomniés ont éprouvé des actes de cruauté révoltante; plusieurs d’entre eux ont perdu la vie: un plus grand nombre encore attendait la mort. Qu’est-il arrivé? Que le reste de la colonie s’est armé pour les aller délivrer, pour les arracher des prisons et de l’échafaud qui les attendait. Depuis, ceux à qui on avait enlevé ces malheureuses victimes ont cru qu’il était de leur intérêt de s’élever contre ceux qui en avaient été les libérateurs; ils ont corrompu des soldats, et vous avez vu comment la guerre civile a existé pendant 6 mois dans cette malheureuse partie; mais remarquez, je vous prie, que les hommes de couleur ont pris le parti des planteurs, des véritables colons; ils ont senti que ceux-là étaient leurs protecteurs, que ceux-là avaient pour eux des dispositions tellement favorables qu’ils les avaient manifestées au point de compromettre leurs propriétés et leur Yie pour les défendre. Je demande si l’on peut, sans injure pour ceux que je représente, les calomnier et penser qu’ils n’ont pas des dispositions favorables pour les hommes de couleur. Au surplus, s’il restait encore quelque doute à cet égard ; si, contre mon attente et contre mon désir, ce vœu n’était pas conforme à ce que la justice permettrait en la combinant avec une politique nécessaire, je dis que les choses seront encore entières, puisque l’Assemblée nationale aura à statuer définitivement. Cette dernière observation répond aux inquiétudes relatives à la composition du comité du congrès que l’on propose d’établir à Saint-Martin. L’Angleterre possédait des colonies immenses, ces colonies voulaient avoir l’initiative. Le Parlement anglais la leur refusa, on leur proposa ensuite des représentants; cette mesure était tardive: elle ne les rassurait pas sur les localités, et vous avez vu quels maux en ont été la suite. A quoi se réduisent donc les difficultés? A savoir si l’Assemblée peut manquera l’engagement qu’elle a pris de laisser l’initiative aux colonies. On vous dit: l’intérêt politique commande de favoriser les hommes de couleur, car leur nombre est supérieur à celui des blancs; je dis, Messieurs, que cela est faux. Dans la colonie de Saint-Domingue, il y a plus de 2,000 hommes de différence entre les hommes de couleur et les blancs. M. Pétion sde Villeneuve. Cela n’est pas exact. Je parle d’après les calculs de MM. Duchil-leau et de La Luzerne; je vous prie de me dire si ces calculs sont inexacts? M. Moreau de Saint-Méry. Je suis occupé depuis 16 ans à faire l’histoire des colonies, et j’en recueille avec beaucoup d’exactitude les matériaux. Le dernier recensement, offre 24,262 citoyens pour la population des hommes de couleur. Celle des blancs est infiniment Supérieure, et j’observe à M. Pétion que dans les colonies il y a des blancs non recensés, tandis qu’il y a infiniment peu d’hornmps de couleur qui ne le soient pas ; car on a intérêt à connaître exactement leur nombre, puisqu’on les a chargés d’un service pénible, tandis qu’il y a beaucoup de blancs privilégiés, exempts de service, à cause des fonctions publiques. Ce qu’on vous propose aujourd’hui est un décret d’ajournement pendant lequel vous attendrez l’émission du vœu colonial. Or, je demande si vous n’avez pas plus à redouter lorsque vous prenez l’initiative que vous avez déléguée, quequand vous dites aux colonies : remplissez cette initiative, et je statuerai en définitive, parce que le définitif m’appartient souverainement. Craignez un système de beau idéal ; ne nous réduisez pas à la triste situation d’aller dire à ceux qui nous ont envoyés : il n’a pas été question de vous ; et si on en a parlé, ce n’a été que pour calomnier vos intentions : vous n’avez plus de conseils à prendre que de votre désespoir. On vous a dit hier que vous étiez des créateurs ; mais le créateur allie la sagesse à la toute-puissance. On vous a dit que vous aviez la force, et je crois que c’est le dernier moyen à employer ; et pourquoi employer la force lorsque vous pourriez n’avoir besoin que de la persuasion ? Par quelle étrange fatalité, par quel système inconcevable, à l’époque du dix-huitième siècle, une assemblée de législateurs, ayant à choisir entre l’une et l’autre, préférerait-elle l’exercice de la puissance à un langage conforme à son cœur et conforme à la raison? Considérez, Messieurs, que les autres puissances qui possèdent des colonies, y ont aussi des hommes de couleur, et que, dans aucune, les hommes de couleur n’ont des droits politiques : considérez que si, par des mesures de force, vous vous croyez obligés de réduire les colonies, il n’y aurait rien de bien étrange qu'elles trouvassent un appui dans les autres qui craindraient la contagion de l’exemple. Rappelez-vous l’époque trop célèbre de 1770; protégez-nous, mais d’une manière qui convienne à des législateurs et à des hommes raisonnables. Je finis par cette réflexion : Faites cesser nos alarmes, cela intéresse notre commerce et l’état général des affaires. Je demande l’adoption du projet du comité. (. Applaudissements .) Plusieurs membres. Aux voix! aux voix! M. Démeunier. Je demande la parole pour une motion d’ordre. M. Lanjulnals. Je demande la parole pour un fait. Plusieurs membres. Non ! non ! M. de Rostaing. Je demande que la discussion soit fermée. M. Tuaut de La Rouverie. Un fait peut influer sur l’opinion; ainsi il faut entendre M. Lan-juinais. (L’Assemblée, consultée, décide que M. Lanjui-nais ne sera pas entendu.) 12 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [12 mai 1791.1 Plusieurs membres. 11 faut fermer la discussion. � M. Regnaud (de Saint-Jean-d’Angèly.) Puisqu'on insiste à vouloir fermer la discussion, je demande à prouver qu’il est impossible qu’elle le soit en ce moment. Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angêly.) J’observe qu’on n’a pas encore établi un point très important, un point essentiel, c’est que le véritable intérêt politique bien envisagé est de rejeter le projet du comité. (Applaudissements à gauche et dans les tribunes .) Entre autres différentes raisons qui vous ont été présentées, je ne vous en rappellerai qu’une : on a posé en fait, et les états de la marine le prouvent, qu’il y a 19,000 citoyens de couleur dans l’île de Saint-Domingue et 24,000 blancs. M. de La Galissonnière. 40,000 blancs, Monsieur! M. Rœderer. Sur les 40,000 blancs, il y en a 20,000 qui seraient noirs en France. M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angély .) On vous a bien dit que les individus blancs se révolteraient, qu’ils seraient réduits au désespoir si vous rejetiez le projet du comité ; mais on ne vous a pas dit, et on doit vous dire, et on doit vous faire sentir, que les 19,000 individus de couleur seraient aussi réduits au désespoir si on l’adopte. (Applaudissements.) Mais on ne vous a pas dit que l’oiipression double la force des opprimés. (Applaudissements.) Mais on ne vous a pas dit que si vous êtes, par des circonstances fatales, réduits à cette nécessité de mécontenter l’un ou l’autre parti, il vous faut vous garder de donner à nos voisins, qui attendent peut-être, et je le sais, un moment favorable, un avantage quelconque. De là, je conclus que si vous êtes réduits à prendre un parti, il faut que celui qui amènera à des divisions soit fondé sur l’équité. (Vifs applaudissements.) Je demande que la discussion continue et qu’on donne la parole à un colon qui est à la tribune. M. de Rostaing. Je demande la parole pour soutenir ma motion de fermer la discussion. ‘ M. Régouen. On ne vous a pas dit de refuser aux gens de couleur les droits politiques, mais on vous a demandé d’attendre le vœu des colons. M. de Rostaing. Messieurs, je n’ai pas été frappé des raisons politiques du préopinant et l’exagération de ses observations n’a fait que confirmer de plus en plus chez moi l’idée qu’il est nécessaire de fermer la discussion. M, le Président. Je vais consulter l’Assemblée pour savoir si elle entend fermer la discussion. (Une première épreuve a lieu; elle est déclarée douteuse.) M. l’abbé Maury. Je consens que. la délibération soit fermée. M. le Président. A l’ordre, Monsieur ! Vous ne pouvez pas arrêter la délibération. Je renouvelle l’épreuve. (L’Assemblée décide que la discussion est fermée.) M. le Président. La question préalable a été invoquée sur le premier article du comité; je crois qu’elle doit être mise la première aux voix. M. de Tracy. Non I non ! Ma proposition doit être jugée auparavant. J’ai demandé la question préalable, non pas seulement sur le premier article des comités, mais sur tout l’ensemble du projet, parce qu’il attaque les principes fondamentaux de la Constitution. C’est à quoi je conclus de nouveau en demandant en sus le renvoi aux comités, afin qu’ils nous présentent un nouveau projet. M. Démeunler. Avant de mettre aux voix la question préalable, il me paraît nécessaire d’indiquer le changement important fait dans la rédaction du décret. Le dissentiment d’opinions qui règne dans l’Assemblée n’est qu’apparent; car il ne peut pas y en avoir d’autre parmi les hommes qui ont les mêmes principes de justice et d’humanité et qui veulent arriver au même but. N’existe-t-il pas un moyen de rapprocher les esprits? Il me semble qu’il en est un très sage. Les uns veulent nous conduire au but à travers des précipices, et on ne peut se le dissimuler, à travers le3 dangers les plus imminents que puisse courir l’intérêt national ; les autres veulent arriver à ce même but en faisant route avec la sagesse et la circonspection qu’exige une pareille affaire. (Murmures et applaudissements.) Pour être d’accord, ce me semble, il suffit de déclarer que personne, du moins je ne le présume pas, ne veut compromettre les droits de3 hommes de couleur; qu’il faut au contraire les assurer qu’il n’est pas question de leur contester les droits dont ils jouissent — et on a eu tort de vous dire qu’il ne s’agissait que de cela. 11 s’agit de leur donner ce qu’ils n’ont pas. Pour cela que faut-il? Expliquer nettement la question, la dire plus nettement encore dans le projet de décret. Si j’examine le projet de décret, j’y trouve deux dispositions fondamentales : la première, que le Corps législatif ne statuera sur l’état des personnes dans les colonies qu’après la demande formelle, précise, des assemblées coloniales; la seconde, que les assemblées coloniales seront tenues, par leurs commissaires, d’émettre leur vœu. Sans doute, Messieurs, si, comme on l’a dit sans cesse dans la discussion, le Corps législatif était obligé de statuer conformément au vœu qui vous serait émis, soit par les assemblées coloniales, soit par le comité de Saint-Martin, qui vous est proposé sans doute, vous compromettriez les droits des hommes de couleur; sans doute ni la justice, ni l’humanité, ni des raisons politiques ne pourraient vous déterminer à adopter un pareil parti. Mais, Messieurs, il faut déclarer nettement dans le décret même que, quel que soit le vœu de l’assemblée coloniale ou du comité de Saint-Martin, le Corps législatif statuera définitivement sur l’état des hommes de couleur. Un fait qu’on ignore peut-être, c’est que l’assemblée de Saint-Marc, qu’il a fallu dissoudre, dont il a fallu annuler les actes, et dont les hommes de couleur ne devaient pas attendre toute la justice qui leur était due, au moment même où elle a été dispersée, au moment où elle a pris la résolution de revenir en France, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1791.] jo s’occupait d’adoucir le sort, ou de fixer l’état des hommes de couleur. {Murmures). Un membre : Ce n’est pas cela dont il s’agit. M. Démeunfer. D’accord. Aussi proposé-je qu’il soit consigné dans le décret que, quelle ne soit l’opinion des assemblées coloniales et u congrès de Saint-Martin, le Corps législatif statuera définitivement sur les hommes de couleur. C’est la matière d’un amendement sur lequel les comités sont d’accord. ( Murmures et applaudissements). M. l’abbé Grégoire. On nous fait sans cesse cet argument pour nous jeter dans l’erreur. Les colons vous disent qu’en organisant le régime intérieur des colonies, ils auront grande attention de veiller au sort des gens de couleur, de leur accorder leurs droits. Là-dessus, je leur propose ce dilemme : vous les leur accorderez, ou vous ne les leur accorderez pas. Si votre intention est de ne les leur pas accorder, vous voulez donc perpétuer l’oppression ; si vous voulez les leur accorder, accordez-les-leur aujourd’hui. {Applaudissements). M. Dupont. On veut faire revenir l’Assemblée nationale sur les décrets rendus pour l’initiative. M. l’abbé Grégoire. M. Démeunier prétend qu’il y a deux routes pour arriver au même but, rune qui entraînerait des dangers, l’autre qui serait une voie douce et calme. On lui a répondu, et c’est M. Robespierre qui lui a fait voir que le danger était égal de part et d’autre. Dans cette alternative fâcheuse, suivons donc la règle éternelle. {Murmures et applaudissements.) J’insiste sur la question préalable. MM. Monneron et Barnavé paraissent à la tribune. {Aux voix ! aux voix ! ) M. Barnave. C’est sur la question préalable ue je demande la parole. {Murmures.) Je deman-e à être entendu. {Aux voix! aux voix!) M. de Saint-Martin. Si on entend M. Barnave, je demande que M. Monneron, qui a des intérêts dans les colonies, soit entendu. M. le Président. M. Barnave demande la parole ; les uns demandent à aller aux voix, les autres la question préalable. Je vais mettre aux voix si on entendra M. Barnave. M. Pétion de Villeneuve. Oui, mais à condition qu’il.se renfermera dans la question. Plusieurs membres : Et M. Monneron ? . M. Lanjuinais. Et à condition qu’on répondra à M. Barnave; cela ne sera pas difficile. M. Kegnaud (de Saint-Jean-d'Angêly). Je m’élève contre la proposition d’entendre M. Barnave. (Aux voix ! aux voix!) (L’Assemblée, consultée, décide que MM. Barnave et Monneron seront entendus.) M. Monneron. La discussion est fermée ; je n’ai point le droit de parler sur le fond. Mais, lorsqu’on discutera le projet de décret des comités réunis, j’ai un amendemeut à proposer. M. Barnave. L’amendement que veut proposer M. Monneron est pleinement dans le sens des comités : l’Assemblée ne s’occupera actuellement que de la constitution des colonies de l’Amérique ; quant aux colonies au delà du cap de Boune-Espérance, où il est parfaitement vrai qu’une multitude de choses sont différentes, il pourra être pris d’autres résolutions. Si, comme il me l’a dit, c’est l’amendement qu’il veut proposer, je déclare d’avance que, selon moi au moins, il est dans l’intention du comité. (Murmures.) La chaleur que l’on a mise à la discussion (Murmures et interruptions.)... Plusieurs membres : Ce n’est pas la question! M. Barnave. Monsieur le Président, je vous prie de donner du silence à l’Assemblée pour pouvoir lui communiquer ce que j’ai à lui aire. il m’est impossible de parler si je n’obtiens pas un moment d’attention; franchement la chose dont il s’agit, franchement le zèle qui m’anime est assez pur, doit être assez peu douteux pour tous les membres de cette Assemblée, pour qu’ils veulent bien un moment suspendre des préventions contraires et écouter enfin le langage de la vérité et des faits. M. Pétion de Villeneuve. Si, sous prétexte de poser la question, M. Barnave entre dans la discussion du fond, je demande à répondre. Plusieurs membres : Que l’on rouvre la discussion ! M. Féraud. Je demande que toutes les parties intéressées qui entourent la tribune la quittent. M. de Curt. Tout le monde sait bien que quand M. Barnave parle, il n’a pas besoin d’être soufflé. (Murmures prolongés.) M. Barnave. J’ai demandé la parole contre la question préalable invoquée contre le projet de décret des comités. M. l’évêque de Blois (1) a parlé avant moi pour la question préalable; je parle et je parlerai très brièvement contre la question préalable. (Murmures.) M. Pétion de Villeneuve. Sur quoi la discussion est-elle fermée, oui ou non? (Bruit.) M. le Président. Monsieur Pétion, je vous rappelle à l’ordre. M. Pétion de Villeneuve insiste à nouveau pour parler. Plusieurs membres à droite : A l’abbaye I à l’abbaye! M. Barnave. Je disais, Messieurs, qu’à la chaleur avec laquelle on discute ici la question, on croirait que c’est au moins la cause des principes contre celle de l’intérêt national. Eh bien! Messieurs, ce n’est pas même la cause des principes; car ceux qui se refusent à une mesure de prudence que j’ose dire nécessaire, indispensable dans les circonstances, altèrent eux-mêmes les (1) M. l’abbé Grégoire. 14 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1791. principes de la manière la plus' importante. Suivant eux, on ne peut, sans les blesser, laisser suspendre pendant quelque temps avec la certitude de résoudre conformément à la raison, l’exercice des droits politiques de quelques hommes; mais on peut bien laisser suspendre sans terme la liberté civile, individuelle, de 600,000 personnes. {Murmures prolongés.) (Quelques minutes se passent dans une vive agitation.) M. Barnave. Nos adversaires reconnaissent que l’intérêt national et la raison d’Etat ne permettent pas que 600,000 hommes en état d’esclavage dans nos colonies reçoivent leur liberté ; et cependant, ils disent... Plusieurs membres au centre et à gauche : Ce n’est pas la question 1 A l’ordre! M. Barnave. Je suis dans la question ; je le prouverai en peu de mots et je soutiens qu’il n’y a contre nous aucun intérêt réel et qu’il y a pour nous l’accomplissement des promesses et des volontés nationales. (Murmures.) Si l’on ne veut pas m’entendre, je vais me retirer. (Il quitte la tribune.) (Applaudissements.) Plusieurs membres : Parlez ! parlez ! M. Lanjuinais. Je demande la parole. M. Barnave remonte à la tribune. Je vous prie de mettre aux voix. Monsieur le Président, si l’Assemblée veut m’entendre; si elle veut m’entendre, je suis à ses ordres. M. Tuaut de lia Bon verte. MM. les secrétaires ont écrit le décret; je demande que leurs registres soient lus. On nous entraîne à déchirer le premier feuillet de notre Constitution; le peuple déchirera l’autre. M. Pétion de Villeneuve. Je veux bien entendre, à condition qu’on pourra répondre. (Quelques minutes se passent dans une vive agitation.) M. Barnave. Je répète... M. Delavigne. Posez donc la question, Monsieur le Président! M. le Président. Elle est posée. M. Pétion de Villeneuve. Posez-la tout hautl M. le Président. Je vais interroger l’Assemblée... M. Barnave. Un moment 1 Je déclare que je suis daus la question dans ma manière de voir. (Murmures.) M. l’abbé Maury ( s'adressant à la gauche). Vos querelles vont mettre le peuple de notre côté; car il ne sait plus qui choisir parmi vous. M. Pétion de Villeneuve continue à interrompre et à demander la parole. M. François de Beauharnais. 42 heures d’arrêts seulement pour M* Pétion. M. Barnave. Je demande à exposer mon opinion. Ce n’est pas pour moi, que je la demande; c’est pour l’intérêt général et la vérité. Si l’on ne, veut pas m’entendre, si l’on veut m’interrompre, je suis prêt à quitter la tribune. (Murmures.) M. d’Vnbergeon de Marinais. Je réclame la parole pour M. Barnave. M. Bœderer. Si M. Barnave demande que la discussion soit rouverte seulement pour lui, cela u’est pas juste; il faut qu’elle le soit pour tout le monde. (Oui! oui ! — Non! non!) M. Emniery. On demande que la discussion soit rouverte de nouveau sur le fond. M. Bœderer. Si M. Emmery demande que la discussion soit rouverle pour tout le monde, j’appuie sa motion, et c'est celle-là que l’on doit mettre aux voix. (L’Assemblée, consultée, décide que la discussion n’est pas ouverte de nouveau sur le fond de la question.) M. l’abbé Maury. Quand la discussion est fermée, il ne faut pas permettre que l’on parle sur le fond ; sans cela, on rentrera nécessairement dans la question du fond. M. Barnave (1). Je dis que toute manière de poser la question, autre que celle qui vous est présentée par le comité, c’est-à-dire que celle qui consiste à accomplir ce qui a été promis par l’Assemblée nationale relativement à l’initiative des assemblées coloniales déjà existantes avant votre décret du 8 mars et, par conséquent, à étendre les droits d’activité à ceux qui n’en jouissaient pas encore; je dis que toute autre manière de poser la question est une inconséquence de ce qui a été déjà prononcé et un grand mal national, parce que c’est une marche destructive de toute conliance de la part des colonies en nous, parce que c’est un moyen imprudent d’arriver à un résultat qui peut être juste et raisonnable, mais auquel on peut également atteindre par la marche prudente et sage qui vous est proposée et qui a au moins le mérite d’être essentiellement conforme à ce qui a déjà été annoncé et promis par vous. Je dis que l’on ne connaît pas les fails lorsque I’oq allègue que, par l’article 4 du décret du 28 mars, on a décidé ce que l’on met en doute en ce moment; qu’alors on a dit formellement qn’on envoyait un mode de convocation provisoire pour former des assemblées coloniales dans le cas où il n’y en aurait pas de formées, ou bien dans le cas où celles qui existaient, n’auraient pas le vœu des citoyens; que parle même décret du 28 mars, il fut dit que les assemblées coloniales, 'votant sur la Constitution, proposeraient tout ce qui est relatif aux citoyens actifs. Donc l’on n’avait jugé aucune question; on avait moins jugé encore relativement aux hommes de couleur, puisqu’on n’avait fait que prendre le texte de la forme de convocation qui avait été employé à la Martinique, où de fait les hommes de couleur n’avaient pas le droit de citoyen actif, et n’avaient aucun exercice des fonctions politiques. Il est donc vrai qu’à cet égard les choses sont (1) Cètte opinion est très incomplète au Moniteur. 15 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1791.] dans leur entier; que si elles y sont et qu’on ait promis l’initiative, on ne peut pas la retirer; qu’il y a à cela manque de foi; et que tout manque ae foi envers les colonies est la destruction des liens qui les, unissent à nous et qu’aucun autre lien ne peut remplacer la confiance ; qu’il est absurde, lorsqu’on consent pour des raisons d’Etat, pour des raisons d’utilité publique, à laisser 600,000 hommes dans l’esclavage, de ne vouloir pas suspendre pendant quelque temps par une marche prudente et conforme aux promesses de l’Assemblée nationale l’exercice des droits politiques pour un petit nombre d’hommes qui ne seront que momentanément privés. Je dis que la proposition contraire porte sur une ignorance profonde des faits; qu’il est faux par l’expérience et par* l’état des choses qu’une suspension relativement aux hommes de couleur puisse avoir aucune espèce de danger; qu’il est réel au contraire, profondément vrai, qu’un prononcé actuel contre l’initiative promise aux colonies aura des dangers immenses, des dangers dont les résultats seraient des désastres; qu’il est absolument faux que ce soit par la balance de force entre les hommes de couleur et les blancs qii’il ait existé des troubles dans les colonies, puisqu’il est constant que les troubles qui ont existé n’ont eu lieu qu’entre les blancs ; que le seul mouvement des hommes de couleur, la seule guerre entre les blancs et eux est le triste événement qui a amené la fin tragique du malheureux Auger; que vous n’avez point vu dans cet événement-là, dans cet événement funeste, mais dont les suites n’ont pu être continuées, puisque tous les mulâtres ont été désarmés depuis, que vous n’avez point vu dans ce malheureux événement la balance de force qu’on suppose; que cette balance est absolument fausse; que mon argument ne détruit pas des raisons de justice, mais qu’il anéantit les réflexions politiques qu’on oppose, tandis qu’il est vrai que toutes les raisons politiques, que toutes les raisons de prudence sont de notre côté; que c’est un misérable caprice, indigne de l’Assemblée nationale, que de s'exposer à perdre des possessions qui font la prospérité française. (Vifs applaudissements.) Plusieurs membres : Aux voix! aux voix! M. Delavigne. Je demande qu’il soit une fois bien constant que quand deux décrets ont décidé que la discussion est fermée, sous prétexte de poser la question, on ne revienne pas la rouvrir ; c’est ce qu'a fait M. Barnave. M. La venue. Il y a deux manières de poser la question préalable; je demande qu’elle soit posée sur tout le projet, sauf le renvoi de celui-ci au comité. ( Mouvement .) M. l’abbé Sieyès. Je demande la parole pour poser la question et je prie M. Barnave de , vouloir bien nous donner un éclaircissement sur un point qui nous paraît le véritable point de la question. L’Assemblée a accordé l’initiative aux colonies sur la constitution à faire pour les colonies et même sur l’état des personnes; elle a donné cette initiative à des hommes quelconques. Il s’agit de savoir à qui nous prétendons que l'initiative a été accordée ; or, je crois que c’est à tous les hommes libres et non à une simple portion des hommes libres. (Applaudissements.) Puisque l’Assemblée nationale accorde l’initiative aux colonies, il faut savoir quelles personnes elle veut consulter; elle veut consulter, disons-nous, les hommes libres. Qui sont les hommes libres? L'Assemblée ne nous a pas laissé la peine de chercher cette explication; elle-même l’a donnée dans l’article 4 de son décret du 28 mars : « Toutes personnes âgées de 25 ans accomplis, domiciliées, propriétaires et contribuables, seront admises aux assemblées paroissiales. » (Applaudissements.) Je dis qu’on peut diviser en 3 classes les personnes qui habitent les colonies : les grands blancs, les petits blancs et les hommes de couleur libres; or, tous sont également compris dans ce décret et l’Assemblée nationale n’a exclu de la liberté et des droits politiques aucune de ces trois catégories. Si on m’objecte qu’il y a une différence entre eux, en ce que les uns exercent les droits de citoyens actifs et les autres ne l’exercent pas, je réponds à cela qu’il est faux qu’avant la Révolution personne exerçât les droits de citoyen actif. (Applaudissements.) Aucune classe n’exerçait alors de droits politiques ; le droit politique est un droit dans lequel nous sommes tous rentrés. Il s’agit donc de déterminer quelles sont les personnes que vous avez en vue ; ainsi je demande qu’avant tout l’Assemblée nationale décide quelles sont les personnes à qui elle accorde l’initiative. M. Barnave. Je suis interpellé; je vais répondre très nettement, et je déclare tout d’abord ici que les événements qui pourront avoir lieu justifieront mon opinion. (Murmures.) J’avais déjà prévu le fait sur lequel je suis interpellé et si ce que je dis ne paraît pas clair, l’Assemblée pourra se faire lire ses propres décrets. L’Assemblée nationale a décidé, par son décret du 8 mars 1790, décret qui a sauvé les colonies, décret dont le retrait les anéantirait, l’Assemblée nationale a décrété le 8 mars que chaque colonie émettrait son vœu sur la Constitution et la législation qui lui était propre ; que dans les colonies où il existait des assemblées coloniales élues par les citoyens, elles étaient admises et déclarées capables d’émettre ce vœu; que dans les colonies où il n’existait pas d’assemblées coloniales formées, il en serait convoqué pour émettre le même vœu, suivant le mode de convocation qui serait adressé incessamment. Le 28 mars, l’Assemblée nationale établit le mode de convocation provisoire, destiné à faire des assemblées coloniales dans les colonies où il n’en existerait pas pour énoncer le vœu colonial. Or, il existait des assemblées coloniales, formées, élues, avouées par les citoyens, dans toutes les colonies,, de sorte que la convocation provisoire du 28 mars a été entièrement sans effet. Quand nous fîmes cette convocation provisoire, nous dîmes en même temps dans les instructions que les assemblées coloniales soit existantes, avant notre décret, soit convoquées en vertu de notre décret, exprimeraient leur vœu sur la Constitution, sur les qualités de citoyens actifs et d’éligibilité. Ainsi il est bien véritablement légal que les assemblées coloniales existant actuellement émettent leur vœu sur ce point; cela était déjà décrété; elles étaient autorisées légalement à émettre le voeu colonial sur toute la Constitution. et notamment sur les qualités de citoyens actifs. Et quand il serait vrai que dans le mode de convocation provisoire destiné à établir des assemblées coloniales là où il n’en existait pas, les gens \R [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mai 1791.] libres de couleur eussent pu être admis aux assemblées, il n’en serait pas moins vrai que les assemblées coloniales existantes ayant été déclarées valables et légales par vous, ayant été autorisées par vous à émettre le vœu sur la Constitution, sur la qualité de citoyen actif, en sont également capables aujourd’hui; que leur retirer ce droit, ce serait rétracter un décret rendu, ce serait revenir sur une disposition déjà formellement décrétée. {Murmures et applaudissements.) J’ai déjà dit à l’Assemblée que sachant dès lors tous les mchnvénients de préjuger la question sur les gens de couleur, et sachant que, de fait, elle ne se trouverait pas préjugée dans les instructions, vous prîtes le mode de convocation adopté pour la Martinique, mode duquel il ne pouvait résulter aucun préjugé ; mais toujours est-il constant que les assemblées coloniales existantes ont été reconnues capables par vous d’émettre le vœu de la colonie sur la Constitution, et ces mêmes assemblées coloniales ont été depuis reconnues légales par vos décrets. ( Murmures et applaudissements.) Je demande si, lorsqu’il ne s’agit que de l’émission d’un vœu, vœu sur lequel le Corps législatif prononcera comme il lui paraîtra convenable, il peut y avoir à balancer entre le maintien de vos précédents décrets et une marche absolument sub» versive, qui consisterait à faire de nouvelles convocations, qui consisterait à préjuger la question que l’on veut renvoyer à juger, qui consisterait à faire détruire toute espèce de contiance, qui consisterait à faire croire à vos colonies que vos décrets ne sont que des jeux, qui consisterait enfin à mettre bien véritablement les armes à la main au parti que vous exciteriez alors, au lieu de réunir tous les partis par la marche qui vous est proposée. Il est impossible, Messieurs, il serait coupable de séparer l’intérêt national de la question qui s’agite. M. l’abbé Maury monte à la tribune. M. l’abbé Grégoire. Je demande la parole pour un fait. {Aux voix ! aux voix !) M. Malouet et plusieurs membres à droite réclament contre la demande de M. l’abbé Grégoire. {Bruit.) M. Arthur Dillou. M. l’abbé a parlé six fois {Aux voix !) ; je suis député des colonies et je n’ai pas encore pu obtenir la parole. {Aux voix ! aux voix !) M. le Président. Je n’ai pas de moyen pour empêcher que l’on fasse du bruit. M. l’abbé Grégoire. Messieurs, voici le fait. {Murmures et interruptions.)... Plusieurs membres : Aux voix 1 aux voix ! M. Arthur Dillou. Mais, Monsieur le Président, je vous ai demandé la parole. M. l’abbé Grégoire. Messieurs, c’est simplement un fait que je veux rétablir. {Murmures à droite : Aux voix! aux voix!)...; un fait essentiel et indubitable {Nouveaux murmures à droite). .. Ge fait est important, il est nécessaire de le rappeler à l’Assemblée. {Murmures Aux voix ! aux voix!),.. MM. Arthur Dillou et Malouet s’élèvent contre l’opinant. M. l’abbé Grégoire. Il n’est question que d’un fait relatif à ce qu’a dit M. Barnave. Le 28 mars, quand les instructions furent présentées, c’est moi, Messieurs, qui ai demandé que, dans l’article 4, les gens de couleur fussent expressément compris, nominativement exprimés. Et pourquoi le demandai-je? C’est que je savais toutes les vexations, toutes les injustices qu’ils allaient éprouver; c’est que je savais très bien que, constamment opprimés dans ce pays-là, on cherchait encore à leur ravir les droits de citoyens actifs. On me répondit à cela que ma demande était inutile, puisque, les termes étant généraux, ils comprenaient les gens de couleur comme les autres. Ge fut M. Barnave lui-même qui me fit cette réponse. ( Applaudissements .) M. de La Galissonnière. Le procès-verbal porte que l’on passa à l’ordre du jour ; la discussion même ne fut pas ouverte : aussi le fait avancé par M. Grégoire est faux. M. Barnave paraît à la tribune. {Aux voix ! aux voix !) M. le Président. Les observations et les interpellations qui ont été faites n’ont point changé la manière de poser la question; on a demandé deux sortes de questions préalables, l’une sur le premier article, l’autre sur la totalité du projet de décret. Gelle-ci doit être mise la première aux voix, puisqu’elle embrasse plus d’objets. Je mets aux voix. {Murmures)... M. Dupont. Nous avons perdu deux jours, parce que l’Assemblée n’a pas voulu expliquer si elle entendait comprendre les gens de couleur. {Aux voix !) La seule question est de savoir si les gens de couleur sont compris dans l’initiative. Si vous voulez les comprendre, vous direz oui ; si vous ne voulez pas les comprendre, vous direz non. {Aux voix ! aux voix !) La loi est faite, si vous avez voulu les comprendre; sinon, il faut faire la loi. Ainsi je demande que la question soit posée en ces termes : L’Assemblée nationale, par son décret du 12 octobre, a-t-elle entendu comprendre les gens de couleur, oui ou non ? Voilà la seule manière de la poser. {Applaudissements.) M. Halrac. Monsieur Dupont, vous avez déjà failli perdre le commerce par le traité de commerce avec l’Angleterre, par votre opposition aux assignats ; vous voulez l’achever dans la question des colonies. Plusieurs membres : Ge n’est pas là la question. M. Tronchet. Je vais répondre très sommairement : 1» à l’objection faite par M. Grégoire ; 2° à la proposition que vient de faire M. Dupont. A l'observation faite par M. Grégoire, je réponds que le fait ne résout pas l’observation qu’on vient de faire. En effet, Messieurs, je l’avouerai, il y a deux jours que j’étais étonné que jamais on n’eût abordé le point de la difficulté. Je n’étais malheureusement pas inscrit sur la liste ; même tous mes voisins peuvent attester que je leur ai dit que le véritable point de la question était, ainsi que M. Barnave vient [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (12 mai 1791.] 47 de lé répéter, que, d’après vos décrets des 8 et 28 mars, il y avait deux choses à distinguer : les. assemblées qui. étaient déjà formées et celles qui pourraient se former de nouveau.� Pour les assemblées qui éiaient déjà formées, vous les avez expressément confirmées, et c’est à elles que vous avez déféré l’obligation ou la commission de vous émettre leur vœu sur leur constitution. Pour celles qui n’existaient pas, vous avez dit qu’elles seraient formées et convoquées suivant un mode déterminé, mode que vous avez fixé dans vos instructions ; et c’est à elles seules que s’appliquent les instructions du 28 mars et par conséquent l’article 4 de ces instructions. Il 8;t évident que les assemblées qui existent ont un droit que vous leur avez transmis irrévocablement ; si cela est vrai, la difficulté n’est as résolue. Par la citation de M. l’évêque de lois, il ne résulte pas du fait cité que vous puissiez aujourd’hui rendre un décret dont la conséquence serait qu’il faudrait anéantir les assemblées existantes, ce qui est impossible...; M. l’abbé Sieyès. Je demande la parole. M. Tronchet ..... car si l’on demandait aujourd’hui, en vertu de la déclaration que propose M. Grégoire, et qui est vraie pour les assemblées à former, si l’on demandait aujourd’hui à revenir et à réformer une assemblée ancienne, tous ceux qui sont dans cette asssemblée et les électeurs vous dira eut : c’est une chose inconcevable, car vous avez confirmé ces assemblées-là œ, aujourd’hui, vous voulez le-i anéantir. Quant à la proposition de M. Dupont, j’y réponds en un mot. Il est impossible de poser la question comme il le propose ; car, si on la posait ainsi, il faudrait répondre tout à la fois oui et non : oui, pour les assemblées formées ; non, potfr les assemblées à former. ( Murmures et applaudissements .) Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée. D'autres membres demandent que l’abbé Sieyès soit entendu. M. l'abbé Sieyès. Vous ne pouvez, Messieurs, fermer la discussion sur l’Assemblée nationale elle-même; ce n’est pas pour moi, c’est pour elle que je demande la parole. {Aux voix !) M. Barnave a promis de répondre à mes observations; s’il n’a pas tenu sa parole en ce moment, ill’à tenue d’avance. Yoici ce qu’il disait le 28 mars et sur quoi l’As-emblée nationale a rendu son décret : « Pour connaître le vœu des colonies, il est indispensable que l’on forme des assemblées coloniales, soit dans celles où il n’en existe pas encore, soit dans celles où les assemblées existantes ne seraient pas autorisées par la confiance des citoyens ». J’argumente de là et je demande si les assemblées déjà existâmes étaient autorisées par la confiance des citoyens lorsqu’une très grande quantité de citoyens n’ont pas été appelés à les former. ( Murmures et applaudissements.) J’ajoute que, dans les assemblées existantes, il faut distinguer trois choses : il faut considérer les personnes qui y ont été appelées, et qui s’y sont trouvées ; les blancs qui ne s’y sont pas trouvés ; et les hommes de couléilf, également libres, ayant les mèmès droits que lès blancs qui n’y ont pas été appelé�. 1" Série. T. XXYI. Je demande si, en fermant la porte à tous ceux qui, de fait, ne s’y sont pas trouvés, vous excluez également et les blancs qui n’y .ont pas été, et les hommes de couleur qui avaient tous autant de droit d’y être. ( Applaudissements .) Ceux qui ne se sont pas trouvés aux assemblées n’ont-ils donc plus le droit de concourir à l’émission du vœu des colonies ? Ma proposition revient dans toute sa force ; il faut que nous sachions que les sont les personnes que nous consultons, à. qui l’Assemblée donne le droit d’émeitre le vœu sur l’initiative des lois à faire et sur l’état des personnes. Je vous observe encore que la doctrine que j’avance dans ce moment est non seulement celle de l’Assemblée, mais aussi celle des comiiés. Le comité de vérification a décidé que les hommes de couleur libres avaient le droit d’être députés à l’A semblée nationale et vous n’avez point infirmé cette décision. (Murmures.) Plusieurs membres : Elle ne nous a pas été présentée. M. l’abbé Sieyès. C’est au moins l’opinion du comité de vérification ; c’est celle de l’Assemblée nationale qui n’a pas infirmé cette décision. (Nouveaux murmures.) Je demande si, en principe général, les bommr s de couleur ne peuvent pas être députés à l’Assemblée naiionale. S’ils ont le droit d’être députés à l’Assemblée nationale, à plus forte raison ont-ils celui d’être députés aux assemblées coloniales. Au reste, je ne veux pas compromettre mon premier raisonnement par le second et je rentre dans le priucipe. Je crois que l’Assemblée n’a rien de mieux à faire que de décréter en ce moment la question préalable sur tout le projet des comités. (Applaudissements.) Plusieurs membres : Aux voix 1 aux voix I M. le Président met aux voix la question préalable sur la totalité du projet de décret des comités, sauf le renvoi à ces mêmes comités pour qu’ils présentent un nouveau projet. (Une première épreuve est douteuse.) M. le Président. Je renouvelle l’épreuve. (Une seconde épreuve a lieu.) M. le Président. Sur sept personnes qui composent avec moi le bureau, quatre pensent qu’il y a du doute. Je vais faire l’appel nominal. (I! est procédé à l’appel nominal.) L’Assemblée décrète par 378 voix contre 276 u’il y a lieu à délibérer sur le projet dé décret es comités. M. le Président annonce l’ordre du jour de demain et lève la séancë à cinq heures. PREMIÈRE ANNEXE À LA. SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 12 MAI 1791. Nota. — Postérieurement au décret, rendu le 12 mai 1791, M. de Curt présenta au nom du comité de la marine un rapport concernant les travaux du port de Cherbourg. Ce rapport fut 2